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Date : 20190125


Dossier : IMM-2008-18

Référence : 2019 CF 111

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 25 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

HARISKANNA THIYAGARASA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision d’un agent principal (l’agent) datée du 16 avril 2018, par laquelle a été rejetée la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire que le demandeur a présentée depuis le Canada (la décision).

[2]  Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, la présente demande est rejetée, car, après examen des arguments avancés par le demandeur, j’ai conclu que la décision était raisonnable.

Contexte

[3]  Le demandeur, Hariskanna Thiyagarasa, est un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule âgé de 30 ans. Il est né à Jaffna, dans le nord du Sri Lanka, et a grandi pendant la guerre civile qui a fait rage au pays. Il prétend que sa famille a subi les répercussions de la guerre : les membres de sa famille ont été déplacés; son père a été détenu et agressé pendant trois jours par l’armée sri lankaise parce qu’il était soupçonné d’être un partisan des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET); lui‑même a été blessé par un éclat provenant de l’explosion d’une bombe en 2006; la maison familiale a fait l’objet d’une perquisition par l’armée parce qu’on soupçonnait la famille d’être partisane des TLET; et son oncle et sa tante (qui étaient, selon le demandeur, des sympathisants des TLET) ont été tués dans l’explosion d’une autre bombe.

[4]  Le demandeur a fui le Sri Lanka en 2012 et a transité par plusieurs pays avant d’arriver au Canada en avril 2013 et de présenter une demande d’asile.

[5]  La demande d’asile présentée par le demandeur a été rejetée par la SPR le 4 octobre 2013. Cette décision a été confirmée par la Section d’appel des réfugiés, puis par la Cour fédérale dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Sa demande d’examen des risques avant renvoi a été rejetée en mars 2017. Il a par la suite présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH) le 15 mars 2017.

[6]  Dans cette demande, le demandeur a invoqué les motifs suivants : son établissement au Canada, ses liens familiaux, les bouleversements psychologiques et émotionnels subis, les difficultés attribuables à son profil de jeune homme d’origine tamoule soupçonné d’entretenir des liens avec les TLET et de demandeur d’asile débouté, ainsi que les difficultés découlant de la discrimination dont sont victimes les Tamouls au Sri Lanka.

Motifs à l’appui de la décision de l’agent

[7]  Dans la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, l’agent a rejeté la demande CH que le demandeur a présentée depuis le Canada. L’agent a tenu compte des facteurs suivants : l’établissement, les liens familiaux, l’intérêt supérieur des enfants, la situation au Sri Lanka ainsi que les bouleversements émotionnels et psychologiques subis. Les rubriques du résumé ci-dessous sont les mêmes que dans la décision.

Établissement

[8]  L’agent a constaté que le demandeur résidait au Canada depuis cinq ans, soit depuis [traduction] « une période assez courte ». Il a aussi constaté que le demandeur avait suivi des cours d’anglais pendant six mois et qu’il avait commencé à travailler dans une usine au Canada en 2014. Le demandeur a ensuite entrepris des études en vue d’obtenir un certificat CompTIA A+ (certificat dans le domaine du soutien technique et des technologies de l’information) du NETPlus College of Information Technology, et il a commencé à travailler pour Ohm Computers en décembre 2014. L’agent a reconnu que le demandeur touchait un certain revenu.

[9]  L’agent a aussi accepté que le demandeur avait noué des amitiés au Canada et qu’il participait à la vie communautaire dans une certaine mesure parce qu’il faisait du bénévolat.

[10]  L’agent a conclu qu’il avait lieu d’accorder un certain poids favorable à l’établissement du demandeur au Canada, mais que cet établissement, en lui‑même, n’avait rien d’exceptionnel et ne justifiait pas l’octroi d’une exemption fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

Liens familiaux

[11]  L’agent a noté que la sœur, le beau‑frère, la nièce et le neveu du demandeur résidaient à Montréal, et que le demandeur avait affirmé qu’il éprouverait des difficultés s’il devait être séparé d’eux. Il a reconnu que le demandeur rencontrerait des difficultés émotionnelles s’il était séparé de ces membres de la famille. Cependant, l’agent a aussi expliqué que cette même sœur du demandeur était au Sri Lanka lorsqu’il avait quitté le pays pour la première fois, et qu’il serait en mesure d’entretenir sa relation avec elle par téléphone ou par Internet advenant qu’ils soient séparés. Selon l’agent, il était raisonnable de croire que le demandeur pourrait habiter avec ses parents et son frère au Sri Lanka s’il devait y retourner, comme il l’avait fait avant son départ de là-bas. L’agent a aussi indiqué que ceux-ci pourraient fournir un soutien affectif au demandeur.

