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Date : 20190212


Dossier : IMM-3722-18

Référence : 2019 CF 177

Ottawa (Ontario), le 12 février 2019

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

PRISCA AUDREY MAVANGOU

demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  L’aperçu

[1]  La demanderesse, Mme Prisca Audrey Mavangou, est citoyenne de la République du Congo. Elle demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] datée du 6 juillet 2018 [Décision]. La SAR avait alors maintenu une décision de la Section de protection des réfugiés [SPR] rejetant la demande d’asile de Mme Mavangou et lui refusant le statut de réfugiée ou de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], au motif que le fondement de sa demande n’était pas crédible.

[2]  Mme Mavangou allègue que la SAR aurait erré à trois égards dans sa Décision : en rejetant les nouveaux éléments de preuve qu’elle a présentés, en déterminant que son histoire n’était pas crédible, et en négligeant un fait d’importance fondamentale, soit le viol collectif qu’elle a subi au Congo. Elle demande à la Cour d’annuler la Décision et de renvoyer l’affaire pour que son recours devant la SAR soit réévalué.

[3]  Pour les motifs exposés ci-après, je vais rejeter la demande de Mme Mavangou. Après avoir examiné les conclusions de la SAR, les éléments de preuve présentés au tribunal et le droit applicable, je ne peux trouver aucun motif pour infirmer la Décision de la SAR. Que ce soit au niveau des raisons invoquées pour refuser les nouveaux éléments de preuve, des conclusions défavorables quant à la crédibilité de Mme Mavangou ou de l’analyse menée par le tribunal, les motifs de la SAR tiennent compte de la preuve devant le tribunal et possèdent les qualités qui rendent la Décision raisonnable, en ce sens qu’elle fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il n’y a donc aucun motif justifiant l’intervention de la Cour.

II.  Le contexte

A.  Les faits

[4]  Mme Mavangou est née en République du Congo, dans le sud du pays. Elle est entrée au Canada en juillet 2016, après être brièvement passée par les États-Unis. Peu après son arrivée au Canada, elle dépose une demande d’asile. Elle y allègue être pourchassée au Congo par Sarah Ndenguet, la fille d’un général connu pour ses mauvais traitements de la population du sud. De septembre à décembre 2015, Mme Mavangou aurait eu une relation amoureuse avec M. Philippe Eboa, un homme qui serait marié à Mme Ndenguet. Selon Mme Mavangou, Mme Ndenguet aurait découvert leur relation et, le 25 décembre 2015, elle aurait menacé et insulté Mme Mavangou au téléphone. Le soir même, un ami de M. Eboa lui aurait remis de l’argent et recommandé d’être prudente. Mme Mavangou soutient également qu’en avril 2016, trois hommes dont deux en uniforme de police se seraient présentés chez elle et l’auraient violée et volée, lui demandant de remettre l’argent reçu de M. Eboa et l’insultant puisqu’elle venait du sud du pays. Après l’incident, qu’elle attribue à des hommes envoyés par Mme Ndenguet, elle allègue s’être rendue à l’hôpital avec une cousine, pour ensuite fuir le Congo une semaine plus tard. Elle dit craindre les représailles de Mme Ndenguet en raison de sa relation avec M. Eboa.

[5]  La SPR n’a pas cru le récit de Mme Mavangou et, en novembre 2016, elle a rejeté sa demande d’asile. Mme Mavangou a interjeté appel de cette décision devant la SAR.

B.  La Décision de la SAR

[6]  Dans la Décision dont Mme Mavangou demande aujourd’hui le contrôle judiciaire, la SAR confirme la décision de la SPR, et notamment les conclusions de cette dernière quant au manque de crédibilité du récit de Mme Mavangou.

[7]  La SAR examine d’abord l’admissibilité, en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR, de six nouveaux éléments de preuves présentés par Mme Mavangou à l’appui de son appel, et la SAR conclut qu’aucun n’est admissible en raison de leur manque de pertinence, de crédibilité ou de nouveauté. Une lettre d’un médecin et une lettre d’une intervenante psychosociale sont rejetées, car la SAR considère qu’elles n’établissent pas de lien avec l’histoire alléguée par Mme Mavangou. Une lettre et un courriel de M. Eboa, bien qu’ils reprennent et supportent l’histoire de Mme Mavangou, sont rejetés parce qu’ils auraient pu être présentés à la SPR et manquent de force probante, n’étant ni authentifiés ni assermentés. La SAR ne retient pas non plus un certificat de coutume soumis comme étant l’acte de mariage entre M. Eboa et Mme Ndenguet car, à sa face même, ce document ne porte pas de date et ne réfère qu’à un éventuel mariage. Enfin, la SAR n’accepte pas un article de journal antérieur à l’audience devant la SPR, et qui n’apporte rien de nouveau.

