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Date : 20190211


Dossier : IMM-2916-18

Référence : 2019 CF 172

Montréal (Québec), le 11 février 2019

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

GAST MAELO ROMELUS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  M. Gast Maelo Romelus demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 14 mai 2018 par la Section d’appel des réfugiés [la SAR], confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle il est visé par la section E de l’article premier [section 1E] de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [la Convention] et n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la Loi].

[2]  Il importe de mentionner que l’article 98 de la Loi prévoit que « La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger ». La section 1E de la Convention prévoit, quant à elle, que ladite Convention « ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays ». Ces deux dispositions ne prévoient pas d’exception.

[3]  Dans sa demande d’asile, M. Romelus a invoqué une crainte à l’encontre de son pays de citoyenneté, Haïti, et à l’encontre son pays de résidence, le Brésil.

[4]  La SAR, dans sa décision du 14 mai, a d’abord confirmé que M. Romelus est une personne visée par la section 1E et qu’il est donc exclu selon l’article 98 de la Loi. Cependant, après avoir prononcé l’exclusion de M. Romelus, la SAR a néanmoins ensuite examiné la crainte que M. Romelus a invoquée à l’encontre de son pays de résidence, le Brésil et l’a, ultimement, jugée non fondée. Or, l’article 98 de la Loi prévoit expressément qu’une personne visée ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger; et la Cour s’est donc interrogée sur le pouvoir de la SAR d’octroyer un de ces statuts une fois l’exclusion prononcée et conséquemment, sur l’opportunité d’analyser la crainte envers le pays de résidence à ce stade de l’analyse.

[5]  La Cour a soumis ses préoccupations aux parties qui ont eu l’occasion de soumettre des représentations additionnelles qui n’ont toutefois pas apaisé les préoccupations de la Cour. Ainsi, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et le dossier retourné à la SAR pour un nouvel examen à la lumière des présents motifs et afin d’offrir aux parties et à la SAR l’opportunité de fournir les explications nécessaires.

I.  CONTEXTE

[6]  M. Romelus est citoyen d’Haïti, pays qu’il quitte le 6 novembre 2011 pour se rendre en  République dominicaine. Le 28 décembre 2011, M. Romelus entre au Brésil où il obtient, en 2013, le statut de résident permanent. En mai 2016, M. Romelus quitte le Brésil pour les États-Unis. Le 1er août 2017, il entre au Canada et le 17 août 2017, il y demande l’asile.

[7]  Le 23 août 2017, M. Romelus signe le formulaire de Fondement de demande d’asile. Dans le narratif attaché au formulaire, M. Romelus allègue alors une crainte envers Haïti et une crainte envers le Brésil. À propos de sa crainte invoquée à l’égard d’Haïti, M. Romelus allègue essentiellement avoir, en 2011, été victime de violence de la part d’un gang qui lui extorquait de l’argent depuis 2009. À propos de sa crainte à l’égard du Brésil, M. Romelus allègue que, depuis 2014, les Haïtiens y vivent dans l’insécurité et plusieurs ont été assassinés, qu’il a lui-même été frappé par une voiture alors qu’il roulait à vélo, qu’il n’a pu trouver de travail et qu’il a été l’objet d’insultes.

[8]  Le 21 novembre 2017, le représentant du Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada [le Ministre] dépose un avis d’intervention sur la base de « l’exclusion 1E ». Le Ministre y expose notamment que (1) M. Romelus a indiqué avoir été résident permanent du Brésil de décembre 2011 à mai 2016; (2) les droits et les obligations des résidents permanents au Brésil sont essentiellement semblables à ceux des ressortissants; (3) les étrangers perdent leur statut de résident permanent s’ils s’absentent pour une période de plus de deux ans; (4) M. Romelus a quitté le Brésil depuis moins de deux ans; et (5) M. Romelus n’invoque aucune crainte au Brésil. Le Ministre soumet donc avoir établi prima facie que la section 1E de la Convention s’applique à M. Romelus, que ce dernier est exclu de l’application de la Convention et qu’il n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[9]  Le 22 novembre 2017, la SPR rejette la demande d’asile de M. Romelus, car ce dernier est visé par la section 1E de la Convention et, par conséquent, en vertu de l’article 98 de la Loi, ne peut avoir la qualité de « réfugié au sens de la Convention » ou de « personne à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi. Dans ses motifs, la SPR détermine d’abord que M. Romelus est résident permanent du Brésil et dispose des mêmes droits et obligations que les citoyens brésiliens, de sorte qu’il « est donc visé par la section 1E de la Convention » (décision de la SPR aux para 9–17).