Intérêt supérieur des enfants

[12]  L’agent a reconnu que le demandeur était présent dans la vie de sa jeune nièce et de son jeune neveu, et que cette présence leur était profitable. Cependant, il a conclu qu’il existait peu d’éléments de preuve démontrant que le demandeur leur fournissait des soins ou leur apportait un soutien financier, ou que les enfants pâtiraient de son absence. L’agent a aussi constaté que la tante du demandeur, qui réside au Canada, a trois enfants (ses cousins), desquels le demandeur s’est rapproché. L’agent a toutefois conclu qu’il était difficile d’évaluer l’intérêt supérieur des cousins du demandeur, compte tenu du manque de détails sur leur âge ou leur vie.

[13]  L’agent n’a pas été convaincu que le niveau de dépendance entre les enfants et le demandeur était suffisant pour que son départ compromette leur intérêt supérieur.

Situation au Sri Lanka

[14]  L’agent a passé en revue les documents sur la situation au Sri Lanka dans la mesure où ils se rapportaient au demandeur. Il a relevé que le demandeur prétendait que, s’il devait retourner au Sri Lanka, il risquerait d’être victime de persécution et de violence en raison de son profil de jeune Tamoul soupçonné d’entretenir des liens avec les TLET, mais aussi de personne qui retourne au Sri Lanka avec un titre de voyage temporaire et dont la demande d’asile au Canada a été rejetée. L’agent a aussi fait remarquer que le demandeur avait affirmé qu’il serait exposé à des difficultés économiques, et qu’il lui serait difficile de trouver un emploi au Sri Lanka.

[15]  L’agent a noté que le demandeur n’avait produit aucune preuve documentaire pour démontrer que les membres de sa famille ou lui‑même étaient soupçonnés d’être des partisans des TLET. En outre, il avait fourni peu d’éléments de preuve tendant à établir que sa famille et lui avaient été pris pour cible par les autorités sri lankaises ou par le Parti démocratique populaire de l’Eelam. L’agent a accordé peu de poids aux propres déclarations du demandeur en raison de l’absence de preuve corroborante. Il a ajouté que le demandeur avait présenté des versions contradictoires pour expliquer pourquoi il n’avait pas révélé les liens de sa tante et de son oncle décédés avec les TLET au moment de son entrée au Canada.

[16]  L’agent a conclu qu’il était raisonnable de croire que les risques associés aux incidents décrits par le demandeur lors de son audience devant la SPR en 2013 pour expliquer sa crainte d’être considéré comme un membre des TLET étaient les mêmes risques que ceux qu’il redoutait aujourd’hui. L’agent a constaté que le rejet de la demande par la SPR était fondé sur la crédibilité du demandeur et sur le bien-fondé de ses allégations. Par conséquent, il a accordé beaucoup de poids aux conclusions défavorables tirées par la SPR en ce qui concerne la crédibilité. L’agent a conclu que la preuve du demandeur était insuffisante pour réfuter les conclusions de la SPR, et qu’il était peu vraisemblable que celui-ci soit considéré comme un partisan des TLET ou qu’il soit pris pour cible ou harcelé du fait de son profil de jeune Tamoul. L’agent a accordé peu de poids aux déclarations du demandeur selon lesquelles il serait exposé à des difficultés au Sri Lanka pour ce motif.

[17]  L’agent, après avoir mentionné que le demandeur avait présenté des éléments de preuve documentaire sur la situation au Sri Lanka, a reconnu que des membres de la communauté tamoule soupçonnés d’entretenir des liens avec les TLET avaient été pris pour cible et harcelés. Toutefois, il disposait de peu d’éléments de preuve permettant de croire que ce profil correspondait à celui du demandeur.

