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Date : 20190102


Dossier : T‑1978‑16

Référence : 2019 CF 5

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

ELANCO, UNE DIVISION D’ELI LILLY CANADA INC.

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse, Elanco, une division d’Eli Lilly Canada Inc. (Elanco), en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, à l’encontre de la décision (la décision) communiquée par lettre le 17 octobre 2016 au nom du défendeur, le ministre de la Santé (le ministre), refusant d’inscrire le brevet canadien no 2 812 704 (le brevet 704) au Registre des brevets tenu conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, (le Règlement AC) et au Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870.

[2]  Le brevet 704 a été présenté dans une liste de brevets déposée conformément au Règlement AC et au Règlement sur les aliments et drogues concernant une solution sous‑cutanée de 15 mg du produit médicamenteux vétérinaire pegbovigrastim d’Elanco, soit IMRESTOR (le produit IMRESTOR).

[3]  Le ministre refuse d’inscrire le brevet 704 au Registre des brevets, parce qu’il est d’avis que la date de dépôt de la présentation de drogue nouvelle d’Elanco est antérieure à la date de dépôt de la demande de brevet, ce qui est contraire aux exigences en matière de délais prévues au paragraphe 4(6) du Règlement AC. La question à trancher en l’espèce est de savoir si le ministre a commis une erreur en considérant que la présentation de drogue nouvelle d’Elanco a effectivement été déposée au moment de sa réception par Santé Canada, malgré le fait qu’elle ne contenait aucun renseignement ou matériel essentiel permettant au ministre d’apprécier la sécurité et l’efficacité de la drogue nouvelle.

[4]  Elanco sollicite a) une ordonnance déclarant que le brevet 704 est admissible à l’adjonction au Registre des brevets concernant le produit IMRESTOR; b) une ordonnance annulant la décision du ministre; c) une ordonnance enjoignant au ministre d’ajouter le brevet 704 au Registre des brevets concernant le produit IMRESTOR, avec effet à compter du jour où la liste de brevets (Formulaire IV) a été présentée ou, subsidiairement, à compter de la date de réception ou, subsidiairement encore, à compter de la date appropriée déterminée par la Cour.

[5]  Pour les motifs qui suivent, je ne vois aucune raison d’intervenir dans la décision du ministre de refuser d’inscrire le brevet d’Elanco. Par conséquent, la demande est rejetée avec dépens.

I.  Le cadre réglementaire

[6]  Les présentations de drogues vétérinaires non biologiques sont approuvées au moyen d’un avis de conformité (AC), conformément au paragraphe C.08.002(1) du Règlement sur les aliments et drogues. Ce paragraphe prévoit qu’il est interdit de vendre une drogue nouvelle, à moins que le fabricant n’ait déposé, relativement à celle‑ci, une présentation de drogue nouvelle (PDN) auprès du ministre que celui‑ci juge acceptable, et qu’un AC ne soit délivré au fabricant :

C.08.002 (1) Il est interdit de vendre ou d’annoncer une drogue nouvelle, à moins que les conditions suivantes ne soient réunies :

a) le fabricant de la drogue nouvelle a, relativement à celle‑ci, déposé auprès du ministre une présentation de drogue nouvelle, une présentation de drogue nouvelle pour usage exceptionnel, une présentation abrégée de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle pour usage exceptionnel que celui‑ci juge acceptable;

b) le ministre a délivré au fabricant de la drogue nouvelle, en application des articles C.08.004 ou C.08.004.01, un avis de conformité relativement à la présentation;

c) l’avis de conformité relatif à la présentation n’a pas été suspendu aux termes de l’article C.08.006.

C.08.002 (1) No person shall sell or advertise a new drug unless

(a) the manufacturer of the new drug has filed with the Minister a new drug submission, an extraordinary use new drug submission, an abbreviated new drug submission or an abbreviated extraordinary use new drug submission relating to the new drug that is satisfactory to the Minister;

(b) the Minister has issued, under section C.08.004 or C.08.004.01, a notice of compliance to the manufacturer of the new drug in respect of the submission; and

(c) the notice of compliance in respect of the submission has not been suspended under section C.08.006.

[7]  Afin d’obtenir un AC, un fabricant doit déposer une présentation de drogue conformément au titre 8 de la partie C du Règlement sur les aliments et drogues et, dans certains cas, il doit satisfaire aux exigences du Règlement AC. Le paragraphe C.08.002(2) énonce ainsi les renseignements et le matériel que doit contenir une présentation :

C.08.002 (2) La présentation de drogue nouvelle doit contenir suffisamment de renseignements et de matériel pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle, notamment :

a) une description de la drogue nouvelle et une mention de son nom propre ou, à défaut, de son nom usuel;

b) une mention de la marque nominative de la drogue nouvelle ou du nom ou code d’identification projeté pour celle‑ci;

c) la liste quantitative des ingrédients de la drogue nouvelle et les spécifications relatives à chaque ingrédient;

d) la description des installations et de l’équipement à utiliser pour la fabrication, la préparation et l’emballage de la drogue nouvelle;

e) des précisions sur la méthode de fabrication et les mécanismes de contrôle à appliquer pour la fabrication, la préparation et l’emballage de la drogue nouvelle;

f) le détail des épreuves qui doivent être effectuées pour contrôler l’activité, la pureté, la stabilité et l’innocuité de la drogue nouvelle;

g) les rapports détaillés des épreuves effectuées en vue d’établir l’innocuité de la drogue nouvelle, aux fins et selon le mode d’emploi recommandés;

h) des preuves substantielles de l’efficacité clinique de la drogue nouvelle aux fins et selon le mode d’emploi recommandés;

i) la déclaration des noms et titres professionnels de tous les chercheurs à qui la drogue nouvelle a été vendue;

j) dans le cas d’une drogue nouvelle pour usage vétérinaire, une esquisse de toute étiquette à utiliser relativement à la drogue nouvelle, y compris tout dépliant d’accompagnement et toute documentation supplémentaire sur l’emploi de la drogue nouvelle qui est fournie sur demande;

j.1) dans le cas d’une drogue nouvelle pour usage humain […]

k) la déclaration de toutes les recommandations qui doivent être faites dans la réclame pour la drogue nouvelle, au sujet

