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Date : 20190208


Dossier : T‑322‑18

Référence : 2019 CF 168

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

BRIAN DOYLE

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du directeur des enquêtes de la Commission de la fonction publique du Canada (« CFP ») datée du 5 janvier 2018, concernant l’allégation de monsieur Brian Doyle, le demandeur, selon laquelle son examen écrit, qui a été préparé dans le cadre d’un processus de nomination interne annoncé, a été altéré. À la lumière d’une enquête menée en vertu de l’article 69 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, c 22 (« LEFP »), et du rapport d’enquête connexe, la CFP a déterminé que l’allégation n’était pas fondée.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

La question préliminaire

[3]  Selon l’intitulé, le défendeur est le Secteur de la surveillance et des enquêtes de la Commission de la fonction publique du Canada. À l’audience, les parties ont convenu que, conformément au paragraphe 303(3) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, le défendeur était en fait le procureur général du Canada. L’intitulé sera modifié dans le cadre du présent jugement.

Le contexte

[4]  Le demandeur était un fonctionnaire nommé pour une période indéterminée et il occupait un poste d’administrateur de haute direction à l’Office national de l’énergie (« ONE ») à Calgary (Alberta) lorsque, le 17 juin 2016, il a présenté une demande pour participer à un processus de sélection interne lié à un poste d’agent des communications pour Diversification de l’économie de l’Ouest Canada (« DEO ») à Edmonton (Alberta). Le 14 juillet 2016, le demandeur a été informé qu’il satisfaisait aux critères de présélection et a été invité à participer à une entrevue devant avoir lieu le matin du 21 juillet 2016 au bureau de DEO, à Calgary. Il devait ensuite procéder à une évaluation écrite au bureau de l’ONE, à Calgary.

[5]  Les dispositions en question ont été prises par Mme Donna Kinley, directrice régionale, Consultations, marketing et communications de DEO, qui était la gestionnaire recruteuse dans le cadre du processus de sélection. Mme Kinley a communiqué avec Mme Catherine Barclay, une ancienne collègue de DEO qu’elle croyait être, à ce moment‑là, directrice des ressources humaines à l’ONE, dans le but d’obtenir de l’aide dans le cadre de l’administration de l’examen du demandeur. Mme Barclay, qui était en fait chef du personnel et vice‑présidente par intérim des services au personnel et du savoir, a pour sa part demandé un soutien à cet égard à Mme Sandrine Futi, une adjointe aux ressources humaines de l’ONE qui possédait une expérience en matière d’administration de tels examens.

[6]  Le 21 juillet 2016, le demandeur a participé à l’entrevue dans les bureaux de DEO, pour ensuite se rendre à l’endroit prévu afin de faire l’examen à 13 h. Le demandeur a fait l’examen à l’ordinateur dans la salle d’examen qui avait été prévue à cette fin, et ce, dans les 90 minutes allouées. Une fois l’examen terminé, Mme Futi l’a imprimé sur une imprimante de la salle d’examen, et le demandeur a signé la première page et paraphé les pages subséquentes de la photocopie de l’examen à l’encre bleue. Le même après‑midi, Mme Futi a numérisé l’examen avant de se l’envoyer par courriel. Elle a ensuite envoyé l’examen par courriel à Mme Barclay, qui, pour sa part, l’a transmis à Mme Kinley. Il y a une divergence quant à l’heure d’envoi des courriels. Après la réception de l’examen numérisé par Mme Barclay, Mme Futi a déchiqueté les notes de travail du demandeur et supprimé la copie électronique de son examen qui avait été sauvegardée sur l’ordinateur de la salle d’examen.

[7]  Le 25 juillet 2016, le demandeur a envoyé un courriel à Mme Kinley et à la deuxième personne ayant mené l’entrevue pour les remercier de l’entrevue et leur envoyer une copie d’un document qui n’avait pas été transmis correctement précédemment. Mme Kinley a répondu au courriel en question le 18 août 2016 et demandé au demandeur s’il était disponible pour discuter du concours de recrutement. Durant un appel téléphonique qui a eu lieu le 19 août 2016, Mme Kinley a informé le demandeur qu’il avait échoué le processus de sélection. Le 25 août 2016, le demandeur a reçu la confirmation écrite que sa candidature n’avait pas été retenue dans le cadre du processus.

[8]  Le 25 avril 2017, le demandeur a présenté à DEO une demande en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, c P‑21, afin d’obtenir des renseignements sur le processus de sélection. Le 11 mai 2017, DEO a répondu à la demande en fournissant les renseignements demandés. Le 16 juin 2017, après avoir examiné la réponse fournie, le demandeur a envoyé à DEO une lettre de suivi dans laquelle il précisait qu’il manquait deux éléments d’information dans les documents fournis, soit la page 20/68 de sa demande en ligne et l’examen du 21 juillet 2016. Le 21 juin 2017, DEO a envoyé au demandeur la page manquante ainsi qu’une copie en noir et blanc de son examen noté, tout en s’excusant de l’omission.

[9]  Le 26 juin 2017, le demandeur a déposé une plainte auprès de la CFP et demandé la tenue d’une enquête sur la demande qu’il avait présentée à DEO, en alléguant explicitement une possible fraude relativement à laquelle, faisait‑il valoir, la CFP avait le pouvoir exclusif d’enquêter en vertu de l’article 69 de la LEFP. Les allégations du demandeur étaient fondées sur les documents qu’il avait reçus dans le cadre de sa demande de renseignements. Plus précisément : la page 20/68 de son curriculum vitæ/de sa demande ne comportait pas les marques de photocopie qui figuraient sur les pages précédentes et suivantes du document qui lui avait été fourni initialement et était donc incompatible avec les autres pages; certaines pages de l’examen noté (pages 1, 2, 4 et 5) ne contenaient pas ses initiales, qu’il se rappelait avoir inscrites sur toutes les pages de son examen écrit; certaines pages de l’examen (pages 1, 2, 4 et 5) ne comportaient pas de ligne de photocopie, tandis que, sur d’autres (pages 3, 6, 7 et 8), il y avait une ligne bien visible à droite; à la page 6, ses initiales étaient déformées; à la page 7, ses initiales étaient apposées sur un autre mot grisé, et les liens Web ainsi que les coordonnées que le demandeur prétendait se rappeler avoir inscrits n’étaient pas là; et l’examen contenait des erreurs que le demandeur prétendait ne pas avoir commises et que Mme Kinley ne lui a pas mentionnées durant l’appel téléphonique d’août 2016.