[18]  L’agent a examiné la preuve documentaire relative aux demandeurs d’asile qui retournent dans leur pays, mais il a trouvé peu d’éléments de preuve démontrant que le demandeur serait pris pour cible. Rien n’indiquait non plus que les demandeurs d’asile qui retournent au Sri Lanka depuis le Canada sont plus particulièrement pris pour cible que les autres. L’agent a conclu qu’il n’existait pas plus qu’une simple possibilité que le demandeur soit pris pour cible.

[19]  L’agent a ensuite examiné la preuve documentaire relative à l’affirmation du demandeur selon laquelle il serait victime de discrimination en raison de son origine tamoule et qu’il aurait de la difficulté à trouver du travail. Après avoir effectué des recherches supplémentaires par l’intermédiaire de sources accessibles au public, l’agent a reconnu que les Tamouls étaient aux prises avec certaines difficultés économiques, mais a indiqué qu’il existait peu d’éléments de preuve démontrant qu’il serait impossible pour le demandeur de trouver un emploi. L’agent a relevé l’emploi précédent du demandeur au Sri Lanka, de même que l’emploi qu’occupe son frère là-bas.

[20]  L’agent a conclu qu’il existait toujours là-bas des problèmes de discrimination à l’encontre des Tamouls, puisque les efforts déployés par le gouvernement sri lankais pour y remédier avaient produit des résultats mitigés, mais il a constaté que le gouvernement tentait néanmoins de résoudre ces problèmes et que des recours existaient.

Bouleversements émotionnels et psychologiques

[21]  L’agent s’est ensuite penché sur les observations du demandeur selon lesquelles il souffrirait de stress psychologique s’il devait retourner au Sri Lanka, et a examiné l’évaluation psychologique présentée par ce dernier. Selon cette évaluation, le demandeur souffrait d’un trouble de l’adaptation mixte avec anxiété et humeur dépressive, et présentait des symptômes d’un état de stress post‑traumatique. L’agent a accordé peu de poids à cette évaluation en raison des préoccupations de la SPR relativement à la crédibilité et de l’absence de preuve corroborant les déclarations qui y étaient consignées. L’agent a aussi constaté qu’il n’y avait aucune mention d’un traitement en cours ou d’un plan de traitement prévu pour l’avenir. L’agent a conclu que cela prouvait que le demandeur ne souffrait pas de troubles psychologiques graves au point d’avoir besoin de l’aide de professionnels en santé mentale.

[22]  L’agent a néanmoins reconnu que le demandeur éprouverait vraisemblablement de l’anxiété au moment de retourner au Sri Lanka, et que son état psychologique pourrait en souffrir. Il a déclaré avoir accordé beaucoup de poids à cet argument, mais il a tout de même conclu que le demandeur serait en mesure de recevoir, entre autres, le soutien affectif de sa famille. L’agent a aussi constaté que le demandeur avait démontré qu’il était capable de déménager dans un autre pays, d’apprendre une nouvelle langue et de se trouver un emploi. L’agent a estimé le demandeur devrait certes surmonter des obstacles en matière de soins en santé mentale au Sri Lanka, mais qu’il n’y avait guère d’éléments de preuve démontrant qu’il avait besoin d’un traitement ou de médicaments ou qu’il serait incapable d’accéder à des soins en santé mentale là-bas.

Conclusion

[23]  En conclusion, l’agent a accordé un certain poids favorable à l’établissement et aux liens familiaux du demandeur au Canada, mais il n’a pas été convaincu que son degré d’établissement était exceptionnel. L’agent a conclu que l’intérêt supérieur des enfants ne serait pas compromis si le demandeur devait retourner au Sri Lanka.

[24]  En ce qui concerne la question de la santé mentale, l’agent n’a pas été convaincu que le demandeur ne serait pas en mesure d’accéder à des services de santé mentale au Sri Lanka s’il en avait besoin ultérieurement, ni qu’il serait incapable de présenter une demande de résidence permanente depuis l’extérieur du Canada. L’agent n’a pas non plus été persuadé que le demandeur serait considéré comme un partisan des TLET et serait pris pour cible, ni qu’il serait exposé à une discrimination tellement grave qu’il lui serait extrêmement difficile de trouver un emploi pour subvenir à ses besoins.

[25]  Par conséquent, l’agent a conclu que les motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas l’octroi de l’exemption demandée.

Questions en litige et norme de contrôle

[26]  Le demandeur a soumis à l’examen de la Cour les questions en litige suivantes :

  1. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son évaluation du degré d’établissement du demandeur au Canada?

