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Date : 20190124


Dossier : IMM-3103-18

Référence : 2019 CF 100

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

YOUSIF SALIM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR ou la Loi), d’une décision, en date du 1er juin 2018, par laquelle un agent principal (l’agent) a conclu que le demandeur constitue un danger pour le public canadien et ne serait pas personnellement exposé à un risque pour sa vie ou sa liberté s’il était renvoyé en Iraq.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Contexte

[3]  Le demandeur, Yousif Salim, est un citoyen irakien âgé de 25 ans. Sa mère, ses deux frères et sœurs et lui sont arrivés au Canada le 3 novembre 2010 à titre de réfugiés au sens de la Convention. Parrainés comme réfugiés par le gouvernement, ils ont obtenu le statut de résident permanent.

[4]  Le demandeur a éprouvé de la difficulté à s’adapter à la vie au Canada. Il a commencé à avoir des ennuis dans sa jeunesse et il a fini par avoir un casier judiciaire en tant qu’adulte. En 2013, il a fait l’objet d’un rapport visé au paragraphe 44(1) de la LIPR pour une déclaration de culpabilité en 2012 pour voies de fait causant des lésions corporelles. Une mesure d’expulsion a par la suite été prise contre lui, mesure contre laquelle le demandeur a interjeté appel en 2014.

[5]  En 2014, le médecin de famille du demandeur l’a référé à un psychiatre pour des problèmes de santé mentale soupçonnés. Le psychiatre a diagnostiqué qu’il souffrait d’un trouble bipolaire, d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT) et d’un trouble de l’humeur mixte de toxicomanie et de sevrage. Le demandeur affirme qu’il prend des médicaments pour ces troubles depuis 2014. En 2018, ses problèmes de santé mentale ont été réévalués par le Centre de santé mentale Royal Ottawa et on lui a diagnostiqué un TSPT chronique, un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), une apnée du sommeil et des problèmes de toxicomanie pour lesquels il était en rémission.

[6]  En 2017, l’appel du demandeur relatif à son expulsion a été considéré comme abandonné par la Section d’appel de l’immigration pour manquement lié à la mise en état. La mesure d’expulsion contre le demandeur a été rétablie.

[7]  En juillet 2017, le demandeur s’est vu signifier un avis l’informant de l’intention de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) de solliciter, au titre de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR, un avis du ministre selon lequel il constitue un danger pour le public (communément appelé un « avis de danger »).

[8]  Le 19 juin 2018, le demandeur et son avocate ont reçu un avis des motifs du délégué du ministre relativement aux conclusions qu’il constituait un danger pour le public canadien et qu’il ne serait pas personnellement exposé à un risque s’il était renvoyé en Iraq.

[9]  Le 4 juillet 2018, le demandeur a présenté une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de ces conclusions.

III.  Décision contestée

[10]  L’agent a examiné les risques pour la vie, la liberté et la sécurité de la personne du demandeur et a conclu que la nécessité de protéger la société canadienne l’emportait sur les risques auxquels le demandeur serait exposé s’il était renvoyé en Iraq et que, selon la prépondérance des probabilités, ses droits en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (Royaume-Uni), 1982, c 11 (la Charte), ne seraient pas violés. Pour arriver à cette conclusion, l’agent a évalué la situation générale sur le plan de la sécurité en Iraq, le risque pour les enfants de mariages mixtes et la disponibilité des soins médicaux pour les personnes touchées par les troubles de santé mentale dont souffre le demandeur. Seules les première et dernière conclusions ont été soulevées à titre de question devant la Cour.

[11]  Premièrement, en ce qui concerne la situation sur le plan de la sécurité en Iraq, l’agent a constaté que le demandeur vient de Nasiriyah, partie de l’Iraq qui était, de façon générale, moins touchée par les conflits, et que la situation humanitaire générale s’était beaucoup améliorée dans toutes les parties de l’Iraq. L’agent a conclu que, si le demandeur retournait dans sa région d’origine, il ne serait pas exposé à plus qu’une simple possibilité de devenir une victime aléatoire de la violence.