[8]  La Décision examine ensuite chacun des arguments soulevés par Mme Mavangou pour attaquer les conclusions de la SPR. La SAR précise, au début de son analyse, qu’elle prend en considération les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe [Directives] émises par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAR traite d’abord de l’argument voulant que la SAR n’ait pas tenu compte des preuves présentées. Après avoir mené sa propre analyse du dossier, la SAR conclut, à l’instar de la SPR, qu’il n’est pas crédible que Mme Mavangou ait eu une relation intime avec M. Eboa, vu son incapacité de fournir des informations de base sur son amant, telles que son emploi ou le nombre de ses enfants. La SAR considère aussi la décision de la SPR de consulter les pages Facebook des personnes concernées (soit M. Eboa et Mme Ndenguet), que lui reproche Mme Mavangou, et conclut que la SPR n’a pas commis d’erreur en effectuant cette démarche. En effet, la preuve révèle que celle-ci a été entreprise avec la permission implicite de Mme Mavangou et dans le but d’aider cette dernière à compléter ses réponses. La SAR ajoute que la conclusion de la SPR sur le manque de crédibilité du récit de Mme Mavangou découle d’abord et avant tout du témoignage ténu et déficient de cette dernière, et non pas des informations glanées sur les réseaux sociaux.

[9]  Enfin, la Décision valide la conclusion de la SPR selon laquelle la preuve ne permet pas de conclure à une agression sexuelle qui aurait été commanditée par l’épouse de M. Eboa, la relation entre Mme Mavangou et M. Eboa n’étant pas crédible et le certificat médical faisant état de l’agression comportant certaines déficiences.

[10]  Pour l’ensemble de ces motifs, la SAR détermine que la SPR a rendu une décision correcte en rejetant la demande d’asile de Mme Mavangou.

C.  La norme de contrôle

[11]  Les parties reconnaissent que, pour toutes les questions en litige, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord. Il est en effet bien acquis que le bien-fondé du mérite des décisions de la SAR doit s’apprécier suivant cette norme (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica] au para 35). Plus particulièrement, l’interprétation par la SAR du paragraphe 110(4) de la LIPR lors de l’examen de nouveaux éléments de preuve est soumise à la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh] au para 29; Galamb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1230 aux para 10-11; Olowolaiyemo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 895 [Olowolaiyemo] au para 10). Enfin, la norme de la décision raisonnable est également applicable à l’évaluation de la crédibilité par la SPR ou la SAR (Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF) [Aguebor] au para 4; Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 [Lawani] au para 13). Par conséquent, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse plus poussée de la norme de contrôle (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] au para 62).

[12]  Lorsque la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, la Cour doit faire preuve de déférence et se garder de substituer sa propre opinion à celle du décideur administratif, pourvu que la décision soit justifiée, transparente et intelligible, et que les conclusions qui la sous-tendent et dont on conteste le bien-fondé se situent dans la gamme des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir au para 47). Les motifs d’une décision sont considérés comme raisonnables « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses] au para 16).

[13]  La norme de la décision raisonnable exige de faire preuve de déférence à l’égard du décideur, car elle « repose sur le choix du législateur de confier à un tribunal administratif spécialisé la responsabilité d’appliquer les dispositions législatives, ainsi que sur l’expertise de ce tribunal en la matière » (Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd, 2016 CSC 47 au para 33; Dunsmuir aux para 48 et 49). Dans le cadre d’un contrôle du caractère raisonnable, lorsqu’une question mixte de fait et de droit relève directement de l’expertise d’un décideur, la cour de révision « a pour tâche d’exercer une surveillance à l’égard de l’approche utilisée par le tribunal dans le contexte de la décision prise dans son ensemble. Son rôle n’est pas d’imposer l’approche de son choix » (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 57).

[14]  Cette approche empreinte de retenue, et la fenêtre limitée d’intervention qui en découle, s’imposent particulièrement lorsque, comme en l’espèce, les conclusions contestées se rapportent à la crédibilité du récit d’un demandeur d’asile (Lawani aux para 15-16). Il est en effet bien établi que les conclusions à cet égard exigent un degré élevé de retenue de la part d’une cour de révision lors d’un contrôle judiciaire, compte tenu du rôle de juge des faits attribué au tribunal administratif.

III.  Analyse

[15]  Avant d’aborder les trois motifs avancés par Mme Mavangou à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, deux remarques préliminaires s’imposent.

[16]  D’une part, je souligne que la demande d’asile de Mme Mavangou était fondée sur ses craintes de représailles de la part de Mme Ndenguet, fille d’un général influent au Congo, en raison de la relation amoureuse qu’elle aurait eue avec M. Eboa, un homme qu’elle présentait comme le mari de Mme Ndenguet. Selon Mme Mavangou, c’est en raison de cette relation extra-conjugale qu’elle a été victime d’un viol collectif qui aurait été orchestré par Mme Ndenguet. Sa propre relation avec M. Eboa et le statut marital de M. Eboa et de Mme Ndenguet constituaient donc les points d’ancrage de la demande d’asile déposée par Mme Mavangou.