  2. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son évaluation des conditions défavorables auxquelles serait exposé le demandeur au Sri Lanka en raison de son profil?

[27]  Les parties conviennent, et je suis du même avis, que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

Analyse

L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son évaluation du degré d’établissement du demandeur au Canada?

[28]  L’argument du demandeur, selon lequel l’agent a commis une erreur dans son évaluation de son degré d’établissement au Canada, repose sur l’utilisation par l’agent du mot [traduction] « exceptionnel » à deux reprises dans la décision. Dans le cadre de son analyse du degré d’établissement du demandeur, l’agent a indiqué ce qui suit :

[traduction]

Le demandeur a démontré un certain degré d’établissement pendant les cinq années qu’il a passées au Canada, et j’accorde un certain poids favorable à ses efforts; cependant, je ne crois pas que son degré d’établissement en lui‑même soit exceptionnel ni qu’il justifie l’octroi d’une exemption fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[29]  Par la suite, dans la conclusion de la décision, l’agent a encore une fois utilisé le mot « exceptionnel » :

[traduction]

J’accorde un certain poids favorable à l’établissement et aux liens familiaux du demandeur au Canada, et j’estime qu’il serait bénéfique pour sa nièce, son neveu et ses cousins qu’il demeure au pays. Cependant, je ne suis pas convaincu que le degré d’établissement du demandeur au Canada soit exceptionnel.

[30]  Pour étayer son argument, le demandeur se fonde sur des précédents dans lesquels la Cour a conclu que le fait, pour un agent qui examine une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, d’exiger un degré d’établissement exceptionnel constituait une erreur susceptible de révision. Dans la décision Apura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 762, le juge Ahmed a expliqué, au paragraphe 23, que si l’analyse des motifs d’ordre humanitaire effectuée par un décideur révèle que l’absence de circonstances exceptionnelles constitue le fondement de la décision de refuser un redressement, c’est qu’il a imposé la mauvaise norme juridique. Énonçant ce genre d’analyse inacceptable de façon quelque peu différente, le juge Boswell a expliqué, dans la décision Ndlovu c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 878, aux paragraphes 12 à 15, qu’il est déraisonnable pour l’agent d’écarter le degré d’établissement du demandeur simplement parce que, selon lui, il n’est pas supérieur à celui que l’on attendrait d’autres personnes qui tentent de s’adapter à un nouveau pays, particulièrement s’il ne fournit aucune explication de ce qui constitue un degré d’établissement adéquat.

[31]  À mon avis, l’utilisation par l’agent du terme « exceptionnel », surtout au regard de la décision dans son ensemble, n’étaye pas la conclusion selon laquelle ce dernier aurait effectué le genre d’analyse inacceptable dont il est question dans les précédents applicables. Selon mon interprétation, l’agent a utilisé ce terme de façon descriptive pour appuyer son évaluation du degré d’établissement du demandeur, après examen des éléments de preuve pertinents. L’agent n’a pas fait du degré d’établissement exceptionnel une norme juridique à respecter pour accueillir la demande, et il n’a pas non plus rejeté la demande pour ce motif. L’agent n’a pas davantage écarté le degré d’établissement du demandeur au motif qu’il n’était pas exceptionnel. Au contraire, il a accordé un poids favorable à ce facteur et en a tenu compte, conjointement avec les autres facteurs d’ordre humanitaire soulevés par le demandeur, mais il a conclu que ceux-ci ne justifiaient pas une exemption de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada.

[32]  J’en conclus que l’analyse par l’agent du degré d’établissement du demandeur a été faite de façon raisonnable et qu’elle ne révèle donc pas l’existence d’une erreur susceptible de révision.

L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son évaluation des conditions défavorables auxquelles serait exposé le demandeur au Sri Lanka en raison de son profil?

[33]  Le demandeur soutient que l’agent a commis trois erreurs dans son évaluation des documents sur la situation au Sri Lanka déposés en preuve.

Difficultés en tant que demandeur d’asile de retour dans son pays

[34]  Premièrement, le demandeur soutient que, lorsqu’il a examiné les documents sur la situation dans le pays, l’agent a commis une erreur dans son analyse des difficultés auxquelles le demandeur serait exposé s’il devait retourner au Sri Lanka. Plus particulièrement, le demandeur affirme que l’agent a ignoré les éléments de preuve contraires lorsqu’il a conclu que rien ne prouvait que les demandeurs d’asile déboutés étaient pris pour cible.

