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Date : 20190211


Dossier : IMM-828-18

Référence : 2019 CF 169

Ottawa (Ontario), le 11 février 2019

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

IDRISSA KOANDA

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur conteste, par voie de contrôle judiciaire, la légalité d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] qui a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni la qualité de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

II.  Faits

A.  Démarche d’immigration du demandeur

[2]  Le demandeur est un citoyen du Burkina Faso âgé de 35 ans. Il serait un fervent militant de l’ancien président, M. Blaise Compaoré, qui aurait été leader du parti Congrès pour le progrès et la démocratie [CPD].

[3]  Après la chute de M. Compaoré, la maison du demandeur aurait été incendiée et sa famille aurait subi de la violence physique de la part des membres du quartier mécontents de son association avec l’ancien régime.

[4]  Un ami de la famille, M. Simparé, l’aurait caché chez lui et l’aurait aidé à obtenir un visa canadien pour études, émis le 27 avril 2016, dans le but de fuir le Burkina Faso. Le 12 juin 2016, le demandeur aurait quitté son pays natal et aurait revendiqué la protection du Canada quelques jours plus tard.

B.  Décision de la SPR

[5]  Bien que la SPR fut d’avis que le témoignage du demandeur était crédible, elle conclut que ce dernier n’avait pas prouvé, selon la balance des probabilités, qu’il existe une possibilité sérieuse de persécution ou qu’il serait exposé à un risque de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner au Burkina Faso.

[6]  La SPR a examiné en détail la chute de l’ex-président. Plus particulièrement, elle a noté que la documentation objective indique que le 29 novembre 2015, le Burkina Faso traversait une nouvelle ère vers la démocratie par la tenue des élections présidentielles libres et justes. Selon cette même documentation, aucun cas de violence à l’égard des membres du CPD en raison de leur appartenance au groupe politique n’aurait été répertorié.

[7]  Au chapitre du témoignage du demandeur, la SPR a écrit que les réponses du demandeur aux questions du tribunal n’étaient pas suffisantes. En premier lieu, le demandeur a affirmé avoir suivi les nouvelles sur le traitement des membres du CPD alors qu’il s’était réfugié chez M. Simparé, cependant, ce dernier n’a pas présenté de sources d’information à cet égard, outre M. Simparé. En deuxième lieu, quand la SPR l’a invité à commenter la preuve documentaire qui faisait état de l’absence de cas de violence policière ou populaire à l’égard des membres du CPD, le demandeur a répondu avoir la certitude d’être victime de menaces s’il devait retourner au Burkina Faso.

[8]  Convaincue que la crainte de retour du demandeur n’était fondée que sur la spéculation ou les bribes de renseignement provenant de M. Simparé, la SPR a rejeté la demande d’asile.

C.  Décision de la SAR

[9]  Devant la SAR, le demandeur a plaidé qu’il y avait eu un changement de circonstances et que sa crainte de retour était fondée sur l’information qu’il avait reçue de M. Simparé, et non pas sur de la simple spéculation.

[10]  La SAR a débuté son analyse par la détermination de la norme de contrôle applicable. En citant l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 et la décision X (Re), 2017 CanLII 33034 (CA CISR), la SAR a déclaré qu’elle doit faire preuve de déférence lorsque la SPR a un véritable avantage pour tirer une conclusion particulière. Quand une question appelle à la déférence, la SAR doit tout de même procéder à un examen complet et indépendant de la preuve. Enfin, elle a énoncé que l’évaluation globale de la crédibilité doit être analysée selon la norme de la décision correcte.

[11]  D’abord, sur la base de l’enregistrement de l’audience de la SPR, la SAR a critiqué certains aspects de l’interrogation du demandeur effectuée par la SPR. Ensuite, la SPR s’est livrée à une analyse du témoignage du demandeur et a décelé des incohérences dans son récit. Entre autres, le demandeur relatait que son travail dans la communauté était apprécié par ses concitoyens, alors qu’il prétendait être la victime de ces mêmes personnes peu après la chute de l’ex-président. De plus, le demandeur alléguait craindre pour sa vie au Burkina Faso, alors qu’il y était resté jusqu’à un an et demi, dont plusieurs mois à quatre kilomètres de sa résidence habituelle, après la déchéance du régime avant de quitter le pays.

[12]  Enfin, sur la question de la menace envers les membres du CPD, la SAR a préféré, tout comme la SAR, se fier à la preuve objective déposée selon laquelle il n’y a aucune menace envers ces personnes.