[10]  Ensuite, et en dépit du fait qu’elle confirme que M. Romelus est visé par la section 1E et exclu selon l’article 98 de la Loi, la SPR analyse l’allégation de crainte de M. Romelus par rapport au Brésil. La SPR conclut que cette crainte est non crédible, car le témoignage de M. Romelus est entaché d’une contradiction et d’une omission importantes (décision de la SPR aux para 18–30). La SPR conclut conséquemment que M. Romelus ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir qu’il est persécuté au Brésil aux termes de l’article 96 de la Loi, ni qu’il est personnellement visé par l’article 97 de la Loi (décision de la SPR au para 31).

[11]  M. Romelus porte la décision de la SPR en appel devant la SAR. Il invoque alors que : (1) il perdra sa résidence permanente au Brésil suite à deux ans passés en dehors du pays et, par conséquent, dès mai 2018, il ne sera plus visé par la section 1E; (2) il a démontré qu’il répond aux exigences des articles 96 et 97 de la Loi, mais la SPR n’a pas tenu compte des peines cruelles et inusitées qu’il a subies au Brésil, ni de la situation économique difficile au Brésil; et (3) la conclusion négative sur sa crédibilité est déraisonnable, puisqu’il a fourni des explications valables en réponse à la contradiction et à l’omission relevées par la SPR et puisque la SPR avait également l’obligation de référer aux éléments qui appuient sa crédibilité.

II.  DÉCISION DE LA SAR

[12]  Le 14 mai 2018, la SAR confirme la décision de la SPR et rejette l’appel de M. Romelus. Dans sa décision, la SAR traite du contexte factuel, des motifs d’appel et de la portée de l’appel et termine par son analyse. La SAR note notamment que M. Romelus ne conteste pas les conclusions de la SPR au sujet de son statut au Brésil, ni celles selon lesquelles les droits et obligations rattachés au statut d’un résident permanent du Brésil sont essentiellement les mêmes que ceux des ressortissants de ce pays.

[13]  Elle estime devoir répondre à deux questions, soit : (1) la SPR a-t-elle erré en concluant que l’appelant possède un statut de résident permanent du Brésil; et (2) la SPR a-t-elle erré dans l’évaluation du risque prospectif de l’appelant et dans l’examen de sa crédibilité?

[14]  La SAR examine donc d’abord le statut de M. Romelus au Brésil. S’appuyant sur Majebi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 274 [Majebi], la SAR énonce qu’elle doit considérer la situation de M. Romelus le jour où la SPR l’a considérée, soit le jour de l’audience. Ainsi, la SAR conclut qu’à la date de l’audience devant la SPR, M. Romelus possède un statut de résident permanent valide au Brésil lui permettant d’y retourner. Au paragraphe 45 de sa décision, la SAR confirme que M. Romelus est visé par la section 1E de la Convention car il possède un statut de résident permanent du Brésil.

[15]  Ensuite, en dépit du fait que M. Romelus est une personne visée par la section 1E de la Convention et que l’article 98 de la Loi prévoit que la personne visée à la section 1E de la Convention ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger, la SAR procède néanmoins à l’examen de la crainte prospective de M. Romelus au Brésil afin de déterminer s’il est un réfugié selon l’article 96 de la Loi ou une personne à protéger selon l’article 97. Elle conclut à cet égard que M. Romelus n’a pas établi que la décision de la SPR est erronée, ni qu’il existe, dans son cas, une possibilité sérieuse de persécution pour l’un des motifs de la Convention, ni qu’il est probable qu’il soit exposé à l’un des risques énumérés à l’article 97 de la Loi dans l’éventualité d’un retour au Brésil, son pays de résidence (décision de la SAR au para 44).

[16]  La SAR ne traite pas de la crainte de M. Romelus à l’encontre d’Haïti.

[17]  La demande de contrôle judiciaire vise la décision de la SAR.

