Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190205


Dossier : IMM-2022-18

Référence : 2019 CF 148

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 février 2019

En présence de madame la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

SHAOQIAN HUANG

HUIZHEN SU

JUHUI HUANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  M. Shaoqian Huang, son épouse Mme Huizhen Su et leur fils Juhui Huang sont des citoyens chinois. Ils en sont désaccord avec la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de rejeter leurs demandes d’asile au motif qu’ils n’ont pas établi de manière crédible qu’ils étaient exposés à des risques de persécution ou de traitements ou peines cruels et inusités en raison de leur participation à des manifestations antigouvernementales dans leur village natal.

II.  Exposé des faits

[2]  M. Huang exploitait une pisciculture dans un étang qu’il avait loué à la municipalité en 2006.

[3]  Le 12 janvier 2012, il a reçu un avis du gouvernement du district l’informant que les terres seraient « expropriées » – ou plutôt que le bail prendrait fin, afin de construire un centre de distribution de marchandises. Tout comme 26 autres entreprises du village, il a reçu l’ordre de libérer les terres expropriées au plus tard à la fin du mois de mars 2012.

[4]  Dans son exposé circonstancié, il explique qu’on lui avait offert une indemnisation pécuniaire insuffisante, et qu’on ne lui avait accordé aucune indemnité de déménagement ou autre mesure en vue de sa réinstallation. Il était l’un des six représentants des villageois touchés qui avaient été désignés pour exprimer leurs préoccupations au gouvernement du district, chose qu’ils ont tenté de faire à maintes reprises, mais en vain. Les autorités du district leur ont fait savoir qu’elles ne reviendraient pas sur leur décision et que les villageois devaient quitter les terres. S’ils refusaient, ils seraient expulsés par la force.

[5]  Le 21 février 2012, une cinquantaine de villageois ont manifesté devant l’édifice du gouvernement du district. Selon l’exposé circonstancié des demandeurs, les manifestants brandissaient des bannières et scandaient des slogans selon lesquels le gouvernement était corrompu et que l’indemnisation était inéquitable.

[6]  Le lendemain, quelque 90 villageois sont revenus manifester. Les agents du Bureau de la sécurité publique [BSP] sont toutefois venus sur les lieux et ont agressé les manifestants pour les disperser. Des affrontements ont eu lieu entre les manifestants et le BSP, mais M. Huang et son épouse ont réussi à s’échapper. Ils ont quitté le village pour aller se cacher chez un ami.

[7]  Le jour suivant, M. Huang a appris par ses parents que des agents du BSP s’étaient rendus chez lui pour les arrêter, lui et son épouse. D’après les parents, le couple était accusé d’avoir nui aux agents du gouvernement, d’avoir terni leur réputation et d’avoir tenu des rassemblements illégaux autour des bureaux et des agents du gouvernement. Les agents du BSP ont également interrogé le fils de M. Huang au sujet de leurs allées et venues et l’ont menacé de représailles s’il ne coopérait pas avec eux.

[8]  M. Huang a appris par la suite que trois représentants et huit villageois avaient été arrêtés et mis en détention.

[9]  Les demandeurs ont donc décidé de fuir la Chine. Ils ont trouvé un passeur, qui a organisé leur voyage vers les États-Unis en passant par Hong Kong. Ils ont ensuite franchi illégalement la frontière canadienne.

[10]  M. Huang allègue que des agents du BSP continuent de se rendre à son domicile, et que certains des représentants et des villageois qui ont été arrêtés sont toujours en détention.

III.  Décision contestée

[11]  La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi de manière crédible qu’ils seraient exposés à un risque de persécution en Chine. Quoi qu’il en soit, la persécution qu’ils craignaient ne se résumait qu’à des poursuites pour avoir participé à une manifestation contre le gouvernement.

[12]  La SPR a conclu que le BSP n’avait arrêté que des manifestants ayant pris part à des affrontements avec les autorités, ce qui n’est pas le cas des demandeurs.

