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Date : 20190129


Dossier : IMM‑2583‑18

Référence : 2019 CF 120

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

CHAOSONG HUANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 14 mai 2018 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada confirmait la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

Contexte

[2]  Le demandeur, Chaosong Huang, est un citoyen de la Chine.

[3]  Le demandeur prétend que la naissance de sa fille en 2011 contrevenait à la politique de planification familiale de la Chine parce qu’il n’avait pas atteint l’âge de 22 ans lorsque son épouse et lui s’étaient mariés. Pour cette raison, sa fille a été envoyée chez la tante de son épouse pour y vivre en cachette. Un deuxième enfant, un fils, est né en 2012 après que lui et son épouse eurent enregistré leur mariage. Son fils a été enregistré dans le système Hukou. En 2015, les autorités chinoises chargées de la planification familiale ont découvert l’existence de la fille du demandeur et ont exigé que l’épouse du demandeur subisse une stérilisation et paye une amende. Le demandeur et son épouse sont partis se cacher. Le demandeur avait précédemment eu recours aux services d’un passeur pour obtenir un visa d’entrée aux États‑Unis. Il y est allé en juin 2015; il prévoyait alors que son épouse le rejoindrait lorsque le passeur aura été en mesure d’obtenir un visa pour elle.

[4]  Cependant, alors que le demandeur était aux États‑Unis, son épouse a été retrouvée par les autorités chinoises chargées de la planification familiale. Les autorités ont conclu qu’elle ne pouvait pas être stérilisée en toute sécurité en raison d’une affection chronique. Le demandeur prétend qu’il est retourné en Chine parce qu’il était préoccupé par la santé de son épouse. De plus, étant donné que son épouse ne pouvait pas subir une stérilisation, les autorités chargées de la planification familiale ont émis un avis lui enjoignant de se faire stériliser au plus tard le 10 septembre 2015. Le demandeur a obtenu un visa canadien avec l’aide d’un passeur et, le 27 octobre 2015, il est allé au Canada, où il a présenté une demande d’asile.

[5]  La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur dans une décision datée du 12 juillet 2017. La SPR a conclu que les questions déterminantes portaient sur la crédibilité et l’absence de fondement objectif quant à la crainte subjective du demandeur. La décision de la SPR a été confirmée par la SAR. 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[6]  La SAR a d’abord examiné la façon dont la SPR a traité les documents corroborants présentés par le demandeur. La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en omettant d’apprécier les documents séparément. La SAR a ensuite examiné chacun des documents rejetés par la SPR.

[7]  La SAR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la carte d’identité de résident du demandeur et l’acte de naissance de son fils n’étaient pas frauduleux. Elle a également conclu que la brochure sur le dispositif intra‑utérin (brochure DIU) était elle aussi authentique. Elle a cependant ajouté que la brochure DIU indiquait qu’en 2012, les autorités chinoises chargées de la planification familiale étaient au courant de l’existence des deux enfants du demandeur. Ce constat remettait en question l’allégation du demandeur selon laquelle sa fille n’avait été découverte par les autorités chinoises qu’en 2015. La SAR a conclu que les reçus de paiement d’amende, le certificat indiquant le diagnostic, les avis de stérilisation et la liste des articles confisqués étaient tous frauduleux. Pour en arriver à cette conclusion, la SAR a fait remarquer qu’il n’était ni raisonnable ni plausible que les autorités chinoises aient soumis le demandeur et son épouse à des mesures punitives plusieurs années après avoir pris connaissance de l’existence de leur fille, un enfant illégal.

[8]  En se fondant sur la conclusion selon laquelle les autorités chinoises étaient au courant de l’existence de la fille en 2012 et sur la nature frauduleuse de plusieurs des documents, la SAR a conclu que le demandeur n’était pas crédible concernant les éléments clés de sa demande. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait quitté la Chine afin d’éviter d’être assujetti à des mesures punitives, notamment le paiement des amendes et la stérilisation forcée, en raison de la découverte de sa fille par les autorités.

