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Date : 20190130


Dossier : T-1068-14

Référence : 2019 CF 125

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2019

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

RAYMOND MICHAEL TOTH

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Le représentant demandeur, M. Michael Raymond Toth [M. Toth ou le demandeur], et la défenderesse présentent la présente requête conjointe conformément à l’article 334.29 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] et demandent à la Cour d’approuver l’entente de règlement du présent recours collectif. Les avocats du groupe et M. Toth demandent également à la Cour d’approuver les honoraires et débours des avocats du groupe ainsi que la rétribution de 50 000 $ à verser par les avocats du groupe à M. Toth à même les frais juridiques approuvés.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la Cour approuve l’entente de règlement, les honoraires et débours des avocats du groupe ainsi que la rétribution à verser à M. Toth à titre de représentant demandeur.

I.  Contexte

[3]  Le présent recours collectif porte sur les réclamations d’anciens combattants qui recevaient diverses prestations, dont une pension d’invalidité dont le montant était déduit des autres prestations qu’ils recevaient ou avaient le droit de recevoir.

[4]  Les programmes d’avantages sociaux visés par le recours collectif sont les suivants : le Programme des allocations aux anciens combattants (AAC) créé en vertu de la Loi sur les allocations aux anciens combattants, LRC 1985, c W-3, ainsi que les programmes d’allocation pour perte de revenus (APR) et d’allocation de soutien du revenu des Forces canadiennes (ASRFC) créés en vertu de la nouvelle Charte des anciens combattants (officiellement la Loi sur le bien-être des vétérans, LC 2005, c 21).

[5]  Le groupe est composé d’anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre de Corée, y compris leurs époux, personnes à charge, survivants ou orphelins admissibles [anciens combattants ayant servi en temps de guerre], et d’anciens combattants des Forces armées canadiennes, y compris leurs époux, personnes à charge, survivants ou orphelins admissibles (les anciens combattants des FAC).

[6]  Comme l’explique Michael Doiron, sous-ministre adjoint du Secteur de la Prestation des services à Anciens Combattants Canada (ACC), dans son affidavit, la pension d’invalidité accordée en vertu de la Loi sur les pensions, LRC 1985, c P-6 [Loi sur les pensions] consiste en une somme mensuelle libre d’impôt versée aux anciens combattants des FAC et aux anciens combattants ayant servi en temps de guerre qui sont admissibles, ainsi qu’à leurs survivants et personnes à charge.

[7]  Pour être admissible à une pension d’invalidité, il faut d’abord un diagnostic médical d’invalidité lié au service militaire et une évaluation de la mesure dans laquelle la blessure est attribuable au service militaire; il faut ensuite que le degré d’invalidité fasse l’objet d’une estimation. L’évaluation d’une invalidité est exprimée en pourcentage de 0 % à 100 %. Le degré d’invalidité peut faire l’objet d’une nouvelle estimation à une date ultérieure et le pourcentage d’invalidité peut être rajusté.

[8]  Depuis l’adoption de la nouvelle Charte des anciens combattants, le 1er avril 2006, aucune nouvelle pension d’invalidité mensuelle n’a été accordée aux anciens combattants des FAC qui ont servi après la guerre de Corée. Toutefois, les anciens combattants des FAC qui recevaient une pension d’invalidité en vertu de la Loi sur les pensions avant le 1er avril 2006 continuent de recevoir une pension mensuelle. Ceux qui ont servi après 2006 et qui sont devenus invalides peuvent être admissibles à un montant forfaitaire pour invalidité, mais pas à une pension mensuelle.

[9]  Comme il est expliqué dans l’affidavit de M. Doiron, le programme d’APR est entré en vigueur en avril 2006. Il prévoit le versement d’une allocation mensuelle imposable aux anciens combattants admissibles des FAC qui ont besoin de réadaptation ou d’assistance professionnelle. L’APR est payable pendant la période de services de réadaptation et d’assistance professionnelle et peut être payable jusqu’à ce que l’ancien combattant des FAC atteigne l’âge de 65 ans s’il répond aux critères applicables.

[10]  L’ASRFC est une prestation mensuelle non imposable offerte aux anciens combattants des FAC qui n’ont plus droit à l’APR et qui sont en mesure de travailler, mais qui n’ont pas d’emploi. L’allocation est versée aux anciens combattants des FAC qui sont âgés de moins de 65 ans et qui répondent aux critères d’emploi et de revenu établis.

[11]  L’AAC est une prestation non imposable offerte aux anciens combattants à faible revenu ou à leurs survivants et orphelins pour les aider à répondre à leurs besoins fondamentaux. Le montant de la prestation est basé sur une évaluation des autres sources de revenus du bénéficiaire et dépend de son état matrimonial et du nombre de personnes à sa charge.

[12]  Conformément aux dispositions législatives applicables, les prestations d’invalidité ont été déduites des prestations mensuelles payables aux anciens combattants des FAC au titre de l’APR et de l’ASRFC jusqu’au 30 septembre 2012.

[13]  De même, les prestations d’invalidité ont été déduites des prestations mensuelles versées aux anciens combattants dans le cadre du programme d’AAC jusqu’au 30 septembre 2013 (c.‑à‑d. un an plus tard).

[14]  Par suite des modifications apportées en 2012 et 2013 aux dispositions législatives pertinentes, la déduction relative à la pension d’invalidité a pris fin. ACC a versé un paiement unique à certains membres du groupe à l’automne 2014. Ce paiement unique visait à indemniser les anciens combattants pour les déductions faites entre la date à laquelle le gouvernement a annoncé qu’il mettrait fin à ces déductions, le 29 mai 2012, et la date à laquelle les modifications sont entrées en vigueur, soit le 30 septembre 2012 pour ce qui est des membres du groupe admissibles à l’APR et à l’ASRFC, et le 30 septembre 2013 pour ce qui est des membres du groupe admissibles à l’AAC.

[15]  Le demandeur a reçu un paiement unique en 2013. De plus, il a contesté de façon plus générale la politique antérieure qui consistait à déduire les prestations mensuelles d’invalidité des prestations versées aux anciens combattants ayant une invalidité au titre d’autres programmes de prestations fédéraux. Il a intenté la présente action au nom des membres du groupe en avril 2014. La déclaration indiquait que, dans chaque cas, le montant de la déduction était basé sur le degré d’invalidité de l’ancien combattant. Plus l’invalidité était importante, plus la déduction était importante et moins le montant reçu au titre de l’AAC, de l’APR ou de l’ASRCF était élevé. La déclaration initiale contenait à la fois des revendications fondées sur common law et des revendications fondées sur la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte].

[16]  En janvier 2016, la déclaration a été modifiée, avec le consentement de la défenderesse, afin d’exclure les revendications de common law pour violation du pacte social, manquement à l’obligation fiduciaire, enrichissement injustifié, cession illégale en vertu de la Loi sur les pensions et les revendications connexes. La déclaration modifiée limitait les revendications, indiquant seulement qu’il y avait eu atteinte aux droits à l’égalité des membres du groupe garantis par la Charte.

[17]  Le demandeur soutient maintenant qu’en raison de la politique antérieure du gouvernement consistant à déduire les paiements destinés à indemniser les anciens combattants pour leur invalidité, les membres du groupe ont fait l’objet d’une discrimination fondée sur l’invalidité, ce qui contrevient à l’article 15 de la Charte.

[18]  En mars 2016, la Cour a certifié l’action en tant que recours collectif, avec le consentement de la défenderesse. Comme je l’ai mentionné, le groupe est composé d’anciens combattants ayant servi en temps de guerre et d’anciens combattants des FAC. L’ordonnance de certification décrit les deux groupes comme suit :

[traduction]

·Groupe APR ou ASRFC

Tous les membres et vétérans des Forces armées canadiennes, ainsi que leurs époux, personnes à charge, survivants et orphelins, qui ont reçu une allocation réduite – pour perte de revenus ou de soutien du revenu des Forces canadiennes – entre le 1er avril 2006 et le 29 mai 2012, ou qui n’ont reçu aucune allocation durant cette période, en raison de la déduction des prestations d’invalidité appliquée en vertu de la Loi sur les pensions;

· Groupe AAC

Tous les vétérans, leurs époux, personnes à charge, survivants et orphelins qui ont reçu des allocations au titre de la Loi sur les allocations aux anciens combattants qui étaient réduites, entre le 17 avril 1985 et le 29 mai 2012, ou qui n’ont reçu aucune allocation durant cette période, en raison de la déduction des prestations d’invalidité appliquée en vertu de la Loi sur les pensions.

[19]  La Cour a certifié quatre questions communes à trancher. L’avis d’ordonnance de certification a été publié en français et en anglais dans le National Post et le Globe and Mail en avril 2016. Cet avis indiquait notamment que le groupe cherchait à obtenir un jugement déclarant que la déduction des prestations d’invalidité était discriminatoire, ainsi qu’un [traduction] « remboursement de toutes les prestations d’invalidité déduites et/ou des dommages‑intérêts ». L’avis de 2016 expliquait que, sur consentement du demandeur, des honoraires échelonnés pouvant atteindre 30 % de tout montant reçu seraient versés aux avocats du groupe, sous réserve de l’approbation de la Cour. L’avis invitait les personnes intéressées à communiquer avec les avocats du groupe, Gowling WLG et le cabinet juridique Michel Drapeau, pour obtenir de plus amples renseignements.

[20]  En août 2016, ACC a envoyé par la poste l’avis d’ordonnance de certification aux 15 000 membres du groupe connus. Comme l’a fait remarquer M. Doiron, l’objectif était de joindre tous les anciens combattants des FAC et les anciens combattants ayant servi en temps de guerre qui avaient reçu une pension d’invalidité mensuelle entre avril 2006 et mai 2012 et qui avaient reçu des APR, des ASRFC ou des AAC, ou y étaient admissibles, pendant cette période.

[21]  Les parties expliquent qu’elles ont entamé des discussions en vue d’un règlement à l’été 2017. Au cours de ces discussions, qui ont duré plus d’un an, plusieurs propositions et contre-propositions ont été faites, et au terme de négociations laborieuses, les parties en sont venues à l’entente de règlement proposée.

[22]  L’entente de règlement proposée vise à indemniser les membres du groupe pour la discrimination fondée sur une déficience mentale ou physique dont ils auraient fait l’objet. Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, cette indemnité n’est pas une restitution ou un remboursement des montants qui ont été déduits. Le montant total du règlement est de 100 millions de dollars, moins les honoraires et débours des avocats du groupe approuvés par la Cour.

[23]  En septembre 2018, la Cour a approuvé l’avis relatif au règlement proposé adressé aux membres du groupe. Cet avis a été envoyé par la poste aux membres du groupe connus en plus d’être affiché sur le site Web de Gowling WLG et du cabinet juridique Michel Drapeau. L’avis de septembre 2018 informait les membres du groupe que les parties avaient convenu d’un projet d’entente de règlement et que la Cour devait l’approuver. Il les informait aussi de la date d’audience proposée pour déterminer si le projet devrait être approuvé, de la façon dont ils pouvaient exprimer leur appui ou leurs objections à l’entente, de la marche à suivre pour assister à l’audience et du lieu de celle-ci, et du fait qu’ils pouvaient consulter le site Web des avocats du groupe pour obtenir de plus amples renseignements. L’avis précisait que le recours collectif visait à obtenir [traduction] « des dommages‑intérêts et une indemnité pour tous les membres du groupe qui avaient été touchés par la déduction ».

