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Date : 20190215


Dossier : IMM-1193-18

Référence : 2019 CF 195

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 février 2019

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

DIPAK BHANDARI et PUSHPA BHANDARI

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de protection des réfugiés (SPR) a conclu qu’ils disposent d’une possibilité de refuge intérieur viable (« PRI ») dans leur pays d’origine, le Népal. Selon la SPR, le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, car la conclusion de la SPR selon laquelle il existe une PRI est raisonnable.

Contexte

[2]  Le demandeur est un citoyen du Népal. En 2006, il est devenu membre du Parti démocratique national (appelé le RPP), un parti promonarchiste au Népal. Il est allé travailler en Inde en novembre 2006, puis il est venu au Canada muni d’un visa de travail. Il est retourné au Népal en janvier 2010. Il déclare qu’il a assisté à deux rassemblements promonarchistes dans le district de Rupandehi, et qu’un groupe de maoïstes a attaqué les manifestants lors du deuxième rassemblement.

[3]  Il est revenu au Canada en avril 2010, puis est de nouveau retourné au Népal en octobre 2011. Le demandeur affirme avoir assisté à une réunion organisée par la section locale du RPP en décembre 2011. Il ajoute qu’en rentrant de la réunion, il a été accosté par un groupe de quatre jeunes, qui l’ont agressé physiquement et qui l’ont forcé, sous la menace d’une arme à feu, de se rendre à leur bureau. Ils lui ont ordonné de quitter le RPP, de se joindre aux maoïstes et de payer 500 000 roupies népalaises. Le demandeur s’est plié à leurs demandes et a accepté de verser l’argent dans un délai de 10 jours.

[4]  Après avoir été mise au courant de l’incident par le demandeur, la famille a décidé de ne pas le signaler à la police, car elle croyait que ce serait inutile et dangereux. Elle a plutôt quitté le village pour s’installer dans la capitale, Katmandou.

[5]  Le demandeur est revenu au Canada le 11 décembre 2011.

[6]  L’épouse du demandeur, qui est la demanderesse la codemandeure de la demande d’asile, a rejoint le demandeur au Canada en mai 2012, après avoir obtenu un visa. En août 2012, le demandeur a appris par son père que les biens qui leur restaient dans leur village natal, au Népal, avaient été saisis par des membres maoïstes locaux, et ces personnes avaient menacé de tuer le demandeur et sa famille parce qu’ils ne s’étaient pas conformés à leurs exigences antérieures. À la suite de ces événements, le demandeur a présenté une demande d’asile.

Décision faisant l’objet du contrôle

[7]  La SPR a constaté que les parents du demandeur vivent à Katmandou depuis 2011 sans éprouver de problème avec les maoïstes. De plus, les parents du demandeur ont séjourné au Canada en 2015 pendant six mois, puis ont regagné Katmandou sans incident.

[8]  La PRI que le SPR a examinée était le grand centre urbain de Biratnagar, qui compte une population d’environ un quart de million de personnes. Cette agglomération est située à plus de 500 kilomètres du village d’origine du demandeur.

[9]  La SPR a examiné la preuve relative à la situation dans le pays et les risques potentiels posés par les maoïstes dans le village de Biratnagar. Elle a pris acte de l’existence de plusieurs partis, factions et ailes jeunesse maoïstes qui sont en concurrence les uns avec les autres et qui commettent parfois des actes de violence à l’échelle locale. Toutefois, la SPR a constaté que l’extorsion par de tels groupes est de plus en plus rare et qu’elle est principalement perpétrée par des membres des factions Baidya et Biplab, et que ces dernières n’étaient pas établies lorsque le demandeur d’asile a quitté le Népal en décembre 2011. La SPR a tenu compte de la preuve documentaire selon laquelle les menaces proférées par les maoïstes ne posent pas de problèmes importants et qu’elles sont localisées.

[10]  La SPR a indiqué que le critère en deux volets à appliquer lors de l’examen d’une PRI est celui énoncé dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) (Rasaratnam). Premièrement, il ne doit y avoir aucune possibilité sérieuse de persécution dans la région du pays où il existe une PRI; deuxièmement, il faut que les conditions de la PRI ne soient pas déraisonnables compte tenu des circonstances particulières des demandeurs d’asile.