[12]  Deuxièmement, en ce qui concerne les mariages mixtes, l’agent a constaté que, même si la mère du demandeur était chiite et que son père était sunnite, selon une récente demande d’information de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, les mariages mixtes chiites et sunnites ont toujours été courants et continuent de l’être. Il semblait donc peu probable que les antécédents du demandeur lui causent des problèmes.

[13]  Troisièmement, en ce qui concerne la question de l’accès aux soins médicaux, l’agent a conclu que les services médicaux disponibles en Iraq seraient suffisants pour répondre aux besoins du demandeur en matière de santé mentale.

[14]  Enfin, l’agent a examiné la question de savoir s’il existait d’autres motifs d’ordre humanitaire favorables à la demande. Il a conclu que le demandeur est [traduction« susceptible de continuer à commettre des crimes et n’est toujours pas plus près de mener un mode de vie prosocial quelque sept années après son arrivée ». L’agent a conclu que le fait que le demandeur avait vécu des expériences traumatisantes en Iraq et en Syrie n’était pas un facteur déterminant pour décider s’il devait être renvoyé.

IV.  Cadre législatif

[15]  Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent en l’espèce :

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

 

Principe

 

Protection

 

115 (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

 

115 (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

 

Exclusion

 

Exceptions

 

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

 

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

 

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

 

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

 

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

 

Renvoi de réfugié

 

Removal of refugee

 

(3) Une personne ne peut, après prononcé d’irrecevabilité au titre de l’alinéa 101(1)e), être renvoyée que vers le pays d’où elle est arrivée au Canada sauf si le pays vers lequel elle sera renvoyée a été désigné au titre du paragraphe 102(1) ou que sa demande d’asile a été rejetée dans le pays d’où elle est arrivée au Canada.

(3) A person, after a determination under paragraph 101(1)(e) that the person’s claim is ineligible, is to be sent to the country from which the person came to Canada, but may be sent to another country if that country is designated under subsection 102(1) or if the country from which the person came to Canada has rejected their claim for refugee protection.

V.  Questions en litige

[16]  La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur une copie des rapports sur l’Iraq sur lesquels il s’est fondé pour son évaluation des risques que court le demandeur?

  2. L’évaluation des risques que court le demandeur effectuée par l’agent était‑elle déraisonnable?

VI.  Norme de contrôle

[1]  Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable au contexte des avis de danger délivrés au titre de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR est celle de la décision raisonnable : « [le] tribunal ne peut soupeser à nouveau les facteurs pris en compte par le ministre, mais il peut intervenir si la décision n’est pas étayée par la preuve ou si elle n’a pas été prise en tenant compte des facteurs pertinents. » (Suresh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CSC 1, paragraphe 39; voir également Ahani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CSC 2, paragraphe 16).

VII.  Analyse

[2]  Le critère applicable pour déterminer si le demandeur qui a été déclaré être un danger pour le public devrait être autorisé à rester au pays en raison du risque auquel il serait exposé s’il était renvoyé, est bien résumé en ces termes par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ragupathy, 2006 CAF 151, au paragraphe 19 :

L’analyse du risque et la comparaison subséquente du danger et du risque ne sont pas expressément exigées par le paragraphe 115(2) qui parle uniquement de grande criminalité et de danger pour le public. Ces éléments ont en fait été ajoutés à l’avis relatif au danger pour le public, de façon à pouvoir décider si le renvoi de la personne protégée choquerait la conscience des Canadiens au point de violer le droit, garanti par l’article 7 à cette personne, de n’être privée de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), en particulier aux paragraphes 76 à 79.

A.  L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur une copie des rapports sur l’Iraq sur lesquels il s’est fondé pour son évaluation des risques que court le demandeur?