[24]  Les principales modalités du projet d’entente de règlement figuraient dans l’avis de 2018, notamment que les anciens combattants des FAC qui avaient droit à l’APR et à l’ASRFC et avaient reçu une pension d’invalidité entre 2006 et 2012 recevraient un paiement dont le montant serait calculé en fonction de leur degré d’invalidité (tel que déterminé par une estimation faite en vertu de la Loi sur les pensions), et que les anciens combattants ayant servi en temps de guerre toucheraient une somme forfaitaire.

[25]  L’avis de 2018 indiquait en outre que les avocats du groupe demanderaient à la Cour d’approuver leurs honoraires fixés à 17 % du montant total du règlement, plus les débours. De plus, l’avis informait les membres du groupe que l’on demanderait à la Cour d’approuver le paiement à M. Toth d’une rétribution de 50 000 $ qui serait prélevée sur les honoraires des avocats du groupe.

II.  Le règlement proposé

[26]  La défenderesse versera 100 millions de dollars à titre de montant total du règlement. Les honoraires et les débours des avocats du groupe, approuvés par la Cour, seront payés à même le montant total du règlement. Le règlement vise toutes les demandes de dommages-intérêts, d’indemnisation, d’honoraires et de débours.

[27]  Les raisons ayant motivé le règlement ont été décrites par les parties dans leurs observations présentées à l’Agence du revenu du Canada en vue d’une décision sur les conséquences fiscales des paiements et dans leurs observations à la Cour. Les parties font remarquer que le groupe a allégué avoir fait l’objet, en contravention à l’article 15 de la Charte, d’une discrimination fondée sur l’incapacité physique et mentale compte tenu des anciennes politiques et pratiques qui sous‑tendaient la déduction des prestations d’invalidité. Le règlement vise surtout à réparer les dommages, y compris la douleur, la souffrance, l’humiliation et la perte de dignité, causés par cette discrimination. Le modèle d’indemnisation est fondé sur le degré d’invalidité plutôt que sur le calcul, à des fins de restitution, des sommes déduites des prestations auxquelles chaque personne avait droit.

[28]  Le montant total du règlement est divisé en deux parties : le fonds de l’AAC et le fonds de l’APR et de l’ASRFC. Le fonds de l’AAC – qui s’élève à 30 millions de dollars – servira à indemniser environ 12 500 membres du groupe AAC qui ont reçu, ou étaient admissibles à recevoir des AAC. Le fonds de l’APR et de l’ASRFC – qui s’élève à 70 millions de dollars – servira à indemniser environ 2 500 à 3 000 membres du groupe des FAC qui ont reçu ou étaient admissibles à recevoir des ARP ou des ASRFC.

[29]  Les sommes versées aux membres du groupe des FAC seront uniquement fonction de l’estimation du degré d’invalidité – entre 5% et 100% – du membre du groupe admissible, conformément à la Loi sur les pensions. La somme versée sera d’environ 2 000 $ à 2 500 $ pour les personnes dont l’invalidité est estimée à 5 %, et de 40 000 $ à 50 000 $ pour celles dont l’invalidité est estimée à 100 %. La somme ainsi versée n’est pas un remboursement et n’a rien à voir avec les sommes déduites de l’ASRFC ou de l’APR.

[30]  Comme il a été mentionné, les membres du groupe AAC qui étaient admissibles à l’AAC et qui ont reçu une pension d’invalidité entre 2006 et 2012 recevront une somme forfaitaire d’environ 2 000 $ à 2 500 $. Les avocats du groupe expliquent que la taille relativement importante du groupe AAC, l’incidence relativement faible des déductions sur chacun des membres de ce groupe et les ressources administratives qui seraient nécessaires pour déterminer l’admissibilité de chacun en fonction de son degré d’invalidité ont mené à l’entente selon laquelle le fonds de l’AAC serait distribué sous forme de paiements forfaitaires égaux.

[31]  Le paiement sera versé à la succession de tout membre du groupe qui est décédé après l’avis de certification de 2016.

[32]  L’entente de règlement contient une clause de renonciation à toute réclamation visant à obtenir des intérêts avant jugement et après jugement sur les sommes à payer.

[33]  Les sommes qui seront versées à tous les membres du groupe seront exemptes d’impôt sur le revenu en vertu des alinéas 81(1)d) et 81(1)d.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5suppl) [Loi de l’impôt sur le revenu]. Aucun impôt ne sera retenu sur les sommes qui seront versées et les membres du groupe ne seront pas tenus de déclarer les sommes qu’ils auront reçues au titre du règlement proposé dans leurs déclarations de revenus.

[34]  Les honoraires et les débours des avocats du groupe approuvés par la Cour seront déduits proportionnellement de chaque fonds.

III.  Les questions en litige

[35]  Il y a trois questions à trancher :

  • La Cour devrait-elle approuver l’entente de règlement? Cela suppose de déterminer si l’entente est juste, raisonnable et dans l’intérêt supérieur du groupe.
  • La Cour devrait-elle approuver le paiement d’une rétribution de 50 000 $ à M. Toth à titre de représentant demandeur (à même les honoraires approuvés des avocats du groupe)?
  • La convention relative aux honoraires des avocats du groupe devrait-elle être approuvée? Cela suppose de déterminer si le montant des honoraires et des débours est juste et raisonnable. La convention d’honoraires ne devrait être examinée qu’après avoir déterminé s’il y a lieu d’approuver la proposition d’entente de règlement visant les membres du groupe.

IV.  L’entente de règlement devrait-elle être approuvée?

A.  La jurisprudence concernant l’approbation des ententes de règlement par la Cour

[36]  Conformément à l’article 334.29 des Règles, la Cour doit approuver le règlement d’un recours collectif.

[37]  La jurisprudence récente de la Cour a confirmé le critère bien établi permettant de déterminer s’il convient d’approuver une entente de règlement d’un recours collectif. Dans la décision Merlo c Canada, 2017 CF 533, [2017] ACF no 773 (QL) [Merlo], la juge McDonald a dit ce qui suit, au paragraphe 16 :

Le critère à appliquer pour l’approbation d’un règlement est de [traduction] « savoir si le règlement est juste, raisonnable et dans l’intérêt supérieur de l’ensemble du groupe en général » (arrêt Cardozo v. Becton, Dickinson and Company, 2005 BCSC 1612, 145 ACWS (3d) 381, citant, au paragraphe 16, l’arrêt Dickinson & Co, 2005 BCSC 1612, 145 ACWS (3d) 381, citant, au paragraphe 16, l’arrêt Dabbs v Sun Life Assurance Co of Canada, [1998] OJ No 1598, (24 février 1998), Ontario, 96-CT-022862 (Ont Gen Div), au paragraphe 9, confirmé par (1998), 40 O.R. (3d) 429, 5 CCLI (3d) 18 (Ont Gen Div); l’arrêt Haney Iron Works Ltd v Manulife Financial (1998), 169 DLR (4th) 565, 9 CCLI (3d) 253 (BCSC), au paragraphe 27 et l’arrêt Fakhri v Alfalfa’s Canada, 2005 BCSC 1123, 47 BCLR (4th) 379, au paragraphe 8).

[38]  Dans la décision Condon c Canada, 2018 CF 522, 293 ACWS (3d) 697 [Condon], la juge Gagné a expliqué en détail le critère applicable et les facteurs à considérer pour déterminer si le critère a été respecté, aux paragraphes 17 à 19 :

[17]  Le critère applicable à l’approbation du règlement d’un recours collectif consiste à déterminer si, dans les circonstances, le règlement est juste, raisonnable et dans l’intérêt de l’ensemble du groupe, compte tenu des réclamations et des moyens de défense invoqués dans le cadre du litige, ainsi que des oppositions au règlement formulées par les membres du groupe. Ce critère ne vise toutefois pas à établir si le règlement satisfait aux demandes d’un membre du groupe en particulier.

[18]  Il n’est pas requis que le règlement soit parfait (Châteauneuf c. Canada, 2006 CF 286, au paragraphe 7). Il suffit qu’il [traduction] « se situe dans une fourchette ou un éventail d’issues jugées raisonnables » (Ontario New Home Warranty Program v. Chevron Chemical Company [1999], 46 OR (3d) 130 [C. sup. j. Ont.], au paragraphe 89).

[19]  Pour établir s’il convient d’approuver un règlement, la Cour doit tenir compte notamment des facteurs suivants :

a.  la probabilité de recouvrement ou de réussite;

b.  l’ampleur et la nature des éléments de preuve issus des interrogatoires préalables, des témoignages ou de l’enquête, et la nature de ceux-ci;

c.  les modalités et conditions du règlement proposé;

d.  les dépens ultérieurs et la durée probable du litige;

e.  les recommandations des parties neutres;

f.  le nombre d’opposants et la nature des oppositions;

g.  la conduite de négociations sans lien de dépendance et l’absence de collusion;

h.  les renseignements éclairant la Cour quant à la dynamique des négociations et aux positions prises par les parties;

i.  l’importance et la nature des communications des avocats et des représentants demandeurs avec les membres du groupe pendant le litige;

j.  Les recommandations et l’expérience des avocats.

(Voir Ford v. F Hoffmann-La Roche Ltd [2005], 74 OR 3d 758 [C. sup. j. Ont.] [QL], au paragraphe 117.)

[39]  La juge Gagné a fait remarquer, au paragraphe 20, que les facteurs susmentionnés donnent des lignes directrices; certains peuvent ne pas être pertinents du tout et d’autres peuvent avoir plus de poids.

B.  Les facteurs pertinents

[40]  La Cour a pris en considération tous les facteurs pertinents.

(1)  La probabilité de recouvrement ou de réussite

[41]  Le demandeur fait valoir que la politique de déduction des prestations d’invalidité, qui étaient calculées en fonction du degré d’invalidité, contrevenait à la Charte. Toutefois, il reconnaît que la détermination de la responsabilité et l’obtention de dommages‑intérêts importants risquent de poser problème.

[42]  Sans le règlement, le litige pourrait se prolonger pendant plusieurs années, sans aucune garantie de réussite ou de recouvrement.

[43]  Comme le font remarquer les avocats du groupe, les revendications fondées sur les droits à l’égalité garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte exigent d’abord du demandeur qu’il établisse qu’il a été privé de son droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, ce qui signifie que la loi crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue et que la distinction crée un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou d’un stéréotype (Withler c Canada (Procureur général), 2011 CSC 12 aux paragraphes 30‑31, [2011] 1 RCS 396). Il incombe ensuite au défendeur de démontrer que la privation de ce droit s’inscrit dans des limites raisonnables dont la justification peut se démontrer dans la cadre d’une société libre et démocratique en vertu de l’article premier de la Charte (Centrale des syndicats du Québec c Québec (Procureure générale), 2018 CSC 18, au paragraphe 42, [2018] 1 RCS 522). Établir le bien‑fondé de ces revendications dans le contexte des programmes de prestations gouvernementales constitue un défi supplémentaire (voir par exemple Law c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 RCS 497, 170 DLR (4th) 1).

[44]  Dans la décision Manuge c Canada, 2013 CF 341, [2014] 4 RCF 67 [Manuge 2013], qui portait sur des allégations analogues de discrimination liées à la déduction des prestations d’invalidité des autres prestations, le juge Barnes a observé, au paragraphe 32, que la probabilité que le demandeur établisse le bien‑fondé de ses allégations fondées sur la Charte « était douteuse dans le meilleur des cas ».