III.  QUESTIONS EN LITIGE 

[18]  Les parties ont soulevé les points en litige suivants dans leur mémoire : (1) les erreurs de droit commises par la SAR; (2) la capacité de M. Romelus à retourner au Brésil; (3) la différence entre un acte discriminatoire et la persécution; (4) la crédibilité de M. Romelus; et (5) l’obligation d’équité procédurale de la SAR.

[19]  Lors de l’audience, la Cour a soulevé des préoccupations additionnelles liées à l’intelligibilité de la décision de la SAR et a demandé aux parties des représentations additionnelles.

IV.  POSITION DES PARTIES

A.  Position de M. Romelus

[20]  Dans son mémoire, M. Romelus soutient que la SAR : (1) a erré en droit ; (2) aurait dû tenir compte de l’expiration de son statut de résident permanent ; (3) aurait dû conclure qu’il est victime de persécution ; (4) a mal évalué sa crédibilité ; et (5) a manqué à l’équité procédurale.

[21]  En lien avec l’argument d’erreur de droit, M. Romelus plaide que : (a) la SAR est tenue d’apprécier la preuve selon la prépondérance des probabilités (El Achkar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 472 au para 26) et qu’il a prouvé sa persécution en Haïti « avec une certaine probabilité » (mémoire du demandeur au para 5); (b) la décision de la SAR est fondée uniquement sur sa capacité à retourner au Brésil et non sur l’existence de persécution; et (c) la SAR a violé les principes de justice naturelle et l’équité procédurale en ne tenant pas compte de faits qui prouvent que M. Romelus est un réfugié ou une personne à protéger.

[22]  En lien avec l’argument concernant son statut au Brésil, M. Romelus fait valoir que : (a) la SAR ne peut pas tirer profit du fait qu’il a laissé son statut de résident permanent expirer en attendant la décision de la SAR (mémoire du demandeur au para 10); (b) la SAR aurait dû utiliser son pouvoir discrétionnaire et constater que le statut de M. Romelus sera expiré à la suite de ses procédures pour obtenir l’asile, conformément à l’objectif de la section 1E, qui est de sauver des vies (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Manoharan, 2005 CF 1122 au para 28); (c) la décision de la SAR est viciée d’une erreur de droit fondamentale, puisque M. Romelus n’a pas été interrogé sur la persécution qu’il subissait en Haïti; et (d) la SAR a omis de vérifier que M. Romelus n’aura plus de statut au Brésil au moment où sa décision serait rendue.

[23]  En lien avec l’argument sur la persécution, M. Romelus plaide que la SAR aurait dû : (a) analyser les actes discriminatoires qui prouvent la persécution qu’il a subie au Brésil, puisque des actes discriminatoires peuvent constituer de la persécution dans certains cas (Sagharichi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 796 (CA)); (b) tenir compte de la persécution qu’il a subie en Haïti; et (c) tenir compte du contexte dans lequel ces événements sont survenus et de la constance des actions vexatoires.

[24]  En lien avec l’argument sur sa crédibilité, M. Romelus plaide que : (a) une conclusion de crédibilité est examinée selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]); (b) la SAR a erré dans son évaluation des risques au Brésil, en omettant de tenir compte des mauvais traitements subis par M. Romelus; (c) la SAR n’aurait pas dû noter la contradiction dans le témoignage de M. Romelus; (d) l’omission relevée par la SAR ne permet pas de conclure que l’événement ne s’est pas produit, puisque c’est un fait que les Haïtiens vivent dans l’insécurité au Brésil; et (e) la SAR cherche délibérément des contradictions dans son témoignage, allant ainsi à l’encontre des principes établis par les tribunaux.

[25]  En lien avec l’argument d’équité procédurale, M. Romelus plaide que : (a) l’audience était trop courte et il n’a pas eu le temps de s’exprimer comme il le souhaitait (Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643); (b) la SAR n’a mentionné Haïti que brièvement durant toute l’audience; et (c) la SAR doit indiquer, durant l’audience, le critère qu’elle compte appliquer (Fazail c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 111).

[26]   En réponse à la question de la Cour, M. Romelus soutient que la SAR n’a pas erré dans son examen des risques à l’égard du Brésil, car les articles 1E de la Convention et 98 de la Loi doivent être interprétés de façon à respecter l’esprit des articles 96 et 97 de la Loi. D’ailleurs, le tribunal commet une erreur en n’examinant pas les risques allégués à l’encontre du pays visé (Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Choovak, 2002 ACF 767 [Choovak]) et les juges se sont toujours penchés sur la question de la protection de l’État dans un pays visé (Omar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 458 [Omar]). M. Romelus affirme que « l’exclusion ne saurait s’appliquer » lorsque la crainte invoquée est raisonnable et que ni les tribunaux, ni les règlements n’ont établi d’ordre spécifique pour évaluer la crainte.