[11]  À la lumière de la preuve, la SPR a conclu que le premier volet du critère de la PRI n’était pas rempli, car il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve convaincants pour établir que les agents d’une faction maoïste auraient la capacité de traverser le Népal et d’obtenir des renseignements sur le demandeur s’il retournait au Népal. La SPR a également souligné que le demandeur n’avait pas le profil d’une personne qui serait poursuivie, étant donné que l’incident aurait eu lieu il y a plus de six ans. Par conséquent, le risque de persécution n’était qu’une simple possibilité.

[12]  En ce qui concerne le second volet du critère de la PRI, la SPR a souligné que le demandeur possède dix ans de scolarité et a une vaste expérience de chef, grâce auxquels il pourrait trouver un autre emploi et subvenir aux besoins de sa famille au Népal. De plus, le demandeur n’a pas fourni d’éléments de preuve convaincants susceptibles de démontrer qu’une réinstallation à Biratnagar constitue une PRI déraisonnable.

[13]  La SPR a donc conclu que le demandeur pourrait se réinstaller en toute sécurité à Biratnagar avec son épouse et leur fille.

Question en litige

[14]  Les demandeurs soulèvent deux questions que je formulerai comme suit :

  • L’analyse de la SPR concernant l’existence d’une PRI est-elle raisonnable?
  • Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

Norme de contrôle

[15]  La conclusion de la SPR relativement à la PRI est une conclusion de fait pour laquelle la norme de contrôle est la norme de la décision raisonnable (Trevino Zavala c Canada, 2009 CF 370, paragraphe 5). On reconnaît une décision raisonnable « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », et une telle décision s’inscrit dans une gamme de résultats possibles et acceptables (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47).

[16]  Tout manquement à l’équité procédurale peut faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, paragraphe 79).

Analyse

L’analyse de la SPR concernant l’existence d’une PRI est-elle raisonnable?

[17]  Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure que la ville de Biratnagar était une PRI viable. Il soutient que la SPR n’a pas dûment tenu compte de la présence de partisans de la ligne dure maoïstes au Népal, ce qui, conjugué à la petite taille du Népal, fait en sorte qu’il est impossible pour le demandeur d’être en sécurité où que ce soit au Népal.

[18]  La SPR a appliqué le critère de Rasaratnam à la situation du demandeur.

[19]  En ce qui concerne le volet du critère qui porte sur le risque de persécution, le demandeur souligne que la preuve relative à la condition du pays indique que la faction Biplab du Parti maoïste est capable de localiser des cibles à n’importe quel endroit au pays grâce à leur taille et à leur réseau. Il souligne également que la Young Communist League, aile jeunesse du Parti maoïste qui pourrait compter jusqu’à un million de membres, est très active et a de solides réseaux partout au pays où il y a des incidents de violence connus. De plus, les rapports sur la situation dans le pays font état de cas d’extorsion et de mainmise sur des terres partout au Népal. En ce qui concerne la protection de l’État, le demandeur attire l’attention du tribunal sur un rapport selon lequel le Népal a été largement incapable d’assurer la sécurité de ses citoyens, situation qui s’est aggravée après le tremblement de terre de 2015.

[20]  La SPR a souligné que les groupes Baidya et Biplab n’existaient pas au moment où les menaces ont été proférées à l’endroit du demandeur, en décembre 2011, mais le demandeur explique qu’il s’agit en fait de factions dissociées du Parti maoïste et que ces groupes sont donc des acteurs des agents de persécution qui ciblent le demandeur.

[21]  Le critère de Rasaratnam a été précisé dans l’arrêt Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA), où la Cour a expliqué que, s’il est possible pour les demandeurs d’asile de chercher refuge dans leur propre pays, il n’y a aucune raison de conclure qu’ils ne peuvent ou ne veulent pas se réclamer de la protection de ce pays (au paragraphe 15). Par conséquent, il incombe au demandeur d’asile de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe une possibilité sérieuse de persécution dans l’ensemble du pays, y compris à l’endroit indiqué de la PRI.