(i) de la voie d’administration recommandée pour la drogue nouvelle,

(ii) de la posologie proposée pour la drogue nouvelle,

(iii) des propriétés attribuées à la drogue nouvelle,

(iv) des contre‑indications et les effets secondaires de la drogue nouvelle;

l) la description de la forme posologique proposée pour la vente de la drogue nouvelle;

m) les éléments de preuve établissant que les lots d’essai de la drogue nouvelle ayant servi aux études menées dans le cadre de la présentation ont été fabriqués et contrôlés d’une manière représentative de la production destinée au commerce;

n) dans le cas d’une drogue nouvelle destinée à être administrée à des animaux producteurs de denrées alimentaires, le délai d’attente applicable;

o) dans le cas d’une drogue nouvelle pour usage humain […]

C.08.002 (2) A new drug submission shall contain sufficient information and material to enable the Minister to assess the safety and effectiveness of the new drug, including the following:

(a) a description of the new drug and a statement of its proper name or its common name if there is no proper name;

(b) a statement of the brand name of the new drug or the identifying name or code proposed for the new drug;

(c) a list of the ingredients of the new drug, stated quantitatively, and the specifications for each of those ingredients;

(d) a description of the plant and equipment to be used in the manufacture, preparation and packaging of the new drug;

(e) details of the method of manufacture and the controls to be used in the manufacture, preparation and packaging of the new drug;

(f) details of the tests to be applied to control the potency, purity, stability and safety of the new drug;

(g) detailed reports of the tests made to establish the safety of the new drug for the purpose and under the conditions of use recommended;

(h) substantial evidence of the clinical effectiveness of the new drug for the purpose and under the conditions of use recommended;

(i) a statement of the names and qualifications of all the investigators to whom the new drug has been sold;

(j) in the case of a new drug for veterinary use, a draft of every label to be used in connection with the new drug, including any package insert and any document that is provided on request and that sets out supplementary information on the use of the new drug;

 

(j.1) in the case of a new drug for human use…

(k) a statement of all the representations to be made for the promotion of the new drug respecting

(i) the recommended route of administration of the new drug,

(ii) the proposed dosage of the new drug,

(iii) the claims to be made for the new drug, and

(iv) the contra‑indications and side effects of the new drug;

(l) a description of the dosage form in which it is proposed that the new drug be sold;

(m) evidence that all test batches of the new drug used in any studies conducted in connection with the submission were manufactured and controlled in a manner that is representative of market production

(n) in the case of a new drug intended for administration to food‑producing animals, the withdrawal period of the new drug; and

(o) in the case of a new drug for human use…

 

[8]  Une présentation contient habituellement une quantité appréciable de renseignements qui constituent le fondement sur lequel une drogue est approuvée initialement en vue de sa vente sur le marché canadien. En plus de déposer une PDN, un fabricant continuera habituellement de déposer des renseignements sur une drogue. Des modifications importantes apportées à la drogue même ou aux renseignements concernant la drogue contenus dans la PDN se font au moyen d’un supplément à la PDN, conformément à l’article C.08.003 du Règlement sur les aliments et drogues.

[9]  L’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues énonce que, sous réserve de l’article C.08.004.1, après avoir terminé l’examen d’une PDN, d’une présentation abrégée de drogue nouvelle ou d’un supplément à l’une de ces présentations, le ministre délivre un AC si la présentation ou le supplément est conforme aux articles C.08.002, C.08.002.1 ou C.08.003. Si la présentation ou le supplément n’est pas conforme, le ministre en informe le fabricant.

[10]  Un fabricant qui dépose une PDN ou un supplément à la PDN peut également présenter au ministre un brevet aux fins d’inscription au Registre des brevets de Santé Canada, à savoir une liste alphabétique des ingrédients médicamenteux et les brevets y afférents, les dates d’expiration des brevets et d’autres renseignements pertinents tenus par le ministre, en déposant un Formulaire IV: Liste de brevets, conformément aux exigences énoncées à l’article 4 du Règlement AC.

[11]  Le paragraphe 4(5) du Règlement AC dispose que, sous réserve du paragraphe 4(6), la première personne qui présente une liste de brevets doit le faire au moment du dépôt de la PDN ou du supplément à une PDN qui s’y rattachent. Lorsque la date de dépôt de la PDN a lieu entre la date de dépôt de la demande de brevet et la date de délivrance du brevet, le paragraphe 4(6) dispose que la première personne peut présenter une liste de brevet aux fins d’inclusion au Registre des brevets dans les trente jours suivant la délivrance du brevet, à condition que la date de dépôt de la demande de brevet au Canada soit antérieure à celle de la PDN ou du supplément. Le paragraphe 4(6) dispose :

4 (6) La première personne peut, après la date de dépôt de la présentation de drogue nouvelle ou du supplément à une présentation de drogue nouvelle et dans les trente jours suivant la délivrance d’un brevet faite au titre d’une demande de brevet dont la date de dépôt au Canada est antérieure à celle de la présentation ou du supplément, présenter une liste de brevets, à l’égard de cette présentation ou de ce supplément, qui contient les renseignements visés au paragraphe (4).

4 (6) A first person may, after the date of filing of a new drug submission or a supplement to a new drug submission, and within 30 days after the issuance of a patent that was issued on the basis of an application that has a filing date in Canada that precedes the date of filing of the submission or supplement, submit a patent list, including the information referred to in subsection (4), in relation to the submission or supplement.


