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Date : 20190205


Dossier : IMM-2373-18

Référence : 2019 CF 149

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 5 février 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

SHARMILA VARATHARAJAH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. L’analyse et la conclusion de la Commission présentent deux problèmes. D’abord, la Commission a commis une erreur dans son traitement d’un élément de preuve documentaire essentiel. Ensuite, elle a négligé de tenir compte de la crainte alléguée de la demanderesse d’être victime de persécution en tant que demanderesse d’asile déboutée de retour dans son pays, et n’a donc pas pris en compte une composante centrale de l’allégation de risque à cet égard. Par conséquent, je conclus que la Commission a commis une erreur et que la demande doit faire l’objet d’une nouvelle décision, comme je l’explique plus en détail ci-dessous, après un bref survol du contexte.

I.  Contexte

[2]  La demanderesse est une Tamoule originaire du district de Jaffna, dans le nord du Sri Lanka, qui prétend avoir été victime de persécution en tant que partisane présumée des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET). Elle a quitté le Sri Lanka pour la première fois en 1991, et s’est enfuie par bateau en Inde, où elle a résidé sous un statut temporaire pendant 12 ans. Elle y a été détenue par les autorités indiennes, qui se méfient des Tamouls, puis renvoyée au Sri Lanka en 2003. En Inde, la demanderesse a appris à coudre, une compétence qui a, selon elle, attiré l’attention des TLET à son retour au Sri Lanka. Elle prétend que les TLET l’ont conduite dans un camp, où elle aurait été battue et forcée de travailler, après qu’elle a refusé de coudre leurs uniformes.

[3]  La demanderesse affirme qu’après la victoire de l’armée sri lankaise sur les TLET en 2009, les forces de sécurité et les personnes travaillant pour celles-ci ont continué à la harceler, à lui infliger des violences physiques, à l’intimider et à l’humilier. Elle prétend que les trois incidents suivants sont survenus :

  • en décembre 2011, elle a été arrêtée par l’armée, détenue pendant une journée, interrogée en raison de ses liens présumés avec les TLET et relâchée après que son père a payé un pot‑de‑vin;

  • en juin 2012, elle a été arrêtée par les forces de sécurité et conduite dans un camp, où elle a été interrogée en plus de subir des attouchements et d’être agressée sexuellement;

  • plus tard en juin 2012, trois soldats se sont présentés chez elle, et sa cousine et elle‑même ont été battues et agressées sexuellement. Par la suite, le Parti démocratique populaire de l’Eelam, qui était au courant de l’incident, lui a extorqué de l’argent et a menacé de révéler qu’elle avait aidé les TLET par le passé.

II.  Décision de la Commission

[4]  Dans sa décision, la Commission a relevé des incohérences entre le témoignage oral de la demanderesse et son Formulaire de renseignements personnels (le FRP). Dans son FRP, la demanderesse a indiqué que sa cousine et elle avaient été agressées sexuellement en juin 2012 par trois militaires qui s’étaient présentés chez elle. Cependant, la Commission a constaté que, dans son témoignage oral, la demanderesse avait indiqué que les militaires l’avaient battue, sans jamais faire mention d’une agression sexuelle. La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas pu expliquer cette incohérence, et que son père, qui avait été appelé à témoigner à l’audience, « a[vait] admis, et sa déclaration a été consignée au dossier, que sa fille n’avait pas été victime d’agression sexuelle, contrairement à ce qu’elle prétend[ait] dans son FRP ».

[5]  Par conséquent, la Commission a déterminé que la demanderesse n’était pas un témoin crédible ni digne de foi, et elle n’a pas procédé aux analyses relatives à la protection de l’État, à la possibilité de refuge intérieur ou à l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[6]  La demanderesse conteste la décision en se fondant d’abord sur l’évaluation faite par la Commission de la preuve documentaire, puis sur le défaut de la Commission d’évaluer adéquatement son profil de risque. La norme de contrôle qui s’applique aux questions en litige en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Ifeanyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 419, au paragraphe 11).