[17]  Or, c’est précisément à ce niveau que tant la SPR que la SAR ont conclu au manque de crédibilité du récit de Mme Mavangou. Dans son témoignage, Mme Mavangou ignorait des choses élémentaires sur M. Eboa, comme sa date d’anniversaire, depuis quand il est marié, s’il a des enfants et combien, ou encore son adresse courriel, et elle était même incertaine de son prénom. Ceci, aux yeux de la SPR et de la SAR, ne cadrait pas avec ce que Mme Mavangou décrivait comme une relation amoureuse intense et quotidienne échelonnée sur plus de trois mois, et au sein de laquelle elle et M. Eboa étaient très proches. De la même manière, la preuve ne permettait pas d’établir que M. Eboa était le mari de Mme Ndenguet. En aucun temps la demande d’asile de Mme Mavangou n’invoquait un besoin de protection attribuable à une crainte de persécution en raison de son sexe ou de son appartenance à un groupe social comme une ethnie du sud du Congo.

[18]  D’autre part, dans leur plaidoirie devant la Cour, les avocats de Mme Mavangou ont longuement tablé sur la récente décision de la juge Roussel dans Kindu Lukombo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 126 [Lukombo], au motif qu’elle accueillait une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la SAR. Avec égards, cette décision n’est d’aucune pertinence, directe ou indirecte, avec l’affaire dont je suis saisi. Rien dans la trame factuelle du jugement Lukombo, ni dans la nature des erreurs qu’y a commis la SAR, ne s’apparente de près ou de loin au contexte et aux questions en litige dans la Décision dont Mme Mavangou demande le contrôle judiciaire. Dans Lukombo, la Cour avait recensé des erreurs précises qui étaient déterminantes dans la conclusion de la SAR sur le manque de crédibilité. D’ailleurs, dans leurs représentations orales, les avocats de Mme Mavangou n’ont pu établir aucun parallèle utile entre cette décision et le dossier de Mme Mavangou.

[19]  En fait, la seule proximité que les avocats de Mme Mavangou ont invoquée entre l’affaire Lukombo et le présent dossier se limite au fait que le membre de la SAR qui aurait rendu les deux décisions serait le même dans les deux cas. Inutile de dire que cela ne saurait suffire pour conférer au jugement Lukombo quelque valeur de précédent que ce soit. Comme je l’ai mentionné à l’audience, une cour de révision ne juge pas du caractère raisonnable ou déraisonnable d’une décision sur la foi de l’identité du décideur administratif qui l’a signée. La règle de la primauté du droit ne loge pas du tout à cette enseigne. Bien au contraire. Dans l’exercice du contrôle judiciaire, une cour de révision doit plutôt s’attarder à la décision rendue, aux motifs invoqués à son appui et à la démarche effectuée par le tribunal administratif pour y parvenir. La préoccupation de nature « identitaire » évoquée par les avocats de Mme Mavangou n’y a tout simplement pas sa place.

A.  Les conclusions de la SAR rejetant les nouvelles preuves sont raisonnables

[20]  Mme Mavangou soumet dans un premier temps que la SAR n’aurait pas dû rejeter les six nouveaux documents qu’elle cherchait à déposer. Elle prétend par exemple que les lettres du médecin et de l’intervenante psychosociale ont un lien avec son histoire et révèlent qu’elle a été victime de violence sexuelle, contrairement à ce qui est indiqué dans la Décision. De même, elle soutient que la lettre et le courriel de M. Eboa établissent qu’elle a eu une relation amoureuse avec lui. Mme Mavangou allègue que tous ces documents auraient dû recevoir davantage de poids que les pages Facebook consultées par la SPR. De plus, la Décision n’exposerait pas suffisamment clairement les raisons pour lesquelles les nouveaux éléments de preuve ont été écartés. À tous égards, dit Mme Mavangou, les conclusions de la SAR de rejeter les nouveaux éléments de preuve sont manifestement déraisonnables.

[21]  Je ne partage pas l’avis de Mme Mavangou sur ce point.

[22]  Pour accepter les nouveaux éléments de preuve avancés par Mme Mavangou, la SAR devait déterminer s’ils sont recevables en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR et de la jurisprudence l’ayant interprété. C’est précisément à cet exercice que s’est employée la SAR dans la Décision, et il était loisible pour la SAR de ne pas admettre ces éléments de preuve. Mon rôle n’est pas de me pencher à nouveau sur la question de savoir si les nouveaux éléments de preuve auraient dû être acceptés mais bien de déterminer si les conclusions de la SAR rejetant ces nouveaux éléments de preuve étaient raisonnables. Je suis d’avis que c’est le cas.

[23]  Pour qu’une nouvelle preuve soit admissible en appel devant la SAR, elle doit tout d’abord appartenir à l’une des trois catégories décrites au paragraphe 110(4) de la LIPR et contenir : (i) des éléments de preuve survenus depuis le rejet de la demande d’asile; (ii) des éléments de preuve qui n’étaient pas normalement accessibles au moment du rejet; ou (iii) des éléments de preuve qui étaient normalement accessibles, mais que la personne en cause n’aurait pas normalement présentés dans les circonstances au moment du rejet (Singh au para 34). Seuls les nouveaux éléments de preuve qui entrent dans l’une ou l’autre de ces trois catégories sont admissibles (Singh au para 35). Étant donné l’utilisation du mot « ou » au paragraphe 110(4), le critère est disjonctif et non conjonctif (Olowolaiyemo au para 19; Galamb au para 17).

