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Date : 20190131


Dossier : IMM‑1821‑17

Référence : 2019 CF 136

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2019

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

NADIYA MELNYKOVA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  La nature de l’affaire

[1]  Nadiya Melnykova [Mme Melnykova] sollicite le contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], d’une décision en date du 24 avril 2017 par laquelle un agent d’exécution [agent d’exécution] de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] a refusé de reporter son renvoi vers l’Ukraine [la décision de l’ASFC].

[2]  Mme Melnykova a demandé que son renvoi soit reporté en raison de son état de santé, des risques qu’elle court en Ukraine et de facteurs d’ordre humanitaire [CH], notamment que sa demande CH parrainée par son époux est en instance.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

II.  Le contexte factuel

A.  La chronologie des faits

[4]  Mme Melnykova, âgée de 64 ans, est une citoyenne de l’Ukraine qui est arrivée au Canada à titre de visiteur en juillet 2004. Elle a déclaré qu’elle fuyait la violence conjugale que lui faisait subir son ex-époux. En juin 2007, Mme Melnykova a présenté une demande d’asile, qui a été rejetée le 12 mai 2009 parce que la Section de la protection des réfugiés [la SPR] n’a pas jugé que son récit était digne de foi. Sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire n’a pas été accordée.

[5]  Mme Melnykova a ensuite reçu le résultat d’un examen des risques avant renvoi [ERAR] daté du 3 novembre 2010, où il était conclu qu’elle ne s’exposerait pas à un risque de persécution ou de torture, à une menace à sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités si elle retournait en Ukraine. L’agent d’ERAR a pris en considération les allégations de violence conjugale de Mme Melnykova, de même que son état mental. Après avoir examiné la preuve et les documents relatifs à la situation du pays qui accompagnaient la demande, l’agent a conclu que Mme Melnykova n’avait fourni aucune preuve nouvelle à propos du risque sur lequel la SPR s’était déjà prononcée.

[6]  Mme Melnykova a présenté, depuis le Canada, une demande CH, qui a été refusée le 12 février 2014. Il appert du dossier qu’une autre demande CH a été déposée le 2 juin 2015 et refusée le 25 septembre 2015.

[7]  Le 12 juillet 2014, Mme Melnykova a épousé un résident permanent canadien, Mykhaylo Yakymiv, qu’elle a rencontré en 2012 et avec qui elle a commencé à cohabiter en 2013. M. Yakymiv, comme Mme Melnykova, est né en Ukraine. Elle a aussi trois enfants d’âge adulte qui vivent dans ce pays.

[8]  Mme Melnykova aurait présenté une demande CH parrainée par son époux en mai 2016, mais Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC], autrefois Citoyenneté et Immigration Canada [CIC], n’a aucun dossier relatif à cette demande. Mme Melnykova a donc présenté de nouveau sa demande CH parrainée par son époux au cours de l’année 2017. Cette demande était encore en instance à l’époque où la décision de l’ASFC a été rendue. Rien dans la présente demande de contrôle ne dépend de la date exacte de cette demande CH.

[9]  Par lettre en date du 22 novembre 2016, le ministre a demandé à Mme Melnykova de se présenter à un entretien de renvoi le 13 décembre 2016. On lui a ensuite demandé à la fin du mois de décembre et au début du mois de janvier, et ensuite en février, de fournir des documents médicaux et de voyage à jour, ainsi que de se présenter à un entretien au consulat ukrainien.

[10]  Le 13 mars 2017, un avis de convocation a été envoyé à Mme Melnykova pour qu’elle se présente à un entretien le 6 avril 2017, à 8 h 15. Comme elle avait indiqué qu’elle voulait se conformer volontairement à la mesure d’expulsion, on lui a aussi conseillé de réserver son propre billet d’avion et de partir au plus tard le 28 avril 2017.