IV.  Positions des parties

A.  L’évaluation faite par la Commission de la preuve documentaire était‑elle raisonnable?

[7]  D’abord, la demanderesse affirme que la Commission a mal apprécié la preuve puisqu’elle s’est fortement appuyée sur un rapport intitulé « Rapport national soumis conformément au paragraphe 5 de l’annexe à la résolution 16/21 du Conseil des droits de l’homme : Sri Lanka » (le rapport). La Commission a attribué la rédaction de ce rapport au Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies (le Conseil de l’ONU), mais la demanderesse fait observer qu’il a en fait été rédigé par le gouvernement du Sri Lanka.

[8]  Par ailleurs, la demanderesse soutient que ce rapport ne figurait pas dans le cartable national de documentation (le CND) de mars 2017 qui a été déposé en preuve devant la Commission (et qui, en réalité, est le seul CND mentionné dans la décision). Ce rapport se trouve plutôt dans le CND mis à jour en avril 2018, que la Commission n’avait pas à sa disposition à l’audience, et qui a été rendu disponible pendant la période d’environ six semaines qui s’est écoulée entre la date de l’audience et la date de la publication de la décision. La demanderesse ajoute que la Commission a conclu qu’elle n’était pas une personne à protéger en se fondant pour ce faire sur un examen sélectif de la preuve documentaire figurant dans le CND d’avril 2018, sans se pencher sur les éléments de preuve contradictoires qui s’y trouvaient.

[9]  Le défendeur rétorque que la demanderesse n’a pas démontré que la Commission avait commis une erreur susceptible de révision; il affirme que les conclusions de la Commission étaient raisonnables, et qu’il lui était loisible de les tirer. Le défendeur rappelle à la Cour que son rôle n’est pas d’apprécier de nouveau la preuve.

B.  La Commission a‑t‑elle négligé d’évaluer adéquatement le profil de risque de la demanderesse?

[10]  La demanderesse prétend également que la Commission a négligé d’évaluer adéquatement, au regard de l’article 97 de la LIPR, son profil de risque en tant que demanderesse d’asile déboutée, ce que la Cour a jugé être une erreur susceptible de révision dans d’autres affaires concernant des demandeurs d’asile sri lankais, y compris les affaires Suntharalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 987, aux paragraphes 49 et 51, et Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 244, au paragraphe 11.

[11]  Le défendeur répond que la Commission a évalué si la situation au Sri Lanka posait des risques pour la demanderesse en fonction de son profil de Sri Lankaise d’origine tamoule, et qu’elle a raisonnablement conclu que ce n’était pas le cas, ce qui lui a permis de tirer une conclusion raisonnable à l’égard de la composante de la demande portant sur l’analyse des risques selon l’article 97.

V.  Analyse

[12]  Avant d’analyser les deux questions en litige susmentionnées, je constate qu’il semble y avoir eu, d’après mon interprétation de la transcription, une importante confusion attribuable aux services d’interprétation lors de l’audience de la Commission. Néanmoins, la demanderesse, qui avait soulevé dans ses observations écrites une question d’équité procédurale découlant de l’interprétation, a décidé de ne pas donner suite à cette question devant la Cour. Par conséquent, je ne formulerai pas d’autres commentaires sur la question de la traduction. Je conclus néanmoins que la Commission a commis des erreurs en ce qui concerne les deux autres questions soulevées.