[45]  Même si la Cour avait conclu que la politique de déduction des prestations d’invalidité contrevenait aux dispositions de la Charte relatives à l’égalité, elle devrait quand même déterminer le délai de prescription applicable. La Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C-50, si elle était appliquée, limiterait la période de recouvrement à six ans, et l’application de la loi provinciale la limiterait à deux ans. La présente instance a été engagée en 2014, et même l’application du délai de prescription de six ans exclurait les revendications présentées avant 2008.

[46]  Comme l’ont fait remarquer les avocats du groupe, même si la Cour concluait que les réclamations fondées sur la Charte avaient été établies, tous les sommes déduites des prestations ne pourraient pas nécessairement être recouvrées. Dans l’arrêt Vancouver (Ville) c Ward, 2010 CSC 27, au paragraphe 24, [2010] 2 RCS 28 [Ward], la Cour suprême du Canada (CSC) a conclu qu’après avoir déterminé qu’il y avait eu violation de la Charte, elle devait conclure, avant d’accorder des dommages-intérêts, que ceux‑ci sont convenables et justes dans la mesure où ils remplissent une fonction ou un objectif utile. L’État peut toujours y opposer d’autres considérations en raison desquelles l’octroi de dommages‑intérêts en vertu de la Charte ne serait pas convenable ou injuste (Ward, au paragraphe 33). Même alors, les dommages-intérêts doivent être équitables tant envers l’individu qu’envers l’État. Le tribunal peut tenir compte de l’effet que peut avoir le prélèvement de sommes importantes sur les fonds publics au moment de fixer le montant (Ward, au paragraphe 53).

[47]  En outre, si l’instance se poursuivait et que la Cour faisait droit à la demande tout en refusant d’octroyer des dommages-intérêts globaux, les membres du groupe seraient soumis à un processus d’évaluation et de réclamation individuel. Les avocats du groupe ont fait une mise en garde selon laquelle ces examens individuels nécessiteraient probablement des ressources considérables et qu’il faudrait plusieurs années pour les réaliser.

(2)  Quantité d’éléments de preuve obtenus lors de l’interrogatoire préalable et de l’enquête et nature de ces éléments

[48]  Les avocats du groupe ont examiné une quantité importante de renseignements afin de permettre une compréhension approfondie des faits de l’affaire, des réclamations potentielles et de l’incidence financière des déductions en cause. La défenderesse a transmis aux avocats du groupe des versions électroniques de 7 080 documents distincts totalisant environ 27 000 pages de renseignements. Les avocats du groupe ont obtenu 6 394 autres pages de documents en réponse à des demandes d’accès à l’information.

[49]  L’examen de ces documents a aidé les avocats du groupe et la demanderesse à négocier l’entente de règlement en fonction de l’ensemble des intérêts du groupe.

(3)  Modalités du règlement proposé

[50]  Rappelons que le règlement vise à indemniser les membres du groupe pour la perte de dignité, la douleur et la souffrance liées à la discrimination fondée sur leur degré d’invalidité dont ils ont été victimes. Le règlement prévoit qu’une indemnité sera versée aux anciens combattants qui ont reçu des prestations réduites et à ceux qui auraient pu être admissibles à des AAC, à des APR et à des ASRFC, mais qui n’en ont pas reçues parce que la politique consistant à déduire les prestations d’invalidité les a rendus inadmissibles.

[51]  Le règlement prévoit une indemnité pour le préjudice causé par la discrimination, et non pour les montants déduits. Un modèle permettant la restitution des sommes déduites aurait pour effet d’exclure les membres du groupe qui auraient pu être admissibles à l’une des prestations, mais qui n’ont pas présenté de demande ou sont devenus inadmissibles en raison de la politique de déduction des prestations d’invalidité. De plus, calculer chacune des sommes qui a été déduite serait un processus long et compliqué. Un modèle fondé sur la restitution aurait aussi pour effet de rendre imposable l’indemnité versée aux membres du groupe APR.

[52]  Bien que le règlement proposé ne soit pas axé sur les sommes déduites dans chacun des cas, comme l’expliquent les avocats du groupe, le règlement total de 100 millions de dollars est considérable puisqu’il représente environ 40 % des paiements totaux versés à tous les bénéficiaires des programmes d’APR, d’ASRFC et d’AAC pendant la période pertinente de six ans qui s’étale d’avril 2006 à mai 2012.

[53]  Le règlement prévoit qu’une indemnité sera versée à certains membres du groupe qui n’ont peut-être pas été touchés par les déductions. Toutefois, tous les membres du groupe sont invalides et l’indemnité vise à éliminer les pratiques discriminatoires fondées sur leur invalidité. Par contre, certains membres du groupe, qui ont été touchés par les déductions pendant plusieurs années, pourraient recevoir une indemnité bien moindre que les sommes déduites. Le demandeur et les avocats du groupe reconnaissent que le règlement ne permet pas d’indemniser parfaitement tous les membres du groupe, mais font remarquer que la perfection n’est pas la norme applicable et que le règlement est juste et raisonnable pour l’ensemble du groupe.

[54]  Les avocats du groupe expliquent que, dans leurs négociations en vue d’un règlement, ils ont d’abord envisagé que l’indemnité versée aux vétérans des FAC qui recevaient des APR serait imposable parce qu’elle était censée remplacer le revenu provenant des APR qui était imposable en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. Par contre, l’indemnité versée aux membres du groupe ayant touché des AAC et des ASRFC ne serait pas imposable parce que ces allocations ne sont pas imposables en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[55]  Les avocats du groupe expliquent également qu’après avoir jeté les bases du processus de règlement et de réclamation, ils ont demandé à l’Agence du revenu du Canada (ARC) de déterminer que les paiements calculés en fonction du degré d’invalidité ne seraient pas, tel que proposé, imposables en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. Les avocats du groupe font remarquer que des discussions exhaustives ont été entreprises en août 2018. L’ARC a informé les avocats du groupe au début de décembre 2018, juste avant l’audition de la présente requête, qu’aucun impôt ne serait retenu sur les paiements versés en vertu du règlement proposé. En outre, les membres du groupe ne seront pas tenus de déclarer les paiements versés en vertu du règlement proposé dans leurs déclarations de revenus.

[56]  Aux fins du règlement seulement, les deux parties ont fait des concessions. Par exemple, la défenderesse a renoncé à invoquer les moyens de défense ou obstacles susceptibles d’empêcher tout recouvrement et qui sont fondés sur les délais de prescription, l’article premier de la Charte, la possibilité pour les successions de réclamer des dommages‑intérêts au titre de la Charte et les évaluations individuelles qui pourraient démontrer qu’aucun dommage n’avait été subi. L’indemnité sera facile à calculer et elle sera versée rapidement – dans les six à huit mois suivant l’approbation de l’entente de règlement – à tous les membres du groupe, et ce, libre d’impôt. Cela est particulièrement avantageux pour les anciens combattants âgés qui ne devraient pas avoir à attendre plus longtemps avant d’être indemnisés. Le demandeur a également fait des concessions, y compris restreindre les revendications et renoncer aux intérêts avant et après jugement.

(4)  Recommandations et expérience des avocats

[57]  Les avocats du groupe font remarquer que Gowling WLG, et M. Ruby en particulier, œuvre dans le domaine des recours collectifs depuis plus de 25 ans. Gowling WLG a représenté des justiciables dans plus de 100 recours au Canada. Quant à M. Ruby, il a représenté des justiciables dans plus de 20 recours collectifs distincts portant sur diverses questions. Dans la présente affaire, Gowling WLG a pu compter sur ses avocats experts dans les domaines des régimes de retraite, de la fiscalité, des successions et des fiducies.

[58]  M. Ruby et d’autres avocats de Gowling WLG jouent un rôle actif dans la présente affaire depuis le début. Peu de temps après le dépôt de la déclaration, M. Drapeau, du Cabinet juridique Michel Drapeau, a été engagé en tant qu’avocat du groupe, apportant ainsi son expertise en droit militaire et en droit des anciens combattants. M. Drapeau et les membres de son cabinet ont communiqué avec des centaines de membres du groupe dans les deux langues officielles.

[59]  Les avocats du groupe soutiennent que, grâce à leurs compétences et à leur expertise, ils ont pu obtenir un résultat positif qui prend en compte les intérêts des membres du groupe et profite à l’ensemble du groupe. Les avocats du groupe ajoutent qu’ils n’ont pas hésité à recommander aux membres du groupe d’accepter le règlement. Ils font remarquer que le règlement tient compte des risques liés au litige, notamment du risque qu’il n’y ait aucun recouvrement possible. Les avocats du groupe reconnaissent que le règlement représente un compromis par rapport aux estimations internes les plus élevées d’ACC quant à l’incidence financière de la déduction relative aux prestations d’invalidité sur les membres du groupe, mais ils font remarquer que le montant total du règlement, soit 100 millions de dollars, correspond aux estimations d’ACC. Les avocats du groupe soutiennent que le règlement proposé prévoit une indemnisation juste et rapide des membres du groupe, qu’il n’exclut aucun ancien combattant invalide, et que les paiements seront libres d’impôts.

(5)  Coûts et durée probable d’une procédure judiciaire contestée

[60]  Si l’entente de règlement proposée n’est pas approuvée, l’instance se poursuivra et sera probablement longue, difficile et coûteuse. La poursuite de l’instance pourrait nécessiter d’autres interrogatoires préalables, un procès, des appels potentiels et la détermination de réclamations individuelles. Cela pourrait prendre de trois à cinq ans.

[61]  Le demandeur souligne que, bien qu’elle ait consenti à la certification du présent recours collectif, la défenderesse a déposé une défense dans laquelle elle conteste fortement les revendications. Si l’instance devait se poursuivre, la défenderesse pourrait adopter à nouveau cette position. Les efforts déployés à ce jour pour en arriver au règlement proposé pourraient être anéantis. Les efforts de compromis et de collaboration visant à circonscrire ou à résoudre les questions en litige ne se poursuivraient pas nécessairement.

[62]  En ce qui a trait aux honoraires et aux débours des avocats du groupe, nous verrons plus loin que ces derniers ont consacré à ce jour plus de 5 000 heures à la présente affaire, ce qui comprend le temps des avocats, des parajuristes et d’autres personnes. Ils devraient y consacrer encore beaucoup plus d’heures si l’instance devait se poursuivre.

(6)  Opinions des membres du groupe

(a)  Appui à l’entente de règlement

[63]  Les avocats du groupe déclarent avoir reçu plus d’un millier de réponses concernant l’entente de règlement proposée, y compris des appels téléphoniques, des courriels et des commentaires sur le site Web du Cabinet juridique Michel Drapeau. La majorité des personnes ayant répondu se sont prononcées en faveur de l’entente. Un échantillon des déclarations écrites qui sont positives démontre que plusieurs membres du groupe se réjouissent de la résolution du présent litige et de l’indemnité qu’ils recevront, et qu’ils apprécient le temps et les efforts que les avocats du groupe ont consacrés à l’affaire.

[64]  Par exemple, un membre du groupe résidant en Colombie-Britannique a écrit ce qui suit :

[traduction] Je viens de lire la nouvelle et je l’ai relue trois fois. Je suis ravi de cette excellente nouvelle, je n’ai cessé de me demander si c’était vrai. Je tiens à remercier chaleureusement le Cabinet juridique Michel Drapeau de son travail acharné et de la patience dont il a fait preuve pendant ce processus. Je suis tellement reconnaissant qu’après plus de six ans, nous puissions récupérer l’argent dont nous avons été illégalement privés.

[65]  Un membre du groupe résidant en Alberta a écrit ce qui suit :

[traduction] Le règlement est très important pour moi, comme pour tous les anciens combattants qui recevront l’argent de leur pension d’invalidité, j’en suis certain.