[35]  Pour apprécier cet argument, il est important de placer la conclusion contestée (soulignée dans le paragraphe ci‑dessous) dans le contexte de l’analyse complète faite par l’agent de cette question :

[traduction]

J’ai consulté la réponse aux demandes d’information de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada intitulée « Sri Lanka : information sur les procédures d’entrée et de sortie aux aéroports internationaux, y compris le contrôle de sécurité et les documents dont doivent être munis les citoyens pour entrer au pays et sortir de celui‑ci; le traitement réservé aux personnes de retour au pays à leur arrivée à un aéroport international, y compris les demandeurs d’asile déboutés et les personnes qui ont quitté le pays illégalement; les facteurs ayant une incidence sur la façon dont ces personnes sont traitées, y compris l’origine ethnique et la religion (2015‑novembre 2017) »; il y est indiqué qu’il existe des « listes de surveillance » sur lesquelles figurent les noms des personnes qui présentent un intérêt pour les services de sécurité du Sri Lanka et que ces personnes font l’objet d’une surveillance à leur retour au pays. Le rapport cite un certain nombre de sources qui indiquent que les personnes qui arrivent avec des documents de voyage temporaires et celles qui ont présenté une demande d’asile dans un autre pays peuvent être détenues et être assujetties à des processus d’enquête pour déterminer s’il existe des préoccupations liées à leur identité, à la criminalité ou à la sécurité; cependant, je constate qu’il y a peu d’éléments de preuve documentaire qui démontrent que le demandeur serait vraisemblablement considéré comme une personne d’intérêt pour les autorités sri lankaises en raison de son profil de demandeur d’asile débouté au Canada. Je constate également qu’il n’existe pas de preuve documentaire qui démontre que les individus qui retournent au Sri Lanka depuis le Canada sont particulièrement pris pour cible par les autorités sri lankaises parce qu’ils sont soupçonnés d’être des partisans des TLET. Vu la preuve dont je dispose, je conclus qu’il n’existe pas plus qu’une simple possibilité que le demandeur soit pris pour cible ou harcelé en raison de son profil particulier s’il devait retourner au Sri Lanka.

[Non souligné dans l’original.]

[36]  Je constate que, comme l’a fait valoir le défendeur, le demandeur n’a pas renvoyé la Cour à des éléments de preuve documentaire qui contredisent directement la déclaration de la SPR soulignée ci‑dessus. Le demandeur, s’appuyant sur des parties des documents concernant la situation au Sri Lanka qui portent sur l’expérience vécue par des demandeurs d’asile déboutés dans d’autres pays et retournés par la suite au Sri Lanka, soutient que ces pays sont comparables au Canada. Cependant, aucun de ces éléments de preuve ne porte précisément sur le Canada; par conséquent, ils ne contredisent pas l’affirmation de l’agent selon laquelle il n’existe pas de preuve documentaire démontrant que les individus qui retournent au Sri Lanka depuis le Canada sont particulièrement pris pour cible par les autorités parce qu’ils sont considérés comme des partisans des TLET.

[37]  J’ai néanmoins abordé cette question de façon plus générale afin de décider si la preuve sur laquelle s’appuie le demandeur (et qui met particulièrement l’accent sur le rapport d’août 2015 de Freedom from Torture et le rapport de mars 2016 d’Asylum Research Consultancy) permet de conclure que l’analyse de l’agent était déraisonnable. Cette preuve fait référence aux demandeurs d’asile déboutés qui retournent au Sri Lanka, et qui y sont exposés à la détention et à des mauvais traitements. Bien que le défendeur attire l’attention sur les passages qui, dans ces rapports, signalent qu’il s’agit là d’expériences vécues par des rapatriés soupçonnés d’avoir des liens avec les TLET, le demandeur, pour sa part, fait remarquer que tous les passages en question ne doivent pas être interprétés de cette façon. À cet égard, il évoque en particulier le commentaire figurant dans le rapport de Freedom for Torture, selon lequel certains rapatriés sont soupçonnés à tort par les autorités d’avoir des liens avec les TLET.