[3]  Mon collègue le juge Brown a récemment résumé le droit dans ce domaine au paragraphe 27 de la décision Ahmed c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 471 (Ahmed) :

[...] la règle générale est que les agents doivent divulguer la preuve extrinsèque invoquée et accorder au demandeur la possibilité de répondre si deux conditions sont remplies : premièrement, lorsque la preuve est vraiment extrinsèque, à savoir « nouvelle et importante » et d’autre part, lorsqu’il s’agit d’une information que le demandeur ne pouvait raisonnablement pas avoir connaissance : Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 904; Toma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 780 [...]

[4]  La conclusion générale du délégué du ministre en ce qui concerne la situation sur le plan de la sécurité en Iraq était la suivante :

[traduction]

 [...] la situation actuelle est certainement très différente de la situation en 2010, lorsque le statut de réfugié a été accordé à la famille. L’Iraq est maintenant dans une large mesure stable et en reconstruction. Des incidents terroristes continuent de se produire en Iraq, mais le pays n’est plus en état de guerre civile avec de multiples groupes d’insurgés, et l’économie se redresse également selon un rapport de 2017. http://www.banquemondiale.org/fr/ country/iraq/publication/iraq-economic-outlook-october-2017

[5]  Le délégué du ministre a invoqué le plus récent rapport des Nations Unies (ONU), en date du 17 avril 2018, concernant la situation générale sur le plan de la sécurité et de la situation humanitaire en Iraq. Il en a cité plusieurs extraits dans ses motifs. Le rapport d’avril était une mise à jour du rapport du 17 janvier 2018 sur le même sujet. Le rapport d’avril 2018 présentait de nouveaux renseignements visant l’intervalle de trois mois.

[6]  Le demandeur a fourni au délégué du ministre des observations concernant la situation sur le plan de la sécurité en Iraq en novembre 2017. Il a eu une deuxième occasion de présenter des observations. Il a été invité à fournir [traduction] « de nouveaux éléments de preuve relatifs au danger, au risque en cas de retour, à des motifs d’ordre humanitaire ou à tout autre sujet et qui n’étaient pas raisonnablement accessibles au moment où [il a] été avisé pour la première fois de l’intention de l’ASFC de demander l’avis du ministre ».

[7]  Sa deuxième série d’observations a été reçue le 28 février 2018. Il s’agissait uniquement d’une évaluation de la santé mentale rédigée par le Dr J.P. Fedoroff. En conséquence, le demandeur avait accès aux renseignements du rapport de sécurité de l’ONU de janvier, mais il a choisi de ne pas faire le point sur la situation sur le plan de la sécurité en utilisant les renseignements contenus dans le rapport de l’ONU de janvier.

[8]  C’est dans ce contexte que le demandeur se plaint du fait qu’on n’avait pas fait preuve d’équité procédurale à son endroit, comme en fait foi la déclaration du délégué du ministre selon laquelle [traduction] « [l]es observations de l’avocate relatives au risque sont dépassées en ce qui concerne les parties de l’Iraq contrôlées par l’EIIL ». Le demandeur a interprété ces remarques comme renvoyant au changement de la situation entre l’automne 2017 et le printemps 2018. Cependant, le commentaire [traduction« sont dépassées » renvoie expressément aux observations du demandeur du 1er novembre 2017. Le délégué du ministre en a cité des extraits dans la décision, faisant état de victimes et d’attaques en bien plus grand nombre que ceux déclarés dans le rapport de l’ONU de janvier. Les chiffres de janvier avaient quant à eux aussi quelque peu diminué dans le rapport de l’ONU d’avril. Je ne vois aucune erreur par conséquent dans la déclaration selon laquelle les renseignements fournis par le demandeur étaient grandement dépassés en ce qui concerne les renseignements auxquels il avait accès le 28 janvier 2018.