[24]  Par ailleurs, dans l’arrêt Singh, la Cour d’appel fédérale a établi que les critères d’admissibilité des nouveaux éléments de preuve en matière d’examen des risques avant renvoi sont également applicables à l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR (Singh aux para 49, 64). Ces critères d’admissibilité ont été développés dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza] et comprennent les éléments suivants : crédibilité, pertinence, nouveauté, caractère substantiel et conditions légales explicites. Le paragraphe 13 de l’arrêt Raza les résume comme suit :

[...]

1.  Crédibilité: Les preuves nouvelles sont-elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n'est pas nécessaire de les considérer.

2.  Pertinence: Les preuves nouvelles intéressent-elles la demande d'ERAR, c'est-à-dire sont-elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d'asile? Dans la négative, il n'est pas nécessaire de les considérer.

3.  Nouveauté: Les preuves sont-elles nouvelles, c'est-à-dire sont-elles aptes :

a)  à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l'audition de la demande d'asile?

b)  à établir un fait qui n'était pas connu du demandeur d'asile au moment de l'audition de sa demande d'asile?

c)  à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

Dans la négative, il n'est pas nécessaire de les concidérer [sic].

4.  Caractère substantiel: Les preuves nouvelles sont-elles substantielles, c'est-à-dire la demande d'asile aurait-elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n'est pas nécessaire de les concidérer [sic].

5.  Conditions légales explicites:

a)  Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s'est produit ou des circonstances qui ont existé avant l'audition de la demande d'asile, alors le demandeur a-t-il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l'audition de la demande d'asile, ou qu'il ne serait pas raisonnable de s'attendre à ce qu'il les ait présentées lors de l'audition de la demande d'asile? Dans la négative, il n'est pas nécessaire de les concidérer [sic].

b)  Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s'est produit ou les circonstances qui ont existé après l'audition de la demande d'asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu'elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

[25]  Ces critères de l’arrêt Raza ne supplantent pas les trois conditions explicites mentionnées au paragraphe 110(4) de la LIPR mais viennent s’y ajouter, puisqu’ils résultent implicitement de l’objet de la disposition (Singh au para 63). Ainsi, pour décider de l’admissibilité des nouvelles preuves, la SAR doit déterminer si les critères de crédibilité, de pertinence, de nouveauté et de caractère substantiel établis dans Raza sont respectés (Singh au para 49). Toutefois, les critères énoncés dans Raza nécessitent certaines adaptations lorsqu’ils sont appliqués au paragraphe 110(4) : ainsi, le critère de la nouveauté est redondant avec le paragraphe 110(4), et le critère du caractère substantiel de la preuve est moins strict puisque la SAR a un mandat plus large et peut accepter de la nouvelle preuve qui, bien qu’elle ne soit pas déterminante, influence l’appréciation globale de la demande (Singh aux paras 46, 47).

[26]  Je précise que le caractère nouveau d’une preuve documentaire ne saurait dépendre uniquement de la date à laquelle le document a été établi (Raza au para 16). Ce qui importe, ce sont les faits ou les circonstances qu’on cherche à établir par la preuve documentaire, et c’est ce qui doit être postérieur à la date du rejet de la demande. De même, il faut démontrer la pertinence du document car il serait difficile d’imaginer que la présentation d’un nouvel élément de preuve puisse être en quelque sorte exemptée de ce critère (Singh au para 45).

[27]  La question est donc de déterminer si, à la lumière de cette jurisprudence, il était raisonnable pour la SAR de conclure que les nouveaux éléments de preuve soumis par Mme Mavangou n’étaient pas admissibles. Je suis d’avis que oui. La Décision a analysé chacun des six documents présentés par Mme Mavangou, et a conclu qu’ils ne satisfaisaient pas aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR et aux critères implicites d’admissibilité, soit la crédibilité, la pertinence et la nouveauté. Ce sont des déterminations qui commandent la déférence et, dans les circonstances, je ne suis pas persuadé que la conclusion de la SAR de refuser d’admettre ces nouveaux éléments de preuve n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[28]  Il n’était pas déraisonnable pour la SAR de rejeter les lettres du médecin et de l’intervenante psychosociale vu que leur contenu ne tissait aucun lien entre les symptômes médicaux et psychosociaux décrits et l’histoire alléguée par Mme Mavangou. Bien que ces deux lettres soient postérieures à la décision de la SPR, et décrivent des symptômes résultant d’agressions sexuelles, elles ne permettaient pas de clarifier ou de les relier à la partie la plus problématique de l’histoire de Mme Mavangou aux yeux de la SPR et de la SAR, soit la relation alléguée entre elle et M. Eboa, présenté comme le mari de Mme Ndenguet. C’est l’existence de cette relation, je le rappelle, qui était critique dans l’évaluation de la crédibilité de Mme Mavangou. Ces deux documents pouvaient donc raisonnablement être rejetés par la SAR pour manque de pertinence.

