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Date : 20190208


Dossier : IMM-2743-18

Référence : 2019 CF 163

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2019

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

JIN LING ZHOU

GUI RONG WEN

JIN HAN ZHUO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], à l’égard de la décision par laquelle l’agente principale de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agente) refusait une demande de résidence permanente présentée par les demandeurs à partir du Canada, dans laquelle ils invoquaient des considérations d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la LIPR.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

II.  CONTEXTE

[3]  Le demandeur Jin Ling Zhuo, son épouse, Gui Rong Wen, et leur fils, Jin Han Zhuo (les demandeurs), sont arrivés au Canada le 23 août 2013. Ils ont présenté une demande d’asile, à laquelle a fait droit la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Les demandeurs alléguaient qu’ils étaient agriculteurs en Chine et qu’ils avaient quitté leur pays en raison de démêlés avec les autorités après qu’ils eurent été expropriés de leur terre.

[4]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, défendeur en l’espèce, a fait appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR), en présentant de nouveaux éléments de preuve qui révélaient des contradictions dans le récit des demandeurs. La SAR a conclu que cette nouvelle preuve minait la crédibilité des demandeurs et elle a accueilli l’appel. La demande d’asile des demandeurs a par conséquent été refusée.

[5]  Les demandeurs ont ensuite présenté une demande fondée sur l’article 25 de la LIPR, dans laquelle ils sollicitaient le statut de résident permanent pour des considérations d’ordre humanitaire. Ils demandent maintenant le contrôle judiciaire de la décision qui a été rendue quant à cette demande.

III.  LA DÉCISION EXAMINÉE

[6]  L’agente a commencé son examen en résumant les conclusions tirées par la SAR. Les nouveaux éléments de preuve que le défendeur avait présentés à la SAR faisaient ressortir des divergences dans la preuve qui avait été présentée à la SPR. Ces divergences apparaissaient dans une demande de visa américain, dans laquelle les demandeurs avaient prétendu exercer un autre travail que celui qu’ils avaient mentionné dans leur demande d’asile au Canada. Les demandeurs ont reconnu que l’information dans la demande de visa était fausse, mais ils ont allégué qu’elle avait été fournie par un tiers, une agence de voyages. La SAR a conclu que cette nouvelle preuve, non contredite, minait la crédibilité des demandeurs et elle a accueilli l’appel.

[7]  Étant donné que les difficultés évoquées par les demandeurs pour l’appréciation des considérations d’ordre humanitaire et les risques qu’ils avaient allégués devant la SAR étaient essentiellement les mêmes, l’agente a accordé un poids considérable aux conclusions de la SAR.

[8]  L’agente a reconnu que les demandeurs étaient des agriculteurs en Chine et elle a mentionné la preuve démontrant les conséquences défavorables de l’expropriation à l’égard des agriculteurs. Cependant, elle a aussi mentionné que la SAR avait conclu au manque de crédibilité des demandeurs sur ce point. L’agente s’est fondée sur l’expérience de travail des demandeurs au Canada et elle a estimé que la preuve était insuffisante pour conclure qu’ils seraient incapables de trouver du travail en Chine. Elle a fait remarquer la capacité des demandeurs à s’adapter à leur nouvelle situation au Canada au cours des cinq dernières années, leur connaissance d’une langue en Chine et de la culture chinoise, de même que la présence de membres de leur famille dans ce pays.

[9]  En ce qui concerne leur établissement au Canada, l’agente a reconnu que les demandeurs ont occupé un emploi au Canada et qu’ils participent activement au sein de la communauté de leur église. Elle a conclu que, bien qu’un tel établissement ne soit pas hors du commun, il s’agissait-là d’éléments favorables pour l’appréciation des considérations d’ordre humanitaire. L’agente a également reconnu que les demandeurs se sont faits des amis au Canada, mais elle a conclu qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve pour affirmer [traduction« que les liens qu’ils ont noués au Canada traduisent une situation d’interdépendance et de besoin », ou que ces liens ne pourraient être entretenus depuis la Chine.

[10]  En fin de compte, l’agente a conclu que l’établissement des demandeurs au Canada ne permettait pas d’infirmer la conclusion selon laquelle ces derniers seront en mesure de s’établir de nouveau en Chine.

IV.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[11]  Les demandeurs ont soulevé les questions suivantes :

  1. Les motifs que l’agente a fournis étaient-ils suffisants pour étayer sa décision de refuser la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire?
  2. L’agente a-t-elle commis une erreur en ce qui a trait à l’établissement des demandeurs au Canada?
  3. L’agente a-t-elle commis une erreur en supposant que les membres de la famille des demandeurs en Chine seraient en mesure de les aider à s’établir de nouveau dans leur pays?
  4. L’agente a-t-elle commis une erreur en faisant siennes les conclusions de la SAR pour refuser la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire?