A.  L’évaluation faite par la Commission de la preuve documentaire était‑elle raisonnable?

[13]  Je suis d’avis que la Commission a commis une erreur en ce qui concerne la source et l’auteur du rapport. La Commission semble s’être fondée uniquement sur le rapport pour évaluer les risques auxquels est exposée la demanderesse en tant que femme au Sri Lanka, puisqu’il s’agit de la seule source mentionnée. Comme l’affirme la demanderesse, le rapport n’était pas à la disposition de la Commission lors de l’audience, étant donné qu’il n’a été ajouté à l’index du CND qu’en avril 2018. Par ailleurs, l’auteur mentionné du rapport est le « Sri Lanka ». À la première page du rapport figure la remarque suivante : « Le document est reproduit tel qu’il a été reçu. Son contenu n’implique aucune prise de position de la part du Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies. »

[14]  Je suis d’avis que la Commission s’est fondée sur ce document de façon déraisonnable pour trois raisons. Premièrement, le rapport a été rédigé par le gouvernement du Sri Lanka, et non par le Conseil de l’ONU, comme le laisse entendre la Commission. La différence est évidente si on compare le rapport aux autres documents figurant dans le CND d’avril 2018, qui ont réellement été rédigés par le Conseil de l’ONU.

[15]  En outre, la remarque se trouvant à la première page du rapport indique clairement que son contenu n’exprime pas les positions de l’ONU. Il s’agit en fait d’un rapport sur les initiatives du gouvernement sri lankais, produit par le gouvernement du Sri Lanka lui‑même à l’intention du Conseil de l’ONU. Le fait que le gouvernement du Sri Lanka soit à l’origine du rapport soulève des questions sur son objectivité.

[16]  Deuxièmement, le CND d’avril 2018, dans lequel figure le rapport, n’existait pas au moment de l’audience. Le plus récent CND dont disposait la Commission était celui de mars 2017, qui ne comportait pas le rapport.

[17]  Le site Web de la Commission comprend une page intitulée « Cartables nationaux de documentation renseignements supplémentaires » (https://irb-cisr.gc.ca/fr/renseignements-pays/cnd/Pages/ndp-additional-info.aspx). On peut y lire ce qui suit :

• Renseignements supplémentaires

Avant l’audience devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR), les demandeurs d’asile ont la responsabilité de prendre connaissance des documents contenus dans le plus récent CND sur leur pays d’origine. La Section de la protection des réfugiés (SPR) peut tenir compte du CND pour trancher la demande d’asile. Le CND ne contient pas toute l’information sur les conditions dans un pays donné [non souligné dans l’original].

[18]  On y trouve aussi les renseignements suivants :

Documents ne faisant pas partie du cartable national de documentation

La SPR peut aussi décider d’utiliser d’autres documents, par exemple :

•des rapports produits par la Direction des recherches de la CISR;

•des articles de presse;

•des rapports d’organisations de défense des droits de la personne.

Une copie de tout document que la SPR estimera utile est envoyée aux parties avant la tenue de l’audience [non souligné dans l’original].

[19]  Comme il est mentionné ci-dessus, l’audience de la demanderesse a été tenue le 12 mars 2018. La décision est datée du 25 avril 2018, et l’avis de décision de la Commission est daté du 2 mai 2018. Le fait que la Commission se soit fondée sur des éléments de preuve relatifs à la situation au Sri Lanka qui ne figuraient pas au dossier au moment de l’audience, et qui ont été publiés dans un CND seulement après celle‑ci, soulève des préoccupations.

[20]  En fait, il existe une jurisprudence sur le sujet. Par exemple, dans la décision Kirichenko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 12, au paragraphe 28, le demandeur a soutenu que la SPR avait commis une erreur parce qu’elle s’était appuyée sur un document qui ne faisait pas partie du CND et qu’elle n’avait pas mentionné où elle l’avait obtenu. Dans cette affaire, le document en question était une réponse à une demande d’information de la Commission. Le juge Russell a conclu qu’il s’agissait d’un manquement à l’équité procédurale, étant donné que la réponse à la demande d’information n’avait pas été déposée devant la SPR et qu’elle n’avait jamais été communiquée au demandeur. Celui‑ci n’avait donc pas eu l’occasion de réagir au document, qui portait sur l’une des questions fondamentales de la décision. (Voir également la décision Jeyaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1244, aux paragraphes 48 et 49.)

