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Date : 20190211


Dossier : IMM-3705-18

Référence : 2019 CF 170

Ottawa (Ontario), le 11 février 2019

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

ALBATOUR KONATE

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  La demanderesse, Albatour Konate, allègue être une citoyenne du Mali née le 7 septembre 1978. Elle entre au Canada le 9 juillet 2016 et présente une demande d’asile dans laquelle elle allègue être victime de violence conjugale et craindre l’excision pour ses deux (2) filles qui sont demeurées au Mali.

[2]  Le 16 novembre 2016, la Section de la protection des réfugiées [SPR] rejette la demande d’asile au motif que la demanderesse n’a pas établi son identité. Elle juge le témoignage de la demanderesse non crédible et n’accorde aucune valeur probante aux documents de la demanderesse. Pour conclure ainsi, la SPR note l’admission de la demanderesse que les documents qu’elle a déposés au soutien de sa demande d’asile sont de faux documents ainsi que les incohérences et erreurs qui se retrouvent dans les documents qu’elle a remis après l’audience pour corroborer son identité. La SPR rejette également le rapport psychologique produit par la demanderesse au motif que le rapport n’explique pas les contradictions relatives à son identité.

[3]  Le 6 juillet 2018, la Section d’appel des réfugiés [SAR] rejette l’appel de la demanderesse. Comme la SPR, elle conclut que la demanderesse n’est pas crédible et qu’elle n’a pas établi son identité, vu les erreurs manifestes dans les documents et le témoignage contradictoire de la demanderesse sur plusieurs éléments de son dossier. Elle ajoute qu’au surplus, la demanderesse n’a offert que peu d’explications sur l’allégation de violence conjugale, qu’elle a omis de demander la protection lorsqu’elle s’est rendue en Afrique du Sud et qu’elle a mis plusieurs années avant de venir au Canada.

[4]  La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Elle reproche à la SAR de ne pas avoir correctement évalué son identité et d’avoir erré dans l’évaluation de sa crédibilité. Elle soutient que la SAR n’a pas pris en considération l’ensemble de sa preuve, tant testimoniale qu’écrite, et que cette preuve devait être évaluée en tenant compte du contexte prévalant au Mali, un pays où les normes et supports en rapport aux documents ne sont pas les mêmes qu’au Canada. Elle soutient également que la SAR n’a pas pris en compte le fait que son formulaire de Fondement de demande d’asile [FDA] avait été rempli après un long voyage en provenance du Mali. Enfin, elle reproche à la SAR d’avoir rejeté sa demande d’asile sur la seule question identitaire sans analyser les craintes de persécution dans son dossier.

II.  Analyse

[5]  La norme de contrôle applicable aux décisions de la SAR portant sur l’identité, la crédibilité et l’évaluation de la preuve est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35; Bahati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1071 au para 9; Olanrewaju c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 679 au para 3; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 539 au para 19; Daniel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1049 au para 13 [Daniel]; Ngeze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 858 au para 23 [Ngeze]).

[6]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59 [Khosa]).

[7]  La Cour estime que la décision de la SAR est raisonnable. La SAR a procédé à une évaluation indépendante de la preuve testimoniale et documentaire au dossier avant de se rallier aux conclusions de la SPR selon lesquelles la demanderesse n’était pas crédible et n’a pas su établir son identité.

[8]  Comme la SPR, la SAR a souligné les nombreuses erreurs et incohérences qui se trouvaient dans les documents soumis par la demanderesse. Celles-ci concernaient la date de naissance de la demanderesse, le travail qu’elle aurait occupé, ses adresses civiques ainsi que la date de naissance et le travail de son conjoint. À titre d’exemple, la SAR a noté les éléments suivants :

  1. Le passeport de la demanderesse indique que sa date de naissance est le 7 septembre 1978. La date de naissance inscrite sur l’extrait d’acte de mariage produit après l’audience est le 7 août 1978;

  2. Lors de son témoignage devant la SPR, la demanderesse a d’abord indiqué ne pas travailler. Lorsqu’elle a été confrontée à ce sujet, elle a témoigné qu’elle était commerçante de tissus. Cependant, son passeport et les extraits de naissance de ses enfants indiquent qu’elle est exploitante minière.

  3. Lors de son témoignage, la demanderesse a mentionné ne pas connaître la date de naissance de son conjoint. Toutefois, en complétant son FDA, elle a indiqué que la date de naissance de son conjoint était le 28 juin 1964. Pourtant, la date du 4 juin 1970 est inscrite sur l’extrait d’acte de mariage qu’elle a produit après l’audience.