[13]  Lors de son témoignage, M. Huang a déclaré que deux autres villageois ont fui en Amérique du Sud à la suite de leur altercation avec le BSP. Toutefois, la SPR reproche aux demandeurs de ne pas avoir mentionné ce détail dans leur exposé circonstancié de juin 2012, ou dans l’addenda de l’exposé circonstancié déposé en septembre 2017, soit deux semaines avant la première journée de l’audience de la SPR. La SPR a tiré une conclusion défavorable de cette omission, estimant qu’il s’agissait d’un fait crucial pour leur demande d’asile.

[14]  La SPR a également remis en doute la crédibilité des demandeurs parce qu’ils n’ont fourni aucune preuve documentaire, comme une citation à comparaître ou un mandat d’arrestation, pour appuyer leur témoignage selon lequel le BSP était à leur recherche et que ses agents s’étaient rendus à leur domicile.

[15]  La SPR a tiré une autre conclusion défavorable quant à la crédibilité du fait que les demandeurs ont transité par les États-Unis sans présenter de demande d’asile dans ce pays. La SPR a conclu que les demandeurs avaient engagé un passeur non pas pour fuir la Chine, mais plutôt pour venir au Canada. À son avis, le fait que les demandeurs n’ont pas demandé l’asile aux États-Unis démontre une absence de crainte subjective de persécution.

[16]  La SPR a rejeté les allégations des demandeurs selon lesquelles ils avaient réussi à quitter la Chine munis de leurs propres passeports alors qu’ils étaient recherchés par le BPS. Le gouvernement chinois a mis en œuvre le projet Bouclier d’or, un réseau de sécurité doté de mécanismes de contrôle et de repérage sophistiqués qui permettrait facilement aux autorités d’arrêter les demandeurs si le BPS les poursuivait activement. Si les demandeurs étaient vraiment recherchés par les autorités, ils auraient probablement été interceptés lors d’un contrôle de sécurité, même s’ils avaient retenu les services d’un passeur. La SPR n’a pas jugé crédible que le passeur ait pu permettre aux demandeurs de contourner les contrôles de sécurité et de sortie en Chine continentale et à Hong Kong.

[17]  La SPR a conclu que, même si elle avait admis que les demandeurs étaient poursuivis par le BPS, cela n’équivalait pas à de la persécution. La SPR a plutôt conclu que l’unique intérêt que les autorités pourraient avoir à l’égard des demandeurs serait de les poursuivre pour avoir participé illégalement à une manifestation antigouvernementale. Dans ce contexte, une poursuite n’équivaut pas à de la persécution.

IV.  Questions en litige

[18]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. L’omission de la commissaire de la SPR de se récuser constituait-elle un manquement à l’équité procédurale ou aux principes de justice naturelle?

  2. La SPR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité des demandeurs?

  3. La SPR a-t-elle commis une erreur en ne considérant pas qu’une poursuite équivaut à de la persécution dans le cas des demandeurs?

  4. La SPR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve documentaire?

[19]  S’il s’avère que la commissaire de la SPR a manqué d’impartialité, cela justifierait en soi l’intervention de la Cour. Si elle a été impartiale, son analyse est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Esfand, 2015 CF 1190, paragraphe 13).

V.  Analyse

A.  L’omission de la commissaire de la SPR de se récuser constituait-elle un manquement à l’équité procédurale ou aux principes de justice naturelle?

[20]  À l’audience devant la SPR, le conseil des demandeurs a demandé de vive voix à la commissaire de la SPR de se récuser. Le conseil a fait valoir que la commissaire a fait preuve de partialité en tirant des conclusions de fait sans avoir entendu l’intégralité du témoignage des demandeurs. La commissaire a entre autres fait la remarque qu’il était [traduction] « étrange » et « insensé » que le BPR n’ait laissé aucun document lors de ses visites au domicile des demandeurs. Le fait qu’elle ait dit qu’elle ne croyait pas que le témoignage de M. Huang soulevait, selon les demandeurs, une crainte raisonnable de partialité.

[21]  Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs. À mon avis, ils n’ont présenté rien de plus qu’une simple vague allégation de partialité. Les préoccupations de la commissaire quant au témoignage de M. Huang étaient justifiées, et elle était en droit de s’interroger sur les raisons pour lesquelles le BPS n’aurait pas remis une citation à comparaître si une personne était réellement recherchée. Le fait que la commissaire n’ait pas jugé crédible l’explication des demandeurs ne suffit pas à étayer l’allégation de partialité.