[66]  Un autre membre du groupe résidant en Alberta a écrit ce qui suit :

[traduction] Tous les anciens combattants et leurs familles immédiates qui ont été touchés par la réduction de l’APR apprécient certainement que vous défendiez cette cause. Nos espoirs, nos aspirations et nos meilleurs vœux accompagnent votre équipe qui a réussi à résoudre cette question juridique, Michael Drapeau.

(b)  Objections au règlement

[67]  Deux membres du groupe ont comparu à l’audience pour s’opposer à l’entente de règlement. L’un d’eux a également présenté au préalable un mémoire écrit. Un troisième membre du groupe, qui n’a pas assisté à l’audience, a exprimé ses préoccupations au sujet de l’entente de règlement dans une lettre présentée à la Cour.

[68]  M. Donald Leonardo a présenté un mémoire à la Cour la veille de l’audience et il a comparu à l’audience pour exprimer ses préoccupations. À son avis, le règlement proposé est déraisonnable et injuste pour lui et une [traduction] « minorité » d’anciens combattants des FAC dont le « cas est particulier » parce que les paiements ne reposent que sur le degré d’invalidité et qu’ils ne tiennent pas compte de la période pendant laquelle les prestations ont été réduites. Par conséquent, la répartition du montant du règlement ne sera pas proportionnelle aux montants réels « soustraits » à chaque membre du groupe. Bien qu’aucun élément de preuve n’ait été fourni à ce sujet à la Cour, il a affirmé que 144 000 $ ont été déduits de ses prestations au fil des ans, mais qu’à l’issue du règlement, il ne recevra que 35 000 $ en raison de son invalidité, qui a été évaluée à 70 %.

[69]  M. Leonardo a critiqué le règlement, qu’il juge axé sur la simplicité et la rapidité plutôt que sur l’équité, et a laissé entendre que les calculs que nécessiterait le modèle fondé sur la restitution, c.‑à‑d. prévoyant le remboursement des sommes déduites, ne sont pas aussi complexes que l’ont fait valoir les avocats du groupe. Il a plutôt suggéré que l’on recoure à un modèle fondé sur la restitution et qu’il n’était pas trop tard pour que les parties renégocient l’entente de règlement.

[70]  M. Martin Frechette a également pris la parole à l’audience. M. Frechette a aussi critiqué l’entente de règlement parce qu’elle ne tient pas compte du montant des déductions appliquées à l’égard de chaque membre du groupe ou de la période pendant laquelle ces déductions ont été appliquées. M. Frechette a contesté l’affirmation des avocats du groupe selon laquelle chaque membre du groupe APR avait été invalide pendant toute la période de six ans. Il s’est également dit d’avis que l’entente de règlement proposée n’indiquait pas clairement aux membres du groupe qu’ils ne seraient pas indemnisés en fonction du montant des déductions. M. Frechette a indiqué que la complexité plus grande que présente un modèle de restitution davantage personnalisé n’est pas insurmontable, puisque tous les renseignements pertinents sont disponibles.

[71]  M. Christopher Greenlaw a écrit une lettre aux avocats du groupe, qui a été remise à la Cour, pour exprimer son insatisfaction à l’égard du règlement proposé. M. Greenlaw a indiqué qu’il s’attend à recevoir 25 000 $ à l’issue du règlement en raison de son invalidité, qui est évaluée à 50 %. Il fait remarquer que cela est inférieur à la somme de 73 336 $ dont ses APR ont été réduites. Il souligne qu’il fait partie d’un sous‑ensemble du groupe qui recevra un montant inéquitable et insuffisant par rapport à la perte globale subie. M. Greenlaw est d’avis que le règlement devrait correspondre davantage à la perte financière subie. Les trois membres insatisfaits du groupe sont d’avis que le règlement est discriminatoire à l’égard d’une partie du groupe, car il les force à accepter une perte financière plus importante que celle de la majorité. M. Leonardo et M. Frechette croient que le règlement est discriminatoire à l’égard des anciens combattants qui ont été les plus gravement handicapés pendant le plus longtemps, parce qu’ils ont fait l’objet des déductions les plus importantes, mais que l’indemnité qu’ils recevront ne sera pas nécessairement proportionnellement plus grande. Ils font remarquer que le membre du recours collectif dont les prestations de retraite ont été réduites pendant une courte période pourrait recevoir la même indemnité que la personne tout aussi invalide dont les prestations de retraite ont été déduites pendant plusieurs années. Ils font valoir que, si le règlement vise à lutter contre la discrimination, c’est un échec.

[72]  Plusieurs autres anciens combattants des FAC ont soulevé des préoccupations semblables, à savoir que le montant auquel chacun aura droit en vertu du règlement ne correspondrait pas aux sommes déduites.

(c)  Différences avec l’affaire Manuge

[73]  Certains membres du groupe, dont M. Toth, ont reçu des paiements à la suite du règlement du recours collectif dans Manuge 2013 et connaissent bien le règlement de Manuge 2013. Les quelques membres du groupe qui ont exprimé leur insatisfaction semblent être d’avis que l’ampleur et l’approche du règlement de la présente action devraient être semblables. Les comparaisons faites avec Manuge 2013 et les décisions antérieures dans le cadre du présent recours collectif ne sont pas appropriées et ne feront qu’alimenter leur déception. Il existe de véritables différences entre la présente affaire et l’affaire Manuge.

[74]  Bien que le règlement dont il est question dans Manuge 2013 concernait également la pratique antérieure de déduction des prestations d’invalidité, les programmes de prestations en cause et le fondement du litige et du règlement sont différents en l’espèce.

[75]  La décision Manuge c Canada, 2012 CF 499, [2013] 4 RFC 647 [Manuge 2012] portait sur une contestation de la politique gouvernementale qui consistait à réduire les prestations d’invalidité prolongée versées au titre du Régime d’assurance-revenu militaire (RARM) par les sommes dues aux participants en vertu de la Loi sur les pensions.

[76]  Le groupe visé dans la décision Manuge a d’abord soutenu que la politique de déduction des sommes contrevenait au paragraphe 15(1) de la Charte et n’était pas contractuellement justifiée. Le RARM était administré par le truchement d’un contrat entre le Chef d’État-Major de la Défense et un assureur privé, et il prévoyait que le montant de la prestation mensuelle serait réduit du total des montants de « prestations de revenu mensuelles ». La question contractuelle était de savoir si la prestation de retraite pouvait être considérée comme une « prestation de revenu » au sens de la police du RARM.

[77]  La question contractuelle a été réglée dans Manuge 2012 au moyen d’une requête fondée sur l’article 220 des Règles des Cours fédérales. Le juge Barnes a conclu que les prestations pouvant être déduites des « prestations de revenu » au titre de la police du RARM ne comprenaient pas les prestations de retraite parce que la pension d’invalidité n’était pas destinée à remplacer le revenu.

[78]  À la suite de cette décision, les parties ont engagé des négociations et convenu d’un règlement. Il n’a pas été question des revendications fondées sur la Charte. Toutefois, comme il a été mentionné précédemment, le juge Barnes a dit, au paragraphe 32 de Manuge 2013, dans le contexte de l’examen du risque lié au litige assumé par les avocats du groupe :

Il ne s’agissait pas non plus d’une affaire où la responsabilité de la défenderesse était presque chose certaine. L’issue de la réclamation quant au redressement fondé sur la Charte était douteuse dans le meilleur des cas, et l’élément d’interprétation contractuelle qui a, en fin de compte, conduit au règlement n’était ni une certitude ni blindé contre un appel.

[Non souligné dans l’original]

[79]  La présente action porte sur la déduction des prestations d’invalidité appliquée aux APR, AAC et ASRFC. De plus, les revendications sont fondées sur la violation des droits à l’égalité inscrits dans la Charte, et non sur les principes contractuels, et le règlement est rédigé en conséquence.

(d)  Les objections des membres du groupe ne l’emportent pas sur les autres facteurs à l’appui de l’approbation de l’entente de règlement.

[80]  La jurisprudence a établi que la perfection n’est pas la norme à partir de laquelle la Cour peut approuver une entente de règlement et que l’intérêt supérieur de l’ensemble du groupe doit être pris en compte (paragraphe 18 de Merlo; paragraphe 5 de Manuge 2013). Le rôle de la Cour consiste à déterminer si le règlement proposé est [traduction] « juste, raisonnable et dans l’intérêt supérieur de l’ensemble du groupe, et non s’il répond aux demandes d’un membre du groupe en particulier » (paragraphe 11 de Dabbs c Sun Life Assurance Co. du Canada, [1998] OJ No 1598, 1998 CarswellOnt 5823).

[81]  Bien que la Cour prenne acte de la préoccupation soulevée par les opposants à l’entente, à savoir qu’une approche unique pourrait en avantager certains par rapport à d’autres, ce n’est pas une raison pour rejeter l’ensemble de l’entente de règlement, qui semble recueillir un vaste appui.

[82]  Comme il est indiqué au paragraphe 24 de la décision Manuge 2013 :

[24]  Il n’y aura jamais de règlement de recours collectif parfait. Le recouvrement est toujours confiné aux personnes qui répondent à la définition de membre du groupe, selon les modalités de l’autorisation. Dans des affaires, comme celle en l’espèce, qui concernent des milliers de réclamations uniques, il est impossible et non souhaitable de traiter chaque prestataire de la même manière, autant d’un point de vue financier que d’un point de vue administratif. Il est inévitable qu’un règlement comme celui en l’espèce laisse pour compte quelques personnes ou profite davantage à certains. Dans le cas présent, ces écarts ne sont pas assez importants pour rejeter le règlement proposé.

[83]  Quant à la suggestion de M. Leonardo que les modalités du règlement pourraient être révisées, j’estime que la Cour ne peut pas modifier ces modalités ou ordonner aux parties de revoir certains aspects de l’entente, qui a été conclu à l’issue d’un long processus de négociation fondé sur un dossier volumineux. Dans Manuge 2013, le juge Barnes a affirmé ce qui suit aux paragraphes 5 et 6 :

[5]  La cour de révision ne peut réécrire les modalités de fond d’un règlement proposé, et les intérêts des membres du groupe ne devraient pas être examinés séparément de ceux de l’ensemble du groupe : voir Dabbs c Sun Life Assurance Co of Canada, [1998] OJ no 1598 (disponible sur QL), aux paragraphes 10 et 11.

[6]  Il sera toujours d’une grande importance pour la Cour de ne pas rejeter à la légère un règlement négocié d’égal et égal et de bonne foi. Les parties sont, après tout, les mieux placées pour apprécier les risques et les coûts (autant d’un point de vue financier que d’un point de vue humain) liés au fait de mener à terme un recours collectif complexe. Le rejet d’un règlement comportant de multiples aspects, comme celui négocié en l’espèce, entraîne aussi le risque de déraillement du processus de négociation et de la perte de l’esprit de compromis.

[84]  Dans la décision Merlo, la juge MacDonald a réaffirmé ce principe, au paragraphe 17 : « [l]a Cour a le pouvoir d’approuver ou de rejeter un règlement, mais elle ne peut pas le modifier (arrêt Haney Iron Works, précité, au paragraphe 22, arrêt Dabbs, précité, au paragraphe 10) ».

[85]  Comme l’ont expliqué les avocats du groupe, un règlement fondé sur la quantification des sommes déduites exigerait d’entreprendre un long processus de traitement des réclamations ainsi qu’un examen des multiples sources de revenus de chacun des membres du recours collectif. De plus, certaines des sommes reçues seraient imposables. Cette approche aurait aussi pour effet d’exclure de nombreux membres du groupe dont les prestations n’ont pas été déduites en fonction du montant de leur pension d’invalidité parce qu’ils ne recevaient pas ces prestations en raison de la politique.