[10]  Une agente de la compétence de la CFP, Mme Ghislaine MacKenzie, a entrepris la collecte de renseignements au sujet de la plainte et, le 1er août 2017, elle a présenté ses conclusions et recommandé la tenue d’une enquête. La CFP a accepté la recommandation en question et y a donné suite. Mme Julie Murphy a été affectée à titre d’enquêteuse de la CFP (l’« enquêteuse ») chargée de mener une enquête en vertu de l’article 69 de la LEFP. Dans le cadre de l’enquête en question, Mme Murphy a cherché à obtenir des renseignements et des documents concernant le processus de nomination auprès de diverses sources, dont Mme Futi, Mme Kinley, Mme Barclay et le demandeur, en plus de mener des entrevues auprès de ces personnes. Le 23 novembre 2017, l’enquêteuse a envoyé une copie du rapport factuel qu’elle avait préparé au demandeur, à Mme Futi, à Mme Barclay et à Mme Kinley, donnant à chacun et chacune l’occasion de formuler des commentaires sur les renseignements fournis par les autres et de présenter des observations concernant l’allégation formulée dans le cadre de l’enquête.

[11]  Mme Barclay a fourni de brefs commentaires le 28 novembre 2017, tandis que Mme Futi et Mme Kinley ont mentionné ne rien avoir à ajouter. Le 1er décembre 2017, le demandeur a envoyé une réponse de six pages datée du 30 novembre 2017. Il avait également envoyé un courriel à l’enquêteuse le 29 novembre 2017 pour lui demander d’obtenir et d’examiner d’autres renseignements, y compris les questions d’entrevue. Le 9 décembre 2017, le demandeur a fourni à l’enquêteuse des renseignements supplémentaires qui, selon lui, même s’ils ne concernaient pas directement les événements s’étant produits dans le cadre du processus de sélection, reflétaient la récurrence d’événements similaires. Le demandeur a décrit une situation liée à son poste actuel, dans le cadre duquel il relève de Mme Barclay, où il avait eu l’impression que le téléchargement d’un modèle de document avait servi à donner l’impression qu’il n’avait pas fait le travail en question ou que des modifications s’imposaient.

[12]  Le 5 janvier 2018, l’enquêteuse a produit le rapport d’enquête (le « rapport »), dans lequel elle précisait que l’enquête avait été menée en vertu de l’article 69 de la LEFP et concluait que les éléments de preuve ne démontraient pas, selon la prépondérance des probabilités, que quiconque ayant participé au processus de nomination avait altéré l’examen écrit du demandeur, raison pour laquelle la preuve ne permettait pas d’établir qu’une fraude avait été commise en vertu de l’article 69 de la LEFP. Le jour même, Mme Suzanne Charbonneau, directrice des enquêtes de la CFP, a écrit au demandeur pour lui remettre une copie du rapport d’enquête et l’informer que l’enquête avait permis de conclure que sa plainte n’était pas fondée.

[13]  Le 15 février 2018, le demandeur a déposé son avis de demande de contrôle judiciaire de la décision de la CFP.

La décision faisant l’objet du contrôle

[14]  La décision de la CFP est fondée sur les conclusions du rapport d’enquête.

[15]  Dans la description de son objet, le rapport mentionne que l’enquête a été menée en vertu de l’article 69 de la LEFP afin d’établir s’il y avait eu fraude dans le cadre d’un processus de nomination interne annoncé (19‑WCO‑IA‑EDM‑710), ajoutant que le demandeur, un candidat ayant participé au processus de nomination en question, s’était dit préoccupé par la possible altération de son examen écrit. Une telle préoccupation soulève la possibilité qu’une ou plusieurs personnes ayant participé à la tenue du processus de nomination aient pu falsifier des documents d’examen.

[16]  Le rapport décrit la méthode utilisée dans le cadre de l’enquête, c’est‑à‑dire l’examen des éléments de preuve documentaire et la tenue des entrevues décrites ci‑dessus, et renvoie à la publication du rapport factuel. Le rapport d’enquête précise que toutes les observations et tous les commentaires et renseignements obtenus au cours de l’enquête ont été pris en considération. Cependant, seuls les commentaires, observations et renseignements pertinents ont été inclus dans le rapport et ont servi dans le cadre de l’analyse et au moment de tirer les conclusions.

[17]  Le rapport d’enquête définit le contexte et présente un résumé des faits recueillis au cours de l’enquête. Il décrit les préoccupations du demandeur à l’égard de l’examen noté, y compris l’absence de ses initiales aux pages 1, 2, 4 et 5; la marque sous ses initiales à la page 7 et le fait que quelqu’un semblait avoir essayé de cacher quelque chose en le biffant; la pâleur du texte sur certaines pages comparativement à d’autres; le manque d’uniformité des marques de photocopie sur le côté des pages; et l’absence à la page 7 de l’examen corrigé des liens et des coordonnées plus complètes qu’il se souvenait avoir insérés.