[22]  Une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, arriverait à la conclusion que la commissaire a agi équitablement (Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369). Une allégation de partialité doit être étayée par des preuves concrètes (Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, paragraphe 8). Or, de telles preuves ne m’ont pas été présentées.

[23]  Après examen de la transcription de l’audience, il me paraît évident que les remarques de la commissaire visaient à obtenir de M. Huang des éléments de preuve, plutôt qu’à tirer une conclusion de fait avant d’avoir entendu l’intégralité de la preuve :

[traduction]

COMMISSAIRE : Ont-ils laissé des documents à votre domicile corroborant qu’ils sont à votre recherche?

DEMANDEUR D’ASILE PRINCIPAL : Non

COMMISSAIRE : Savent-ils que vous n’êtes pas en Chine? Le BSP sait-il que vous n’êtes pas en Chine?

DEMANDEUR D’ASILE PRINCIPAL : Oui, je le sais parce que mon père leur a dit que j’étais, que nous étions... que nous sommes venus au Canada.

COMMISSAIRE : D’accord, donc vous... vous avez participé à des manifestations en 2012, l’année même où vous avez quitté la Chine. Vous êtes à l’extérieur du pays depuis cinq ans et vous me dites que de 2012 à 2017, le BSP a continué de se rendre à votre domicile à votre recherche.

DEMANDEUR D’ASILE PRINCIPAL : Oui, chaque année.

COMMISSAIRE : Je trouve étrange qu’ils n’aient laissé aucun document, aucune citation à comparaître, aucun mandat d’arrestation, rien. C’est insensé.

CONSEIL : Eh bien, je ne sais pas trop quoi en penser. Je suis préoccupé maintenant, parce que vous dites que c’est insensé, donc je ne...

COMMISSAIRE : C’est insensé puisqu’il s’agit d’une autorité policière...

CONSEIL : D’accord.

COMMISSAIRE : Et pourquoi n’y aurait-il pas... je pose simplement la question au demandeur.

[…]

CONSEIL : À mon avis, cela, cela donne à penser... que, vous savez, vous ne lui demandez pas « pouvez-vous donner plus de détails », vous dites que c’est insensé. J’y vois presque une conclusion défavorable.

COMMISSAIRE : Je vais me contenter de dire que c’est insensé à mes yeux; pouvez-vous m’expliquer pourquoi ils n’auraient pas laissé de documents à vos parents indiquant qu’ils sont à votre recherche? Juste à titre de... preuve qu’ils se sont rendus à votre domicile.

CONSEIL : Mais je... je tiens simplement à dire qu’il me semble qu’une certaine partialité réside déjà dans l’esprit de la commissaire, puisqu’elle interprète les documents sur le pays sans vraiment porter attention à l’ensemble du témoignage du demandeur et des observations du conseil.

COMMISSAIRE : Non, le demandeur a le droit de s’expliquer. Je lui pose la question.

CONSEIL : D’accord.

COMMISSAIRE : Il a le droit de s’expliquer.

[24]  À mon avis, la commissaire de la SPR n’avait aucune raison de se récuser. Il était approprié qu’elle demande à M. Huang pourquoi il n’y avait pas de preuve documentaire indiquant que le BSP cherchait à arrêter les demandeurs. Elle essayait de comprendre l’ensemble de la preuve dont elle disposait, y compris le fait que malgré les cinq ans qui se sont écoulés depuis le moment où les demandeurs ont quitté la Chine, et le témoignage de M. Huang indiquant que le BSP recherche toujours les demandeurs, il n’y a pas de document qui prouve les tentatives persistantes du BSP.

[25]  L’intervention de la Cour n’est pas requise sur ce point.