[21]  Dans une affaire plus récente, Ding c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 820, la SPR s’était fondée sur un document qui ne figurait plus dans le CND. La juge Mactavish avait conclu qu’il était injuste que la SPR ait agi ainsi, mais que cela n’avait pas été déterminant dans l’issue de l’affaire, compte tenu du contenu du document. Elle s’est exprimée en ces termes :

[12]  Je suis d’accord avec madame Ding : il était injuste que la Commission se fonde sur le document en question. Les cartables nationaux de documentation ont justement pour but premier de faire en sorte que toutes les parties aient accès aux renseignements pertinents sur la situation dans le pays et que les demandeurs d’asile soient au fait des documents sur lesquels la Commission se fiera. Il était loisible à la Commission de tenir compte du document en question, mais la Commission, en toute équité, était tenue d’en aviser madame Ding et de lui donner l’occasion de répondre au document, si cette dernière l’estimait nécessaire.

[13]  Cela étant dit, madame Ding n’a soulevé aucune différence importante entre le document de 2004 sur lequel la Commission s’est fiée et celui qui l’a remplacé et qui figure à l’heure actuelle dans le cartable national de documentation sur la Chine. Par conséquent, encore une fois, tout manquement à l’équité procédurale qui a été être commis n’était aucunement déterminant quant à l’issue de la présente affaire.

[22]  En l’espèce, comme dans l’affaire Kirichenko — mais contrairement à l’affaire Ding —, le document a) n’était pas connu de la demanderesse; b) était au cœur de la décision; et c) était déterminant pour l’issue de l’affaire. Quand j’ai demandé à l’avocate de la demanderesse si le fait que la Commission se soit fondée sur le rapport avait soulevé des questions d’équité procédurale, elle a répondu par la négative. Tout en étant satisfaite de ce que la Commission ait tenu compte des renseignements les plus récents sur le pays, elle a soutenu que le traitement du rapport par cette dernière avait été déraisonnable. L’avocate du défendeur, pour sa part, n’a jamais formulé d’observations sur la question de l’équité, ce qui n’est pas surprenant compte tenu de la position de la demanderesse.

[23]  Par conséquent, je n’analyserai pas en détail le type d’erreur commise par la Commission — ni la question de savoir si elle a eu tort ou a agi de façon déraisonnable. Cependant, je ferai à tout le moins remarquer que si la Commission souhaite utiliser un CND, ou tout document figurant dans un CND, qui n’était pas disponible à l’audience, elle devrait en informer le demandeur et lui offrir l’occasion d’y réagir. Ainsi, je conclus que la décision est entachée d’une erreur, quelle que soit la norme de contrôle appliquée, parce que la Commission n’a pas informé la demanderesse de l’élément de preuve concernant la situation au pays sur lequel elle s’est principalement fondée. Je ferai aussi remarquer que mes conclusions en l’espèce sont tirées précisément en fonction du contexte des procédures devant la SPR.

[24]  Par ailleurs, et indépendamment des deux autres erreurs susmentionnées en ce qui concerne la référence faite par la Commission au rapport — à savoir i) l’attribution erronée de la rédaction et ii) l’absence d’avis —, l’importance accordée par la Commission à la preuve comportait aussi une troisième erreur fondamentale. Le CND mis à jour en avril 2018, dans lequel se trouvait le rapport, contenait des éléments de preuve qui contredisaient celui-ci. Par exemple, le Rapport 2017/18 d’Amnesty International, qui se trouvait dans le CND d’avril 2018, précisait que « [l]es responsables de l’application des lois continuaient de soumettre des membres de la minorité tamoule à des mesures de profilage ethnique, de surveillance et de harcèlement, surtout les anciens membres des LTTE » et que « [l]’impunité restait la règle pour plusieurs formes de violences faites aux femmes et aux filles, notamment le mariage d’enfants, les violences domestiques, la traite des êtres humains, les viols perpétrés par des militaires ou des responsables de l’application des lois ».