[11]  Le 5 avril 2017, l’avocate de Mme Melnykova a transmis par télécopieur une demande, initialement datée du 24 mars 2017, dans laquelle elle demandait que la mesure de renvoi soit reportée de trois mois parce qu’elle n’avait eu aucune nouvelle au sujet de la demande parrainée par l’époux déposée en mai 2016.

[12]  Le 6 avril 2017, Mme Melnykova a eu pour instruction de se présenter pour son renvoi le 26 avril 2017 à 19 h, les vols qu’elle devait prendre ayant été organisés à l’avance par le ministre.

B.  Les rapports médicaux et le rapport de la psychothérapeute

[13]  Avec sa demande de report, Mme Melnykova a fourni trois rapports médicaux et le rapport d’une psychothérapeute, dans le but de décrire et de corroborer ses divers problèmes de santé. Les rapports indiquent que divers médicaments lui ont été prescrits. Les détails relatifs à ces rapports sont exposés ci‑après.

(1)  Le rapport de la psychothérapeute

[14]  Dans un rapport en date du 7 avril 2016, la psychothérapeute de Mme Melnykova, Natalie Riback, indique que si cette dernière devait retourner en Ukraine après avoir vécu tant d’années au Canada, ses symptômes de stress physique et psychologique s’aggraveraient considérablement, compte tenu surtout du danger et du risque d’être exposée à nouveau à un traumatisme qui l’attendaient là‑bas, de sorte que son état psychologique et affectif se détériorerait. Elle affirme que ce retour pourrait nuire à l’état mental de Mme Melnykova, compte tenu surtout de son âge et de ses graves pensées autodestructrices.

(2)  Le rapport du DSherman de la Clinique du foie de l’Hôpital général de Toronto

[15]  Le DSherman, gastroentérologue à la Clinique du foie de l’Hôpital général de Toronto, a écrit dans une lettre en date du 23 novembre 2016 adressée au médecin de famille de Mme Melnykova, le DTamari, que cette dernière [traduction] « continu[ait] de bien se porter », malgré sa cirrhose du foie causée par une stéatose hépatique non alcoolique. Il a ajouté qu’à moins de perdre un poids considérable, Mme Melnykova souffrirait de problèmes de foie attribuables soit à une insuffisance hépatique, soit à un carcinome hépatocellulaire. Il recommandait une gastroscopie et indiquait que Mme Melnykova devait subir tous les six mois un test de dépistage du carcinome hépatocellulaire par ultrason.

(3)  Le rapport du médecin de famille

[16]  Dans son rapport daté du 23 janvier 2017, le DTamari indique qu’il a soigné Mme Melnykova pendant un an et qu’elle souffre de multiples problèmes médicaux, dont des problèmes de santé mentale. Il énumère les affections suivantes : cirrhose non alcoolique du foie, hypertension, ostéoarthrite, obésité et diabète sucré (non maîtrisé), de même que plusieurs autres problèmes de santé pour lesquels son état est régulièrement évalué. Il conclut qu’en raison de ses antécédents médicaux complexes, Mme Melnykova ne devrait pas voyager.

[17]  Le DTamari conclut également que le stress causé par la mesure d’expulsion avait provoqué une rechute de l’état dépressif de Mme Melnykova et que celle‑ci prenait de nouveau des antidépresseurs.

(4)  Le rapport du gastroentérologue du Centre de santé St. Joseph

[18]  La gastroscopie que le DSherman avait recommandée a été pratiquée le 15 février 2017 par le DBookman, au Centre de santé St. Joseph. Ce dernier a déterminé que Mme Melnykova souffrait d’une légère gastrite. Il a également conclu qu’il ne serait pas nécessaire de pratiquer une autre gastroscopie avant 2019. Il a recommandé que Mme Melnykova prenne des médicaments deux fois par jour pendant quatre semaines et fasse un suivi annuel à sa clinique.