B.  Position du défendeur

[27]  Le défendeur fait valoir que la décision de la SAR est raisonnable et ne comporte aucune erreur de droit. La SAR a procédé à son propre examen de la preuve, conformément à Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93.

[28]  En lien avec l’exclusion aux termes de la section 1E, le défendeur fait valoir : (1) que l’article 98 de la Loi empêche les personnes visées par la section 1E de la Convention d’avoir la qualité de réfugié ou de personne à protéger; (2) que tant le témoignage que la preuve au dossier démontrent, sans équivoque, que M. Romelus est visé par la section 1E (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118 au para 11 [Zeng]; Mikelaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 902 au para 15); (3) en réponse à l’allégation qu’il n’est plus résident permanent du Brésil, M. Romelus n’a déposé aucune preuve qui démontre son changement de statut; et (4) que, à tout événement, la SAR ne peut pas réévaluer l’application de l’exclusion sur le fondement de faits survenus après l’audition devant la SPR (Majebi au para 9; Zeng au para 28; Melo Castrillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 470 au para 15 [Melo Castrillon]).

[29]  En lien avec l’absence de crainte de persécution, le défendeur plaide que : (1) contrairement à ce qu’allègue M. Romelus, la SAR a examiné sa crainte de retour; (2) la SAR a raisonnablement conclu que les événements relatés par M. Romelus ne constituent pas de la persécution; et (3) le simple désaccord avec la décision ne la rend pas déraisonnable (Koky c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1035 au para 11; Cortes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1325 au para 13).

[30]  En lien avec le manquement à l’obligation d’équité procédurale, le défendeur soutient que cet argument est sans fondement, puisqu’aucune audience n’avait eu lieu devant la SAR. Au cas où M. Romelus faisait plutôt référence aux audiences tenues devant la SPR, le défendeur avance que M. Romelus est forclos de soulever cet argument, étant donné qu’il ne l’a soulevé ni devant la SPR, ni devant la SAR (Giraldo Cortes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 516 au para 32; Yah Abedalaziz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1066 au para 39).

[31]  En réponse à la question soulevée par la Cour, le défendeur soutient que le tribunal doit examiner les risques allégués à l’égard d’un pays visé et a le loisir d’étudier ces risques avant ou après l’étude du statut d’une personne. Il précise que l’existence d’un risque de persécution fait échec à l’application de la clause d’exclusion (Kroon c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 11 (QL) au para 10; Omorogie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1255 au para 61 [Omorogie]), que le tribunal qui n’examine pas les risques allégués à l’égard d’un pays visé commet une erreur (Choovak aux para 43-46) et que le tribunal devrait considérer ces risques avant de déterminer qu’un demandeur est exclu (Omar aux para 24–25). Le défendeur note aussi que le risque de persécution dans un pays visé pourrait être pertinent dans l’examen du statut du demandeur (James C Hathaway et Michelle Foster, The Law of Refugee Status, 2e édition, Cambridge, Cambridge University Press, 2014 aux pp 503–04, 509).

V.  ANALYSE

[32]  La Cour n’examinera que deux des questions soulevées par le présent litige puisque cet examen suffira pour disposer du litige et accueillir la demande de contrôle judiciaire. Premièrement, la Cour examinera si la SAR a erré en retenant la date de l’audience devant la SPR pour évaluer si M. Romelus est résident permanent du Brésil et deuxièmement, la Cour examinera comment la SAR a analysé les craintes alléguées par M. Romelus afin de déterminer si son examen est intelligible compte tenu des dispositions en jeu.

[33]  La jurisprudence sur la norme de contrôle à appliquer au présent contrôle judiciaire ne semble pas unanime. La Cour d’appel fédérale a jugé, dans Zeng, que le test à appliquer en vertu de la section 1E est une question de droit assujettie à la norme de la décision correcte (Zeng au para 11). Cependant, elle a ensuite déterminé, dans Majebi, qu’une question d’interprétation de la section 1E est assujettie à la norme du caractère raisonnable (Majebi aux para 5–6).