V.  ANALYSE

A.  Les motifs que l’agente a fournis étaient-ils suffisants pour étayer sa décision de refuser la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire?

[12]  Les demandeurs soutiennent que les motifs fournis par l’agente sont insuffisants, car, sur certains points, elle a simplement énoncé la preuve et fait de vagues inférences générales qui s’apparentent à des raisonnements stéréotypés destinés à prémunir sa décision contre un éventuel contrôle judiciaire. À cet égard, les demandeurs contestent notamment les aspects suivants de la décision de l’agente :

  1. Son appréciation des attaches qu’ont les demandeurs au Canada, y compris l’affirmation selon laquelle il n’existe pas suffisamment de preuve pour affirmer que les liens qu’ils ont noués au Canada traduisent [traduction« une situation d’interdépendance et de besoin ».
  2. Son affirmation selon laquelle les demandeurs [traduction« retourneront dans leur pays d’origine, le pays où ils sont nés et où ils ont reçu leur instruction; un pays dont la langue leur est connue et où se trouvent des membres de leur famille ».
  3. Le fait que ses motifs n’expliquent pas comment elle est arrivée à la conclusion que les demandeurs ne seraient pas sujets à la discrimination à laquelle sont exposés les agriculteurs en Chine, comme le démontre la preuve documentaire.
  4. Le fait que ses motifs n’expliquent pas pourquoi les facteurs favorables à l’octroi d’une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne l’emportent pas sur les facteurs défavorables.

[13]  Bien que les demandeurs reconnaissent que l’insuffisance des motifs de décision ne constitue pas un moyen qui justifie à lui seul le contrôle judiciaire, ils font remarquer que des motifs suffisants sont nécessaires à la justification de la décision ainsi qu’à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, caractéristiques essentielles d’une décision raisonnable. Comme l’a affirmé le juge Donald J. Rennie, lorsqu’il siégeait à la Cour fédérale, dans la décision Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 11, les cours de révision peuvent relier les points sur la page quand les lignes et la direction qu’elles prennent peuvent être facilement discernées, mais elles ne peuvent le faire s’il n’y a pas même de points sur la page.

[14]  Je ne suis pas convaincu que les motifs de l’agente sont insuffisants. Si certains passages de sa décision peuvent présenter quelque similitude avec d’autres décisions traitant de questions analogues, à mon avis, les motifs de l’agente ne contiennent pas le genre d’inférences vagues et générales ou de raisonnements stéréotypés que la Cour a jugé inappropriés dans le passé. Je suis convaincu que l’agente a tenu compte de la preuve propre à la situation des demandeurs et qu’elle n’a pas fondé sa décision sur des généralités. Quant au risque que les demandeurs puissent être exposés à de la discrimination en Chine à titre d’agriculteurs, l’agente s’est dite convaincue que les demandeurs seraient en mesure de trouver du travail dans leur pays et qu’ils ne seraient pas obligés de travailler comme agriculteurs pour subvenir à leurs besoins.

B.  L’agente a-t-elle commis une erreur en ce qui a trait à l’établissement des demandeurs au Canada?

[15]  Les demandeurs font valoir que l’agente a commis une erreur en fondant sa décision en partie sur leur capacité à s’adapter à de nouvelles situations, à de nouvelles cultures, à de nouvelles habitudes de vie ainsi qu’à l’usage d’une nouvelle langue (ce que révèle leur vie au quotidien depuis leur arrivée au Canada) et en concluant qu’ils seraient en mesure de s’établir de nouveau en Chine. Les demandeurs prétendent que ce raisonnement va à l’encontre du principe établi dans la décision Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336.

[16]  Dans cette affaire, la Cour a désapprouvé l’appréciation des considérations d’ordre humanitaire relativement à une demande de résidence permanente, parce que la capacité des demandeurs à s’établir convenablement au Canada indiquait qu’ils seraient également capables de s’établir dans leur pays d’origine. La Cour a conclu qu’il s’agissait d’un raisonnement erroné, car un facteur devant militer pour l’octroi d’une dispense (l’établissement au Canada) avait été invoqué à l’encontre des demandeurs (en l’appliquant de manière à minimiser l’importance de la question des difficultés dans leur pays).