III.  Position des parties

A.  Position du demandeur

[13]  Le demandeur prétend que la SPR avait un véritable avantage vis-à-vis la SAR pour évaluer sa crédibilité quant à son implication politique. La SAR aurait donc dû faire preuve de déférence à cet égard. Par conséquent, selon le demandeur, la SAR aurait dû expliquer en quoi la conclusion de la SPR relativement à la crédibilité était déraisonnable. Il argumente également que si la SAR voulait tester sa crédibilité, cette dernière aurait dû l’interroger. En terminant, le demandeur note que la SAR n’a pas abordé l’argument du changement de circonstances.

B.  Position du défendeur

[14]  Le défendeur est d’avis que devant la SAR, la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique en matière d’appréciation de la crédibilité. Il allègue que la SAR a entamé sa propre analyse du dossier et a évalué la décision de la SPR selon la norme de la décision raisonnable, hormis les questions de crédibilité auxquelles elle a appliqué la norme de la décision correcte. À l’encontre de l’argument voulant que la SAR devait expliquer en quoi la décision de la SPR était raisonnable, le défendeur avance que la SAR a fait sa propre analyse et, ce faisant, n’a jamais conclu que le demandeur manquait de crédibilité ni que la décision était déraisonnable. Le défendeur n’aborde pas l’argument sur le changement de circonstances.

IV.  Questions en litige

  1. La SAR a-t-elle commis une erreur en réexaminant la crédibilité du demandeur lorsque la SPR l'a jugé crédible et que la question de sa crédibilité n'avait pas été soulevée par les parties?

  2. La SAR a-t-elle traité l’argument du demandeur sur le changement de circonstances?

V.  Analyse

[15]  Le demandeur soutient que la SAR a effectué sa propre analyse de crédibilité, bien que la SPR avait conclu qu’il était crédible. En examinant les motifs, la SAR a critiqué la manière dont la SPR a examiné les éléments de preuve relatifs à la crédibilité du demandeur.

[16]  Je suis d’avis que la SAR a tiré une conclusion défavorable par rapport à la crédibilité du demandeur et que cette question n’a pas été soulevée par les parties. De plus, il y a eu des commentaires concernant la déficience de la qualité de l'interrogatoire de la SPR. Dans ces circonstances, si la crédibilité avait été la question déterminante, l'affaire aurait dû être renvoyée à la SPR pour une nouvelle audience.

[17]  Lorsque les parties ne contestent pas les conclusions de la SPR sur la crédibilité, la SAR est tenue de respecter le cadre des questions de preuve établies par les parties. Autrement, la conduite de la SAR soulève une question qui n’a pas été soulevée par les parties, ce qui peut être perçu comme une injustice.

[18]  De temps à autre, il est approprié pour la SAR de commenter le processus de détermination des faits de la SPR en soulignant les incohérences ou les éléments de preuves qui auraient été négligés. Toutefois, si les parties n’ont pas soulevé une question concernant la crédibilité du demandeur, les commentaires de la SAR à ce sujet devraient être effectués avec prudence, de manière à ne pas infirmer la décision de SPR quant à la crédibilité du demandeur.

[19]  Dans le mémoire du demandeur produit devant la SAR, on comprend qu’il prétendait que la SPR n’avait pas tenu suffisamment compte du changement de circonstances depuis la chute de l’ex-président dans son analyse de la crainte de persécution. Cela ne concerne pas les nouvelles preuves présentées en appel.

[20]  La SPR et la SAR ont toutes les deux conclu que la preuve était insuffisante pour établir l'existence d'un nouveau risque : en effet, le demandeur n’a présenté que de vagues déclarations généralisées et non corroborées par un de ses amis résidant au Burkina Faso. Les deux décideurs ont également conclu que la documentation objective sur l'état du pays ne corroborait aucun risque sérieux pour le demandeur s'il devait retourner au Burkina Faso.

[21]  Les conclusions de la SPR et de la SAR fondées sur la documentation relative à la situation du pays doivent être considérées comme des conclusions de fait. Elles ne doivent pas être renversées, sauf dans cas où celles-ci contiennent des erreurs flagrantes. Celles-ci se limitent généralement aux erreurs dans le processus d'établissement des faits, telles que le fait de ne pas considérer des éléments de preuve importants spécifiquement soulignés, ou le fait de faire référence à des éléments de preuve non pertinents pouvant affecter la décision ultime.

[22]  S’il existe des preuves probantes dans la documentation relative à la situation du pays à l’appui des conclusions de fait concernant le manque de risque au demandeur, la Cour ne doit pas procéder à une nouvelle évaluation de la preuve.

[23]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT au dossier IMM-828-18

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé de la cause est modifié pour refléter correctement la partie défenderesse, soit le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration,

  2. la demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

  3. aucune question ne sera certifiée.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-828-18

INTITULÉ :

IDRISSA KOANDA c. MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 janvier 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

LE 11 février 2019

COMPARUTIONS :

Claudette Menghile

 

POUR PARTIE DEMANDERESSE

 

Zoé Richard

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Claudette Menghile

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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