[9]  La SAR a ensuite examiné la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas une crainte objectivement fondée de persécution future. La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en tirant cette conclusion. La SAR a apprécié les éléments de preuve et a conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait forcé de se soumettre à la stérilisation à son retour en Chine. La SAR a reconnu que le demandeur pourrait être passible d’une amende, mais a estimé que cela ne constitue pas de la persécution.

[10]  La SAR a conclu qu’il n’existait aucune possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté ni qu’il soit exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture, s’il retournait en Chine.

La question en litige et la norme de contrôle

[11]  Le demandeur fait valoir que la seule question à trancher dans cette affaire est de savoir si la SAR a mal interprété les éléments de preuve objectifs concernant la mise en œuvre de la politique de planification familiale en Chine. Plus précisément, le demandeur soutient que la SAR a conclu de façon déraisonnable que le demandeur ne serait pas exposé à un risque sérieux de persécution en raison de la politique de planification familiale. 

[12]  La Cour applique la norme de contrôle de la décision raisonnable dans son examen de l’analyse des éléments de preuve effectuée par la SAR (Denbel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 629, au paragraphe 29). Dans une procédure de contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

Analyse

[13]  Le demandeur soutient que la décision de la SAR était déraisonnable parce qu’elle a mal interprété les éléments de preuve documentaire objectifs concernant la mise en œuvre des politiques de planification familiale en Chine. Le demandeur reconnaît que la politique de planification familiale de la Chine a changé et que les couples peuvent désormais avoir deux enfants. Cependant, il fait valoir que, contrairement à la conclusion de la SAR à cet égard, les éléments de preuve documentaire n’indiquent pas que ce changement reflète un assouplissement de la politique de mise en œuvre. Et même si la SAR a constaté à juste titre que les provinces de la Chine conservent un pouvoir discrétionnaire quant à la façon dont la politique de planification familiale est mise en œuvre, elle a mal interprété les documents se rapportant à sa province d’origine, le Hebei. Cela indique en fait que la politique est sévèrement appliquée au Hebei, qui n’a pas mis à jour ses règlements de manière à refléter la modernisation de la politique, et dont les règlements enjoignent aux autorités de pratiquer des avortements forcés. De plus, les documents révèlent que, malgré les changements apportés aux lois sur la planification familiale en Chine, les avortements et les stérilisations forcés restent une pratique fréquente. Par conséquent, le demandeur soutient que la conclusion de la SAR selon laquelle il serait seulement passible d’une amende dans la province du Hebei pour avoir enfreint la politique sur la planification familiale fait abstraction de ces éléments de preuve.

[14]  Le défendeur fait valoir que rien ne prouve que des mesures coercitives relevant de l’ancienne politique ont été introduites dans les nouveaux règlements du Hebei et qu’un examen convenable des éléments de preuve objectifs démontre que les amendes s’appliquent généralement aux personnes qui violent les politiques de planification familiale. De plus, la jurisprudence établit qu’il était loisible à la SAR de rejeter une demande fondée sur une crainte des politiques de planification familiale en l’absence d’éléments de preuve objectifs attestant d’une mise en œuvre particulièrement sévère de ces politiques (Rong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 358, aux paragraphes 10 à 13; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 608, aux paragraphes 8 et 10). Cela ne peut être justifié par ce qu’on qualifie habituellement de rigueur excessive (Mai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 486, aux paragraphes 14, 25 à 26 et 29). On ne peut pas non plus se fonder sur un manque de clarté au sujet de la politique pour conclure que sa conclusion est déraisonnable (Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 176, aux paragraphes 10 à 12, et 14). Enfin, le défendeur fait remarquer que le demandeur n’a pas contesté la décision de la SAR selon laquelle plusieurs des documents sont frauduleux.