[29]  En ce qui concerne la lettre manuscrite de M. Eboa datée du 18 septembre 2016, elle était manifestement antérieure au rejet de la demande d’asile par la SPR intervenu en novembre 2016, ce qui suffit à justifier son inadmissibilité. Pour ce qui est du courriel de M. Eboa de décembre 2016, je note n’est ni authentifié ni assermenté. De plus, bien que le document soit postérieur à la décision de la SPR, il ne relate pas de faits survenus depuis le rejet de la demande et aucune preuve n’a été déposée par Mme Mavangou démontrant pourquoi un tel courriel n’a pas été présenté devant la SPR ou en quoi il ne lui était pas normalement accessible. Je suis satisfait qu’il était donc possible pour la SAR de souligner le manque de force probante du document et de lui accorder peu de poids. Au surplus, il n’était pas déraisonnable pour la SAR de ne pas considérer cette preuve comme « nouvelle » puisqu’elle n’était pas constituée de renseignements sensiblement différents de ce qui était déjà au dossier devant la SPR.

[30]   En ce qui concerne le certificat de coutume, il ne contenait qu’une date partielle ne permettant pas de déterminer s’il était antérieur ou postérieur à la décision de la SPR, et il pouvait être raisonnablement rejeté pour manque de crédibilité, puisqu’il a été présenté comme un acte de mariage alors qu’il n’en est pas un, à sa face même. Enfin, l’article de journal remontait au mois de mai 2015, soit bien avant le rejet de la demande d’asile par la SPR, et ne portait pas sur l’existence d’une relation entre Mme Mavangou et M. Eboa, ou entre M. Eboa et Mme Ndenguet. Il ne satisfait donc ni les exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR ni les critères de nouveauté et de pertinence de l’arrêt Raza.

[31]  En somme, je ne suis pas persuadé qu’il était déraisonnable pour la SAR de conclure que les documents n’étaient pas « nouveaux » au sens du paragraphe 110(4) de la LIPR car ils ne rencontraient pas les exigences de crédibilité, de pertinence ou de nouveauté. Le raisonnement de la SAR en ce qui concerne l’admissibilité de ces nouveaux éléments de preuve était justifié, transparent et intelligible, et il appartenait aux issues possibles et acceptables dans les circonstances.

[32]  Je reconnais que la Décision est relativement laconique sur cette question des nouveaux éléments de preuve rejetés par la SAR, et qu’il eût été souhaitable que la SAR élabore davantage sur les explications appuyant sa Décision à cet égard. Toutefois, le peu de détails donnés dans une décision ne la rend pas déraisonnable, pourvu que les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision contestée et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables (Newfoundland Nurses au para 16). Il n’est pas nécessaire que les motifs d’une décision soient parfaits ou même exhaustifs. Il suffit qu’ils soient compréhensibles. La norme de contrôle de la décision raisonnable ne porte pas sur le degré de perfection de la décision, mais plutôt sur son caractère raisonnable (Bhatia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1000 au para 29). Cette norme exige que la cour de révision commence par la décision et la reconnaissance du fait que le décideur administratif a la responsabilité première d’effectuer les déterminations factuelles. La cour de révision examine les motifs, le dossier et le résultat et, s’il existe une explication justifiant le résultat obtenu, elle s’abstient d’intervenir. Dans le cas de Mme Mavangou, je suis satisfait que les explications contenues dans la Décision permettent de comprendre pourquoi la SAR n’a pas tenu compte des nouveaux éléments de preuve présentés par Mme Mavangou. Cela n’exige pas l’intervention de la Cour.

[33]  Dans leur plaidoirie devant cette Cour, les avocats de Mme Mavangou ont abondamment référé à ma décision dans l’affaire Olowolaiyemo, où j’avais conclu que le décideur administratif n’avait pas raisonnablement appliqué les exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR. Cependant, les motifs de la SAR dans la Décision sont bien différents de ce qui avait eu cours dans Olowolaiyemo et je suis satisfait qu’ici, la SAR a tenu compte des exigences établies par la loi et la jurisprudence (et notamment l’arrêt Singh rendu par la Cour d’appel fédérale après ma décision dans Olowolaiyemo). Certes, dans le cas de Mme Mavangou, la SAR n’a pas procédé à l’analyse détaillée des conditions explicites du paragraphe 110(4) et a plutôt déterminé que les nouvelles preuves étaient inadmissibles selon les critères établis dans Raza. Mais, dans Singh, la Cour d’appel fédérale a indiqué que les critères de Raza « s’ajoutent » aux conditions explicites du paragraphe 110(4) (Singh au para 63), ce qui signifie que ces deux étapes sont cumulatives. Il était donc loisible pour la SAR de concentrer davantage son analyse sur les critères de Raza, puisque la nouvelle preuve pourra être jugée inadmissible si elle échoue à l’une ou l’autre de ces étapes. J’ajouterais qu’il n’y a au présent dossier aucune preuve permettant d’établir qu’au sens du paragraphe 110(4) de la LIPR, des éléments de preuve n’étaient pas normalement accessibles au moment du rejet de la demande ou que, si des éléments de preuve étaient normalement accessibles, Mme Mavangou ne les aurait pas normalement présentés dans les circonstances au moment du rejet.