(7)  La bonne foi et l’absence de collusion

[86]  Les parties expliquent que les négociations visant à régler le litige qui les oppose ont commencé en août 2017, qu’elles se sont poursuivies pendant un an et que plusieurs propositions ont été examinées et modifiées. Les parties décrivent ces négociations comme étant conflictuelles et indépendantes. Le processus de communication préalable a permis aux parties d’entamer les discussions en vue d’un règlement, mais chacune a maintenu sa position respective. Les parties ont présenté une proposition de règlement à la Cour en septembre 2018.

[87]  Les membres du groupe, tout comme la défenderesse, étaient représentés par un avocat chevronné et dévoué. Chacun a fait valoir sa position respective tout en donnant un aperçu des faits, des questions en litige et de la loi applicable. La description qu’ils ont faite du processus de règlement démontre que chaque partie a fait des concessions de bonne foi pour régler le litige.

(8)  Communications entre les avocats du groupe et le demandeur, et les membres du groupe

[88]  L’avis de certification de 2016 a été publié dans le National Post et le Globe and Mail (en français et en anglais) à la fin d’avril 2016. En août 2016, ACC a également envoyé par la poste des copies de l’avis de certification à tous les membres connus des deux sous‑groupes (environ 15 000 anciens combattants). Les avocats du groupe ont fait remarquer qu’ils avaient répondu à plus d’un millier d’appels téléphoniques et à plusieurs centaines de courriels et autres pièces de correspondance envoyés par les membres du groupe.

[89]  Conformément à l’ordonnance de certification et au plan de notification, Gowling WLG et le Cabinet juridique Michel Drapeau ont créé des sites Web et y ont publié des renseignements utiles pour les membres du groupe. L’avis de règlement proposé et la date d’audience de la présente requête visant à déterminer s’il y a lieu d’approuver l’entente de règlement ont été affichés sur les sites Web. Dans des mises à jour publiées ultérieurement, on a décrit l’entente de règlement proposée et répondu à des questions.

[90]  Les avocats du groupe ont également répondu en détail à certains mémoires qui critiquaient le règlement, y compris celui de M. Greenlaw et la lettre de l’avocat de M. Leonardo.

[91]  Si le règlement proposé est approuvé, les avocats du groupe continueront de communiquer avec ACC au sujet de l’administration du règlement. Ils continueront de mobiliser les membres du groupe et d’informer ACC de toute erreur ou omission constatée, en plus de d’aider au déroulement d’une vérification, s’il y a lieu.

C.  L’entente de règlement est juste, raisonnable et dans l’intérêt supérieur du groupe

[92]  Le demandeur et la défenderesse soutiennent que l’entente de règlement est juste et raisonnable. La défenderesse signale que le demandeur a exposé le contexte factuel de l’affaire et le droit applicable et qu’il a analysé en profondeur les risques afférents au litige, les répercussions de la poursuite de l’instance et les avantages du règlement.

[93]  L’examen de tous les facteurs pertinents appuie la conclusion de la Cour selon laquelle l’entente de règlement est juste et raisonnable et qu’elle est dans l’intérêt supérieur des membres du groupe. Entre autres facteurs, la Cour a examiné attentivement la nature des revendications fondées sur la Charte; la défense présentée par la défenderesse si l’instance se poursuivait; les avantages globaux du règlement, qui découlent des concessions et des compromis faits par les deux parties; et les points de vue des membres du groupe, y compris les objections décrites ci‑dessus.

V.  Est-ce qu’une rétribution devrait être versée au représentant demandeur?

[94]  Les avocats du groupe demandent à la Cour de consentir à ce qu’une rétribution de 50 000 $ soit versée à M. Toth, le représentant demandeur, à même le montant approuvé des honoraires et débours des avocats du groupe. Cette rétribution ne réduit pas les sommes payables aux membres du groupe.

[95]  La Cour a le pouvoir discrétionnaire d’approuver une telle rétribution et elle l’a fait dans plusieurs recours collectifs. Comme il est mentionné au paragraphe 43 de la décision Johnston c The Sheila Morrison Schools, 2013 ONSC 1528, 226 ACWS (3d) 655, la rétribution ne vise pas à [traduction] « dédommager les représentants demandeurs, mais plutôt à reconnaître leur contribution significative à l’atteinte de l’objectif d’assurer l’accès à la justice aux membres du groupe ».

[96]  Au paragraphe 43 de la décision Robinson c Rochester Financial, 2012 ONSC 911, [2012] 5 CTC 24 [Robinson], la Cour, qui refusait d’accorder une indemnité au représentant demandeur, a fait remarquer que l’indemnité devrait être réservée aux cas où, [traduction] « compte tenu de toutes les circonstances, la contribution du demandeur a été exceptionnelle ». La Cour a cerné plusieurs facteurs à prendre en considération au moment de décider s’il faut accorder ou non une indemnité au représentant demandeur, y compris sa participation active au litige, les difficultés personnelles importantes ou les inconvénients liés à la poursuite du litige, le temps consacré à l’instance, la communication avec les autres membres du groupe et la participation à l’instance, notamment aux négociations en vue d’un règlement et au procès.

[97]  En tant que représentant demandeur, M. Toth a expliqué pourquoi il s’était occupé du dossier et des procédures judiciaires. M. Toth a mentionné qu’il s’était enrôlé en 1985 et qu’il faisait partie des forces régulières depuis 1990. Il a été blessé lors d’un exercice d’entraînement en 1994, mais il a continué d’exercer ses fonctions. En 2003, il a commencé à toucher une pension d’invalidité calculée en fonction d’une invalidité de 5 %, qui a ensuite été portée à 20 %. M. Toth a été libéré pour des raisons médicales en 2007. Il a touché une pension d’invalidité de longue durée du RARM pendant quelques années et des APR jusqu’en 2012, lorsqu’il a démarré une nouvelle entreprise. M. Toth a reçu un paiement à la suite du règlement de l’affaire Manuge concernant les déductions faites au titre du RARM. Il s’est ensuite renseigné auprès d’ACC et de l’ombudsman des vétérans au sujet de sa pension d’invalidité qui avait été déduite de ses APR et a poursuivi les démarches auprès de son propre avocat. Il a ensuite été référé à Gowling WLG.

[98]  M. Toth a calculé qu’on avait déduit de ses APR la somme de 22 037,40 $ sur 33 mois. Il a reçu un paiement unique de 2 735,82 $ en 2014. Par conséquent, le montant net des déductions s’élève à 19 301,58 $.

[99]  En 2014, M. Toth a retenu les services d’avocats de Gowling WLG en vue de la négociation d’un mandat de représentation, de la communication de renseignements à l’appui de la demande, de la préparation d’affidavits et de la collecte des documents à communiquer. M. Toth fait également remarquer qu’il a passé beaucoup de temps avec les avocats du groupe à discuter des documents fournis par ACC, puis au cours des négociations en vue du règlement. Il a également demandé l’appui de son ancien commandant de l’Armée, Andrew Leslie, et de son député local.

[100]  Les avocats du groupe soutiennent que le versement d’une rétribution de 50 000 $ à M. Toth est approprié, soulignant que celui‑ci avait passé des centaines d’heures à travailler avec eux pour que l’affaire aboutisse à un règlement favorable. Les avocats du groupe ajoutent que le temps consacré à l’instance a éloigné M. Toth de sa nouvelle entreprise à un moment crucial. Ils soulignent l’engagement de M. Toth à l’égard du dossier et de l’instance depuis le début et soutiennent que, sans ses efforts et sa participation, le groupe n’aurait pas été indemnisé.

[101]  Il était question de la rétribution de 50 000 $ à verser à M. Toth dans l’avis de règlement proposé publié dans les médias nationaux et envoyé par la poste à chacun des quelque 15 000 membres du groupe. L’avis de règlement proposé publié en 2018 indique ce qui suit :

[traduction]

Les avocats du groupe proposent de verser, à même leurs honoraires, une rétribution de 50 000 $ au représentant demandeur, Raymond Toth, en reconnaissance du temps et des efforts personnels extraordinaires qu’il a consacrés au recours collectif.

[102]  Le seul qui s’est opposé au paiement de cette rétribution est M. Leonardo, qui a présenté un mémoire lors de l’audition de la présente requête plutôt qu’à l’avance. M. Leonardo est d’avis que M. Toth sera doublement avantagé – il recevra un paiement à titre de membre du groupe (dont le montant est estimé à 10 000 $ en raison de l’invalidité de 20 % de M. Toth) ainsi qu’une rétribution – et que M. Toth recevra un paiement excessif, disproportionné et injustifié. M. Leonardo a établi une comparaison avec la rétribution approuvée dans Manuge 2013 et a fait valoir que, dans cette affaire, le représentant demandeur avait déployé plus d’efforts, surtout pour communiquer avec le groupe, et qu’il avait obtenu un meilleur résultat.

[103]  Comme je l’ai déjà indiqué, le recours collectif dont il est question dans la décision Manuge a permis d’obtenir réparation pour les sommes qui avaient été déduites des prestations versées aux anciens combattants, mais il y a plusieurs différences importantes entre cette affaire et le présent recours collectif. Il ne convient pas de comparer les efforts déployés par le représentant demandeur, M. Manuge, à ceux de M. Toth dans le présent recours collectif pour déterminer la rétribution à accorder. Il n’y a pas deux affaires identiques, et les efforts exigés du représentant demandeur et déployés par lui varieront selon les circonstances. Bien que M. Toth n’ait peut-être pas communiqué personnellement avec les membres du groupe au sujet du litige ou du règlement, les avocats du groupe ont veillé à ce que ceux‑ci aient accès aux renseignements pertinents par l’entremise de leurs sites Web et par d’autres moyens.

[104]  La rétribution proposée a été clairement communiquée aux membres du groupe dans l’avis de règlement proposé qui a été publié en 2018 et, comme je l’ai dit, il n’y a eu qu’une seule objection.

[105]  J’estime que M. Toth est engagé activement dans cette affaire depuis 2012 et dans la présente instance depuis 2014 et que, sans sa participation, la présente instance et le règlement proposé n’auraient pas existé. Le paiement d’une rétribution à M. Toth est justifié.

VI.  La convention d’honoraires devrait-elle être approuvée?

A.  Les honoraires et débours des avocats du groupe

[106]  Les avocats du groupe demandent à la Cour d’approuver, en vertu de l’article 334.4 des Règles, le paiement de leurs honoraires et débours, soulignant qu’un mandat de représentation en vue d’un recours collectif (mandat de représentation) a été signé entre M. Toth et Gowling WLG (Canada) LLP et que ces honoraires et débours reposent sur cet accord. Gowling WLG et le Cabinet juridique Michel Drapeau ont collaboré en tant qu’avocats du groupe. Ils ont pu en outre compter sur l’aide, surtout au début de l’instance, de l’avocat personnel de M. Toth et d’autres avocats, dont les honoraires seront payés à même les honoraires des avocats du groupe.

[107]  Le mandat de représentation prévoit que les honoraires des avocats du groupe seraient calculés en pourcentage et qu’ils seraient conditionnels, c’est-à-dire qu’ils ne seraient payés qu’en cas de succès. Ces modalités figuraient dans la requête en certification de mars 2016, l’avis de certification d’avril 2016 et l’entente de règlement proposée de septembre 2018. L’avis de certification et l’entente de règlement proposée ont tous deux été publiés dans des journaux nationaux et envoyés par la poste aux membres du groupe.