[18]  À la lumière des renseignements recueillis, le rapport décrit ensuite les circonstances ayant fait en sorte que le demandeur a passé l’examen dans les bureaux de l’ONE, la façon dont l’examen a eu lieu dans les bureaux de l’ONE, la façon dont l’ONE a envoyé l’examen à DEO et la procédure d’évaluation dans le cadre du processus de nomination. Ce dernier élément inclut les préoccupations du demandeur quant au fait que Mme Kinsley a communiqué avec lui au sujet du fait que sa candidature n’était pas retenue avant qu’il reçoive l’avis officiel ainsi que l’observation de Mme Kinley selon laquelle le contenu de l’examen noté était identique à la copie de l’examen en format PDF qu’elle avait reçue de l’ONE; elle n’arrivait pas à expliquer la raison pour laquelle certaines initiales et d’autres éléments en couleur qui se trouvaient dans la version en format PDF de l’examen ne figuraient pas dans la copie en noir et blanc qu’elle avait notée. Le rapport fait également état d’autres préoccupations soulevées par le demandeur à la suite de la publication du rapport factuel, à savoir son désaccord avec l’évaluation de certaines de ses réponses à l’examen et le fait qu’il n’avait pas été informé de certaines de ses erreurs dans l’examen écrit durant sa conversation téléphonique avec Mme Kinley.

[19]  Dans la section de l’analyse, le rapport souligne à nouveau que l’enquête a été menée en vertu de l’article 69 de la LEFP, selon lequel la Commission peut mener une enquête sur un processus de nomination si elle a des motifs de croire qu’il pourrait y avoir eu fraude. Même si le terme « fraude » n’est pas défini dans la LEFP, dans l’arrêt Seck c Canada, 2012 CAF 314 (« Seck »), aux paragraphes 39 à 41, la Cour d’appel fédérale a défini la notion de fraude dans le contexte d’un processus de nomination en vertu de la LEFP. Le rapport a cité ainsi un extrait de l’arrêt Seck :

[L]a fraude comporte deux éléments essentiels : (1) la malhonnêteté, qui peut comprendre la non‑divulgation de faits importants; (2) la privation ou le risque de privation. La malhonnêteté est établie lorsqu’on a sciemment employé la supercherie, le mensonge ou un autre moyen dolosif dans le cadre d’une procédure de nomination, ce qui peut également comprendre la non‑divulgation ou la dissimulation de faits importants dans des circonstances où elle serait considérée comme malhonnête par une personne raisonnable. […] la victime de la fraude n’est pas tenue de prouver que les actes frauduleux lui ont réellement causé un préjudice ou une perte. Dans le cas de l’article 69 de la Loi, il suffit donc d’établir, pour satisfaire au second élément, que le processus de nomination aurait pu être compromis.

[20]  À la lumière de l’arrêt Seck, le rapport précise que, pour conclure qu’il y a eu fraude en vertu de l’article 69, la preuve doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’une ou plusieurs personnes ayant participé à la tenue du processus de nomination ont agi de façon malhonnête en altérant l’examen écrit du demandeur, falsifiant ainsi des documents d’examen. La preuve doit également démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les actes posés par la ou les personnes en question auraient pu compromettre le processus de nomination.

[21]  L’enquêteuse aborde d’abord la question de la malhonnêteté. Elle souligne que la preuve montre que trois personnes ont participé à l’administration de l’examen écrit et ont eu accès à l’examen, soit Mme Kinley, Mme Barclay et Mme Futi.

[22]  L’enquêteuse aborde ensuite les préoccupations du demandeur au sujet de l’endroit où l’examen écrit a eu lieu. Elle fait remarquer que, en vertu de l’article 36 de la LEFP, un gestionnaire peut utiliser toute méthode d’évaluation qu’il estime indiquée. Vu la décision de Mme Kinley de faire passer l’examen dans un endroit supervisé et le manque de locaux à bureaux appropriés de DEO à Calgary, l’enquêteuse conclut qu’il était raisonnable pour cette dernière de communiquer avec une personne qu’elle connaissait à l’ONE et qui, selon elle, travaillerait pour les ressources humaines, pour lui demander de l’aider à coordonner l’administration de l’examen. De plus, rien ne donne à penser que le choix du lieu de l’examen visait autre chose que de permettre l’administration de l’examen près de la résidence du demandeur, soit à Calgary.

[23]  L’enquêteuse a également constaté que le contenu de l’examen en tant que tel (c’est‑à‑dire les réponses du demandeur aux questions de l’examen) était identique dans toutes les versions de l’examen examinées, à savoir la version numérisée par Mme Futi après l’examen, la version de l’examen que Mme Futi a envoyée à Mme Barclay, la version que Mme Barclay a envoyée à Mme Kinley et la version notée (corrigée). Étant donné que le demandeur a déclaré que ses réponses à l’examen n’étaient pas telles qu’il s’en souvenait et que toutes les versions de l’examen étaient identiques à la version numérisée par Mme Futi, l’enquêteuse a conclu que, si les réponses à l’examen écrit ont été modifiées, elles l’ont été entre la fin de l’examen et le moment où il a été numérisé.

[24]  L’enquêteuse a conclu que les éléments de preuve confirment que Mme Futi fait régulièrement passer des examens écrits et que cette dernière a décrit clairement le processus qu’elle utilise habituellement dans de tels cas. L’enquêteuse a jugé que Mme Futi était crédible et qu’il n’y avait aucune raison de douter du fait qu’elle avait suivi la même routine dans le cadre du processus de nomination en cause. En outre, même si le demandeur se souvenait d’avoir remis son examen terminé à Mme Barclay, Mme Futi se rappelait que c’était à elle qu’il l’avait remis. L’examen devait commencer à 13 h, et le demandeur a utilisé les 90 minutes allouées pour le faire. Durant son témoignage, Mme Futi a dit avoir ensuite imprimé l’examen et, peu de temps après, l’avoir numérisé tel que le demandeur lui avait remis, précisant ne pas l’avoir modifié. La preuve montre que Mme Futi a numérisé l’examen à 14 h 57.