[12]  Le raisonnement concernant l’exigence en matière de délais figure dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) qui a accompagné les modifications apportées au Règlement AC le 5 octobre 2006 :

L’exigence relative au délai, selon laquelle la date de dépôt de la demande de brevet doit précéder celle de la demande d’avis de conformité correspondante, a pour but de promouvoir un lien temporel entre l’invention que l’on cherche à protéger et le produit

visé par la demande d’approbation. Ceci permet de faire en sorte que les brevets qui concernent des inventions dont la découverte a été postérieure à l’existence d’un médicament n’empêchent pas l’arrivée sur le marché de versions génériques de ce même médicament. […]

[13]  Lorsqu’il apprécie la conformité avec les exigences en matière de délais prévues à l’article 4 du Règlement AC, le Bureau des médicaments brevetés et de la liaison (le BMBL) se fonde sur la date à laquelle une demande de brevet a été déposée au Canada, conformément à ce qui est indiqué à la section 3.2.1 du document d’orientation de Santé Canada intitulé Ligne directrice : Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (Date de révision : 2010/03/01) :

[traduction]

Date de dépôt de la demande ou du supplément : renvoie à la date attribuée à la présentation une fois qu’elle est reçue par Santé Canada, à condition qu’elle soit jugée complète du point de vue administratif (c’est‑à‑dire, une fois que tous les critères et formulaires de présentation nécessaires au traitement sont terminés et présentés à Santé Canada). Dans l’éventualité où la présentation est considérée comme incomplète du point de vue administratif, la date de dépôt sera la date à laquelle ces lacunes seront corrigées. Par conséquent, la date de dépôt peut différer de la date de réception initiale si la présentation est jugée incomplète du point de vue administratif.

[14]  S’il est jugé qu’un brevet satisfait aux exigences en matière d’admissibilité énoncées à l’article 4 du Règlement AC, il sera adjoint au Registre des brevets au moment de la délivrance de l’AC pour la présentation correspondante. Dans les cas où un AC a déjà été délivré, les brevets adjoints au Registre des brevets le seront à la date de la décision définitive quant à l’admissibilité.

[15]  Une « seconde personne », habituellement un fabricant de médicaments génériques qui sollicite un AC fondé sur une présentation qui compare, directement ou indirectement, la drogue d’une première personne, ou qui y fait renvoi, doit tenir compte des brevets inscrits dans le Registre des brevets concernant cette drogue, conformément à l’article 5 du Règlement AC avant qu’un AC ne puisse être délivré.

II.  Les faits

[16]  Les faits qui sous‑tendent la présente procédure ne sont pas, pour la plupart, contestés.

A.  Le produit IMRESTOR

[17]  Le produit IMRESTOR est actuellement commercialisé avec une indication pour la diminution de l’incidence de mammite clinique dans les 30 premiers jours de lactation chez les vaches laitières et les génisses de remplacement. Le produit est une solution contenant du pegbovigrastim (facteur de stimulation des granulocytes bovins pégylé) que les vétérinaires doivent administrer par voie sous‑cutanée pour restaurer la fonction immunitaire, surtout pendant la période critique autour du vêlage, lorsque le système immunitaire de la vache laitière est affaibli. Le produit permet de rétablir la fonction immunitaire et d’accroître le nombre de neutrophiles qui combattent les bactéries, réduisant ainsi significativement l’incidence de mammite clinique.

B.  Le brevet 704

[18]  Le brevet 704 contient des revendications visant une formulation contenant du pegbovigrastim et des revendications concernant l’utilisation de la formulation. Ces revendications ont trait à la formulation et à l’utilisation approuvées dans la PDN de pegbovigrastim IMRESTOR.

C.  Chronologie des événements qui ont mené à la décision

[19]  Lors d’une réunion avec la Direction des médicaments vétérinaires (DMV) en mars 2011, il a été convenu qu’Elanco pouvait participer à un processus de présentation continu ou progressif afin de permettre à Santé Canada et à la Food and Drug Administration (FDA) des États‑Unis d’examiner simultanément son produit dans le cadre de l’initiative du Conseil États‑Unis‑Canada de coopération en matière de réglementation (CCR). Le calendrier proposé pour présenter les données devait s’aligner sur celui de la présentation des renseignements au Centre des médicaments vétérinaires de la FDA. La DMV a accepté la proposition d’Elanco.

[20]  Le 21 juin 2011, Elanco a présenté une PDN vétérinaire aux fins d’approbation d’une solution de 15 mg de pegbovigrastim pour administration par voie sous‑cutanée sous l’appellation commerciale IMRESTOR. La PDN comptait trois (3) formulaires (le formulaire de présentation de médicament, les certifications de la présentation et le formulaire du coût d’évaluation de la présentation de médicament vétérinaire), lesquels comprenaient le nom du fabricant ou du promoteur, l’ingrédient médicamenteux, la concentration, la forme posologique et la voie d’administration du médicament, ainsi que certaines données initiales sur la salubrité des aliments destinés à la consommation humaine qui avaient été présentées à la FDA. Il est communément admis que certains renseignements de fond requis pour satisfaire aux exigences prévues au paragraphe C.08.002(2) du Règlement sur les aliments et drogues n’avaient pas été fournis à ce moment‑là, notamment des données sur l’efficacité, l’innocuité pour les animaux ainsi que des données de nature chimique et des renseignements sur la fabrication.

[21]  La DMV a reçu les renseignements originaux et le matériel d’Elanco le 24 juin 2011 et, a jugé que la présentation était « complète sur le plan administratif » et a attribué une date de dépôt le jour même. Elle a ensuite fait parvenir à Elanco un « Accusé de réception et une certification des renseignements et du matériel » indiquant que la [traduction« Présentation ouverte de drogue nouvelle » avait été reçue le 24 juin 2011 et qu’elle lui avait attribué le numéro 148171 du Système de suivi des présentations de drogues.

[22]  Le 22 septembre 2011, Elanco a déposé une demande visant le brevet 704.