(5)  Le rapport d’évaluation médicale en vue d’un renvoi

[19]  Après avoir reçu les trois rapports médicaux, le ministre les a envoyés au DDimitri Louvish pour qu’il puisse procéder à une évaluation médicale en vue d’un renvoi.

[20]  Après avoir résumé les trois rapports médicaux, le DLouvish a conclu que Mme Melnykova était médicalement apte à voyager. Il a signalé que des personnes atteintes d’une maladie du foie, de diabète, d’hypertension et d’affections cardiovasculaires /cardiopulmonaires prennent l’avion tous les jours et que la très grande majorité d’entre elles n’ont aucune complication.

[21]  Le DLouvish a déclaré qu’en l’absence de toute preuve médicale objective établissant l’existence d’une pathologie physique ou psychologique aiguë, les symptômes et les antécédents médicaux de Mme Melnykova ne l’empêcheraient pas de prendre l’avion.

(6)  L’absence de réponse de Mme Melnykova

[22]  Le rapport d’évaluation médicale du DLouvish a été envoyé à l’avocate de Mme Melnykova, le 21 avril 2017. Mme Melnykova avait la possibilité d’y répondre avant le 24 avril 2017. Aucune réponse n’a été envoyée et aucune demande de prolongation du délai de réponse n’a été présentée.

[23]  Le 26 avril 2017, la juge McDonald a accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

III.  La décision faisant l’objet du présent contrôle

[24]  Le 24 avril 2017, l’agent d’exécution a rendu la décision de l’ASFC, dans laquelle il a refusé de reporter la mesure de renvoi.

[25]  L’agent d’exécution a tout d’abord indiqué les motifs sur lesquels reposait la demande de report dont la demande CH en instance, les facteurs d’ordre humanitaire, les problèmes médicaux et le risque en cause.

[26]  L’agent d’exécution a ensuite mentionné qu’il était tenu, aux termes du paragraphe 48(2) de la LIPR, d’appliquer la mesure de renvoi « dès que possible » et que, dans ce contexte, le pouvoir discrétionnaire qu’il avait de reporter un renvoi était restreint. Il a déclaré que, même s’il ne lui incombait pas de procéder à une évaluation CH complémentaire, il examinerait quand même les questions que Mme Melnykova avait soulevées.

[27]  L’agent d’exécution a conclu que, dans le cas de Mme Melnykova, un report administratif du renvoi était impossible, car Mme Melnykova était prête au renvoi depuis l’entretien préalable au renvoi qu’elle avait subi en 2010.

[28]  Pour ce qui était des problèmes médicaux, l’agent d’exécution a fait remarquer que des reports pour raisons d’ordre médical avaient déjà été accordés à Mme Melnykova afin que son état puisse se stabiliser. La preuve médicale fournie avec la demande de report a été transmise au DLouvish afin qu’il détermine si Mme Melnykova était [traduction] « médicalement apte à prendre l’avion et à être rapatriée dans son pays d’origine ».

[29]  L’agent d’exécution a ensuite examiné le rapport de la psychothérapeute du 7 avril 2016 et il a conclu que ce document constituait une preuve objective insuffisante que Mme Melnykova souffrait d’une affection diagnostiquée qui obligeait à reporter son renvoi ou qu’il lui serait incapable de bénéficier en Ukraine de services de consultation pour ses besoins psychologiques et affectifs.

[30]  L’agent d’exécution a également examiné un rapport médical portant sur l’état de santé de l’époux de Mme Melnykova, l’établissement de cette dernière au Canada ainsi que les articles et les rapports présentés pour illustrer à la fois les risques et les difficultés auxquels elle s’exposerait si elle retournait en Ukraine. Dans chaque cas, il a conclu que la preuve soumise n’était pas suffisante pour justifier un report.

[31]  L’agent d’exécution a fait remarquer que le risque de préjudice auquel s’exposerait Mme Melnykova de la part de son ex‑époux avait été analysé dans l’ERAR, dans le cadre du processus d’examen de sa demande d’asile ainsi que dans une demande CH.