[25]  En ce qui concerne les initiales du demandeur qui sont en bleu, dans l’échelle de gris ou absentes dans les différentes versions de l’examen, l’enquêteuse a formulé les constatations qui suivent. Dans l’examen numérisé par Mme Futi, les initiales qui figurent sur quatre pages (pages 3, 6, 7 et 8) sont dans l’échelle de gris, tandis que les autres sont en bleu (pages 1, 2, 4 et 5). En outre, pour ce qui est des pages sur lesquelles les initiales sont dans l’échelle de gris, la page 3 contient une seule question d’examen, tandis que les pages 6, 7 et 8 contiennent les réponses du demandeur. De plus, les initiales dans l’échelle de gris figurent sur les pages que le demandeur jugeait préoccupantes (pages 7 et 8), mais aussi sur une page qui n’était pas pour lui une source de préoccupation (page 3) et sur une autre où il s’est souvenu qu’il s’agissait bel et bien de sa réponse (page 6). Par conséquent, l’enquêteuse fait remarquer qu’il n’a pas été possible d’établir un lien entre les pages comportant des initiales dans l’échelle de gris et les pages où le demandeur croyait que son examen avait été modifié. De plus, comme certaines pages où les initiales étaient en couleur comportaient d’autres éléments en couleur (p. ex. du surlignement et un lien Web), il est plausible que l’appareil ait numérisé les pages en question en couleur, mais pas les autres.

[26]  L’enquêteuse souligne également que, selon la preuve, Mme Barclay avait offert à Mme Kinley de lui envoyer la copie originale de l’examen du demandeur, mais que cette dernière avait déterminé ne pas en avoir besoin parce qu’elle avait la copie électronique, ce qui était suffisant pour procéder à l’évaluation. L’enquêteuse déclare que, même s’il est malheureux qu’elle n’ait pas pu consulter l’examen écrit original dans la salle d’examen (sur l’ordinateur utilisé pour l’examen) ni l’examen initial paraphé (qui a été détruit), le simple fait que ces examens ne sont pas accessibles n’est pas suffisant pour confirmer que Mme Futi ou Mme Barclay ont altéré l’examen du demandeur. De plus, la preuve a révélé que, au moment du processus de nomination, le demandeur avait une bonne relation de travail avec Mme Futi et Mme Barclay. Il n’y avait pas non plus d’élément de preuve quant aux raisons pour lesquelles l’une ou l’autre d’entre elles aurait altéré l’examen. En effet, aucune des deux n’avait un intérêt direct quant au résultat du processus, et elles n’avaient en outre rien à gagner en modifiant l’examen. Par conséquent, l’enquêteuse a conclu qu’aucun élément de preuve ne permettait d’établir que Mme Futi ou Mme Barclay ont été malhonnêtes dans le cadre du processus de nomination.

[27]  Quant à Mme Kinley, elle ne connaissait pas le demandeur au moment du processus de nomination et n’avait aucun intérêt direct à modifier l’examen. De plus, la preuve révèle que Mme Kinley a imprimé et noté l’examen tel qu’elle l’a reçu de l’ONE. Par conséquent, rien ne donne à penser qu’elle ait altéré l’examen.

[28]  L’enquêteuse a reconnu que les initiales du demandeur ne figuraient pas sur certaines pages de la copie imprimée en noir et blanc de l’examen utilisée aux fins de notation, mais elle a conclu qu’il était raisonnable de croire que cela tenait au fait que le numériseur n’avait pas saisi de couleur dans le document. De plus, comme Mme Kinley a tout de même pu évaluer les réponses du demandeur à l’examen, la divergence n’a eu aucune incidence sur son évaluation. Par conséquent, rien ne donne à penser que Mme Kinley a été malhonnête dans le cadre du processus de nomination.

[29]  Compte tenu de l’ensemble de la preuve, y compris la période qui s’est écoulée depuis l’examen (près d’un an), les éléments de preuve documentaire, notamment la copie de l’examen du demandeur qui a été numérisé peu après que ce dernier termine l’examen, le fait que les réponses étaient identiques dans toutes les versions accessibles de l’examen et le fait qu’aucune des personnes ayant participé à l’administration de l’examen n’avait intérêt à le modifier, l’enquêteuse a conclu qu’il était peu probable que les personnes en cause aient altéré l’examen. Par conséquent, le premier élément constitutif d’une fraude, la malhonnêteté, n’a pas été établi.

[30]  N’ayant pas établi la présence de malhonnêteté, l’enquêteuse a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’aborder le deuxième élément, soit la privation ou le risque de privation.

[31]  L’enquêteuse conclut que les éléments de preuve n’ont pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que quiconque ayant participé au processus de nomination a altéré l’examen du demandeur. Par conséquent, la preuve n’a pas permis d’établir qu’il y a eu fraude en vertu de l’article 69 de la LEFP.

[32]  Je remarque que l’enquêteuse a également préparé un tableau comparatif des versions accessibles de l’examen et l’a joint à l’annexe A de son rapport. Comme le tableau décrit bien les différences entre les copies examinées de l’examen, il est également joint aux présents motifs, à l’annexe A.

Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[33]  À titre de point préliminaire, je souligne que le demandeur s’est représenté lui‑même au cours de la présente instance.

[34]  Ses observations font état de trois enjeux soulevés dans le présent contrôle judiciaire, à savoir le fait que l’enquêteuse a commis une erreur de fait et de droit en concluant que la plainte n’était pas fondée, le fait qu’elle était partiale, ou pourrait être perçue comme telle et qu’elle a donc commis une erreur de fait et de droit en concluant que la plainte n’était pas fondée et le fait qu’elle a limité indûment son pouvoir discrétionnaire.

[35]  Selon moi, après avoir examiné le dossier, l’ensemble des observations écrites du demandeur et les observations du défendeur et après avoir entendu les deux parties, je suis d’avis qu’il n’y a qu’une question à trancher en l’espèce, à savoir si la décision de la CFP, qui est fondée sur le rapport d’enquête, était raisonnable. Les parties soutiennent que la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable, ce dont je conviens (Canada (Procureur général) c Shakov, 2017 CAF 250, aux paragraphes 61 et 62; Lemelin c Canada (Procureur général), 2018 CF 286, au paragraphe 41; et Challal c Canada (Procureur général), 2009 CF 1251, aux paragraphes 24 et 25).