[23]  Elanco a fourni des renseignements sur son produit, conformément à l’exigence prévue au paragraphe C.08.002(2) du Règlement sur les aliments et drogues; renseignements qu’elle a fournis par étapes et qu’elle qualifie comme les [traduction« quatre principaux piliers » de sa PDN :

  1. Innocuité pour les humains, le 6 mars 2012;

  2. Efficacité clinique, le 6 mars 2012;

  3. Données chimiques et renseignements sur la fabrication, le 11 février 2013;

  4. Innocuité pour les animaux, le 27 mars 2013.

[24]  Le 9 mars 2016, l’AC pour le produit IMRESTOR a été délivré par Santé Canada.

[25]  Le brevet 704 a été délivré le 15 mars 2016.

[26]  Le 23 mars 2016, Elanco a présenté un Formulaire IV en vue d’inscrire le brevet 704 au Registre des brevets, que Santé Canada a reçu le 29 mars 2016.

[27]  Le 4 avril 2016, Santé Canada a informé Elanco que sa liste de brevets avait fait l’objet d’un examen et qu’elle n’était pas admissible à l’adjonction au Registre des brevets, au motif que le brevet 704 ne satisfaisait pas aux exigences en matière de délais énoncées au paragraphe 4(6) du Règlement AC.

[28]  Au moyen d’une lettre datée du 15 avril 2016, Santé Canada a réitéré son point de vue préliminaire selon lequel le brevet 704 n’était pas admissible à l’adjonction au Registre des brevets et a invité Elanco à présenter des observations quant à son admissibilité, à défaut de quoi la lettre serait considérée comme une décision définitive.

[29]  Le 8 juillet 2016, Elanco a présenté une réponse détaillée en contestant la décision préliminaire de Santé Canada. Les arguments faits par Elanco sont essentiellement les mêmes que ceux avancés dans le cadre de la présente demande.

D.  La décision

[30]  Une décision définitive a été communiquée dans une lettre datée du 17 octobre 2016, signée par la déléguée du ministre, Anne Bowes, directrice du BMBL.

[31]  Dans la décision, Mme Bowes établit la chronologie des dates se rapportant au brevet 704 ainsi qu’à la PDN d’Elanco, et elle aborde chacun des arguments avancés par Elanco. Elle confirme qu’Elanco a satisfait à l’exigence prévue au paragraphe 4(6) du Règlement AC, selon laquelle la liste de brevets doit être déposée dans les 30 jours suivant la délivrance d’un brevet, puisque la liste de brevets a été déposée le 29 mars 2016, ce qui respectait le délai de 30 jours suivant sa date de délivrance du 15 mars 2016, mais elle fait remarquer que le paragraphe 4(6) exige également que la date de dépôt de la demande de brevet soit antérieure à la date de dépôt de la présentation.

[32]  Mme Bowes explique que le processus d’examen de la DMV comporte deux étapes principales, qui sont effectuées chronologiquement selon l’ordre suivant : tri et examen. Le traitement constitue la première étape du tri, pendant lequel la date de dépôt est établie. La date de dépôt est la date établie par la DMV lorsque la présentation est considérée comme [traduction] « complète du point de vue administratif », comme l’explique le document d’orientation de la DMV intitulé Document d’orientation à l’intention de l’industrie sur la gestion des présentations réglementaires (entré en vigueur le 1er juillet 2005). Cela a lieu lorsqu’un fabricant de drogues dépose un formulaire de présentation de médicament, des certifications de la présentation et un formulaire du coût d’évaluation de la présentation de médicament vétérinaire et qu’il inclut dans la présentation le nom du fabricant ou du promoteur, l’ingrédient médicamenteux, la concentration, la forme posologique et la voie d’administration du médicament.

[33]  Mme Bowes déclare que la date de dépôt établie pour une PDN est permanente et n’est pas touchée par les activités subséquentes liées au tri ou à l’examen. Étant donné que tous les formulaires applicables requis par la DMV en vue d’établir une date de dépôt de la PDN d’Elanco ont été reçus par Santé Canada le 24 juin 2011, la présentation a été considérée comme complète du point de vue administratif. Par conséquent, la date de dépôt de la PDN a été établie comme étant le 24 juin 2011.

[34]  Mme Bowes conclut que le brevet 704 ne satisfait pas aux exigences en matière de délais que prévoit le paragraphe 4(6) du Règlement AC, parce que le brevet a été délivré en fonction d’une demande dont la date de dépôt au Canada n’est pas antérieure à la date de dépôt de la PDN. Par conséquent, conformément au paragraphe 3(2) du Règlement AC, le ministre a refusé d’ajouter le brevet 704 au Registre des brevets en ce qui concerne la présentation de drogues visant le produit IMRESTOR.

III.  Les questions en litiges

[35]  Les questions à trancher sont les suivantes :

  • a) Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du ministre?

  • b) Eu égard de la norme de contrôle applicable, le ministre a‑t‑il commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a refusé d’inscrire le brevet 704 au Registre des brevets?

IV.  Analyse

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du ministre?

[36]  Dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 57 (Dunsmuir), la Cour Suprême du Canada a jugé qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. Pour déterminer la norme de contrôle appropriée, la cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire doit entreprendre un processus en deux étapes. Premièrement, elle doit vérifier si la jurisprudence établit de manière satisfaisante le degré de retenue correspondant à une catégorie de questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. La deuxième étape s’applique lorsque cette première démarche se révèle infructueuse ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire. À cette deuxième étape, la cour entreprend une analyse complète en vue de déterminer la norme applicable (voir Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[37]  Dans ses observations écrites, Elanco consacre peu de temps à la norme de contrôle que la Cour doit appliquer, en dépit de son importance. Elle soutient que la Cour d’appel fédérale a déclaré à maintes reprises que l’interprétation de l’article 4 du Règlement AC par le ministre constituait une question de droit qui était susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, tandis que la décision du ministre quant à savoir si les exigences en matière d’admissibilité à l’inscription d’un brevet au Registre des brevets avaient été respectées était assujettie à la norme de la décision raisonnable, puisqu’elle exigeait l’application de l’article 4 aux faits précis de l’affaire : Gilead Sciences Canada Inc c Canada (Santé), 2012 CAF 254 (Gilead), au paragraphe 12, et Eli Lilly Canada Inc c Canada (Procureur général), 2015 CAF 166 (Lilly), au paragraphe 47. Selon Elanco, étant donné que le paragraphe 4(6) du Règlement AC est en cause, la norme de la décision correcte devrait être appliquée.