B.  La SPR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité des demandeurs?

(1)  Omission de mentionner dans l’exposé circonstancié la fuite en Amérique du Sud de deux représentants

[26]  Même si je suis d’accord avec les demandeurs que le fait que des représentants des villageois se soient enfuis en Amérique du Sud n’est pas au cœur de leur demande, le fait qu’ils aient quitté le pays est néanmoins pertinent pour établir, par exemple, une crainte subjective de persécution. Étant donné que les demandeurs étaient représentés par un conseil d’expérience et qu’ils ont modifié leur exposé circonstancié moins de deux semaines avant leur audience devant la SPR, on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que cette information y soit incluse, surtout que les demandeurs ont fourni de l’information sur les représentants et les villageois qui avaient été arrêtés.

[27]  Quoi qu’il en soit, la SPR n’a pas fondé sa décision sur ce seul motif, et elle était en droit de tirer une conclusion négative de cette omission. Je ne suis pas convaincue que cette conclusion était déraisonnable.

(2)  Absence de citation à comparaître ou de mandat d’arrestation

[28]  Les demandeurs soutiennent que la SPR a déraisonnablement rejeté l’affirmation voulant que le BSP était à leur recherche au seul motif qu’aucune citation à comparaître ou aucun mandat d’arrestation n’a été produit en preuve. La jurisprudence est partagée quant à savoir si une telle conclusion est raisonnable.

[29]  Les demandeurs reconnaissent qu’une citation à comparaître peut être délivrée, mais que ce n’est pas toujours le cas. Dans Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1124, paragraphes 39 à 44, le juge Paul Favel a jugé que lorsqu’une citation à comparaître « peut » être délivrée par le BSP, il n’est pas raisonnable de conclure que le défaut de présenter une citation à comparaître est si improbable qu’il entache la crédibilité du demandeur. Affirmer qu’une citation à comparaître aurait nécessairement été délivrée constitue une hypothèse déraisonnable (Zhang c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 444, paragraphe 16).

[30]  Cependant, lorsque le demandeur d’asile prétend, comme en l’espèce, que le BPR le recherche sans relâche, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une citation à comparaître ou quelque autre document soit remis (Yan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 781, paragraphes 37 et 38; Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 666, paragraphe 16; Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1362, paragraphes 56 à 60; Jia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 444, paragraphes 37 et 38. De plus, l’absence de citation à comparaître n’est que l’une des nombreuses raisons pour lesquelles la SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Compte tenu de l’absence générale de documentation justificative et de l’analyse de la SPR des autres incohérences dans le récit des demandeurs, tirer une conclusion défavorable de l’absence de citation à comparaître était une issue possible et acceptable (Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1255, paragraphe 13; Deng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 176, paragraphe 14).

[31]  À mon avis, étant donné le dossier factuel selon lequel une citation à comparaître n’est pas toujours délivrée, la SPR aurait commis une erreur déraisonnable si elle avait conclu que l’absence de citation à comparaître était déterminante. Toutefois, cette conclusion défavorable quant à la crédibilité est tirée dans un contexte où la SPR ne croit pas beaucoup d’autres éléments du récit des demandeurs. En d’autres mots, il est évident que l’absence de citation à comparaître n’est pas déterminante, mais qu’elle fait plutôt partie d’une suite d’inférences défavorables qui pourraient mener à une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Par conséquent, je conclus que cet aspect de la décision de la SPR est raisonnable.

(3)  Défaut de présenter une demande d’asile aux États-Unis

[32]  En ce qui a trait au défaut des demandeurs de revendiquer l’asile aux États-Unis, la SPR a conclu que cela indiquait une absence de crainte subjective de persécution. Bien que la SPR ait précisé que cette conclusion n’était pas déterminante, je conviens avec les demandeurs qu’il s’agissait d’une erreur de la part de la SPR de tirer une conclusion défavorable de leur défaut de présenter une demande d’asile aux États-Unis. Le demandeur a expliqué à l’audience qu’il s’était contenté de suivre les instructions du passeur, qui lui aurait dit qu’il serait plus facile de se voir accorder l’asile au Canada, étant donné que les visas américains avaient été obtenus grâce à de fausses déclarations.