B.  Les conclusions sur le manque de crédibilité du récit de Mme Mavangou sont raisonnables

[34]  À titre de deuxième argument, Mme Mavangou plaide que la conclusion défavorable de la SAR quant à sa crédibilité, en particulier par rapport à sa relation avec M. Eboa, est déraisonnable. Elle souligne que la SAR n’a pas tenu compte des différences culturelles et de la brièveté de leur relation. Elle soutient également que la conclusion quant à son manque de crédibilité repose sur des conclusions d’invraisemblance, lesquelles sont assujetties à un examen plus rigoureux.

[35]  Je ne suis pas d’accord avec les prétentions de Mme Mavangou.

[36]  À l’audience devant cette Cour, les avocats de Mme Mavangou ont suggéré que, dans son traitement de l’appel, la SAR n’aurait pas respecté le test établi par la Cour d’appel fédérale dans Huruglica. C’est inexact et je ne partage pas cette lecture de la Décision de la SAR. J’estime plutôt que les motifs fournis par la SAR démontrent sans l’ombre d’un doute qu’elle a respecté les normes établies dans Huruglica. En effet, la SAR a spécifiquement indiqué que, dans son analyse, elle examinait et prenait connaissance « de l’ensemble de la preuve au dossier, tant testimoniale que documentaire ». Elle a réitéré les principes établis dans Huruglica, puis a indiqué avoir « procédé à une analyse indépendante de l’ensemble de la preuve au dossier afin de [se] faire [sa] propre opinion au sujet de cette demande d’asile et de déterminer si la décision rendue par la SPR est correcte ». La SAR a écouté l’enregistrement de l’audience devant la SPR et a examiné les éléments de preuve admissibles pour s’en faire sa propre opinion. Il ressort ainsi clairement des motifs de la Décision que la SAR a procédé à sa propre évaluation indépendante, complète et approfondie des éléments de preuve pour déterminer si Mme Mavangou était crédible. C’est exactement ce que prescrit le critère d’intervention établi dans Huruglica (Huruglica au para 103). Le fait que la SAR ait abouti à la même conclusion que la SPR sur la crédibilité de Mme Mavangou ne signifie pas pour autant qu’elle n’ait pas fait son travail de tribunal d’appel.

[37]  En ce qui concerne l’évaluation de la crédibilité, j’ai résumé, aux paragraphes 20 à 26 de ma décision dans Lawani, les principes directeurs qui régissent l’évaluation du traitement des questions de crédibilité par un décideur administratif. Je n’ai aucune hésitation à conclure que ces principes ont été respectés par la SAR ici.

[38]  Rien dans les arguments avancés par Mme Mavangou ne suffit à démontrer que les conclusions de la SAR sur le manque de crédibilité de son récit ne font pas partie des issues possibles et acceptables dans les circonstances ou sont entachées d’une erreur révisable. La SPR et la SAR ont toutes deux conclu au manque de crédibilité du récit de Mme Mavangou pour une principale raison : son défaut de pouvoir faire la preuve de sa relation intime avec M. Eboa et du mariage de celui-ci avec Mme Ndenguet. Malgré toutes les opportunités offertes à Mme Mavangou pour le démontrer, et elle en avait le fardeau, elle n’a pas réussi à la faire. Je ne trouve rien de déraisonnable à conclure au manque de crédibilité du récit de Mme Mavangou à la lumière de son incapacité à fournir des informations de base sur sa relation avec M. Eboa ou sur le mariage avec Mme Ndenguet. En l’absence de preuve sur ces points d’ancrage qui étaient au cœur de sa demande d’asile, ses allégations voulant que Mme Ndenguet soit à la source des violences sexuelles qu’elle a subies et à l’origine de ses craintes de représailles et de persécution au Congo se trouvaient dénuées de tout fondement. J’ajoute que les discussions au sujet de l’usage des informations disponibles sur les réseaux sociaux, que Mme Mavangou dépeint aujourd’hui comme un élément illustrant le caractère déraisonnable de la Décision, avaient pour seul objet de fournir à Mme Mavangou une possibilité de compléter ce qui était par ailleurs déficient dans son témoignage. D’aucune manière les pages Facebook consultées par la SPR n’ont-elles eu préséance sur le témoignage de Mme Mavangou.

[39]  Par ailleurs, il est vrai que les conclusions d’invraisemblance d’un décideur administratif doivent être formulées dans des termes clairs et non équivoques et uniquement dans les cas les plus évidents. Toutefois, je ne décèle aucune conclusion d’invraisemblance dans la Décision de la SAR. Une conclusion négative quant à la crédibilité peut être basée sur des invraisemblances dans le récit du demandeur, sur des contradictions, ou sur le manque de preuve pour étayer le récit. Ici, ce n’est pas l’invraisemblance de son récit qui a compromis la crédibilité de Mme Mavangou. La SAR n’a pas conclu qu’il était invraisemblable que Mme Mavangou ait été agressée en raison d’une relation amoureuse avec le mari de Mme Ndenguet; au contraire, la preuve soumise a été analysée en détail pour voir si tel avait été le cas. La SAR a plutôt conclu à une insuffisance de preuve sur la relation intime alléguée avec M. Eboa, et sur le mariage de ce dernier avec Mme Ndenguet. Pour cette raison, la preuve ne permettait pas d’associer l’épisode du viol collectif au récit de Mme Mavangou et à ses craintes de représailles de la part de Mme Ndenguet.