[38]  Les deux arrêts cités par Elanco n’aident guère à déterminer la norme de contrôle appropriée en l’espèce, puisqu’ils concernent tous les deux des contrôles judiciaires d’une décision rendue par le ministre au titre du paragraphe 4(2) du Règlement AC, dont l’interprétation, selon une conclusion de la Cour d’appel fédérale, relève de la norme de la décision correcte. Aucune des parties n’a invoqué un précédent portant sur la norme de contrôle à appliquer à une décision du ministre qui est fondée, au moins en partie, sur l’application du paragraphe 4(6).

[39]  L’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Teva Canada Limited c Pfizer Canada Inc, 2016 CAF 248 (Teva Canada), offre une orientation concernant la question de la norme de contrôle applicable. Cet arrêt a trait à deux contrôles judiciaires distincts dont la Cour fédérale était saisie, qui ont tous les deux été présentés par des sociétés pharmaceutiques novatrices, à l’encontre de la décision du ministre d’accorder des AC à des fabricants de médicaments génériques visant des médicaments contenant des ingrédients actifs brevetés par les sociétés novatrices. La Cour devait décider s’il était raisonnable que le ministre délivre un AC à Teva sans déclencher l’exigence en matière d’avis prévue à l’article 5 du Règlement AC, parce que le ministre avait conclu que les présentations de médicaments génériques de Teva ne déclenchaient pas l’application de l’article.

[40]  La Cour d’appel fédérale a décidé que la jurisprudence antérieure n’avait pas établi de façon satisfaisante la norme de contrôle à appliquer, et elle a amorcé la deuxième étape de l’analyse établie par Dunsmuir. À cette deuxième étape, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’analyse contextuelle de l’affaire ne réfutait pas la présomption de la norme de la décision raisonnable. En fait, cette présomption s’applique lorsqu’un décideur administratif interprète non seulement sa loi habilitante, mais également une « loi étroitement liée à son mandat » (Dunsmuir, au paragraphe 54). En outre, la Cour d’appel fédérale a ajouté qu’il valait mieux laisser au décideur administratif le soin de clarifier le texte ambigu de sa loi habilitante, ou de son règlement, et qu’il n’existait aucune preuve selon laquelle le législateur avait l’intention de ne pas imposer la retenue judiciaire lors du contrôle des décisions du ministre portant sur l’interprétation du Règlement AC.

[41]  La Cour d’appel fédérale a conclu qu’une décision du ministre, selon laquelle une présentation de médicament générique était de nature administrative et ne déclenchait pas l’exigence en matière d’avis prévue à l’article 5 du Règlement AC, devrait être assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable, fondée sur l’expertise du ministre et la nature de la question. Puisque le ministre interprétait une loi liée de près à sa fonction, la présomption selon laquelle la décision était assujettie à la norme de la décision raisonnable a été appliquée. La Cour d’appel fédérale a conclu en outre que la question était une question mixte de fait et de droit, et qu’il était bien établi que la norme de la décision raisonnable était la norme de contrôle applicable à de telles questions.

[42]  Bien que la décision faisant l’objet du contrôle en l’espèce concerne l’interprétation et l’application du paragraphe 4(6) du Règlement AC plutôt que de l’article 5, des considérations semblables s’appliquent. Un parallèle peut être tiré de Teva Canada, parce que la nature de la décision du ministre dans Teva Canada est semblable à celle du ministre d’exclure le brevet 704 du Registre des brevets, fondée sur la date de dépôt de la PDN, aux termes du paragraphe 4(6) du Règlement AC. En appliquant le paragraphe 4(6), le ministre est tenu de décider si le lien temporel a été établi entre la date de dépôt d’une PDN et la date de dépôt d’un brevet. La décision du ministre, de la même manière que dans Teva Canada, est de nature administrative, et la question de savoir si les exigences en matière d’admissibilité à inscrire un brevet au Registre avaient été satisfaites est une question mixte de fait et de droit.

[43]  Le Règlement AC est étroitement lié aux fonctions du ministre. Le ministre possède une grande expertise dans l’application et l’interprétation du Règlement AC ainsi que des connaissances approfondies à l’égard de la procédure et des exigences établies en matière de délais et d’admissibilité à l’inscription de brevets au Registre des brevets, énoncées à l’article 4 du Règlement AC.

[44]  Étant donné que le Règlement AC ne prévoit aucune définition de l’expression « date de dépôt d’une présentation de drogue nouvelle », cette décision est essentiellement une question de fait, exigeant uniquement l’application des exigences juridiques claires : la demande de brevet a été déposée avant la PDN ou elle ne l’a pas été. Par conséquent, les conclusions de cette nature ne devraient pas être modifiées, à moins qu’elles n’aient été jugées déraisonnables.

[45]  La décision ne fait pas non plus intervenir l’expertise scientifique du ministre, contrairement aux faits dans Gilead et Lilly. Elle n’exige pas de trancher si une comparaison directe ou indirecte a été faite entre les revendications de brevet ou les médicaments par rapport à un brevet inscrit dans la liste de brevets et à une PDN.

[46]  Subsidiairement, dans une analyse relative à la norme de contrôle qui applique les facteurs contextuels établis dans Dunsmuir, je parviendrais à la même conclusion quant à la norme de contrôle applicable.

[47]  La question en litige ne concerne pas des catégories de questions juridiques telles qu’une question constitutionnelle, une question de portée générale concernant l’ensemble du système juridique, une détermination de la compétence de deux ou de plusieurs décideurs administratifs ou une question touchant véritablement à la validité (Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Procureur général), 2014 CSC 40). Le Règlement AC ne prévoit aucune clause privative et il ne contient pas non plus de directive claire selon laquelle les tribunaux ne doivent pas faire preuve de déférence à l’égard du décideur.