[33]  Comme le demandeur a fourni une bonne raison pour ne pas avoir demandé l’asile aux États-Unis, il était déraisonnable de la part de la SPR de tirer une conclusion défavorable de cette seule omission. Toutefois, puisque la SPR elle-même a déclaré que cette conclusion n’était pas déterminante, l’erreur ne touche pas le cœur de la décision et ne constitue pas un motif pour l’annuler (Castillo Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 648, paragraphe 24).

(4)  Capacité de quitter la Chine tout en étant recherchés par le BSP

[34]  Les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de ne pas croire qu’ils aient pu quitter la Chine en utilisant leurs propres passeports alors qu’ils étaient recherchés par le BSP. En dépit de leur témoignage selon lequel ils avaient reçu l’aide d’un passeur qui leur a dit de se présenter à un comptoir de sécurité précis, la SPR estime qu’ils auraient probablement été interceptés à l’un des nombreux contrôles de sécurité s’ils étaient réellement recherchés par le BSP.

[35]  Cette question et son issue dépendent de circonstances factuelles précises.

[36]  L’aide d’un passeur qui aurait soudoyé la bonne personne pourrait suffire à contourner le Bouclier d’or. Certaines décisions de la SPR rejetant des demandes d’asile dans ces circonstances ont été jugées déraisonnables (Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402, paragraphes 15 et 16; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 533, paragraphe 11; Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 387, paragraphe 26; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 543, paragraphes 11 à 14; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 762, paragraphe 68; He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1089, paragraphes 6 à 11; Zhang c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 444, paragraphes 13 à 15; Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 57, paragraphes 24 à 31).

[37]  Toutefois, dans d’autres affaires, la Cour a jugé raisonnable la conclusion selon laquelle les demandeurs d’asile ne pouvaient pas contourner le Bouclier d’or s’ils étaient réellement recherchés, même avec l’aide d’un passeur (Gong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 165, paragraphe 14; Yan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 146, paragraphes 20 et 21; Zeng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1060, paragraphe 32; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 539, paragraphes 31, 32 et 36; Gu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 543, paragraphes 33 à 35; Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 615, paragraphes 10, 22 et 23; Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1175, paragraphes 34 à 42; Yan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 781, paragraphes 9, et 29 à 36; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 877, paragraphes 14 à 21).

[38]  En l’espèce, tout comme dans les décisions Gong (paragraphe 14), Chen (paragraphes 31 à 32) et Lin (paragraphe 40), précitées, la SPR a conclu, en s’appuyant sur la preuve objective relative aux conditions dans le pays, qu’il est improbable que les demandeurs aient réussi à quitter la Chine, même en faisant appel à un passeur. Cette conclusion va dans le même sens que le guide jurisprudentiel TB6-11632, où il est indiqué, aux paragraphes 32 à 36, qu’il est peu probable qu’un demandeur d’asile recherché par les autorités chinoises puisse contourner tous les contrôles de sortie en place, même avec l’aide d’un passeur. Je souligne que, conformément à la Note de politique concernant la désignation de la décision TB6-11632 en tant que guide jurisprudentiel de la Section d’appel des réfugiés, les commissaires de la SPR et de la SAR doivent appliquer les guides jurisprudentiels aux cas comportant des faits semblables ou justifier leur décision de s’en écarter, le cas échéant. Cela vise à accroître la cohérence, la certitude et la prévisibilité au sein du processus décisionnel (Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1064, paragraphes 26 et 27).

[39]  Compte tenu de ce qui précède, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure qu’il est peu probable que les demandeurs soient recherchés par BSP.

C.  La SPR a-t-elle commis une erreur en ne considérant pas qu’une poursuite équivaut à de la persécution dans le cas des demandeurs?

[40]  Comme j’ai jugé qu’il était raisonnable que SPR conclue que les demandeurs n’étaient pas crédibles, je n’ai pas besoin de me prononcer sur la question de savoir si le risque d’être poursuivi équivaut à de la persécution.

[41]  Toutefois, je remarque que, dans Ni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 948, la juge Elizabeth Walker a jugé raisonnable la conclusion de la SPR selon laquelle la participation à une manifestation afin de réclamer une juste indemnisation n’équivalait pas à de la persécution au sens de la Convention. De plus, scander des slogans antigouvernementaux ne signifie pas nécessairement qu’il existe un lien avec un motif prévu dans la Convention (Yan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 781, paragraphe 22).