[108]  Les avocats du groupe expliquent que le mandat de représentation prévoit, entre autres choses : que les frais juridiques ne seraient payés que s’il était fait droit, en tout ou en partie, au recours collectif; que les honoraires seraient payés au moyen d’un versement unique prélevé sur tout montant de dommages‑intérêts ou frais accordés dans le cadre d’un jugement ou d’un règlement; et que Gowling WG aurait droit à un pourcentage du montant total obtenu par règlement ou accordé par jugement au groupe, moins une déduction pour les débours. Les honoraires seraient calculés selon une échelle dégressive et en fonction du montant du recouvrement : 30 % pour toute somme n’excédant pas 10 000 000 $; 20 % pour toute somme se situant entre 10 000 001 $ et 20 000 000 $; et 15 % pour toute somme excédant 20 000 000 $. L’autre modèle proposé dans le mandat de représentation reposait sur l’application d’un multiplicateur, soit trois fois les honoraires réels, plus les débours.

[109]  Les honoraires maintenant proposés pour approbation sont calculés selon une échelle dégressive appliquée à la valeur totale du règlement (100 millions de dollars) et représentent environ 17 % de celle-ci.

[110]  Les avocats du groupe expliquent que, depuis 2013, soit lorsque M. Toth a été dirigé vers Gowling WLG, ils ont consacré environ 5 000 heures à l’instance. Cela comprend le temps consacré par plusieurs avocats, étudiants en droit et parajuristes. Les avocats du groupe ont également engagé jusqu’à maintenant 120 554,59 $ en débours, ce qui correspond aux coûts de publication des avis, ainsi qu’aux frais d’expertise, de déplacement, d’envoi postal et de photocopie. Comme il est décrit plus loin, d’autres frais et débours seront engagés pendant l’administration du règlement, ce qui portera vraisemblablement le total des frais à plus de 3 millions de dollars et le total des débours à 200 000 $.

[111]  Les avocats du groupe soutiennent que les risques assumés par eux et les résultats obtenus, combinés au temps et aux efforts consacrés à l’affaire, entre autres considérations pertinentes, appuient leur demande visant à obtenir de la Cour qu’elle approuve leurs honoraires et débours.

B.  Les principes issus de la jurisprudence

[112]  Les facteurs à prendre en compte dans l’appréciation du caractère raisonnable des honoraires des avocats du groupe ont été énoncés dans la jurisprudence récente (p. ex., Condon, aux paragraphes 81 à 83; Merlo, aux paragraphes 78 à 98; Manuge 2013, au paragraphe 28). Il s’agit des résultats obtenus, des risques assumés, du temps consacré à l’affaire, de la complexité des questions en litige, de l’importance du litige ou de la question pour le demandeur, du degré de responsabilité assumé par les avocats, de la qualité de la représentation et de la compétence des avocats, de la capacité des membres du groupe de payer les frais occasionnés par le litige, les attentes du groupe et les honoraires accordés dans des affaires semblables.

[113]  Les deux facteurs clefs sont les risques assumés et les résultats obtenus. Dans la décision Condon, la juge Gagné a souligné ce qui suit, au paragraphe 83 :

[83]  Les tribunaux se sont particulièrement arrêtés à deux facteurs importants pour apprécier le caractère juste et raisonnable d’une demande d’honoraires : 1) le risque assumé par les avocats du groupe pour mener l’action à bien; 2) le degré de réussite ou le résultat obtenu (Parsons 2000, précitée, au paragraphe 13; Sayers v. Shaw Cablesystems Limited, 2011 ONSC 962, au paragraphe 35). Dans ce contexte, l’évaluation du risque doit se faire à partir du début de l’action (Gagne v. Silcorp Ltd., [1998], 49 OR [3d] 417 (C.A. Ont.), au paragraphe 16). Les facteurs de risque englobent l’ensemble des risques assumés par les avocats du groupe, et notamment ceux qui sont liés à la responsabilité, au recouvrement et à la possibilité que le recours collectif ne soit pas autorisé (Gagne, précitée, au paragraphe 17; Endean v. Canadian Red Cross Society, 2000 BCSC 971 [QL], aux paragraphes 28 et 35).

[114]  Dans la décision Manuge 2013, au paragraphe 37, le juge Barnes a expliqué que le risque lié au litige que les avocats du groupe ont assumé est « surtout apprécié en fonction du risque assumé au tout début de l’affaire ».

[115]  Dans la décision Mancinelli c Royal Bank of Canada, 2018 ONSC 4206, 294 ACWS (3d) 244 (Mancinelli), au paragraphe 2, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a également souligné que le risque et le degré de réussite sont les facteurs les plus importants. La Cour a expliqué, au paragraphe 3, que le risque s’entend de [traduction] « l’ensemble des risques liés à la responsabilité, au recouvrement et à la possibilité que l’action ne soit pas certifiée comme recours collectif ».

[116]  Au paragraphe 41 de la décision Brown c Canada (Attorney General), 2018 ONSC 3429, 297 ACWS (3d) 295 [Brown], le juge Belobaba a récemment rappelé que le risque et les résultats sont les facteurs clés, que le risque est le facteur qui [traduction] « justifie le plus » une prime et qu’il s’agit principalement du risque de non-paiement.

[117]  Les avocats d’un groupe adoptent généralement deux approches en ce qui concerne leurs honoraires : un pourcentage du règlement total ou l’application d’un multiplicateur aux honoraires et débours réellement engagés. En l’espèce, les honoraires demandés correspondent à un pourcentage du montant du règlement.

[118]  Dans la décision Condon, la juge Gagné mentionne, aux paragraphes 86 et 87, que les honoraires déterminés selon un pourcentage encouragent les avocats à se concentrer sur les résultats et les récompensent pour leur efficacité. La juge Gagné explique les avantages des honoraires déterminés selon un pourcentage, soulignant, aux paragraphes 89 à 91, que les avocats à l’esprit d’entreprise qui acceptent d’être rémunérés selon une formule d’honoraires conditionnels rendent les recours collectifs possibles :

[89]  Il serait impossible d’assurer l’efficacité des recours collectifs sans une formule d’honoraires conditionnels selon laquelle les avocats sont rémunérés au pourcentage.

[90]  Les honoraires conditionnels favorisent l’accès à la justice dans la mesure où c’est l’avocat, et non le client, qui finance le litige. Les honoraires conditionnels favorisent également l’économie des ressources judiciaires et l’efficience des procédures, ils dissuadent les avocats d’un groupe de faire du travail inutile pour gonfler leur facture (les honoraires ne sont pas fixés en fonction des heures de travail), ils mettent à juste titre l’accent sur la qualité de la représentation et les résultats obtenus, ils ne pénalisent pas l’efficience des avocats, et ils tiennent compte des dépens et des risques considérables qu’ils doivent assumer (Osmun v. Cadbury Adams Canada Inc, 2010 ONSC 2752, au paragraphe 21).

[91]  Notre Cour et d’autres tribunaux du pays ont reconnu que la viabilité du régime des recours collectifs est tributaire du travail d’avocats à l’esprit d’entreprise qui acceptent de mener ces batailles, et dont la rémunération doit être à l’avenant (Manuge, précitée, au paragraphe 49; Helm v. Toronto Hydro-Electric System Limited, 2012 ONSC 2602, au paragraphe 26; Griffin v. Dell Canada Inc, 2011 ONSC 3292, au paragraphe 53). La rémunération doit être suffisante pour [traduction] « donner aux avocats un incitatif financier réel qui les convaincra d’intenter un recours collectif et de le mener à bien » (Sayers, précitée, au paragraphe 37).

[119]  Dans la décision Mancinelli, au paragraphe 4, la cour a formulé la même observation, faisant remarquer qu’une [traduction] « rémunération juste et raisonnable doit être suffisante pour inciter les avocats à intenter un recours collectif et à le mener à bien ».

[120]  Dans la décision Baker (Estate) c Sony BMG Music Inc, 2011 ONSC 7105, [2011] OJ No 5781 (QL) [Baker Estate], la Cour supérieure de justice de l’Ontario s’est penchée sur les honoraires approuvés par les tribunaux dans d’autres recours collectifs, qui étaient de l’ordre de 20 % à 30 %, et a déclaré ce qui suit au paragraphe 64 :

[traduction]

Il n’y a rien de choquant à ce que des honoraires de cet ordre soient approuvés. Depuis des années, des poursuites pour préjudices corporels sont intentées dans cette province et les avocats touchent des honoraires conditionnels pouvant atteindre 33 %. Dans de tels cas, on considère en général que de tels honoraires témoignent d’un juste partage des risques et des bénéfices entre l’avocat et le client. Ils incitent les avocats à obtenir le meilleur recouvrement possible pour le client et ils sont considérés comme étant justes pour ce dernier parce qu’ils reposent sur le principe « pas de résultat, pas de paiement ». Les avocats et le public reconnaissent depuis des années que le système fonctionne et qu’il est juste. Il permet à ceux qui auraient subi des préjudices de toutes sortes d’avoir accès à la justice sans risquer toutes leurs économies. Les honoraires conditionnels sont reconnus comme étant justes parce que le client ne se préoccupe en général que du résultat et que l’avocat est bien payé s’il obtient un bon résultat.

[121]  La jurisprudence insiste clairement sur le fait que les honoraires — qu’ils correspondent à un pourcentage du règlement ou qu’ils reposent sur l’application d’un multiplicateur aux frais réels — sont la rémunération des avocats qui intentent le recours et en assument tous les risques, et qui s’en occupent avec compétence et diligence, sans garantie de succès (Condon, aux paragraphe 90 et 91; Mancinelli, au paragraphe 4; Brown , au paragraphe 50; Baker Estate, au paragraphe 71; Gagne c Silcorp (1998), 41 OR (3d) 417, [1998] OJ No. 4182), au paragraphe 16. Sans cette rémunération, un tel recours serait impossible.

C.  Les facteurs pertinents

(1)  L’atteinte des résultats

[122]  Les avantages du règlement pour l’ensemble du groupe sont décrits plus en détail ci‑dessus. Selon le règlement proposé, dont le montant total s’élève à 100 millions de dollars, chaque membre du groupe et la succession de tout membre du groupe qui est décédé depuis la publication de l’avis de certification recevront un paiement. Les paiements seront calculés et versés rapidement, puisque la majorité des membres du groupe sont connus et que tout sera mis en œuvre pour que tous les membres, ou la succession des membres décédés, reçoivent leur paiement, lequel ne sera pas imposable.

[123]  Les avocats du groupe et les avocats de la défenderesse affirment avoir défendu avec vigueur leurs positions respectives en fonction de leurs compétences et de leur connaissance des questions en jeu. Ils décrivent les négociations en vue d’un règlement comme ayant été difficiles et les qualifient de « bataille acharnée », celles‑ci ayant été ponctuées de plusieurs propositions et contre-propositions sur une période de un an. Comme je l’ai mentionné, les deux parties ont fait des compromis afin de parvenir à un résultat équitable.

[124]  Comme l’a souligné la juge Gagné, dans la décision Condon, au paragraphe 100 :

Aux fins de l’appréciation des résultats obtenus par les avocats du groupe, la Cour doit également se demander dans quelle mesure le règlement proposé satisfait aux trois objectifs d’un recours collectif, c’est-à-dire l’accès à la justice, la modification d’un comportement et l’utilisation efficiente des ressources judiciaires (Bancroft-Snell v. Visa Canada Corporation, 2015 ONSC 7275, au paragraphe 49).