[48]  Dans le présent contrôle judiciaire, il ne s’agit pas de savoir si le ministre a correctement interprété le paragraphe 4(6) du Règlement AC, mais plutôt de savoir si le matériel présenté par Elanco dans sa PDN satisfaisait aux exigences pour qu’elle soit considérée comme complète du point de vue administratif aux fins de traitement et pour se voir accorder une date de dépôt, ce qui a ensuite été utilisé pour prendre la décision au titre du paragraphe 4(6). Afin de déterminer si la date de dépôt de la PDN d’Elanco satisfait à l’exigence relative au délai pour inscrire un brevet au Registre des brevets, une expérience réglementaire de la procédure pour déposer une PDN au titre du Règlement sur les aliments et drogues et de la procédure pour déposer un brevet aux fins d’inscription au Registre des brevets conformément au Règlement AC est requise, plutôt qu’une connaissance du droit ou des principes juridiques. La décision qui applique le paragraphe 4(6) du Règlement AC ne peut pas être dissociée des faits de l’affaire.

[49]  Comme il est déclaré au paragraphe 53 du mémoire des faits et du droit du défendeur :

[traduction]

Le ministre a pour fonction de tenir le Registre des brevets. Ce faisant, il doit interpréter et appliquer régulièrement les exigences applicables à l’enregistrement, énoncées à l’article 4 du Règlement, concernant l’admissibilité et le délai. L’octroi par le législateur d’une fonction décisionnelle qui exige l’interprétation et l’application d’une loi qui est étroitement liée à la fonction du décideur donne lieu à la présomption de la norme de la décision raisonnable. L’interprétation par le ministre du paragraphe 4(6) du Règlement sur les MB (AC) est fondée sur son expertise et sa connaissance du contenu et du contexte factuels de ses propres processus relativement au dépôt.

[50]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la présomption de la norme de la décision raisonnable n’a pas été réfutée et que la décision commande une retenue considérable.

B.  Le ministre a‑t‑il commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a refusé d’inscrire le brevet 704 au Registre des brevets?

[51]  Elanco soutient que la décision du ministre, et plus particulièrement sa conclusion selon laquelle la PDN a été déposée le 24 juin 2011, est à la fois incorrecte en droit et déraisonnable, puisqu’elle est incompatible avec le règlement applicable, avec ses propres politiques publiques et documents d’orientation ainsi qu’avec les observations de ses propres fonctionnaires. J’examinerai ensemble les questions, puisqu’elles sont liées entre elles.

[52]  Le paragraphe 3(1) du Règlement AC définit l’expression « présentation de drogue nouvelle » en intégrant la définition de cette expression énoncée au Règlement sur les aliments et drogues. Selon Elanco, la date de dépôt d’une PDN ne peut pas avoir lieu avant que les renseignements et le matériel obligatoires exigés aux termes des alinéas C.08.002(2)a) à o) du Règlement sur les aliments et drogues n’aient réellement été déposés.

[53]  Elanco soutient que le paragraphe C.08.002(2) est formulé en des termes impératifs selon lesquels une PDN « doit » inclure chacun des éléments énumérés aux alinéas a) à o) et que le ministre ne peut donc pas en déduire que la présentation est complète tant que toutes les composantes du paragraphe C.08.002(2) ne sont pas déposées auprès de Santé Canada. Selon Elanco, agir ainsi revient à outrepasser le pouvoir conféré au ministre par la loi. Elanco est d’avis que, tant que tous les critères de présentation n’ont pas été fournis au ministre, une présentation est incomplète et ne peut donc pas constituer une PDN à laquelle une date de dépôt peut être attribuée.

[54]  Elanco soutient que sa thèse est conforme au propre document d’orientation de Santé Canada qui énonce qu’une présentation n’est considérée comme « déposée » que lorsque tous les éléments de la PDN ont été présentés à Santé Canada. Elanco renvoie au document intitulé Ligne directrice de l’industrie : gestion des présentations de drogues qui dispose :

Date de dépôt : Renvoie à la dernière date de dépôt notée dans le registre central attribuée à la présentation une fois considérée complète du point de vue administratif par Santé Canada (c’est‑à‑dire une fois que tous les éléments et formules nécessaires au traitement sont terminés et présentés à Santé Canada). Cette date peut être différente de la date de dépôt initial si la présentation est considérée incomplète du point de vue administratif au moment de la réception. [Non souligné dans l’original.]

[55]  Un renvoi est également fait au document d’orientation portant sur le Règlement des AC de Santé Canada qui dispose ainsi :

[...] renvoie à la date attribuée à la présentation une fois reçue par Santé Canada à condition qu’elle soit jugée complète du point de vue administratif [c’est‑à‑dire (c.‑à‑d.) une fois que tous les critères et formulaires de présentations nécessaires au traitement sont terminés et présentés à Santé Canada]. Dans l’éventualité où la présentation est considérée incomplète du point de vue administratif, la date de dépôt sera celle où ces lacunes seront corrigées. Par conséquent, la date de dépôt peut différer de la date de réception initiale si la présentation est jugée incomplète du point de vue administratif. [Non souligné dans l’original.]

[56]  Elanco fait valoir que, tant que tous les éléments ne sont pas présentés pour satisfaire à toutes les exigences du paragraphe C.08.002(2) du Règlement sur les aliments et drogues, une PDN ne peut pas être considérée comme « complète du point de vue administratif » et ne peut donc pas être considérée comme déposée. À la lumière de l’historique de présentation concernant le produit IMRESTOR, la PDN aurait donc dû se voir attribuer le 27 mars 2013 comme date de dépôt, date à laquelle le matériel pour satisfaire aux dernières exigences essentielles quant aux données sur l’efficacité, l’innocuité des produits alimentaires pour les humains, les données chimiques et les renseignements sur la fabrication ainsi que l’innocuité pour les animaux aux termes du paragraphe C.08.002(2) en ce qui concerne la PDN du produit IMRESTOR a été reçu par Santé Canada.