[32]  L’agent d’exécution a conclu, après avoir examiné l’ensemble de la preuve concernant le risque et les difficultés auxquels la demanderesse serait exposée en cas de renvoi, les articles et les rapports relatifs à l’Ukraine, ainsi que la déclaration de l’avocate – à savoir que les enfants de Mme Melnykova disaient que son ex‑époux l’avait menacée – que cette dernière n’avait pas produit assez de preuves nouvelles et convaincantes qu’elle s’exposerait à une menace à sa vie ou à un risque de torture ou de traitements inusités si elle retournait en Ukraine, et qu’un report n’était pas justifié.

IV.  La question en litige

[33]  La seule question en l’espèce consiste à savoir si la décision de l’ASFC est raisonnable.

[34]  Mme Melnykova fait valoir que l’agent d’exécution a limité son pouvoir discrétionnaire en ne tenant pas compte de certains des risques dont elle a fait état. Elle soutient en fait que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents, ce qui n’est pas une question de limite, mais plutôt une contestation du caractère raisonnable de la décision de l’ASFC.

V.  La norme de contrôle applicable

[35]  Mme Melnykova fait valoir que la norme de contrôle qui s’applique aux conclusions de fait est la décision raisonnable et que celle qui s’applique aux questions mixtes de fait et de droit ainsi qu’aux questions de droit est la décision correcte, qui n’appelle aucune déférence. À l’appui de cette dernière proposition, l’avocate de Mme Melnykova a invoqué plusieurs décisions qui sont toutes antérieures, d’au moins 10 ans, à l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir].

[36]  Bien que le ministre ne traite pas directement de la question, je suis persuadée que la norme de contrôle qui s’applique à la décision d’un agent d’exécution de ne pas reporter un renvoi est celle de la décision raisonnable, car elle fait intervenir soit l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire soit l’application aux faits du libellé de l’article 48 de la LIPR : Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, au paragraphe 43; (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Shpati, 2011 CAF 286, au paragraphe 27.

[37]  Le caractère raisonnable d’une décision tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

[38]  Les motifs, lus dans leur ensemble « répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16 [Nfld Nurses].

[39]  L’agent d’exécution, agissant à titre de tribunal administratif, n’est pas tenu d’examiner et de commenter dans ses motifs la moindre question que soulèvent les parties. Pour la cour de révision, la question consiste à savoir si la décision, considérée dans son ensemble et à la lumière du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, au paragraphe 3.

VI.  Analyse

A.  Le pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution qui examine une demande de report

[40]  Le pouvoir discrétionnaire de reporter un renvoi dont dispose l’agent d’exécution exige du demandeur qu’il démontre que, si le report demandé ne lui est pas accordé, il sera exposé à un risque de mort, à une peine excessive ou à un traitement inhumain. Il a aussi été conclu que, à moins qu’il n’existe des considérations spéciales, une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne justifie un report que si elle est fondée sur une menace pour la sécurité personnelle : Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 51.

[41]  L’agent d’exécution qui est saisi d’une preuve établissant l’existence d’un nouveau risque – postérieur à l’ERAR – auquel s’expose un demandeur, est tenu dans ce cas d’examiner si cette preuve justifie de reporter le renvoi : Atawnah c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 144, au paragraphe 14. En l’espèce, l’agent d’exécution n’a pas été saisi d’une telle preuve, mais il a néanmoins tenu compte des risques soulevés par Mme Melnykova.

[42]  Dans l’ensemble, l’agent d’exécution jouit d’un pouvoir discrétionnaire très restreint. Ce pouvoir se limite au moment où une mesure de renvoi sera exécutée. À cette fin, l’agent chargé du renvoi peut prendre en considération divers facteurs, dont la maladie, d’autres obstacles à un voyage ainsi qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qui a été déposée dans les délais prescrits, mais qui n’a pas encore été tranchée en raison des retards du système : Simoes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000) 7 Imm LR (3d) 141 [Simoes], au paragraphe 12.