[125]  Ces objectifs ont été atteints en l’espèce. La politique contestée par le groupe a pris fin. Les demandes des 15 000 membres du groupe ont pu être examinées et réglées sans qu’il soit nécessaire de traiter de nombreuses réclamations individuelles, dont certaines auraient été d’un montant peu élevé et pour lesquelles le coût du procès et le délai auraient été un facteur dissuasif.

(2)  Le risque assumé

[126]  Les avocats du groupe soutiennent qu’ils ont assumé un risque élevé dans le cadre de la présente action d’un caractère nouveau et complexe. Ils font remarquer que leurs prétentions fondées sur la Charte prêtaient à controverse et qu’elles ont été remises en question lorsque le juge Barnes a mentionné, au paragraphe 32 de la décision Manuge 2013, que « [l]’issue de la réclamation quant au redressement fondé sur la Charte était douteuse dans le meilleur des cas ».

[127]  Les avocats du groupe ont aussi eu à composer avec les délais de prescription applicables lorsque la déclaration a été déposée en 2014. Les délais de prescription établis par la loi provinciale sont en général de deux ans. Le délai de prescription prévu par la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, une loi fédérale, est de six ans. Toutefois, même l’application du délai de prescription de six ans aurait exclu les demandes liées à la période de 2006 à 2008.

[128]  Malgré les risques du procès et l’importance du groupe, qui ne sont devenus évidents qu’après la certification, les avocats du groupe ont accepté de porter l’affaire devant les tribunaux sans aucune garantie qu’ils seraient un jour rémunérés. Lorsque l’action a été introduite, rien ne permettait de croire ou rien ne garantissait qu’elle serait certifiée ou ferait l’objet d’une entente de règlement. Aucun autre avocat ou cabinet d’avocats canadien, ni aucun particulier, n’a intenté de poursuites liées à cette déduction des prestations d’invalidité. Les avocats du groupe soutiennent que, s’ils n’avaient pas intenté le présent recours, aucun des membres du groupe n’aurait eu la possibilité d’être indemnisé.

[129]  Les risques assumés dès le début de la présente instance pour faire valoir la cause du groupe, et pour faire des choix stratégiques à mesure que l’instance progressait, sans certitude de réussite ou de recouvrement, est un facteur important dans la décision d’approuver ou non les honoraires proposés. Comme il ressort de la jurisprudence susmentionnée, les avocats qui consentent à une formule d’honoraires conditionnels dans les cas de recours collectifs, qui assument les risques et qui font progresser l’instance avec compétence et énergie, rendent ces actions possibles.

(3)  La complexité des procédures

[130]  Comme je l’ai mentionné, les prétentions quant aux droits à l’égalité fondées sur le paragraphe 15(1) de la Charte posent des difficultés.

[131]  La présente affaire est également complexe sur le plan factuel étant donné l’application de divers régimes de prestation, dont certains dépendent de la question de savoir si l’ancien combattant a d’autres sources de revenus.

[132]  Les avocats du groupe expliquent également que les questions fiscales découlant de la qualification des paiements ont dû être examinées avec soin. Ils ont dû solliciter les conseils des experts principaux en fiscalité et en pensions de Gowling WLG et communiquer avec l’ARC afin de s’assurer que les sommes versées au titre du règlement proposé reçoivent le traitement fiscal le plus favorable possible.

(4)  Le temps et les efforts consacrés

[133]  Jusqu’à maintenant, les avocats du groupe ont consacré du temps et des efforts à communiquer avec M. Toth et à lui demander des instructions, à préparer des actes de procédure, à effectuer des recherches juridiques, à préparer les documents nécessaires à la requête en certification et les projets d’ordonnances, à examiner les nombreux documents divulgués par la défenderesse et obtenus au moyen de demandes d’accès à l’information, à assister à des conférences de gestion d’instance, à participer aux négociations en vue d’un règlement avec la défenderesse, à communiquer avec les membres du groupe, à assurer une liaison avec l’ARC pour régler la question du traitement fiscal des paiements et à s’occuper des membres du groupe qui se sont exclus par inadvertance.

[134]  Le rôle des avocats du groupe ne prendra pas fin avec l’approbation du règlement; il se poursuivra jusqu’à ce que le règlement soit entièrement mis en œuvre. Par exemple, les avocats du groupe répondront probablement aux demandes de renseignements concernant le règlement et les paiements qui seront versés à chacun des membres du groupe ou à leur succession. Ils collaboreront également à la vérification qui sera faite de la distribution par ACC de la somme versée au titre du règlement, ce qui entraînera d’autres frais, notamment des frais d’expert.

(5)  Importance du litige pour le groupe

[135]  L’appui exprimé par de nombreux membres du groupe fait ressortir l’incidence de la déduction des montants de la pension d’invalidité. La pratique prétendument discriminatoire qui consistait à déduire les paiements versés au titre d’indemnité d’invalidité des autres prestations a pris fin. Les membres du groupe devraient se réjouir du règlement de cette question et de la présente affaire, ainsi que de la perspective d’un paiement rapide. Même les préoccupations soulevées par les membres du groupe qui ont pris la parole à l’audience ou qui ont écrit aux avocats du groupe font ressortir l’importance du litige, malgré le fait que le paiement versé pourrait être inférieur aux attentes.

(6)  Compétences des avocats

[136]  Comme je l’ai mentionné précédemment dans le contexte de l’appréciation des facteurs militant en faveur de l’approbation de l’entente de règlement, Gowling WLG et M. Ruby jouent un rôle actif dans la représentation en matière de recours collectifs depuis plus de 25 ans. Gowling WLG a pu compter pour la présente affaire, le règlement et le traitement fiscal des paiements sur l’expertise de plusieurs membres du cabinet.

[137]  L’expertise de M. Drapeau en matière de questions militaires et de droit des anciens combattants a grandement contribué au déroulement de l’instance et au règlement. Son cabinet et lui ont entre autres répondu aux demandes de renseignements des membres francophones et anglophones du groupe.

(7)  Capacité financière du groupe

[138]  M. Toth a expliqué qu’il n’avait pas la capacité de financer lui-même la poursuite. De même, les autres membres du groupe qui recevaient des AAC, des APR ou des ASRFC étaient probablement incapables de financer le présent recours au fur et à mesure de sa progression. Personne d’autre n’est intervenu pour engager des procédures.

[139]  Une des caractéristiques ou un des avantages du recours collectif est qu’il permet le règlement de réclamations semblables, ce qui, si elles étaient présentées individuellement, serait financièrement impossible parce que le coût des procédures, notamment, pourrait dépasser le recouvrement potentiel. C’est grâce à l’initiative des avocats du groupe et aux risques qu’ils assument que de telles actions sont possibles, puisque personne n’a alors besoin d’agir seul ou de financer l’instance.

(8)  Les attentes du groupe

[140]  Les membres du groupe ont été avisés de la convention relative aux honoraires basés sur un pourcentage dans l’avis de certification de 2016, qui indiquait que [traduction] « des honoraires échelonnés pouvant atteindre 30 % des montants reçus peuvent être versés aux avocats du groupe » [non souligné dans l’original].

[141]  L’avis relatif au règlement proposé a également été publié dans les médias nationaux en septembre 2018 et il a été envoyé par la poste à chaque membre du groupe. L’avis décrit le règlement proposé, notamment que le montant total du règlement s’élève à 100 millions de dollars et que le pourcentage global des honoraires demandés serait de 17 %. L’avis indique ce qui suit :

[traduction]

À l’audience de décembre 2018, les avocats du groupe, Gowling WLG (Canada) et le Cabinet juridique Michel Drapeau, demanderont à la Cour fédérale d’approuver leurs honoraires et débours, compte tenu du mandat de représentation conclu entre M. Toth et les avocats du groupe. Comme indiqué dans l’avis de 2016, des honoraires échelonnés allant jusqu’à 30 % sont payables selon le montant total du recouvrement. Compte tenu du mandat de représentation et du règlement proposé, les avocats du groupe demanderont à la Cour d’approuver des honoraires représentant 17 % du montant total du recouvrement.

[Non souligné dans l’original.]

(9)  Soutien du groupe concernant les honoraires

[142]  M. Leonardo s’est opposé au paiement des honoraires lors de l’audition de la requête pour approbation des honoraires. M. Leonardo est d’avis que les honoraires demandés par les avocats du groupe sont déraisonnables et excessifs à tel point qu’ils sont un « cadeau du ciel », compte tenu des résultats obtenus et des efforts consentis par les avocats du groupe. Bien que la Cour tienne compte du point de vue de M. Leonardo, il reste qu’il est le seul parmi les quelque 15 000 membres du groupe à s’être opposé au montant des honoraires devant la Cour.

[143]  M. Leonardo fait erreur lorsqu’il dit que les honoraires des avocats du groupe réduiront le paiement qu’il recevra par suite du règlement. Il est vrai que les honoraires seront payés à même le montant total du règlement, mais ils ne réduiront pas les montants à verser aux membres du groupe, qui seront calculés selon leur degré d’invalidité. La Cour s’est renseignée et a obtenu l’assurance de la défenderesse que toutes les réclamations seraient réglées et qu’il y aurait suffisamment d’argent.

[144]  M. Leonardo a fait une comparaison avec les honoraires approuvés dans l’affaire Manuge 2013 et il prétend que, dans cette affaire, les avocats du groupe ont déployé plus d’efforts et obtenu un meilleur résultat, mais qu’ils ont eu droit à un pourcentage beaucoup plus faible du montant total pour ce qui est des honoraires approuvés. Comme je l’ai mentionné précédemment, il y a d’importantes différences entre l’affaire Manuge et son règlement et le recours collectif en l’espèce. De plus, il était clairement question de la convention d’honoraires dans l’avis de certification et dans l’avis relatif au règlement proposé, qui ont tous deux été publiés et envoyés par la poste à tous les membres du groupe connus. L’approche fondée sur une échelle dégressive ne devrait pas étonner les membres du groupe, et le calcul ne devrait pas être fondé sur le montant total du règlement, ce qui a été clairement indiqué dans l’avis de 2018.

(10)  Honoraires dans des cas semblables

[145]  Les avocats du groupe soutiennent que les honoraires demandés en l’espèce se situent dans la fourchette des honoraires déterminés selon un pourcentage qui ont été approuvés dans d’autres recours collectifs et qu’ils ne sont ni excessifs ni déraisonnables. Ils reconnaissent que le montant total du règlement, qui s’élève à 100 millions de dollars, pourrait presque être qualifié de [traduction] « mégafonds » (Brown, au paragraphe 47), mais ils insistent sur le fait que le mandat de représentation se fonde sur une échelle dégressive, ce qui, en l’espèce, correspond à environ 17 % du montant total du règlement ou 16,9 millions de dollars, déduction faite des débours. Les avocats du groupe soutiennent qu’il n’y a rien de « choquant » au sujet des honoraires, alors que tous les facteurs pertinents sont pris en compte et qu’ils se comparent à ceux approuvés dans d’autres affaires.