[36]  Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient à la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 (« Dunsmuir »)). De plus, le caractère raisonnable est une norme déférente qui procède du principe selon lequel certaines questions n’appellent pas une seule solution précise (Dunsmuir, au paragraphe 47). En outre, il peut exister « plus d’une issue raisonnable » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

La décision de la CFP était‑elle déraisonnable?

[37]  L’essentiel de la position du demandeur tient au fait que la suppression de la version électronique de son examen de l’ordinateur de la salle d’examen sans en faire une copie de sauvegarde et la destruction de la copie originale imprimée de son examen rempli équivalent à de la malhonnêteté et justifient une conclusion de fraude. Le fondement déclaré du point de vue du demandeur est que, dans le cadre d’un processus de sélection au sein de la fonction publique fédérale où, [traduction« conformément à la convention et en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, tous les documents d’examen sont recueillis, conservés et accessibles pour examen pendant une période de deux ans », il faut considérer la destruction de la copie originale de l’examen et la suppression du fichier électronique comme une forme de dissimulation et de la malhonnêteté comme le défini l’arrêt Seck. Le problème d’une telle position, c’est que le demandeur est incapable de fournir une disposition de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou de la LEFP confirmant l’existence de la période de conservation de deux ans dont il parle. Il n’y a pas non plus de preuve de l’existence de la convention sur laquelle le demandeur s’appuie, même si une telle convention pourrait assurément être considérée comme une bonne pratique à laquelle il faut aspirer.

[38]  Le demandeur soutient également que la conclusion de l’enquêteuse selon laquelle la copie papier de son examen a été déchiquetée environ une heure après l’examen n’est pas étayée par la preuve. En outre, l’absence de toute référence à des éléments de preuve contredisant le moment où l’examen a été détruit démontre la collusion de la Commission relativement aux actes de dissimulation.

[39]  Je m’arrête ici pour exposer les éléments de preuve décrits dans le rapport d’enquête concernant l’administration, la transmission et la destruction de l’examen.

[40]  Durant son témoignage, Mme Futi a déclaré être adjointe aux ressources humaines à l’ONE depuis 2011. À ce titre, elle fait passer environ 50 examens différents chaque année dans le cadre de processus de nomination, tant pour le compte de l’ONE que pour celui d’autres organisations. Elle a expliqué le processus qu’elle suit habituellement à la fin des examens, c’est‑à‑dire qu’elle demande au candidat de se lever, elle se rend à l’ordinateur utilisé pour passer l’examen et elle imprime l’examen sur l’imprimante située à côté de l’ordinateur. Elle passe ensuite en revue le contenu de l’écran en le faisant défiler vers le bas pour confirmer que le document imprimé correspond bien au contenu de l’écran. Dans le cadre de tous les examens, elle s’assure toujours que le candidat signe au bas de chaque page. Dans le cas de l’examen de M. Doyle, elle s’est rappelé s’être rendue à la salle d’examen et avoir imprimé le document, sans pour autant se souvenir de ce que M. Doyle a utilisé pour signer chaque page. Cependant, durant son témoignage, M. Doyle a déclaré avoir paraphé chaque page avec un stylo bleu.

[41]  Mme Futi se rappelle avoir numérisé le document immédiatement après l’examen afin de se l’envoyer à elle-même. De plus, elle se rappelle avoir numérisé le document précis signé par M. Doyle, et ce, sans le modifier ni l’altérer d’aucune façon. La documentation recueillie par l’enquêteuse qui figure dans le dossier certifié du tribunal comprend le courriel au moyen duquel Mme Futi s’est envoyé le document numérisé. La date du balayage est le 21 juillet 2016, à 14 h 57 min 41 s, ou 14 h 57. À la demande de M. Doyle, l’enquêteuse a noté dans le rapport que le document n’a pas été numérisé [traduction« immédiatement après l’examen », comme l’avait affirmé Mme Futi. L’heure d’envoi du courriel utilisé par Mme Futi pour s’envoyer l’examen numérisé est 16 h 48. Dans un courriel assorti d’une heure d’envoi de 17 h 09, Mme Futi a transféré à Mme Barclay le courriel assorti de la pièce jointe (le même document PDF qu’elle avait numérisé et s’était envoyé à elle‑même) avec le message suivant : [TRADUCTION] « En pièce jointe et rempli. Je laisserai l’original sur votre bureau ». Dans un courriel assorti d’une heure d’envoi de 15 h 14, Mme Barclay a envoyé l’examen à Mme Kinley, précisant que [TRADUCTION] « Le document rempli figure en pièce jointe. Je peux vous envoyer le document original par la poste si vous en avez besoin ».

[42]  Selon le témoignage de Mme Futi, dans l’heure qui a suivi la fin de l’examen, elle a confirmé avec Mme Barclay que le document numérisé avait bel et bien été reçu. Une fois la conformation obtenue, elle a déchiqueté les notes prises par M. Doyle ainsi que la copie papier imprimée de l’examen. Elle a également supprimé le document sauvegardé sur l’ordinateur de la salle d’examen, ce qui est une pratique courante étant donné que l’ordinateur est ensuite utilisé par d’autres candidats à des fins d’examen dans le cadre d’autres processus de nomination.

[43]  Le demandeur remet en question l’écart de deux heures entre les heures d’envoi des courriels, le fait qu’un courriel mentionne que l’examen original a été laissé sur le bureau de Mme Barclay et le fait que le document PDF en pièce jointe ne figure pas sur le courriel envoyé à Mme Barclay. Il affirme que, puisque l’enquêteuse n’a pas abordé cet enjeu, le [traduction« récit fabriqué » est soit une omission flagrante, soit un acte corroboré de non‑divulgation et de dissimulation.