[40]  L’un des éléments soulevés par la SAR pour expliquer qu’elle ne croit pas à l’existence de la relation amoureuse est la contradiction entre la carte d’identification de M. Eboa indiquant qu’il travaille chez Total et la déclaration de Mme Mavangou selon laquelle il travaille chez ELF. Mme Mavangou soumet qu’il ne s’agit pas d’une contradiction, puisque ELF appartient à Total. Même si tel était le cas, je ne suis pas persuadé que cela suffit à faire basculer la Décision hors du champ des issues possibles et acceptables et à la rendre déraisonnable. Un contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au para 54). Une cour de révision doit plutôt aborder la décision contestée « comme un tout ». Dans la Décision, la SAR mentionne plusieurs éléments, en plus de la contradiction sur le lieu de travail de M. Eboa, qui l’ont conduit à ne pas croire à l’existence de la relation invoquée par Mme Mavangou, dont le fait qu’elle ne connaissait pas un minimum de détails au sujet de M. Eboa.

[41]  La SAR a fourni des motifs détaillés et bien réfléchis expliquant pourquoi Mme Mavangou n’a pas été jugée crédible. Le test du caractère raisonnable dicte que la cour de révision doit commencer par la décision et les motifs à son appui, en reconnaissant que le décideur administratif a la responsabilité première de tirer des conclusions de fait. Il est bien établi que la Cour doit faire preuve d’une déférence importante à l’égard de l’appréciation que font la SPR et la SAR de la crédibilité d’un demandeur d’asile (Dunsmuir au para 53; Aguebor au para 4). Les questions de crédibilité sont au cœur même de leur compétence (Pepaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 938 au para 13). Les arguments avancés par Mme Mavangou expriment simplement son désaccord sur l’appréciation de la preuve effectuée par la SAR et m’invitent en fait à préférer son opinion et sa lecture à celle de la SAR. Or, ce n’est pas là mon rôle en matière de contrôle judiciaire. La question dont je suis saisi n’est pas de savoir si un autre résultat ou une autre interprétation aurait pu être possible. La question est de savoir si la conclusion tirée par la SAR appartient aux issues possibles acceptables.

C.  La SAR n’a pas omis de considérer des faits pertinents

[42]  Mme Mavangou affirme enfin que la SAR a négligé un fait d’importance fondamentale, soit le viol collectif qu’elle a subi. Elle soulève le fait que, lors de l’audience devant la SPR, la commissaire ne lui aurait posé aucune question sur le viol collectif et l’aurait coupée lorsqu’elle a commencé à en parler. Elle soutient que le raisonnement dans la Décision manque de transparence, puisque la question de l’agression n’a pas été abordée suite à la conclusion qu’elle n’a pas été en relation avec le conjoint de Mme Ndenguet. De plus, elle allègue que la SAR n’a pas appliqué les Directives.

[43]  Encore une fois, je ne partage pas la lecture que Mme Mavangou fait de la Décision à ces sujets.

[44]  Je souligne d’entrée de jeu que ni la SPR ni la SAR n’ignore ou ne minimise l’existence du viol collectif subi par Mme Mavangou. La SPR et la SAR s’interrogent plutôt sur l’association que Mme Mavangou cherche à tracer entre cette agression, la relation qu’elle aurait eue avec M. Eboa et le mariage de ce dernier avec Mme Ndenguet. Je souligne encore une fois, au risque de me répéter, que la relation alléguée avec M. Eboa et son mariage avec Mme Ndenguet sont le moteur de la revendication de Mme Mavangou et des craintes de représailles et persécution qu’elle dit avoir et attribuer à Mme Ndenguet.

[45]  Une revue de la preuve au dossier et des transcriptions de l’audience devant la SPR me convainquent que l’affirmation de Mme Mavangou à l’effet qu’elle n’a pas pu témoigner sur le viol collectif qu’elle a subi n’est simplement pas fondée. Une lecture attentive de la transcription de l’audience révèle que Mme Mavangou a eu l’occasion de témoigner à ce sujet et qu’en aucun temps, elle aurait été bâillonnée dans ses tentatives d’en parler. Contrairement à ce qu’avancent Mme Mavangou et ses avocats, les transcriptions ne démontrent pas que Mme Mavangou ait été interrompue ou n’ait pas pu être entendue sur le viol collectif dont elle dit avoir été victime, ou que la SPR ait refusé d’entendre les détails de son récit.