[146]  Les avocats du groupe font état de plusieurs recours collectifs où les tribunaux ont approuvé des honoraires correspondant à un pourcentage comparable ou plus élevé. Par exemple, des honoraires de 16 665 000 $ pour un règlement de 50 millions de dollars (Anderson c Canada, 2016 NLTD(G) 179, 273 ACWS (3d) 251); des honoraires de 16 400 000 $ pour un règlement de 56 430 000 $ (Jeffrey c London Insurance, 2016 ONSC 5506, [2016] OJ No 4533 [QL]); des honoraires de 14 300 000 $ pour un règlement de 69 million de dollars [Ironworkers Ontario c Manulife, 2017 ONSC 2669, [2017] OJ No 2300 [QL]); et des honoraires de 17 846 250 $ pour un règlement de 117 millions de dollars (Labourers' Pension Fund of Central Eastern Canada c Sino-Forest Corporation, 2014 ONSC 62, [2013] OJ No 6143 [QL]).

[147]  M. Leonardo attire notre attention sur les honoraires accordés dans l’affaire Manuge et affirme que, en l’espèce, les honoraires demandés sont un cadeau du ciel et ne sont pas justifiés. Dans la décision Manuge 2013, les honoraires approuvés, exprimés en pourcentage global, étaient de moins de 5 %. Toutefois, le montant du règlement dans l’affaire Manuge constituait un « mégafonds » beaucoup plus important, et le montant réel des honoraires approuvés était d’environ 35,5 millions de dollars.

D.  La convention d’honoraires est raisonnable

[148]  Comme je l’ai mentionné précédemment, il n’y a pas deux affaires identiques pour ce qui est des risques assumés, de la complexité des questions, du temps et des efforts déployés par les avocats du groupe et d’autres facteurs. Ainsi, la Cour examine les facteurs pertinents en tenant compte du contexte de l’affaire en cause, et elle s’intéresse plus particulièrement aux résultats obtenus et aux risques assumés. Le montant total du règlement, qui s’élève à 100 millions de dollars, entre dans la catégorie des mégafonds et les honoraires calculés selon un pourcentage dont on demande l’approbation ont été examinés attentivement. Les honoraires des avocats du groupe, établis à 16,9 millions de dollars conformément au mandat de représentation qui prévoit des honoraires conditionnels à échelle dégressive, sont de toute évidence une rémunération importante pour les risques qu’ils ont assumés et les résultats qu’ils obtenus. Le travail des avocats du groupe n’est pas terminé. Ceux‑ci consacreront encore environ 1 000 heures ou plus au règlement et à la vérification du processus de distribution des paiements avec l’aide d’experts.

[149]  La défenderesse soutient que la convention d’honoraires concerne les membres du groupe et les avocats du groupe. Elle ne prend pas position au sujet des honoraires visés par la demande d’approbation, sauf pour souligner que ceux‑ci, qui correspondent à 17 % du montant total du règlement, se situent dans la fourchette établie par la jurisprudence et qu’ils tiennent compte de la complexité de l’affaire et des risques assumés par les avocats du groupe.

[150]  Compte tenu de tous les facteurs pertinents mentionnés dans la jurisprudence et, en particulier, du risque assumé par les avocats du groupe dès le début de l’instance; de la compétence et de la diligence des avocats du groupe, qui se sont chargés du dossier et qui ont porté l’affaire devant les tribunaux, ce que les membres du groupe n’auraient pas pu faire seuls; et des résultats finalement obtenus, la Cour convient que les honoraires des avocats du groupe, bien qu’ils soient généreux, ne dépassent pas la norme et sont justes et raisonnables dans ces circonstances.

VII.  Conclusion

[151]  La Cour conclut que l’entente de règlement est juste et raisonnable et, en conséquence, elle l’approuve. La rétribution de 50 000 $ versée à M. Toth à titre de représentant demandeur est justifiée compte tenu de sa contribution à la présente affaire et à son règlement et elle est approuvée.


ORDONNANCE

LA COUR STATUE que :

  1. L’entente de règlement finale, expressément incorporée par renvoi dans la présente ordonnance et jointe à titre d’annexe « A », est approuvée en vertu de l’article 334.29 des Règles des Cours fédérales, et l’entente de règlement finale sera mise en œuvre conformément à ses modalités, aux modalités de la présente ordonnance et de toute autre ordonnance de notre Cour;
  2. Sauf indication contraire dans la présente ordonnance, les définitions figurant dans l’entente de règlement finale s’appliquent à la présente ordonnance et y sont incorporées;
  3. L’entente de règlement finale lie le représentant demandeur et tous les membres du groupe qui ne se sont pas valablement exclus du présent recours collectif, ou qui ont choisi de s’en exclure pour ensuite le réintégrer;
  4. Tout membre du recours collectif qui choisit de s’exclure valablement du présent recours collectif et qui choisit de ne pas le réintégrer avant la date fixée pour ce faire, ne pourra prendre part à l’entente de règlement finale;
  5. En contrepartie des paiements et de toute autre contrepartie valable et suffisante décrite dans l’entente de règlement finale, tous les membres du groupe, à l’exception de ceux qui ont produit un formulaire d’exclusion en bonne et due forme et qui n’ont pas réintégré le processus de recours collectif, sont par les présentes réputés avoir, entièrement et inconditionnellement, et pour toujours, dégagé la défenderesse de toute responsabilité, et libèrent la défenderesse et toute entité ou personne qui lui est liée (renonciataire) de toute réclamation (réclamations libérées);
  6. Tout membre du groupe qui ne s’est pas valablement exclu du recours collectif, ou qui s’en est exclu pour ensuite le réintégrer, qu’il présente ou non une réclamation ou reçoive une indemnité en vertu de l’entente de règlement finale, est assujetti aux dispositions suivantes :
  1. Il lui sera à jamais interdit et défendu d’engager, d’intenter ou de poursuivre tout action, recours, enquête ou autre procédure devant tout tribunal de justice ou d’équité, tribunal d’arbitrage, organe gouvernemental, organe administratif ou autre organe décisionnel, directement, indirectement ou par représentation, et de faire valoir contre les renonciataires, ou l’un d’entre eux, toute réclamation relative aux réclamations libérées ou découlant de celles-ci;

  2. Il lui sera à jamais interdit et défendu d’intenter, ou de poursuivre toute action, recours, enquête ou autre procédure devant tout tribunal de justice ou d’équité, tribunal d’arbitrage, organe gouvernemental, organe administratif ou autre organe décisionnel, directement, indirectement ou par représentation, contre toute personne ou entité, qui pourrait donner lieu ou qui donne lieu à une action en recouvrement contre les renonciataires ou l’un d’entre eux visant à obtenir une contribution ou une indemnisation, en common law ou en equity, ou en vertu des dispositions de toute loi ou règlement, y compris la Loi sur le partage de la responsabilité et ses modifications, ou en vertu de toute loi subséquente à celle-ci, ou en vertu des Règles de la Cour fédérale, concernant ou découlant des réclamations libérées;

  3. Si un membre du groupe introduit une telle action ou intente une telle procédure, et que les renonciataires ou l’un d’entre eux sont ajoutés à l’instance de quelque manière que ce soit, que ce soit justifié en droit ou non, ce membre mettra immédiatement fin à l’instance, et indemnisera les renonciataires, ou l’un d’entre eux, pour les frais d’indemnisation substantielle qu’ils auront engagés pour se défendre;

  1. Une fois que la Cour a approuvé l’entente de règlement finale, tous les membres du groupe qui n’ont pas valablement choisi de s’exclure du recours collectif ou qui ont choisi de s’en exclure pour ensuite le réintégrer :
  1. s’engagent à ne pas présenter de cause d’action, de recours, de réclamation, d’action, de poursuite ou de demande, ou à ne pas engager ou poursuivre de quelque façon que ce soit de recours, de réclamation, d’action, de poursuite ou de demande, dans quelque ressort que ce soit, contre les renonciataires ou l’un d’entre eux, à l’égard des réclamations libérées ou relativement à celles-ci;

  2. s’engage à ne pas faire valoir ou intenter toute action relative aux réclamations libérées ou découlant de celles-ci, que ce soit en vue d’obtenir des dommages‑intérêts, un jugement déclaratoire ou toute autre mesure de redressement contre toute personne qui pourrait intenter une action en recouvrement contre les renonciataires pour ce qui est de telle action visant à obtenir des dommages-intérêts, un jugement déclaratoire ou toute autre mesure de redressement;

  3. s’engage, dans le cas d’une action intentée ou poursuivie par un membre du groupe qui aboutirait à une action en recouvrement ou à un jugement contre les renonciataires ou l’un d’entre eux et les obligerait à verser un montant quelconque à quelqu’un, à ne percevoir aucune somme à l’égard des réclamations qui font l’objet de l’entente de règlement, et à dégager les renonciataires de toute responsabilité, à les défendre, à les rembourser et à les indemniser pour le montant de l’action en recouvrement ou du jugement rendu à l’issue d’une telle action;

  4. s’engage à ne pas chercher de quelque façon que ce soit à obtenir une répartition de la négligence, de la faute, de la responsabilité ou de l’acte répréhensible qui serait opposable aux renonciataires ou à l’un d’eux relativement aux réclamations libérées ou découlant de celles-ci;

  5. doit indemniser entièrement les renonciataires et les dégager de toute responsabilité, dommages, frais juridiques, débours et coûts, relativement à toute violation des sous‑paragraphes qui précèdent;

L’entente de règlement finale agit péremptoirement comme une fin de non‑recevoir :

  • i) qui pourrait être présentée à l’égard de toute réclamation, action, plainte ou procédure par un membre du groupe relativement aux questions visées par l’entente de règlement finale;

  • ii) qui pourrait être soulevée en tant que moyen de défense complet et en réponse en cas de réclamation, d’action, de plainte ou de procédure;

  • iii) qui pourrait être invoquée dans toute procédure visant à faire rejeter de façon sommaire la réclamation, l’action, la plainte ou la procédure, et aucun membre du groupe ne soulèvera d’objection, dans toute action subséquente, quant au fait que les autres parties à cette action n’ont pas eu connaissance de la conclusion de l’entente de règlement finale;

  1. Le recours collectif est par ailleurs entièrement rejeté sans frais;
  2. Malgré le rejet du présent recours collectif, et sans que cela ait quelque incidence que ce soit sur le caractère définitif de la présente ordonnance, la juge Catherine Kane demeure saisie du recours collectif aux fins de l’administration de l’entente de règlement finale et de la mise en œuvre de la présente ordonnance, et elle peut rendre toute autre ordonnance portant sur la distribution du montant de règlement aux membres du groupe, sur les modifications à apporter à la procédure de distribution prévue dans l’entente de règlement finale, et sur toute question qui pourrait autrement survenir dans l’exécution de la présente ordonnance et de l’entente de règlement finale;
  3. Les honoraires et les débours des avocats du groupe doivent être payés conformément à l’alinéa 5a) du mandat, qui prévoit le paiement d’honoraires correspondant à un pourcentage de la valeur totale de tout règlement, déduction faite des débours;
  4. Les honoraires des avocats du groupe, établis selon le mandat de représentation à 17 % de la valeur totale du règlement après déduction des débours, doivent être payés par la défenderesse à même le montant du règlement;
  5. Le représentant demandeur touchera une rétribution de 50 000 $ qui sera prélevée sur les honoraires des avocats du groupe;
  6. Aucuns dépens ne sont adjugés dans la présente requête.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour de mai 2019.

Édith Malo, LL.B.


ANNEXE A


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1068-14

 

INTITULÉ :

RAYMOND MICHAEL TOTH c SA MAJESTÉ
LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

LE 10 DÉCEMBRE 2018

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE :

LE 30 jaNVIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Malcolm Ruby

Adam Bazak

Guy Poitras

Michel Drapeau

Joshua Juneau

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Travis Henderson

Lori Rasmussen

Mitchell Taylor

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Cabinet juridique Michel Drapeau

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sous-procureure générale
du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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