[44]  Même s’il est vrai que l’enquêteuse a seulement mentionné explicitement le fait que la documentation confirme que Mme Futi a numérisé le document à 14 h 57 et que Mme Barclay a envoyé l’examen numérisé à Mme Kinley à 15 h 14, l’enquêteuse a souligné que la preuve a montré que le contenu en tant que tel des réponses à l’examen était identique dans toutes les versions de l’examen qu’elle a reçues. C’est la raison pour laquelle elle a conclu que, si les réponses de l’examen écrit ont été modifiées, elles ont dû l’être entre la fin de l’examen et le moment de sa numérisation, c’est-à-dire durant les 27 minutes qui se sont écoulées entre le moment où le demandeur a terminé son examen et celui où Mme Futi l’a numérisé. À mon avis, une fois une telle conclusion tirée — et il s’agit d’une conclusion que le demandeur ne conteste pas —, le moment exact où Mme Futi a envoyé l’examen par courriel à Mme Barclay et le moment exact où Mme Barclay l’a envoyé à son tour par courriel à Mme Kinsley étaient peu pertinents à l’allégation de fraude. Par conséquent, le fait que l’enquêteuse ne se soit pas penchée davantage sur la question des heures d’envoi des courriels ne rend pas la décision de la Commission déraisonnable.

[45]  Pour la même raison, le moment exact où la copie papier de l’examen du demandeur a été déchiquetée n’est pas pertinent à la conclusion de l’enquêteuse quant à savoir s’il y a eu fraude dans le processus de nomination. Il est vrai, comme l’affirme M. Doyle, qu’un courriel assorti d’une heure d’envoi de 17 h 09 mentionne que Mme Futi laissera l’examen original sur le bureau de Mme Barclay. Le dossier des documents recueillis par l’enquêteuse comprend également un courriel envoyé à Mme Barclay le 21 juillet 2016, à 17 h 21, qui précise que Mme Futi avait recueilli auprès de M. Doyle les notes que ce dernier avait prises pendant l’examen et qu’elle les avait déchiquetées. Dans un courriel adressé à l’enquêteuse, Mme Barclay a expliqué qu’elle avait l’habitude de déchiqueter les notes prises par un candidat durant un examen écrit ou en préparation d’une évaluation orale et qu’elle avait envoyé un courriel à Mme Futi pour s’assurer que cette pratique avait été suivie. Durant son entrevue avec l’enquêteuse, Mme Futi a déclaré avoir déchiqueté l’examen et les notes.

[46]  En somme, même si la preuve n’est pas tout à fait cohérente quant au moment exact où la copie papier de l’examen du demandeur a été déchiquetée, une fois qu’il a été établi que le contenu de toutes les versions de l’examen était identique à celui de la copie numérisée, tout ce qui s’est produit à l’extérieur de la période pertinente de 27 minutes — quand l’examen a été déchiqueté — n’était pas pertinent dans le cadre de l’enquête sur la fraude. De plus, l’enquêteuse a interrogé Mme Futi et l’a jugée crédible. L’enquêteuse avait le droit d’accepter son témoignage durant l’entrevue selon lequel elle avait bel et bien déchiqueté l’examen peu après son achèvement. Pour ce qui est des heures d’envoi des courriels, il convient de souligner que, même si le courriel que Mme Futi a envoyé à Mme Barclay est assorti d’une heure d’envoi de 17 h 09, le courriel que Mme Barclay a envoyé à Mme Kinley était quant à lui assorti d’une heure d’envoi de 15 h 14, ce qui correspond davantage à la chronologie proposée par Mme Futi. De plus, même si le demandeur conteste le fait que le courriel de 15 h 14 ne semble pas assorti d’une pièce jointe, il fait partie d’une chaîne de courriels, et le courriel suivant mentionne également une pièce jointe qui n’est pas apparente. En outre, encore une fois, comme les versions de l’examen sont identiques, le fait que l’enquêteuse n’ait pas soulevé ce point précis dans son rapport ne constitue pas une preuve d’un acte corroboré de non-divulgation ou de dissimulation ni ne rend la décision déraisonnable.

[47]  Le demandeur soulève un certain nombre d’autres questions, y compris le fait que la feuille de notation du candidat a été signée par un seul des deux membres du comité de sélection. Encore une fois, il affirme que cette situation va à l’encontre de pratiques et de conventions normales — pratiques et conventions qu’il ne précise pas —, ajoutant que cet écart élimine la perception d’équité et constitue un acte de non-divulgation et de dissimulation. À mon avis, cet enjeu n’a rien à voir avec l’allégation du demandeur selon laquelle ses réponses à l’examen ont été altérées.

[48]  Le demandeur est également préoccupé par le fait que l’enquêteuse a choisi de limiter l’enquête à l’article 69 de la LEFP sans tenir compte de plusieurs autres éléments qu’il a inclus dans sa plainte et soulevés dans le cadre de l’enquête.

[49]  Les autres enjeux soulevés par le demandeur concernent le fait que, initialement, une page du curriculum vitae qu’il a présenté dans le cadre du processus de nomination ne figurait pas dans la réponse à sa demande de renseignements et que son examen n’y figurait pas non plus. Toutefois, les éléments de preuve montrent clairement que cette situation a été rapidement corrigée et que l’omission a été expliquée. En outre, l’omission s’est également produite et a été corrigée avant le dépôt de la plainte du demandeur.

[50]  En ce qui concerne la limitation de l’enquête, le demandeur souligne avoir demandé, le 29 novembre 2017, s’il était possible pour l’enquêteuse de consulter et d’examiner les questions de l’entrevue, le guide ou la grille de notation de l’entrevue et d’autres renseignements. Il le demandait parce qu’il voulait confirmer le contenu d’une question posée aux fins de comparaison avec la réponse qu’il avait donnée et qui lui avait valu un [TRADUCTION] « échec ». Le 1er décembre 2017, l’enquêteuse a répondu que l’enquête en cours était menée en vertu de l’article 69 de la LEFP afin d’établir s’il y avait eu fraude dans le processus de nomination en ce qui concerne son examen écrit, soulignant que le courriel du demandeur soulevait d’autres questions concernant l’évaluation d’une de ses réponses à l’entrevue.