[9]  En comparant les renseignements des rapports de l’ONU de janvier et d’avril, je constate également qu’ils sont relativement semblables, présentant une tendance à la baisse dans une certaine mesure, mais dans une mesure complètement différente de celle présentée par le demandeur dans ses observations de novembre 2017. Ces dernières reposent sur les données de 2016 qui, par exemple, indiquaient que 6 878 personnes ont été tuées et que 12 368 personnes ont été blessées. Le rapport de janvier mentionnait 69 civils tués et 327 blessés, alors que le rapport de l’ONU d’avril indiquait que les chiffres avaient chuté à 16 victimes civiles tuées et 139 blessées. Ces renseignements ont été décrits dans le rapport du délégué du ministre. Par conséquent, je conclus que la conclusion générale du délégué du ministre selon laquelle la situation était très différente et allait en s’améliorant était soutenue par les éléments de preuve cités, dont aucun n’était nouveau ou important dans le sens décrit dans la décision Ahmed.

[10]  Il ne pouvait y avoir une obligation de divulguer le rapport d’avril que si le délégué du ministre avait l’intention de se fier aux renseignements qu’il contenait en lien avec un changement nouveau et important depuis le 28 février 2018 dans la situation générale du pays pendant ce temps. Le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir qu’un tel changement a eu lieu. On remarque également que l’avis de l’ASFC du 22 juin 2017 indiquait que le ministre ferait référence aux [traduction] « renseignements les plus récents et actuels concernant le pays disponibles dans les centres de documentation de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ». J’estime que c’est équitable, dans la mesure où un demandeur ne peut pas fournir de preuve importante contredisant les documents postérieurs à l’audience.

B.  L’évaluation des risques que court le demandeur effectuée par l’agent était-elle déraisonnable?

(1)  Situation sur le plan de la sécurité à Nasiriyah

[11]  Essentiellement, le demandeur demande à la Cour de réévaluer la preuve, ce qu’elle ne peut naturellement pas faire. Le seul sujet de préoccupation est ce que je décrirais comme une forme d’erreur dans l’appréciation des faits dans le cadre du processus, en lien avec les conclusions relatives au risque. Le demandeur soutient que le délégué du ministre a omis de tenir compte de l’importante preuve présentée dans ses observations qui contredit les conclusions relatives au risque et d’y répondre.

[12]  Plus précisément, le demandeur s’est plaint du fait que le délégué du ministre n’a pas tenu compte d’un élément de preuve plus récent relatif à un incident grave qui a eu lieu le 17 octobre 2017 dans la ville de Nasiriyah. Le demandeur est originaire de cette ville située dans les provinces du Sud et où on a laissé entendre qu’il retournerait. Le passage de la décision en question, qui cite le Country Information Guidance Report du 12 août 2016 du Home Office du Royaume-Uni, est reproduit ci-dessous.

[traduction]

Je remarque que M. Salim est originaire de Nasiriyah, qui est dans la province de Dhi Qar, dans le sud de l’Iraq, une partie de l’Iraq qui, de façon générale, a été moins touchée par les conflits sectaires de 2006 à 2011 et le chaos en Iraq avec l’EIIL de 2014 à 2017 :

Dans les provinces du Sud principalement chiites de Nadjaf, Kerbala, Al-Basra, Wassit, Al‑Qadisiyya, Dhi-Qar, Maysan et Al‑Muthanna, il n’y a pas eu de confrontation directe entre l’EIIL et les forces armées irakiennes. La violence dans ces provinces s’est limitée à des attaques terroristes sporadiques de fréquence et d’intensité décroissantes. Le nombre de victimes civiles est nettement inférieur à celui de la province de Babel et très inférieur aux niveaux atteints dans le centre de l’Iraq, y compris à Bagdad.

Selon un rapport de novembre 2017, il y avait moins de 1 000 personnes déplacées dans les camps temporaires dans la province de Thi Qar, par rapport aux 100 000 ou plus de personnes qu’il y aurait dans d’autres provinces de l’Iraq (citant un rapport du HCR de l’ONU daté du 22 novembre 2017).