[46]  D’autre part, le fait que la SPR et la SAR n’aient pas souligné davantage le viol collectif s’explique aisément. La demande d’asile de Mme Mavangou était centrée sur sa relation alléguée avec M. Eboa et sur les craintes de persécution de la part de son épouse, Mme Ndenguet, fille d’un général bien connu au Congo. En aucun temps Mme Mavangou n’a-t-elle allégué des craintes de persécution en raison de violences sexuelles qui ne seraient pas liées à Mme Ndenguet, ou encore en raison de son appartenance à l’ethnie du Sud. Toute sa demande d’asile gravitait autour de sa relation avec M. Eboa et du lien marital de ce dernier avec Mme Ndenguet, l’agent de persécution craint par Mme Mavangou.

[47]  La SAR a pris en compte l’ensemble du récit de Mme Mavangou avant de conclure à son manque de crédibilité. Puisque le viol collectif était décrit comme ayant été commandité par Mme Ndenguet en réaction à la relation entre son mari et Mme Mavangou, et que cette relation n’a pas été jugée crédible, il était raisonnable pour la SAR de conclure que Mme Ndenguet n’avait pas envoyé des hommes pour agresser Mme Mavangou, et de ne pas attribuer beaucoup d’importance à cette allégation de viol collectif dans le cadre de la demande d’asile formulée par Mme Mavangou. Si la preuve ne permet pas d’établir que la relation avec M. Eboa a existé, il ne subsiste aucune raison pour que Mme Ndenguet ait commandité l’agression de Mme Mavangou et cherche à la persécuter.

[48]  Par ailleurs, contrairement à ce qu’avance Mme Mavangou, la Décision de la SAR n’a pas ignoré les Directives. Bien au contraire, la SAR y réfère d’ailleurs expressément au début de son analyse. Les Directives ne sont pas conçues pour compenser toutes les omissions ou lacunes que comportent une demande d’asile ou la preuve soumise à son appui (Ismail c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 446 au para 26). Elles n’exigent pas non plus que tous les documents et toutes les allégations soient acceptés au pied de la lettre, mais elles sont plutôt conçues pour assurer la tenue d’une audience équitable (Odurukwe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 613 au para 40).

[49]  Pour qu’un décideur administratif prenne en compte les Directives de façon significative, il doit apprécier le témoignage d’une demanderesse tout en étant attentif et sensible à son sexe, aux normes sociales, culturelles, économiques et religieuses de sa communauté et aux facteurs susceptibles d’influencer le témoignage des femmes qui ont été victimes de persécution (Odia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 663 [Odia] au para 9). Dans Boluka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 37, la juge Gagné résume ainsi l’application des Directives dans un contexte de contrôle judiciaire, au paragraphe 16 :

[16]  La demanderesse doit démontrer que la SPR a manqué de sensibilité ou de compassion pour convaincre la Cour que les Directives n'ont pas été appliquées (Sandoval Mares c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2013 CF 297, au paragraphe 43). De plus, la Cour a déjà conclu que le fait que la SPR ne mentionne pas expressément les Directives dans ses motifs ne révèle pas, en soi, l'insensibilité de la SPR (Akinbinu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 581) et que le défaut de prendre en compte les Directives ne porte pas toujours un coup fatal à une décision (Higbogun, précitée, au paragraphe 65).

[50]  En l’espèce, Mme Mavangou ne m’a pas convaincu que la SPR ou la SAR n’ont pas montré la compassion ou la sensibilité voulue dans leur appréciation de son témoignage. Je suis d’accord qu’il ne suffit pas que la SPR ou la SAR ait indiqué avoir considéré ou appliqué les Directives pour conclure qu’elle les a respectées et suivies. Encore faut-il que la décision montre qu’elles ont été appliquées de façon suffisante (Odia au para 18). Or, à mon avis, les motifs de la SAR et les transcriptions de l’audience devant la SPR laissent transparaître la compassion et la sensibilité démontrées par la SPR et la SAR à l’endroit de Mme Mavangou. Les Directives servent à s’assurer que les revendications fondées sur le sexe soient entendues avec compassion et sensibilité et, même si elles ont éventuellement conclu à un manque de crédibilité de la part de Mme Mavangou, je suis satisfait que tant la SPR que la SAR ont tout à fait suivi la lettre et l’esprit des Directives dans le cas présent.

IV.  Conclusion

[51]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Mavangou est rejetée. Je ne décèle rien d’irrationnel ou d’arbitraire dans les conclusions de fait de la SAR. J’estime plutôt que l’analyse faite par la SAR sur l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve et sur le manque de crédibilité de Mme Mavangou et son appréciation de la preuve possèdent les attributs requis de transparence, de justification et d’intelligibilité, et que la Décision n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle. Selon la norme du caractère raisonnable, il suffit que la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. C’est le cas en l’espèce.

[52]  Aucune des parties n’a proposé de question d’importance générale à certifier, et je conviens qu’il n’y en a aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-3722-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3722-18

 

INTITULÉ :

PRISCA AUDREY MAVANGOU c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 février 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 février 2019

 

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy

Miguel Huamani Mendez (Stagiaire)

 

Pour lA DEMANDERESSE

 

Dominique Guimond

Andrea Shahin

 

POUR LE DÉFENDEur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

Pour lA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR le DÉFENDeur

 

 

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