[51]  L’enquêteuse a déclaré que le Secteur de la surveillance et des enquêtes n’a pas compétence pour enquêter sur les processus de nomination internes à moins d’avoir des raisons de croire qu’il y a eu fraude ou influence politique. Elle a suggéré au demandeur d’autres avenues possibles qui s’offraient à lui en ce qui concerne sa préoccupation supplémentaire au sujet de la notation de son entrevue. À mon avis, en l’absence d’élément de preuve donnant à penser que la compétence de l’enquêteuse ne se limitait pas aux enquêtes menées en vertu de l’article 69, la situation ne démontre pas que l’enquêteuse a agi de façon déraisonnable. De plus, même si le demandeur fait valoir que le commissaire peut, en vertu de l’article 66 de la LEFP, élargir son enquête s’il est convaincu qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière a influé sur le choix de la personne nommée ou dont la nomination est proposée, révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination et prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées, l’article 66 s’applique aux nominations externes. Cela dit, l’article 67 prévoit un processus d’enquête similaire pour les nominations internes. Toutefois, rien ne donne à penser que le demandeur a cherché à déposer une plainte distincte en vertu de l’article 67.

[52]  Sur ce même point, le demandeur soutient également que l’enquêteuse a commis une erreur en refusant d’aborder ses réponses dans le cadre de l’entrevue orale, et ce, même si les renseignements à cet égard ont été recueillis au début de l’enquête. À ce sujet, j’accepte l’argument du défendeur selon lequel le demandeur confond l’étape de la collecte de renseignements de l’enquête et l’étape de l’enquête en tant que telle. Pour établir s’il y a lieu de passer à l’étape de l’enquête, l’agente de la compétence a bel et bien recueilli des renseignements liés à l’entrevue orale. Toutefois, à l’étape de l’enquête, l’enquêteuse se penchait sur la possibilité que quelqu’un ait altéré l’examen du demandeur; c’était sur cet enjeu que portait l’enquête, et non sur celui de savoir si une erreur avait été commise dans la notation de l’entrevue du demandeur.

[53]  Le demandeur soutient également que les conclusions de l’enquêteuse sont fondées sur des éléments de preuve pouvant donner à penser que son examen n’a pas été altéré. Toutefois, comme l’enquête n’a pas permis d’établir la raison pour laquelle il n’y avait pas de signature ni d’initiales sur plusieurs pages de l’examen numérisé ni de savoir ce qui est vraiment advenu de la copie papier de l’examen, elle n’a pas permis d’établir que l’examen n’avait pas été altéré. Le demandeur soutient que, à la lumière des éléments de preuve, la conclusion la plus logique est que l’examen a été altéré et qu’il y a eu fraude.

[54]  Un tel argument ne tient pas la route. Il incombe au demandeur d’établir que la décision de la Commission était déraisonnable. Le rapport d’enquête a reconnu qu’il n’a pas été possible d’établir la raison pour laquelle certaines des initiales n’étaient pas en couleur sur la copie numérisée. Toutefois, l’enquêteuse a accepté le témoignage de Mme Futi selon lequel, même si elle n’a pas remarqué cette différence au moment de la numérisation et de l’envoi du document, le document qu’elle a numérisé et envoyé était bel et bien celui qui lui avait été remis. En outre, l’enquêteuse n’a trouvé aucun lien entre les pages où les initiales sont dans l’échelle de gris et les pages où le demandeur prétendait que son examen avait été modifié. Quant à l’absence d’initiales sur certaines pages de la copie de l’examen que Mme Kinsley a noté, Mme Kinsley a affirmé que la copie numérisée n’avait pas été imprimée en couleur. La meilleure hypothèse que l’enquêteuse a pu formuler, c’est que, aux endroits où les initiales avaient été numérisées en couleur, ces initiales et les autres éléments en couleur de la copie numérisée n’ont pas été reproduits lorsque l’examen a été imprimé en noir et blanc pour être noté.

[55]  Même si je conviens avec le demandeur qu’il ne s’agit pas là d’une réponse définitive permettant d’expliquer les divergences, la conclusion de l’enquêteuse, qui s’appuie sur l’ensemble de la preuve dont elle disposait, était raisonnable. L’enquêteuse n’était pas obligée de conclure à une fraude simplement parce qu’elle ne pouvait pas expliquer de façon définitive les différences entre les copies. En outre, même si le demandeur se souvient avoir remis son examen terminé à Mme Barclay, ce n’est pas ce que Mme Futi a affirmé dans le cadre de son témoignage (que l’enquêteuse a jugé crédible). Pour sa part, Mme Barclay avait peu de souvenirs des événements, vu le passage du temps et ses autres responsabilités à l’époque. Toutefois, son ordre du jour mentionne une réunion de 14 h 30 à 15 h le jour de l’examen, réunion à laquelle elle imagine avoir vraisemblablement participé. Bref, l’enquêteuse pouvait accepter le témoignage de Mme Futi. De plus, puisque personne d’autre n’a eu accès à l’examen au cours des 27 minutes en question, l’enquêteuse pouvait conclure que la preuve n’établissait pas que l’examen avait été altéré.

[56]  Sous un autre angle, la tâche de la Cour n’est pas de conclure si l’enquêteuse a correctement établi la raison de telles divergences, mais plutôt d’établir si le demandeur a prouvé que la conclusion de l’enquêteuse selon laquelle sa plainte n’était pas fondée était déraisonnable.