[57]  Elanco soutient que les parties essentielles de la PDN ont été déposées bien après la date de dépôt canadienne du brevet 704, que les exigences en matière de délais prévues au paragraphe 4(6) du Règlement AC sont donc satisfaites et que le brevet devrait être inscrit au Registre des brevets.

[58]  Bien que, à première vue, le libellé du paragraphe C.08.002(2) puisse sembler appuyer la position d’Elanco, une analyse plus approfondie révèle le contraire. Ni la Loi sur les brevets, ni le Règlement AC ni le Règlement sur les aliments et drogues ne prévoient une définition de l’expression « date de dépôt » d’une présentation et aucun de ces textes n’établit non plus de règles pour déterminer cette date.

[59]  Le paragraphe C.08.002(2) porte uniquement sur le contenu d’une PDN et non sur le moment où l’on considère qu’une PDN est déposée. La disposition énonce seulement les renseignements qu’une première personne doit fournir afin qu’une présentation soit traitée.

[60]  Le paragraphe C.08.002(2) débute par l’exigence générale de fournir « suffisamment de renseignements et de matériel pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle » avant d’énumérer les types de renseignements précis qui doivent être fournis. Bien qu’il soit rédigé dans un libellé contraignant, il ne vise que la première personne, et non la DMV ou le ministre lui‑même. La disposition n’empêche pas la DMV de renoncer à une exigence, comme elle l’a fait en l’espèce en autorisant une présentation ouverte.

[61]  Le paragraphe C.08.002(2) ne doit pas être interprété isolément. Le paragraphe C.08.004(2) envisage la possibilité qu’une présentation qui n’est pas conforme au paragraphe C.08.002(2) puisse néanmoins être acceptée aux fins de dépôt :

Lorsqu’une présentation de drogue nouvelle, une présentation abrégée de drogue nouvelle ou un supplément à l’une de ces présentations n’est pas conforme aux articles C.08.002, C.08.002.1 ou C.08.003, selon le cas, ou à l’article C.08.005.1, le fabricant qui l’a déposé peut le modifier en déposant des renseignements ou du matériel supplémentaires.

[Non souligné dans l’original.]

C.08.004(2) Where a new drug submission or abbreviated new drug submission or a supplement to either submission does not comply with section C.08.002, C.08.002.1 or C.08.003, as the case may be, or section C.08.005.1, the manufacturer who filed the submission or supplement may amend the submission or supplement by filing additional information or material.

[Emphasis added.]

[62]  Cette distinction est énoncée explicitement dans l’article C.08.003.1, qui dispose que, lorsqu’il examine une PDN, « [l]e ministre peut […] examiner les renseignements ou le matériel que lui présente […] pour déterminer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle visée par la présentation […] ». Cet article envisage la possibilité que le dépôt d’une présentation diffère du dépôt des renseignements à l’appui (c.‑à‑d. du fait de les fournir). Il renforce le principe selon lequel le dépôt d’une présentation constitue une première étape et une étape officielle qui amorce le processus d’examen.

[63]  En l’absence d’une loi ou d’un règlement qui prévoit une définition de l’expression « date de dépôt » ou qui prévoit des règles pour déterminer cette date de dépôt, il était loisible au ministre, dans l’exercice de son pouvoir, d’administrer le processus de présentation de drogue, d’établir la procédure régissant les présentations et d’attribuer une date de dépôt aux présentations. En se fondant sur cette procédure et renseigné par les objectifs législatifs, le ministre (et plus à proprement parler, la DMV, qui dirigeait la procédure de présentation de drogues vétérinaires) disposait du pouvoir discrétionnaire de décider si le matériel présenté contenu dans la PDN d’Elanco contenait suffisamment de renseignements pour que la PDN soit considérée comme complète du point de vue administratif aux fins de traitement, conformément au Règlement sur les aliments et drogues. Elanco n’a établi aucune erreur susceptible de contrôle concernant le raisonnement du ministre.

[64]  Comme cela est énoncé dans le document d’orientation Ligne directrice de l’industrie : gestion des présentations de drogues, cité dans la décision, selon la définition, la date de dépôt des présentations est la « dernière date de dépôt notée dans le registre central attribuée à la présentation une fois considérée complète du point de vue administratif par Santé Canada […] ». La déposante du ministre, May Ming Wu, a déclaré qu’une présentation est considérée comme « complète du point de vue administratif » lorsqu’un fabricant de drogues dépose un formulaire de présentation de médicament, des certifications de la présentation et un formulaire du coût d’évaluation de la présentation de médicament vétérinaire et qu’il inclut dans la présentation le nom du fabricant ou du promoteur, l’ingrédient médicamenteux, la concentration, la forme posologique et la voie d’administration d’un médicament. Cette date n’est pas touchée par les activités subséquentes liées au tri ou à l’examen. Ces activités comprendraient la réception de nouveaux renseignements précisés aux paragraphes C.08.002(2) et (3).

[65]  La Ligne directrice : Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) contient une définition semblable de la « date de dépôt », c.‑à‑d. la date attribuée à la présentation par Santé Canada à condition qu’elle soit jugée « complète du point de vue administratif ».

[66]  Le raisonnement de cette attribution d’une date de dépôt est conforme à la saine gestion réglementaire et au raisonnement relatif à l’exigence en matière de délais prévue au Règlement AC contenu dans le REIR. L’interprétation suggérée par Elanco entraînerait beaucoup d’incertitude quant au processus réglementaire.