B.  Les observations que Mme Melnykova a présentées à l’agent d’exécution

[43]  Dans les observations présentées à l’agent d’exécution, on a invoqué les motifs suivants pour reporter le renvoi de Mme Melnykova :

  • - sa demande CH, en instance, parrainée par son époux;

  • - son état de santé.

(1)  Les motifs liés à la demande CH

[44]  L’argument selon lequel l’agent d’exécution n’a pas examiné la demande CH en instance de manière appropriée et raisonnable est sans fondement.

[45]  Au soutien des motifs liés à cette demande, l’agent d’exécution a obtenu la preuve que Mme Melnykova avait déposé une demande parrainée par son conjoint en mai 2016 et en mars 2017. L’agent a fait remarquer que la demande datée de mars 2017 avait été renvoyée à l’avocate, car il y manquait de nombreux renseignements.

[46]  L’agent a indiqué qu’aux termes de l’article 50 de la LIPR, une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas un obstacle à un renvoi et qu’aucune preuve n’a été présentée pour indiquer qu’une demande parrainée par le conjoint ne pouvait pas être présentée depuis l’étranger. Il a conclu qu’en raison de la date à laquelle la demande avait été présentée et du délai de traitement probable, une décision sur la demande n’était pas imminente.

[47]  Il n’y avait aucune preuve quant aux retards du système de traitement des demandes CH. L’agent d’exécution a conclu raisonnablement que la demande CH en instance ne justifiait pas de reporter le renvoi de Mme Melnykova. Cette conclusion concorde avec la décision Simoes.

[48]  Les seuls éléments de preuve susceptibles d’être analysés en détail sont la preuve médicale et les autres documents qui ont été produits à l’appui de cette dernière.

(2)  Les motifs d’ordre médical

[49]  Les rapports des trois médecins étayaient les motifs liés à l’état de santé. Bien que l’avocate ait indiqué qu’il y avait deux rapports du DTamari, l’un d’eux avait été rédigé par le DSherman à l’attention du DTamari. Le troisième rapport qui figure au dossier certifié du tribunal venait du DBookman, qui répondait au DSherman au sujet d’une gastroscopie. L’agent d’exécution a transmis les trois rapports médicaux au DLouvish pour qu’il procède à une évaluation du cas de Mme Melnykova.

[50]  Outre les rapports des médecins, l’agent d’exécution a reçu le rapport de la psychothérapeute ainsi que des copies de diverses ordonnances délivrées à Mme Melnykova.

[51]  Mme Melnykova et son époux ont tous deux présenté des affidavits, de même que quatre articles de presse publiés en ligne et traitant des soins de santé en Ukraine, dont deux portant sur les soins de santé destinés aux femmes d’âge mûr.

C.  L’agent d’exécution a‑t‑il examiné raisonnablement le risque que courait Mme Melnykova?

(1)  Les rapports du DLouvish et du DTamari

[52]  La principale question que soulève Mme Melnykova est que l’agent d’exécution était tenu de prendre en considération le risque généralisé auquel elle s’exposait et qu’il ne l’a pas fait. Cet agent, allègue-t-elle, a le pouvoir discrétionnaire de reporter un renvoi dans des circonstances exceptionnelles, dont l’état de santé de la personne concernée. Autrement dit, l’évaluation doit englober plus que le simple voyage de la personne. Elle dit qu’en se fondant sur le rapport du DLouvish, l’agent d’exécution a commis une erreur, car il n’a évalué que son aptitude à voyager.