[17]  Je reconnais le principe énoncé dans la décision Lauture et je conviens qu’en appréciant les difficultés auxquelles pourraient faire face les demandeurs lors de leur retour en Chine, l’agente a tenu compte de leurs activités depuis leur arrivée au Canada. Toutefois, je ne suis pas convaincu qu’elle se soit livrée à un raisonnement inadmissible. L’agente n’a pas transformé un facteur par ailleurs favorable en facteur défavorable. En fait, en examinant l’établissement des demandeurs au Canada, elle a reconnu que [traduction« plusieurs éléments témoignent favorablement de leur établissement et de leur intégration dans la société canadienne ». Dans le dernier paragraphe de la décision contestée, l’agente a répété qu’elle accordait un poids favorable à l’établissement et à l’intégration des demandeurs au Canada. Ce poids a cependant été mis en balance avec les conclusions défavorables de la SAR quant à la crédibilité des demandeurs et à leur connaissance de la Chine. À mon avis, même si l’agente a conclu que l’établissement et l’intégration des demandeurs au Canada constituaient un facteur favorable, elle pouvait néanmoins considérer que certaines des compétences qu’ils avaient acquises au Canada pouvaient réduire les difficultés éventuelles lors de leur retour en Chine. L’agente n’a pas apprécié l’établissement des demandeurs de manière erronée « sous l’angle des difficultés », comme c’était le cas dans la décision Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72, au paragraphe 35.

C.  L’agente a-t-elle commis une erreur en supposant que les membres de la famille des demandeurs en Chine seraient en mesure de les aider à s’établir de nouveau dans leur pays?

[18]  Les demandeurs soutiennent que l’agente s’est livrée à des suppositions inadmissibles en concluant qu’ils pourraient compter sur l’aide des membres de leur famille en Chine lorsqu’ils s’y établiraient de nouveau. Ils invoquent la jurisprudence qui traite de la différence entre l’inférence raisonnable et le recours inadmissible à l’hypothèse : Smith c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1194, au paragraphe 49, citant la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Emploi et Immigration) c Satiacum, [1989] ACF no 505 (QL).

[19]  À mon avis, il ne s’agit pas d’un cas où l’agente s’est livrée à des suppositions selon lesquelles des membres de la famille des demandeurs les aideraient. L’agente a plutôt noté l’insuffisance de la preuve pour établir la conclusion contraire, dont le fardeau de la preuve incombait aux demandeurs (démontrer que ces membres de leur famille ne les aideraient pas). Il s’agit là d’une distinction importante qui a été faite dans la décision Regalado c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 540, au paragraphe 15. En l’absence de preuve contraire, il n’était pas déraisonnable pour l’agente de mentionner l’existence de membres de la famille en Chine lorsqu’elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à démontrer qu’ils seraient exposés à des difficultés à leur retour dans leur pays.

D.  L’agente a-t-elle commis une erreur en faisant siennes les conclusions de la SAR pour refuser la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire?

[20]  Les demandeurs soutiennent que l’appréciation des difficultés dans le contexte d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est différente de l’appréciation du risque dans le contexte d’une demande d’asile; l’agente aurait commis une erreur en se fondant sur les conclusions de la SAR et en imposant aux demandeurs le fardeau de les réfuter. Plus particulièrement, ils soutiennent que l’agente aurait dû examiner leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au regard des difficultés auxquelles ils seraient exposés en tant qu’agriculteurs en Chine, plutôt que de se fonder simplement sur l’analyse de la SAR. Les demandeurs font remarquer que l’agente a reconnu le fait qu’ils étaient des agriculteurs en Chine.

[21]  Je ne puis adhérer à cet argument. Premièrement, l’agente a bel et bien compris que l’appréciation des difficultés dans le contexte d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire diffère de l’appréciation des risques dans le contexte d’une demande d’asile. Elle a d’ailleurs consacré une partie de sa décision à ce point précis. Deuxièmement, l’agente a fait remarquer que les demandeurs avaient fait les mêmes affirmations au sujet des difficultés éprouvées en tant qu’agriculteurs en Chine dans leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et devant la SAR. Troisièmement, et c’est ce qui importe le plus, la décision de l’agente était fondée sur le fait que les demandeurs pouvaient trouver un emploi et qu’ils ne seraient donc pas contraints à vivre d’agriculture ni à être exposés à des difficultés en tant qu’agriculteurs.

VI.  CONCLUSION

[22]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire en l’espèce est rejetée.

[23]  Les parties conviennent qu’il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans IMM‑2743‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande en l’espèce est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de mars 2019

Léandre Pelletier‑Pépin


COUR FÉDÉRALE 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER 


DOSSIER :

IMM‑2743‑18

INTITULÉ :

JIN LING ZHOU, GUI RONG WEN, JIN HAN ZHUO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

tORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 17 janvier 2019

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

le juge lOCKE

DATE DES MOTIFS :

le 8 février 2019

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

POUR LEs DEMANDEURs

Prathima Prashad

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Immigration Advocacy, Counsel and Litigation

Barristers and Solicitors

Toronto (Ontario)

POUR LEs DEMANDEURs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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