[13]  Dans ses observations de novembre 2017, le demandeur a fait remarquer que [traduction« même si la plupart des activités et des attaques de l’EIIS sont concentrées dans le nord et le nord-ouest de l’Iraq, comme à Mossoul, il y a également eu de graves attaques dans le sud de l’Iraq, y compris à Nasiriyah, la ville natale de M. Salim. Des attentats-suicides et des attentats à la voiture piégée ont eu lieu dans le sud de Nasiriyah pas plus tard que le 11 octobre 2017. »

[14]  Par conséquent, ses observations confirment que la région, par opposition à la ville du demandeur, où le demandeur retournerait vraisemblablement, comporte beaucoup moins d’instabilités et de risques que d’autres régions en Iraq, conformément à ce qui est indiqué dans la décision. Le délégué du ministre a indiqué que la violence dans les provinces où le demandeur résidait était limitée à des attaques terroristes sporadiques de fréquence et d’intensité décroissantes. Le demandeur n’a pas réfuté cette déclaration relative à la situation générale dans les provinces décrite dans le passage reproduit plus haut. La conclusion générale du délégué du ministre indiquait également qu’il continue à y avoir des incidents liés au terrorisme en Iraq. La conclusion de l’agent – qui est soutenue par la preuve selon laquelle M. Salim retournerait dans une région beaucoup plus sécuritaire que d’autres régions en Iraq – n’est pas déraisonnable.

[15]  Rien n’indique que le délégué du ministre a omis de tenir compte du témoignage du demandeur en ce qui concerne l’incident d’octobre dans sa ville natale puisque ce renseignement faisait partie des renseignements provenant des observations du demandeur, dont le délégué a fait état dans sa décision. Je ne conclus pas que le délégué du ministre a omis de tenir compte d’éléments de preuve fournis par le demandeur qui sont contraires à ses conclusions.

[16]  Même si je n’ai pas à réévaluer la preuve, les conclusions semblent confirmées par la preuve présentée dans cette affaire. Dans la mesure où il existe des éléments de preuve à l’appui des conclusions du délégué du ministre en ce qui concerne les risques, la Cour ne peut pas intervenir. Je ne conclus pas que les éléments de preuve relatifs à l’incident terroriste de septembre 2017 à Nasiriyah suffisent à contredire les éléments de preuve à l’appui de la conclusion générale du délégué du ministre selon laquelle la situation s’améliorait sensiblement et le demandeur ne courrait pas le risque d’être refoulé s’il retournait dans les provinces du sud de l’Iraq.

(2)  Santé mentale

[17]  Le demandeur a soutenu que le recours de l’agent à des rapports dépassés sur la disponibilité des soins de santé mentale en Iraq était déraisonnable.

[18]  Cependant, cela ne tient pas compte de la conclusion du ministre selon laquelle [traduction] « [l]a prétention de l’avocate selon laquelle M. Salim courrait un risque en Iraq en raison de ses besoins médicaux semble être excessive ». Je conclus que cette conclusion est corroborée par le rapport de février 2018 du Dr Fedoroff, psychiatre en chef du Centre de santé mentale Royal Ottawa dont le demandeur avait retenu les services pour fournir une preuve d’expert sur son état de santé mentale.

[19]  Le rapport a présenté des éléments de preuve à jour qui contredisaient les éléments de preuve documentaire de la médication datant de l’époque de l’incarcération du demandeur. La prétention du demandeur selon laquelle il [traduction] « prend du Concerta, du Wellbutrin, du Remeron, du Seroquel, de l’olanzapine, du Nozinan et de la Methoprazine » semble être directement contredite par les conclusions du rapport du Dr Fedoroff. Selon ce dernier, le demandeur [traduction] « prend actuellement » de l’olanzapine pour des problèmes [traduction« [d’]anxiété » et un somnifère (le Remeron) chaque soir. Aucun médicament supplémentaire n’a été mentionné. En particulier, le Dr Fedoroff a répondu, à la question – posée par l’avocate dans la lettre attestant l’entente de service – de savoir quels médicaments le demandeur devait prendre, [traduction] « aucun ».