[25]  Si des éléments de preuve directement pertinents ne sont pas examinés ou analysés par le décideur, il est loisible d’inférer que le décideur a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments de preuve ou en faisant abstraction de la preuve contradictoire (Cezair c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 886, au paragraphe 27). Bien entendu, il est bien établi en droit que, même si la Commission n’est pas tenue d’examiner tous les éléments de preuve, elle doit tenir compte de la preuve contradictoire (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF)). Le fait d’omettre des éléments qui tendent à aller dans le sens contraire de la conclusion permet d’inférer que la preuve contradictoire a été négligée (Jalili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1267, au paragraphe 11).

[26]  En résumé, je conclus que l’utilisation du rapport par la Commission était déraisonnable parce que : i) la rédaction de ce dernier a été attribuée de façon erronée, ii) il n’était pas disponible au moment de l’audience et a par la suite été utilisé par la Commission, sans que la demanderesse en soit avisée ou qu’elle ait l’occasion d’y réagir, et iii) il a été retenu au détriment de la preuve contradictoire.

B.  La Commission a‑t‑elle négligé d’évaluer adéquatement le profil de risque de la demanderesse?

[27]  Dans son analyse, la Commission n’a pas évalué les risques auxquels la demanderesse était exposée en tant que demanderesse d’asile déboutée, et a estimé que sa conclusion défavorable sur la crédibilité était un facteur déterminant dans l’issue de la demande d’asile. En fait, la Commission a raison d’affirmer qu’elle n’est pas tenue d’évaluer les risques prévus à l’article 97 lorsqu’une conclusion sur la crédibilité a pour effet d’exclure le fondement des allégations de risque. Cependant, cette proposition générale est assujettie à l’exception mise en évidence par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) Sellan, 2008 CAF 381, au paragraphe 3 :

[…] Lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe. [Non souligné dans l’original.]

[28]  En l’espèce, la demanderesse a souligné le risque personnel qu’elle courait en tant que demanderesse d’asile déboutée, et a fourni des éléments de preuve documentaire à ce sujet. La Commission n’en a mentionné aucun.

[29]  La Commission a le devoir de déterminer s’il y a une possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée, compte tenu précisément de son profil de demanderesse d’asile déboutée, et ce, en dépit des préoccupations relatives à la crédibilité (Thevarajah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 458, au paragraphe 11). Car son statut de demanderesse d’asile déboutée est un aspect immuable de son profil et, à ce titre, il n’est pas visé par les questions de crédibilité qui ont été soulevées et dont il a été question ci-dessus. Comme dans les affaires Navaratnam et Suntharalingam, la Commission n’a mentionné cette réalité nulle part dans sa décision, et n’a pas non plus évalué les conséquences auxquelles une personne ayant ce profil serait exposée si elle devait retourner dans le nord du Sri Lanka, malgré la preuve à ce sujet.

[30]  Dans les affaires Thevarajah, Navaratnam et Suntharalingam, le fait que la Commission n’ait pas évalué le risque couru par les demandeurs d’asile déboutés a entraîné des décisions déraisonnables. De même, en l’espèce, la Commission était tenue d’analyser — même brièvement — les risques prévus à l’article 97 et d’examiner la preuve fournie par l’avocate à ce sujet. Même s’il est possible que la Commission conclue au bout du compte qu’un demandeur n’est pas exposé aux risques visés à l’article 97, elle est tout de même tenue de s’acquitter des tâches qui lui incombent.

VI.  Conclusion

[31]  Compte tenu des deux erreurs relevées dans l’analyse de la Commission, comme il est expliqué ci‑dessus, la décision est déraisonnable et ne peut être confirmée. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’un nouvel examen soit effectué. Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2373-18

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

  3. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de mars 2019.

Karine Lambert, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2373-18

 

INTITULÉ :

SHARMILA VARATHARAJAH c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JANVIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 FÉVRIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Rathika Vasavithasan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rathika Vasavithasan

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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