[53]  Au contraire, la décision de l’ASFC indique clairement que l’agent d’exécution a porté son attention et s’est fondé sur nettement plus que le rapport du DLouvish pour évaluer le risque auquel s’exposait Mme Melnykova, tant de manière générale que sur le plan des soins de santé dont elle bénéficierait. La décision de l’ASFC traite du rapport de la psychothérapeute, ainsi que des documents relatifs à la situation en Ukraine, qui portent précisément sur la santé mentale et, de façon générale, sur les soins de santé dans ce pays.

[54]  L’agent d’exécution a conclu que certains de ces articles étaient anciens et que d’autres faisaient référence à la situation dans l’Est de l’Ukraine, tandis que Mme Melnykova est originaire de l’Ouest du pays. Par‑dessus tout, l’agent a conclu que cette dernière n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’elle n’aurait pas accès à des soins médicaux en Ukraine.

[55]  Le DLouvish a examiné et commenté la totalité des rapports médicaux qui lui ont été présentés, dans le cadre de son travail d’évaluation médicale de Mme Melnykova en vue de son renvoi. Il ne s’est pas limité à l’aptitude de Mme Melnykova à voyager. Il ne s’agissait là que d’un seul aspect de son rapport.

[56]  L’avant-dernier paragraphe du rapport du 23 janvier 2017 du DTamari indique ceci : [traduction] « En raison de ses antécédents complexes, ainsi que du risque d’autres complications médicales [Mme Melnykova] ne devrait pas voyager et elle devrait rester au Canada pour recevoir les soins de santé dont elle a besoin » [Non souligné dans l’original.], Il ne s’agit pas là d’un énoncé définitif au sujet de la fragilité de Mme Melnykova ou de son aptitude à voyager; il s’agit essentiellement de l’indication d’une préférence pour le système des soins de santé canadien.

[57]  Il incombait au DLouvish de prendre en compte la déclaration du DTamari dans le cadre de son propre examen médical et de sa propre évaluation. Après avoir examiné cette déclaration ainsi que les autres rapports médicaux, le DLouvish a conclu que Mme Melnykova était apte à voyager.

[58]  Cette conclusion n’a pas été tirée dans l’abstrait. Le DLouvish a énoncé les points principaux de chaque rapport médical et il a fait remarquer qu’il n’y avait aucun renseignement médical objectif, comme des résultats d’examen physique, d’imagerie diagnostique ou de tests sanguins qui montreraient que Mme Melnykova présentait des complications aiguës cliniquement importantes qui l’empêcheraient de voyager. Dans son rapport, le DLouvish a donné des exemples de plusieurs complications possibles dont il n’était pas fait mention dans les rapports qui lui avaient été présentés.

[59]  Au sujet de la maladie du foie de Mme Melnykova, le DLouvish a fait remarquer que le DSherman avait signalé que Mme Melnykova [traduction] « continu[ait] de bien se porter ». Pour ce qui était de son état mental, le DLouvish a mentionné qu’il n’y avait aucune preuve médicale objective récente, comme un rapport d’examen de santé mentale, qui indiquait que Mme Melnykova devait être admise et soignée dans l’unité psychiatrique d’un hôpital parce qu’elle présentait un risque pour elle-même.

[60]  Toutefois, la décision n’appartenait pas au DLouvish, pas plus que ce dernier n’avait en main les autres éléments de preuve, dont le rapport de la psychothérapeute. Il a indiqué dans son rapport que les affections médicales aiguës ou avancées et cliniquement instables sont celles qui présentent un risque de complication par suite d’un voyage en avion. L’agent d’exécution a ensuite examiné de façon indépendante les divers rapports médicaux et le rapport de la psychothérapeute dans le contexte du renvoi imminent, par avion, de Mme Melnykova vers l’Ukraine.

[61]  Si le DLouvish avait déterminé que Mme Melnykova s’exposait à un risque imminent si on la renvoyait par avion et que l’agent d’exécution avait fait abstraction de cette conclusion, il serait juste de dire que cet agent n’a pas tenu compte de son état de santé. Après avoir reçu, examiné et accepté le rapport du DLouvish, l’agent d’exécution a examiné en détail l’état de santé de Mme Melnykova du point de vue médical, car il avait également reçu et examiné les rapports médicaux que commentait le DLouvish.