[20]  Le diagnostic établi par le Dr Fedoroff pour le demandeur était le suivant : TSPT (chronique), polytoxicomanie (actuellement en rémission), TDAH – possiblement automédicamenté et possiblement apnée du sommeil. Lorsqu’on lui a demandé si un traitement hospitalier, un traitement psychiatrique en établissement ou des programmes ambulatoires ou de jour seraient suffisants, le Dr Fedoroff a répondu qu’un [traduction] « programme ambulatoire serait préférable ».

[21]  En fait, la seule recommandation était que M. Salim bénéficie de l’inscription à un programme de traitement de la toxicomanie (pour l’aider à maintenir son abstinence). Il bénéficierait également d’un traitement pour le TSPT et le TDAH, idéalement dans le cadre d’un programme adapté aux problèmes rencontrés par les réfugiés. Il a été suggéré qu’il participe à une étude sur le sommeil afin d’étudier ses troubles du sommeil afin de recevoir le traitement approprié pour les problèmes de sommeil constatés. Il bénéficierait également d’une inscription à un programme de gestion de la colère.

[22]  Je ne conclus pas que les éléments de preuve relatifs à la santé mentale du demandeur indiquent qu’il courrait un risque important advenant son renvoi; je conclus seulement qu’il bénéficierait de programmes et d’une médication qui n’irait pas au-delà de ce qu’il prenait déjà pour traiter son anxiété et ses problèmes de sommeil.

[23]  À mon avis, la preuve n’appuie pas l’existence d’une situation de risque fondée sur les problèmes de santé mentale du demandeur qui satisferait à la norme relativement élevée en matière d’expulsion, à savoir une situation qui choquerait la conscience de manière à violer les droits du demandeur énoncés à l’article 7 de la Charte concernant la sécurité de sa personne.

[24]  Quoi qu’il en soit, la principale critique formulée par le demandeur était que le délégué du ministre s’appuyait sur des éléments de preuve dépassés de 2009 concernant des programmes disponibles pour aider les personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Suivre ces programmes aurait peut-être été une possibilité pour le demandeur, comme l’a recommandé le Dr Fedoroff.

[25]  Il s’est toutefois avéré que le demandeur avait mal compris la référence. Il s’agissait d’un programme de quatre ans lancé en 2009, qui faisait l’objet d’un rapport en 2013. Médecins sans frontières a collaboré avec le ministère de la santé irakien pour mettre en place un programme de services de conseil psychologique dans deux grandes villes irakiennes dans le but qu’il soit reproduit dans tout le pays.

[26]  Les articles présentés par l’avocate ont expliqué que le besoin de services psychologiques ou psychiatriques est plus grand que ce que les fournisseurs de services peuvent fournir. Le délégué du ministre a évalué cet élément de preuve et il a conclu que cela ne voulait pas dire que les services étaient totalement absents. Les services existent, même si leur nombre est limité, pour ceux qui ont besoin d’un traitement en santé mentale en Iraq et cela réduirait la probabilité que le demandeur soit incapable d’accéder à des services de santé mentale ou de recevoir une médication s’il devait en demander une.

[27]  Cette preuve, associée à celle de l’état de santé mentale relativement bénin du demandeur, est suffisante pour trancher la question.

[28]  Par conséquent, la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3103-18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

 « Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de mars 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-3103-18

 

INTITULÉ :

YOUSIF SALIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 janvier 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

Le 24 janvier 2019

COMPARUTIONS :

Ayesha Kumaratne

POUR LE DEMANDEUR

 

Andrew Kinoshita

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ayesha Kumaratne

Avocate

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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