[15]  À titre préliminaire, je relève que, dans ses observations écrites, le demandeur a soutenu que la SAR avait commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu que le rapport de 2016 du Congressional Research Service (CRS) indiquait que le Hebei ne fait pas partie des provinces citées qui continuent d’avoir recours aux mesures sévères et intrusives dans le contexte de la planification familiale. Toutefois, lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur a reconnu que cette affirmation est erronée et il a abandonné cet argument. En fait, dans ses motifs, la SAR a fait référence au document d’information de 2013 sur la planification familiale en Chine, élaboré par le tribunal d’appel en matière d’immigration de l’Australie, et a exposé avec précision que ce dernier ne mentionnait pas la province d’origine du demandeur, le Hebei, comme une province introduisant des mesures coercitives de régulation des naissances dans ses règlements. 

[16]  En ce qui concerne la preuve documentaire sur la situation dans le pays, les rapports sur les pratiques des pays en matière de droits de l’homme pour 2016 publiés par le Département d’État des États‑Unis indiquent qu’en 2016, la Chine a modifié sa politique de planification familiale pour adopter une politique des deux enfants. En outre, ils indiquent que sous le régime de la loi et en pratique, il y avait toujours des sanctions pécuniaires et administratives pour les naissances excédant la limite permise ou enfreignant de quelque autre façon les règlements. La Commission nationale de la santé et de la planification familiale a annoncé qu’elle continuerait d’imposer des amendes, appelées frais d’indemnisation sociale, en cas de violation de la politique. Les femmes qui ne sont pas autorisées à concevoir doivent avorter ou payer les frais d’indemnisation sociale. Les règlements exigeant des femmes qui contreviennent à la politique de planification familiale qu’elles mettent fin à leur grossesse existent encore et ont été appliqués dans certaines provinces, notamment dans le Hubei, le Hunan et le Laioning. Toutefois, comme l’a fait remarquer la SAR, le Hebei n’est pas cité parmi ces provinces ou les autres provinces qui ont maintenu les dispositions imposant des mesures correctives et un délai pour l’avortement.

[17]  Et, après avoir lu l’intégralité de la preuve documentaire sur le pays, je ne souscris pas à l’affirmation du demandeur selon laquelle la SAR a mal interprété ces éléments de preuve. Au contraire, le dossier soumis à la SAR ne comportait pas d’éléments de preuve clairs corroborant la prétention du demandeur selon laquelle les règlements de planification familiale du Hebei n’ont pas été modifiés depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle politique de planification familiale ou selon laquelle, après la mise en œuvre de la politique de deux enfants, la stérilisation forcée y était pratiquée. Autrement dit, le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de présenter une preuve convaincante à l’appui de son allégation.

[18]  Je ne relève aucune erreur dans la conclusion de la SAR selon laquelle elle ne disposait d’aucun élément de preuve concernant des incidents de stérilisation forcée dans la ville de Gaocheng, où résidait le demandeur, ni d’éléments de preuve de règlements locaux prévoyant des stérilisations forcées. La conclusion de la SAR selon laquelle la prépondérance de la preuve documentaire indique que la pénalité en cas de conception non autorisée serait une amende, ce qui d’après elle ne constitue pas de la persécution, est aussi justifiée, compte tenu du dossier dont elle dispose.

[19]  Il ne s’agit pas d’un cas comparable à la décision dans Ou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 968, invoquée par le demandeur, ou l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve concernant les conditions existant dans le pays d’origine des demandeurs qui contredisaient directement ses conclusions. Le demandeur demande plutôt à la Cour de pondérer à nouveau les éléments de preuve, ce qui n’est pas son rôle (Moya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 315, au paragraphe 33).

[20]  À mon avis, la décision de la SAR est intelligible, justifiable et découle logiquement de la preuve. Elle appartient aux issues possibles acceptables. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


JUGEMENT DANS IMM‑2583‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucuns dépens ne seront adjugés;

  3. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et aucune n’est soulevée.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de mars 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2583‑18

INTITULÉ :

CHAOSONG HUANG c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

24 janvier 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

29 janvier 2019

COMPARUTIONS :

Georgina Murphy

POUR LE DEMANDEUR

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Murphy & Shankland LLP

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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