(2)  Le rapport de la psychothérapeute, Mme Riback

[62]  L’agent d’exécution a pris en considération le rapport de Mme Riback, qui semble ne pas avoir été transmis au DLouvish. Il a examiné ce rapport et noté que Mme Riback n’était pas « membre d’une profession de la santé réglementée », au sens de la Loi de 1991 sur les professions de la santé réglementées, LO 1991, c 18 [la LPSR]. C’est vraisemblablement pour cette raison que son rapport n’a pas été transmis au DLouvish, car la tâche de ce dernier consistait à examiner les rapports médicaux et à se former une opinion médicale sur l’aptitude de Mme Melnykova à voyager en avion.

[63]  L’avocate soutient que l’agent d’exécution a commis une erreur en disant que Mme Riback n’était pas « membre d’une profession de la santé réglementée », car elle est assujettie autant à la LPSR qu’à la Loi de 2007 sur les psychothérapeutes, LO 2007, c 10, Ann R. Cependant, à l’époque où Mme Riback a établi son rapport, soit en 2016, et où la décision de l’ASFC a été rendue, soit en avril 2017, la déclaration de l’agent d’exécution était exacte : la loi n’a été modifiée de manière à assujettir les psychothérapeutes à la LPSR que le 30 décembre 2017, à la fin d’une période de transition de deux ans.

[64]  L’agent d’exécution a conclu de manière raisonnable que, à l’époque où elle avait produit son rapport, Mme Riback n’était pas membre d’une profession de la santé réglementée et n’était pas autorisée à poser un diagnostic médical.

[65]  Cela laissait à l’agent d’exécution les points de vue médicaux opposés du DTamari et du DLouvish.

(3)  L’agent d’exécution a évalué raisonnablement le risque auquel s’exposait Mme Melnykova

[66]  Le rapport du DTamari, daté du 23 janvier 2017, mentionne que le stress causé par l’expulsion imminente avait provoqué une rechute de l’état dépressif de Mme Melnykova et que celle-ci avait commencé à prendre de nouveau des antidépresseurs. Cependant, son rapport ne fait référence à aucune idée suicidaire actuelle. Il indique seulement que Mme Melnykova [traduction] « ne devrait pas voyager et elle devrait rester au Canada pour recevoir les soins de santé dont elle a besoin ». Il ne s’agit pas là d’une opinion selon laquelle Mme Melnykova ne peut pas, ou ne devrait pas, voyager à cause de son état. Cela ne veut pas dire non plus que Mme Melnykova ne peut pas être soignée en Ukraine.

[67]  Le rapport du DLouvish, daté du 1er mars 2017, fait état de la nature chronique (à long terme) des affections de Mme Melnykova et il conclut à l’absence de complications aiguës (à court terme ou subites) qui empêcheraient cette dernière de prendre l’avion. Comme je l’ai déjà mentionné, le DLouvish a signalé aussi les commentaires du DTamari à propos de l’état dépressif de Mme Melnykova et il a conclu qu’aucun rapport médical n’attestait qu’il était nécessaire de l’admettre à l’hôpital et de lui faire subir des traitements psychiatriques en raison d’un risque pour elle-même ou pour autrui.

[68]  Compte tenu de ces deux opinions médicales opposées de la part de professionnels qualifiés pour poser un diagnostic, le fait que l’agent d’exécution ait privilégié le rapport du DLouvish faisait partie des issues acceptables possibles.