  4. La demanderesse a mentionné qu’avant son mariage, elle habitait sur une base aérienne et qu’après le mariage, elle a résidé dans un certain quartier. Selon l’extrait d’acte de mariage produit après l’audience, la célébration de mariage a eu lieu le 15 janvier 2002. Or, selon son formulaire IMM-5669, elle aurait habité sur la base aérienne de 1996 à janvier 2013. De plus, son permis de conduire émis en 2012 indique qu’elle réside sur la base aérienne alors que sa carte d’identité nationale mentionne qu’elle est domiciliée dans le quartier en question. Finalement, la demanderesse a changé son témoignage en cours d’audience pour affirmer qu’elle ne connaissait pas l’adresse où elle vit depuis plusieurs années.

[9]  La SAR a aussi noté que les documents d’identité déposés par la demanderesse après l’audience de la SPR pour établir sa véritable identité comportaient également des erreurs et incohérences, laissant ainsi planer des doutes importants sur le contenu de ces nouveaux documents. Parmi les erreurs et incohérences notées, la SAR a souligné que l’acte de naissance de l’un des enfants de la demanderesse mentionne que l’acte a été établi le 12 avril 2001 alors que l’enfant est né le 14 juillet 2009.

[10]  Après examen du dossier, la Cour est d’avis que le nombre considérable d’erreurs et d’incohérences dans les documents déposés par la demanderesse ainsi que son témoignage contradictoire sur plusieurs éléments de son dossier permettaient à la SAR de raisonnablement conclure que la demanderesse n’était pas crédible et qu’elle n’avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités.

[11]  S’appuyant sur une certaine jurisprudence de la Cour, la demanderesse fait valoir que toute la preuve liée à une demande d’asile doit être considérée avant que ne soit prononcée une conclusion générale d’absence de crédibilité. De la même manière, elle soutient que la conclusion que plusieurs documents sont frauduleux ne signifie pas nécessairement que tous les documents sont frauduleux. Elle est d’avis que la SAR aurait dû prendre certaines mesures pour confirmer l’authenticité de certains documents qui pouvaient sembler légitimes (Hohol c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 870 au para 22).

[12]  Contrairement aux prétentions de la demanderesse, la Cour n’est pas convaincue que la SAR a omis de considérer certains éléments de preuve de la demanderesse, ou que sa décision de n’accorder aucun poids aux documents de la demanderesse est fondée sur le motif qu’ils n’étaient pas authentiques. Le dossier démontre plutôt que la conclusion de la SAR est basée sur les nombreuses erreurs et incohérences qui se trouvaient dans les documents de la demanderesse, en plus de son témoignage contradictoire sur plusieurs éléments, ce qui permettait à la SAR de douter de l’identité réelle de la demanderesse.

[13]  À cet égard, il importe de rappeler que l’identité est la pierre angulaire du régime canadien d’immigration et que les conclusions relatives à l’identité et à la crédibilité d’un demandeur d’asile commandent un degré élevé de retenue de la part de cette Cour. Il incombait à la demanderesse d’établir son identité selon la prépondérance de la preuve en produisant des documents acceptables et crédibles (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Gebrewold, 2018 CF 374 au para 21; Anto c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 125 aux para 16-17 [Anto]; Daniel au para 29; Ngeze au para 35).

[14]  Bien que la demanderesse ne soit pas d’accord avec les conclusions de la SAR et celles de la SPR, il ne revient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve de nouveau pour en arriver à une conclusion qui serait favorable à la demanderesse (Khosa au para 59).

[15]  La demanderesse n’ayant pas établi son identité, la SAR n’avait aucune obligation d’analyser le bien-fondé de la demande d’asile (Anto au para 20; Daniel aux para 28-29; Ngeze au para 35). Malgré qu’il ne fût pas nécessaire pour elle de le faire, la SAR a néanmoins souligné dans sa décision le peu d’explications de la part de la demanderesse concernant l’allégation de violence conjugale, le défaut de la demanderesse d’avoir demandé la protection lorsqu’elle s’était rendue en Afrique du Sud, le retour dans son pays pour plusieurs années et le fait d’avoir tardé à quitter le Mali malgré la crainte alléguée.

[16]  En conclusion, la Cour est d’avis que la décision de la SAR appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et qu’elle est justifiée d’une manière qui satisfait aux critères de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir au para 47).

[17]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-3705-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3705-18

INTITULÉ :

ALBATOUR KONATE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 JANVIER 2019

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 11 FÉVRIER 2019

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Suzanne Trudel

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stéphanie Valois

Avocate

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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