[57]  Dans son affidavit déposé à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur a répété les préoccupations qu’il avait déjà formulées dans sa réponse au rapport factuel relativement à la déclaration de Mme Kinley selon laquelle, après son examen, il avait fait un suivi auprès d’elle au sujet du processus de sélection. Même si le demandeur n’a pas mentionné cette préoccupation dans ses observations écrites, il l’a soulevée durant l’audience. Par conséquent, par souci d’exhaustivité, je souligne que le demandeur a raison de dire que le dossier ne contient aucun élément de preuve selon lequel il aurait fait un suivi auprès de Mme Kinley après son entrevue. Toutefois, durant son témoignage, Mme Kinley a déclaré que le demandeur avait communiqué avec elle par téléphone. Peu importe qui dit vrai, rien dans le rapport d’enquête ne tient à de tels éléments de preuve. En outre, l’impression du demandeur selon lequel le processus était [traduction« anormal » à cet égard ne signifie pas qu’une erreur susceptible de contrôle a été commise et ne rend pas la décision déraisonnable.

[58]  Le demandeur fait également valoir que l’enquêteuse était partiale ou pouvait être perçue comme telle, raison pour laquelle elle a fait une erreur de droit. Le demandeur reproche entre autres à l’enquêteuse d’avoir accepté, sans les remettre en question, l’affirmation de Mme Kinley selon laquelle la copie numérisée de l’examen du demandeur était suffisante et elle n’avait pas besoin des copies papier et électronique originales et son explication de la raison pour laquelle une seule série de notes d’entrevue était notée. Le demandeur prétend que, étant donné que cette situation va à l’encontre de [traduction« la convention, des normes et des politiques » (qu’il n’a pas mentionnées), l’enquêteuse ne pouvait pas faire fi d’une telle irrégularité, ce qui prouve qu’elle était partiale et portée à approuver le comportement du comité d’évaluation. En outre, le demandeur affirme qu’un des documents mentionnés dans le rapport, l’examen numérisé que Mme Futi a envoyé à Mme Barclay, ne figure pas au dossier, ce qui reflète un manque de transparence et crée une perception de partialité.

[59]  Une grande partie des observations du demandeur à ce sujet ne font que répéter les préoccupations qu’il a soulevées précédemment. En outre, l’argument du demandeur quant à la partialité ne tient pas la route. À cet égard, le défendeur soutient qu’une crainte raisonnable de partialité exige la possibilité que le décideur se laissera influencer par des considérations indues afin de favoriser l’une des parties (citant Sara Blake, Administrative Law in Canada, 4e éd. Markham : LexisNexis Canada, 2006, aux pages 101 et 102 (« Blake »)), faisant remarquer que le demandeur n’a pas fait état de telles considérations. J’ajouterais qu’il a été convenu (voir, par exemple, Yukon Francophone School Board, Area Education #23 c Yukon (Procureur général), 2015 CSC 25, au paragraphe 20) que le critère de ce qui constitue une crainte raisonnable de partialité est celui énoncé par le juge de Grandpré, dans la décision Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369, à la page 394 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires [...] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[60]  De plus, un demandeur qui allègue une partialité doit respecter un seuil très élevé. Il doit fournir une « preuve convaincante » démontrant qu’un aspect de la conduite d’un décideur suscite une crainte raisonnable de partialité (R c S. (R.D.), [1997] 3 RCS 484, aux paragraphes 116 et 117). Comme le souligne l’arrêt Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, les allégations de partialité ne peuvent être faites à la légère :

[8] […] Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l’encontre d’un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l’intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme.

[61]   Selon moi, le demandeur n’a pas établi l’existence d’une crainte raisonnable de partialité de la part de l’enquêteuse.

[62]  Enfin, le demandeur soutient que l’enquêteuse a limité son pouvoir discrétionnaire. D’après ce que je comprends de cette observation, le demandeur prétend que l’application et l’interprétation de l’enquêteuse de l’arrêt Seck, qui exige qu’une des personnes ayant participé au processus de nomination ait agi de façon malhonnête, ne sont prescrites ni dans ses lignes directrices administratives [TRADUCTION] « ni dans la jurisprudence citée ». Le demandeur soutient que l’enquêteuse a indûment restreint l’objet de l’enquête en se limitant à établir si Mme Barclay, Mme Futi ou Mme Kinley auraient pu altérer l’examen avant sa transmission à Mme Kinley et en refusant de tenir compte de ses préoccupations au sujet des questions d’entrevue. Le demandeur fait valoir que [TRADUCTION] « par l’établissement d’un seuil absolu dont l’existence n’est pas évidente dans ses politiques, la CFP […] semble arbitrairement abroger le pouvoir qui lui revient en vertu de son mandat ou omettre de l’exercer ». Cependant, le demandeur n’explique pas en quoi cela équivaut à une restriction du pouvoir discrétionnaire qui va à l’encontre du mandat de la CFP, et je ne vois aucune erreur dans l’utilisation et l’application par l’enquêteuse de la définition de fraude énoncée dans l’arrêt Seck.

[63]  De plus, et comme l’affirme le défendeur, il ne s’agit pas d’une situation où un décideur a rendu une politique ou une ligne directrice obligatoire et contraignante ou en a fait une règle absolue plutôt que de la considérer comme une orientation (citant Blake, à la page 98). Je conviens également avec le défendeur que les observations du demandeur, qui reprennent ses préoccupations quant aux initiales sur son examen, au sort de l’examen, au moment où ont eu lieu la numérisation et les envois par courriel de l’examen et à l’évaluation de son examen, ne concernent pas à une restriction du pouvoir discrétionnaire.

[64]  En conclusion, la décision de l’enquêteuse se situe dans les limites des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La conclusion de la Commission selon laquelle la plainte du demandeur était non fondée s’appuie sur le rapport d’enquête est raisonnable.


JUGEMENT dans le dossier T‑322‑18

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé est modifié pour désigner le procureur général du Canada comme le défendeur.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Le défendeur a droit à des dépens, fixés à 750 $, taxes et débours compris.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24jour d’avril 2019.

Claude Leclerc, traducteur


ANNEXE A


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑322‑18

INTITULÉ :

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA, SECTEUR DE LA SURVEILLANCE ET DES ENQUÊTES

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JANVIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE STRICKLAND

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 8 FÉVRIER 2019

COMPARUTIONS :

Brian Doyle

POUR LE DEMANDEUR

Christine Ashcroft

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Brian Doyle

Calgary (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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