[69]  Pour justifier l’inquiétude qu’elle avait à propos des soins de santé dispensés en Ukraine, Mme Melnykova a présenté trois articles à l’agent d’exécution. Le premier datait de deux ans et portait principalement sur les problèmes des personnes âgées déplacées à l’intérieur de l’Ukraine et vivant dans l’Est du pays. Le directeur des services sociaux de Sloviansk, dans l’Est de l’Ukraine, déclarait qu’ils avaient besoin de plus de médicaments contre le diabète et l’hypertension (en lien avec l’afflux de personnes déplacées). Il déclarait aussi qu’ils [traduction] « offraient aux gens des billets de train gratuits pour se rendre à l’Ouest et alléger les pressions exercées sur les services ». Après avoir lu cet article, j’ai conclu qu’il était raisonnable de la part de l’agent de ne pas en avoir tenu compte, car il était ancien et concernait exclusivement l’Est de l’Ukraine.

[70]  Le deuxième article datait lui aussi de deux ans et portait principalement sur les aspects économiques du régime médical ukrainien. Qimiao Fan, directeur responsable du Bélarus, de la Moldavie et de l’Ukraine à la Banque mondiale, y faisait remarquer que les Ukrainiens ont une espérance de vie plus courte que les autres Européens, qu’environ 80 % des décès additionnels surviennent dans le groupe d’âge de 15 à 60 ans et qu’environ 85 % des décès qui sont survenus en 2012 en Ukraine étaient liés à une maladie cardiovasculaire, au cancer et à des causes externes. L’article ajoute qu’il ne s’agit pas d’un problème d’accessibilité matérielle, car l’Ukraine compte environ 40 % plus de lits d’hôpital que la moyenne de l’Union européenne. Ce sont plutôt l’inefficacité sur le plan de l’affectation et de l’utilisation des ressources, ainsi que le manque d’investissements et la corruption endémique qui constituent le problème. L’article se concentre ensuite sur les changements économiques, réglementaires et gestionnels qui, prône l’auteur, devraient être apportés et il indique que la Banque mondiale a consenti à l’Ukraine un prêt de 215 millions de dollars [US] pour l’aider à améliorer le secteur des soins de santé.

[71]  Après avoir lu cet article, j’estime qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure que ce document ne permettait pas d’établir que Mme Melnykova ne pourrait pas recevoir en Ukraine les soins et les médicaments dont elle aurait besoin pour les affections dont elle souffre.

[72]  Le dernier article n’est pas daté et fait un survol du régime de soins de santé existant en Ukraine à l’intention des personnes qui envisagent de voyager en Europe. Bien que cet article semble considérer que ce régime se trouve [traduction] « en piteux état » par rapport aux régimes médicaux occidentaux, il ne fournit pas de sources d’information sur la manière dont on est arrivé à cette conclusion. Il mentionne aussi toutefois qu’il existe un régime de soins de santé financé par l’État et que les [traduction] « chômeurs, les vieillards pensionnés et les personnes bénéficiant de prestations de maladie de longue durée » sont en mesure de payer des cotisations réduites au régime, comparativement aux personnes qui exercent un emploi.

[73]  Vu la teneur de l’article et l’absence de sources secondaires, il était raisonnable de la part de l’agent d’exécution de conclure qu’il s’agissait d’une preuve insuffisante que Mme Melnykova serait incapable de recevoir des traitements en Ukraine.

[74]  Tout en gardant à l’esprit que le pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 48 de la LIPR à l’agent d’exécution est très restreint, j’estime qu’il ressort clairement de la décision de l’ASFC et de mon examen du dossier sous-jacent que la conclusion que l’agent d’exécution a tirée, à savoir qu’il n’était pas justifié de reporter l’exécution de la mesure de renvoi, est raisonnable.

[75]  Pour ces motifs, la demande est rejetée.

[76]  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1821‑17

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Au vu des faits de l’espèce, il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour d’avril 2019.

Édith Malo, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1821‑17

 

INTITULÉ :

NADIYA MELNYKOVA c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 FÉVRIER 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 JANVIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Oluwakemi Oduwole

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Prathima Prashad

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Topmarké Attorneys LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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