[34]  Cependant, il ne parait pas nécessaire en l’instance de détailler plus à fond cette question puisque peu importe la norme applicable, la Cour est d’avis que la demande de contrôle judiciaire doit être accordée. En effet, la décision de la SAR est incorrecte et ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir au para 47).

[35]  Sur le premier point, la Cour est convaincue que la SAR n’a pas erré en retenant la date de l’audience devant la SPR pour évaluer si M. Romelus est un résident permanent du Brésil. Ceci est conforme aux enseignements de la Cour d’appel fédérale dans Majebi au paragraphe 9.

[36]  Par ailleurs, la Cour estime que le processus d’analyse suivi par la SAR en lien avec l’application de la section 1E de la Convention et de l’article 98 de la Loi est inintelligible et incompatible avec le libellé de l’article 98 de la Loi. Elle lui retournera donc le dossier afin de lui permettre de clarifier sa position à lumière des présents motifs.

[37]  M. Romelus détient le statut de résident permanent au moment pertinent et il ne conteste pas que ce statut lui confère les mêmes droits et obligations que ceux conférés aux ressortissants du Brésil. Ainsi, selon le libellé de la section 1E de la Convention, il semble effectivement juste de conclure que M. Romelus est une personne visée par la section 1E de la Convention.

[38]  L’article 98 de la Loi entre alors en jeu pour exclure la personne visée, laquelle ne peut alors avoir la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger. Les parties n’ont pas indiqué l’existence d’exceptions à cette exclusion.

[39]  Ainsi, en vertu de quelle disposition la SAR peut-elle, après avoir confirmé que M. Romelus est une personne visée par la section 1E, examiner le risque prospectif qu’il encourt advenant un retour au Brésil, afin de déterminer s’il est un réfugié ou une personne à protéger en vue, possiblement, de lui accorder ce statut ?

[40]  Puisque la SAR n’a pas examiné le risque invoqué par M. Romelus à l’encontre d’Haïti, faut-il en conclure qu’elle n’applique l’exclusion de l’article 98 qu’à l’égard du pays de citoyenneté du demandeur et non à l’égard du pays de résidence ? Le libellé de l’article 98 ne contient pas une telle distinction et la SAR, si telle est sa position, doit la justifier.

[41]  Le libellé de la section 1E de la Convention et de l’article 98 de la Loi et l’interaction de ces deux libellés ne posent pas problème dans le cas d’une personne visée par la section 1E qui n’invoque qu’une crainte à l’encontre de son pays de citoyenneté. La personne est exclue et la crainte à l’encontre de son pays de citoyenneté n’est pas examinée puisque la personne est protégée dans son pays de résidence permanente.

[42]  La situation semble se corser lorsqu’un demandeur remplit les conditions pour devenir une « personne visée » à la section 1E de la Convention, mais qu’il invoque une crainte face à son pays de résidence.

[43]  La Cour a traité de cas semblables et, sans en préciser le fondement, a laissé entendre que l’analyse de la crainte à l’égard du pays de résidence permanente doit être faite avant de déclarer qu’une personne est visée par la section 1E (Omar aux para 24–25; Omorogie au para 61).

[44]  Enfin, la Cour est consciente qu’il est possible que, même en renvoyant le dossier à la SAR, le résultat demeure inchangé pour M. Romelus, compte tenu des faits en jeu. Cependant, le rôle de la Cour, en contrôle judiciaire, est d’assurer la légalité des décisions administratives et M. Romelus a droit à l’appel que le Parlement a créé au bénéfice des demandeurs d’asile déboutés par la SPR (Aloulou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1236 aux para 56, 70).

[45]  La Cour ne peut dicter la solution à la SAR, mais est convaincue que l’analyse actuelle est inintelligible.


JUGEMENT au dossier IMM-2916-18

LA COUR STATUE que : la demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier est retourné à la SAR pour un nouvel examen à la lumière des présents motifs. Le tout sans frais.

Les parties n’ont soumis aucune question pour certification et la Cour n’en certifiera pas à ce stade.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2916-18

 

INTITULÉ :

GAST MAELO ROMELUS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 décembre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 février 2019

 

COMPARUTIONS :

Mariama Diallo

Pour le demandeur

Marilyn Ménard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mariama Diallo

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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