[67]  Elanco réunit ou confond deux questions distinctes : la date à laquelle la DMV a considéré les formulaires, les renseignements et le matériel d’Elanco comme complets du point de vue administratif et qu’elle les a acceptés aux fins d’évaluation avec la date à laquelle toutes les composantes essentielles de la présentation ont été fournies aux fins d’évaluation. La DMV a attribué une date de dépôt à la PDN d’Elanco le 24 juin 2011, puisque la PDN comprenait les renseignements et le matériel requis pour être considérée comme « complète du point de vue administratif » et pour établir une date de dépôt. Cette décision a été prise des années avant que la présente demande ne soit amorcée. Le refus du ministre d’inscrire le brevet 704, en fonction de la décision antérieure de la DMV, est raisonnable compte tenu du fait qu’Elanco n’a pas satisfait aux exigences en matière de délais prévues au paragraphe 4(6) du Règlement AC.

[68]  Elanco soutient en outre que, puisque sa présentation a été déposée dans le cadre de l’Initiative CCR auprès de la FDA, l’attribution par le ministre d’une date de dépôt devrait coïncider avec celle de la FDA. Selon l’approche de la FDA, la date de dépôt n’est pas établie tant que la demande n’est pas complète. Toutefois, la participation de Santé Canada à l’Initiative CCR en vue de faciliter la coopération en matière de réglementation entre le Canada et les É.‑U. ne signifie pas que les exigences réglementaires de Santé Canada sont identiques à celles de la FDA.

[69]  Contrairement à Santé Canada, qui attribue une date de dépôt après qu’une présentation est « complète du point de vue administratif », la FDA attribue une date de dépôt après que la présentation est [traduction] « suffisamment complète pour permettre un examen au fond » ou [traduction] « complète du point de vue technique ». Une fois que la décision a été prise, la date de dépôt correspondra à 60 jours suivant la date à laquelle la FDA a reçu les présentations. Santé Canada est régi par un autre régime réglementaire ainsi que d’autres dispositions législatives, et il n’est pas tenu de suivre l’approche de la FDA.

[70]  Enfin, Elanco se fonde sur divers énoncés, correspondances, accusés et attestation de réception des représentants du ministre, donnant à penser que le ministre avait admis que la présentation d’Elanco n’avait pas été déposée parce qu’elle était incomplète.

[71]  Selon le dossier dont je dispose, je ne suis pas convaincu qu’une telle admission a été faite ni qu’il existe une preuve qui pourrait établir qu’Elanco a été en quelque sorte induite en erreur. La déposante du ministre a toujours soutenu tout au long de son contre‑interrogatoire que les éléments énumérés au paragraphe C.08.002(2) du Règlement sur les aliments et drogues n’étaient pas pertinents pour établir si une présentation était « complète du point de vue administratif » et pour attribuer une date de dépôt, et elle a fait une distinction entre les différentes étapes du processus d’examen.

[72]  Elanco revoit également à la correspondance entre un fonctionnaire de Santé Canada et elle en novembre 2011, laissant entendre que le fonctionnaire avait reconnu que la présentation était incomplète et avait invité Elanco à présenter une liste de brevets. Elanco demande à la Cour d’en déduire que Santé Canada comprenait que la PDN en était encore à l’étape du dépôt et qu’une liste de brevets pouvait donc être déposée. À mon avis, Elanco place hors de son contexte ce que le fonctionnaire a écrit. Le bref courriel informait simplement Elanco qu’elle devait communiquer avec le BMBL pour se renseigner au sujet de l’applicabilité du Formulaire IV. Le fonctionnaire ne prétend pas tirer une conclusion concernant la date de dépôt de la PDN d’Elanco. De plus, rien ne donne à penser qu’il a été satisfait aux exigences en matière de délais applicables au paragraphe 4(6) du Règlement AC.

V.  Conclusion

[73]  Le décideur a droit à la déférence lorsqu’il existe un régime administratif distinct ou particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale. Santé Canada et, par son entremise, le ministre sont tenus d’interpréter régulièrement l’article 4 du Règlement AC et d’attribuer des dates de dépôt. Il faut donc faire preuve de retenue à l’égard de la décision du ministre lorsqu’il confirme que la DMV a adéquatement attribué la date de dépôt à la PDN d’Elanco.

[74]  Le Règlement AC exige que la première personne dépose une demande de brevet avant de déposer la PDN pour le médicament auquel se rattache le brevet. Cela permet de veiller à ce que les brevets protégeant des inventions dont la découverte est postérieure à l’existence d’un médicament n’empêchent pas l’arrivée sur le marché de versions génériques de ce même médicament.

[75]  En l’espèce, le ministre a conclu qu’Elanco avait déposé sa demande de brevet après qu’elle avait déposé sa PDN pour le médicament connexe. Le ministre a donc refusé d’inscrire le brevet 704 au Registre des brevets. Ce faisant, le ministre a raisonnablement conclu que la date de dépôt de la PDN correspondait à la date à laquelle la DMV avait considéré que la PDN était complète du point de vue administratif et qu’elle l’avait acceptée aux fins d’évaluation, plutôt que la date à laquelle toutes les composantes essentielles de la présentation avaient été fournies aux fins d’évaluation.

[76]  En suggérant d’autres dates de dépôt dans ses observations, Elanco reconnaît que la détermination de la date de dépôt repose sur les faits. Il était loisible au ministre d’établir une date de dépôt pour la PDN d’Elanco selon ses propres politiques publiques et documents d’orientation. En l’absence d’une conclusion selon laquelle la décision n’appartient pas aux issues raisonnables, elle ne doit pas être modifiée.

[77]  Par conséquent, la présente demande doit être rejetée. Elanco devra payer les dépens à l’égard de la demande, fixés par les présentes à 4 500 $, y compris les débours et les taxes, comme les parties l’ont convenu à l’audience.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. la demanderesse devra payer au défendeur les dépens à l’égard de la demande, fixés par les présentes à 4 500 $, y compris les débours et les taxes.

« Roger R. Lafrenière »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de février 2019

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1978‑16

 

INTITULÉ :

ELANCO, UNE DIVISION D’ELI LILLY CANADA INC. c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 FÉVRIER 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 2 JANVIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Jay Zakaib

Jennifer Wilkie

Adam Heckman

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

J. Sanderson Graham

Adrian Bieniasiewicz

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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