[22]  La preuve que le demandeur cherche à invoquer à l’appui de son allégation de crainte de persécution est la preuve de la situation dans le pays. Toutefois, cette seule preuve ne suffit pas à établir une crainte bien fondée de persécution. Il est bien établi en droit qu’un demandeur doit également être en mesure d’établir, au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants, qu’il existe un risque subjectif de préjudice ou de persécution. En l’espèce, rien ne prouve que le demandeur lui-même (ou son épouse) serait exposé à un risque dans la ville de Biratnagar (la PRI), ni que sa famille qui réside à Katmandou avait été ciblée de quelque façon que ce soit.

[23]  Le demandeur fait erreur en s’appuyant sur l’arrêt Christopher c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 730 (Christopher). Dans cet arrêt, la SPR a conclu que les demandeurs disposaient d’une PRI viable à Colombo, au Sri Lanka. Toutefois, en contrôle judiciaire, la Cour fédérale a annulé la conclusion de la SPR, faisant remarquer qu’une déclaration de cessez-le-feu avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul ne signifiait pas nécessairement que les conditions de persécution s’étaient améliorées pour les demandeurs. Les circonstances de l’affaire Christopher sont uniques et ne s’appliquent pas au demandeur.

[24]  Le demandeur soutient qu’il risque d’être persécuté en raison de l’absence de protection de l’État. Il existe une présomption de protection de l’État, mais elle peut être réfutée par « une preuve claire et convaincante de l’incapacité d’un État d’assurer la protection » (Vigueras Avila c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, au paragraphe 26). En l’espèce, le demandeur n’a présenté aucune preuve de ce genre. Le demandeur et sa famille n’ont jamais signalé leurs interactions avec les maoïstes aux autorités népalaises et n’ont donc jamais cherché à obtenir la protection de l’État. Le demandeur invoque simplement la preuve relative à la situation dans le pays à l’appui de son argument selon lequel la protection de l’État fait défaut, ce qui n’est pas suffisant pour réfuter cette présomption.

[25]  Pour ce qui est du second volet du critère de la PRI, la SPR a tenu compte de la situation du demandeur et du caractère raisonnable de sa capacité de se réfugier à Biratnagar. La SPR a constaté que les études et les antécédents professionnels du demandeur lui permettraient de trouver un emploi et de subvenir aux besoins de sa famille ailleurs au Népal. Le demandeur n’a présenté aucune preuve convaincante à l’effet contraire.

[26]  La SPR a appliqué le bon critère et a effectué la bonne analyse pour arriver à la conclusion relative à la PRI. Par conséquent, la conclusion de la SPR concernant l’existence d’une PRI est raisonnable et s’inscrit dans l’éventail des issues possibles.

Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[27]  Le demandeur fait valoir qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, car la SPR n’a pas, selon lui, examiné tous les éléments de preuve. Les arguments présentés par le demandeur à l’appui de cette question sont en grande partie les mêmes que ceux qui ont été présentés au sujet du caractère raisonnable de la conclusion concernant la PRI dont nous avons déjà traité.

[28]  Un examen de la décision de la SPR indique que la SPR a raisonnablement examiné les éléments de preuve et qu’elle a appliqué les éléments de preuve pertinents relatifs à la situation dans le pays à la situation du demandeur. Les demandeurs auraient de toute évidence préféré une interprétation de la preuve relative à la situation dans le pays conforme à leurs observations. Toutefois, la seule question que doit trancher la Cour est celle de savoir si la SPR a examiné ces éléments de preuve et si elle les a raisonnablement appliqués aux circonstances, ce qu’elle a fait. Il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 61).

[29]  Compte tenu des circonstances, les demandeurs n’ont pas établi de manquement à l’équité procédurale.

[30]  Je rejette donc la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1193-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de mars 2019

Sandra de Azevedo, LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1193-18

INTITULÉ :

DIPAK BHANDARI ET AUTRE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 décembre 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge McDonald

DATE :

Le 15 février 2019

COMPARUTIONS :

Keshab Prasad Dahal

POUR LE DEMANDEUR

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Keshab Prasad Dahal

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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