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Date : 20190129


Dossier : IMM-3916-18

Référence : 2019 CF 126

Montréal (Québec), le 29 janvier 2019

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

VALERY KINDU LUKOMBO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le demandeur, Valery Kindu Lukombo, est citoyen de la République démocratique du Congo [RDC]. Il arrive au Canada le 10 juillet 2015 en provenance des États-Unis et présente une demande d’asile quelques semaines plus tard. Il allègue avoir été arrêté dans la nuit du 18 novembre 2013 par des policiers dans le cadre de l’Opération Likofi, une opération menée par la Police nationale de la RDC visant à mettre fin aux crimes perpétrés par les membres de gangs criminels organisés appelés les « kulunas ». Le demandeur allègue avoir été faussement caractérisé de « kuluna » alors qu’il n’était qu’un « petit commerçant » et avoir subi de la torture lors de son incarcération.

[2]  Le 6 décembre 2016, la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejette sa demande pour absence de crédibilité. Elle juge également qu’il y a absence de crainte subjective et que le comportement du demandeur n’est pas compatible avec celui d’une personne qui craint réellement pour sa vie.

[3]  Le 18 juillet 2018, la Section d’appel des réfugiés [SAR] rejette l’appel du demandeur pour essentiellement les mêmes motifs.

[4]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Bien que le demandeur soulève plusieurs questions dans sa demande de contrôle judiciaire, la Cour est d’avis que certaines conclusions de la SAR sont erronées et justifient l’intervention de la Cour.

II.  Analyse

[5]  La décision de la SAR, incluant ses conclusions quant à la crédibilité et son évaluation de la preuve, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35). La Cour n’interviendra pas si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

[6]  Dans sa décision, la SAR conclut qu’une erreur de date entache la crédibilité du demandeur. La SAR reproche au demandeur d’avoir inscrit dans son formulaire de Fondement de la demande d’asile [FDA] qu’il a quitté la RDC pour une première fois le 22 avril 2013 alors que dans le récit qui l’accompagne, il indique avoir quitté la RDC le 23 novembre 2013. Selon la SAR, le demandeur ne s’est aperçu de l’erreur dans son récit qu’en cours d’audience.

[7]  L’examen du dossier démontre que cette constatation est erronée. D’abord, le récit du demandeur n’indique pas qu’il a quitté la RDC le 23 novembre 2013, mais plutôt le 22 novembre 2013. La date du 22 novembre 2013 est inscrite à deux (2) reprises dans le récit du demandeur. Elle apparaît aussi à plusieurs autres endroits dans les documents complétés par le demandeur au soutien de sa demande d’asile. De plus, il est erroné de prétendre que le demandeur s’est aperçu de l’erreur en cours d’audience. Les audiences devant la SPR ont débuté le 8 décembre 2015. Or, le demandeur a transmis par télécopieur le 4 septembre 2015 à la SPR une correction au FDA remplaçant la date fautive du 22 avril 2013 par celle du 22 novembre 2013.

[8]  Le défendeur reconnaît que l’analyse de la SAR sur cette question est erronée. Toutefois, il soutient que l’erreur n’est pas déterminante dans l’évaluation globale que fait la SAR de la crédibilité du demandeur.

[9]  La Cour ne peut souscrire à l’argument du défendeur. Dans ses motifs, la SAR indique ce qui suit :

Force est de constater que [le demandeur] a mentionné en début d’audience qu’il ne dirait que la vérité et que son formulaire est exact et conforme et que ce n’est qu’en cours d’audience qu’il s’aperçoit de la grossière erreur en début de récit. La SAR ne peut accepter une erreur aussi flagrante, ni les raisons offertes, que c’est une erreur de transcription de son avocate. La SAR y voit une erreur grossière dans les dates, ce qui entache la crédibilité [du demandeur].

[Nos soulignements.]

[10]  Compte tenu des termes utilisés par la SAR pour qualifier l’erreur alléguée, il y a lieu de s’interroger sur l’incidence de celle-ci sur son évaluation plus générale de la crédibilité du demandeur.

[11]  La Cour note également que la SAR reproche au demandeur de ne pas avoir mentionné  dans le récit accompagnant son FDA l’existence de trois (3) avis de convocation émanant de la Police nationale de la RDC. Devant la SPR, le demandeur a témoigné avoir eu connaissance des avis de convocation par l’entremise de son frère qui était allé voir son propriétaire. Bien qu’il ne se souvienne pas de la date exacte, le demandeur a expliqué qu’il ne les a pas mentionnés dans son FDA parce qu’il les a reçus après avoir complété et déposé celui-ci. La SAR rejette l’explication du demandeur au motif qu’à « de nombreuses reprises, les récits soumis sont amendés et parfois ramandés [sic], même au début de l’audience, ce [que le demandeur] n’a pas jugé bon de faire alors qu’il prétend que les autorités de son pays sont à sa recherche. De plus, [le demandeur] mentionna en cours d’audience avoir appris cette information à la fin de 2015 et qu’on l’en informe à deux reprises ».

[12]  La Cour est d’avis que l’analyse de la SAR sur cette question manque d’intelligibilité et de justification puisque les avis de convocation ont été déposés au dossier du demandeur avant l’audience devant la SPR. En effet, le dossier démontre que les avis de convocation ont été reçus par la SPR le 27 novembre 2015, soit quelques semaines avant la première journée d’audience. De plus, la SAR n’avait aucune preuve qui démontrait que le demandeur avait personnellement reçu les avis de convocation en 2013 ou en 2014. La preuve au dossier démontre plutôt que le demandeur était en Angola lorsque les avis de convocation ont été émis. Il est difficile de comprendre comment la SAR peut reprocher au demandeur de ne pas avoir amendé son récit avant l’audience alors que les avis de convocation ont bel et bien été communiqués à la SPR avant l’audience, d’une part, et d’autre part, ce qu’elle envisage lorsqu’elle mentionne que «[l’] ajout est de taille dans le dossier ». Bien que le défendeur reconnaisse que les avis de convocation ont été transmis à la SPR avant l’audience, il n’a pas été en mesure de démontrer à la Cour que le demandeur avait l’obligation additionnelle d’amender son FDA, sous peine de voir sa crédibilité entachée.

[13]  La Cour reconnaît qu’elle doit faire preuve d’une grande retenue à l’endroit des conclusions de crédibilité de la SAR (Odia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 363 au para 6). Le dossier démontre également que d’autres éléments permettaient à la SAR de tirer des inférences négatives quant à la crédibilité du demandeur. Cependant, puisque l’ensemble de la décision de la SAR est fondée sur le fait que le demandeur a été jugé non crédible et étant donné qu’au moins un des reproches soulevés par la SAR est qualifié d’erreur grossière et flagrante, il n’est pas possible pour la Cour de déterminer l’impact des erreurs commises par la SAR sur sa décision finale. Pour ces motifs, la Cour conclut que la décision est déraisonnable.

[14]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SAR différemment constitué pour réexamen.

[15]  Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-3916-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision de la Section d’appel des réfugiés datée du 18 juillet 2018 est annulée;

  3. L’affaire est renvoyée à un tribunal de la Section d’appel des réfugiés différemment constitué pour réexamen;

  4. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3916-18

INTITULÉ :

VALERY KINDU LUKOMBO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 JANVIER 2019

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 29 JANVIER 2019

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy

Pour le demandeur

 

Simone Truong

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude légale Steward Istvanffy

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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