[42]  Même si j’admettais que les demandeurs sont recherchés, ils n’ont pas établi qu’ils seraient persécutés; ils ont seulement établi qu’ils seraient poursuivis pour avoir contrevenu à une loi d’application générale. M. Huang a déclaré qu’il ne voulait pas retourner en Chine parce qu’il serait arrêté et mis en prison, pas qu’il serait personnellement exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque de torture.

[43]  Bien qu’il soit vrai que les demandeurs ont expressément invoqué une preuve objective sur les conditions dans le pays documentant certains cas de mauvais traitement envers des personnes ayant manifesté contre l’expropriation de terres, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve qui indiquent que les demandeurs eux-mêmes seraient exposés à un traitement équivalent à de la persécution.

[44]  J’estime que cette conclusion est raisonnable. Autrement dit, rien ne prouve que les personnes qui s’opposent à l’expropriation de terres reçoivent systématiquement un traitement équivalant à de la persécution, de sorte que la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs ne seront pas persécutés doit être considérée comme déraisonnable. Je tiens aussi à ajouter que le gouvernement avait déjà exproprié les terres des demandeurs et qu’il n’aurait qu’un intérêt limité pour le demandeur principal, intérêt qui se résumerait, le cas échéant, à le poursuivre pour avoir participé à un rassemblement illégal. Enfin, ce n’est pas parce que la peine prévue pour une opposition illégale à une expropriation est plus sévère en Chine qu’au Canada qu’elle équivaut à de la persécution.

D.  La SPR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve documentaire?

[45]  Je suis d’avis que la preuve documentaire présentée par les demandeurs ne démontre pas qu’ils sont exposés à des risques de persécution en Chine. L’avis d’expropriation des terres et le bail pour la parcelle louée démontrent que le demandeur principal exploitait une pisciculture et qu’il a été exproprié, mais ces documents ne prouvent pas qu’il était recherché par le BSP ou qu’il risque de se faire persécuter.

[46]  Même si la lettre supposément envoyée par le père du demandeur principal corrobore la version des faits des demandeurs, y compris leurs allégations voulant qu’ils soient recherchés par le BSP, la SPR l’a rejetée au motif qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve que les demandeurs étaient réellement recherchés par le BSP, notamment parce que les agents du BSP n’ont pas remis de citation à comparaître ou de mandat d’arrestation à la famille des demandeurs en Chine, et que les demandeurs avaient été en mesure de quitter le pays munis de leurs propres passeports. La SPR était de toute évidence au courant de l’existence de cette lettre, puisqu’elle y a renvoyé au paragraphe 27 de sa décision.

[47]  Bien des demandes d’asile contiennent des éléments de preuve contradictoires, et il incombe à la SPR de les soupeser. Les éléments de preuve en faveur d’un demandeur ne justifient pas tous l’acceptation d’une demande d’asile. Compte tenu de l’ensemble du dossier, il était raisonnable de ne pas accorder beaucoup de poids à cette déclaration écrite non solennelle faite par un membre de la famille.

VI.  Conclusion

[48]  La conduite de la commissaire de la SPR n’a pas donné lieu à une crainte raisonnable de partialité. La SPR a raisonnablement conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils étaient recherchés par le BSP ou qu’ils seraient persécutés, que leur vie serait en danger et qu’ils risquent de subir des traitements ou peines cruels et inusités ou d’être torturés advenant leur retour en Chine. La SPR a raisonnablement apprécié et soupesé la preuve avant de conclure que les demandeurs n’avaient pas établi de manière crédible le fondement de leurs allégations.

[49]  La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question de cette nature ne découle des faits de la présente affaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2022-18

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de mars 2019

Sandra de Azevedo, traductrice
COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2022-18

INTITULÉ :

SHAOQIAN HUANG ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 décembre 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge en chef adjointe Gagné

DATE DES MOTIFS :

Le 5 février 2019

COMPARUTIONS :

Stephanie Fong

POUR LES DEMANDEURS

Alex C. Kam

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.