[38]  L’analyse de la question, reproduite ci‑dessus, doit être replacée dans le contexte de l’examen précédent effectué par l’agent de l’affirmation du demandeur selon laquelle il serait considéré comme un partisan des TLET. L’agent a noté les conclusions de la SPR, fondées en partie sur les décisions défavorables relatives à la crédibilité, selon lesquelles le demandeur n’avait pas le profil d’un partisan présumé des TLET et n’était donc pas exposé à un risque personnel s’il retournait au Sri Lanka. L’agent a aussi conclu que la preuve présentée par le demandeur à l’appui de sa demande CH ne permettait pas d’infirmer les conclusions de la SPR.

[39]  Dans ce contexte, j’interprète la décision de l’agent ainsi : le demandeur ne serait pas exposé à plus qu’une simple possibilité d’être pris pour cible ou harcelé s’il devait retourner au Sri Lanka en tant que demandeur d’asile débouté, parce qu’il ne serait pas considéré comme une personne qui appuie les TLET ou qui y est associée. J’estime que la preuve sur laquelle s’appuie le demandeur ne contredit pas cette conclusion d’une manière telle que l’agent aurait dû expressément en tenir compte pour que sa décision soit raisonnable. Bien que le rapport de Freedom from Torture fasse référence à des autorités soupçonnant à tort que des personnes sont associées aux TLET, c’est le même facteur qui a été expressément pris en compte par l’agent. En effet, celui-ci a cherché à déterminer si le demandeur pourrait être considéré, même à tort, comme une personne associée aux TLET. J’estime que le traitement de cette question par l’agent est raisonnable, et qu’elle ne donne pas lieu à une erreur susceptible de révision.

Difficultés à trouver un emploi

[40]  Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur dans l’analyse de la preuve documentaire relative à la situation à laquelle sont exposées les personnes d’origine tamoule au Sri Lanka lorsqu’il a conclu qu’il existait peu d’éléments de preuve démontrant qu’il serait impossible pour le demandeur de trouver un emploi dans sa ville natale ou ailleurs au pays. Comme pour l’argument examiné plus haut dans les présents motifs, à savoir que l’agent avait commis une erreur en appliquant une norme juridique qui exigeait de démontrer un degré d’établissement exceptionnel pour que sa demande CH soit accueillie, le demandeur soutient que l’agent a adopté, à tort, une norme qui lui imposait de démontrer qu’il lui serait impossible de trouver un emploi.

[41]  Cependant, comme dans le cas de l’argument relatif à l’établissement, je ne crois pas que l’impossibilité de trouver un emploi ait servi de norme ou de critère juridique à l’agent dans sa décision. D’abord, je constate qu’ailleurs dans son analyse, l’agent utilise des termes autres que le terme « impossible » pour évaluer les répercussions de la discrimination sur les perspectives d’emploi du demandeur. L’agent mentionne qu’il a trouvé peu d’éléments de preuve démontrant que les personnes qui parlent le tamoul font l’objet d’une discrimination telle qu’il leur est extrêmement difficile, voire impossible, de trouver un emploi. Dans la conclusion de la décision, l’agent indique qu’il n’est pas convaincu que le demandeur serait victime de discrimination dans une mesure telle qu’il aurait de graves difficultés à trouver un emploi pour subvenir à ses besoins.

[42]  Plus important encore, la décision révèle que les conclusions de l’agent sont fondées non seulement sur les documents sur la situation au Sri Lanka, mais aussi sur la situation particulière du demandeur et de sa famille. L’agent constate que le demandeur a déjà occupé un emploi dans un magasin d’informatique au Sri Lanka, et que son frère (qui est, comme le demandeur, un jeune Tamoul originaire de la région nord-est du pays) subvient aux besoins de ses parents et occupe donc un emploi. Tout comme le défendeur, je suis d’avis que cette partie de la décision démontre que l’agent a conclu, compte tenu de l’expérience particulière du demandeur et de sa famille, que le demandeur a exagéré les difficultés qu’il aurait à se trouver un emploi.

[43]  Le demandeur affirme également que l’agent a évalué de façon déraisonnable les éléments de preuve relatifs à la situation de sa famille qui démontrent, selon lui, qu’elle a beaucoup souffert, notamment sur le plan financier, de la discrimination à laquelle sont exposées les personnes d’origine tamoule. Cependant, il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, de réévaluer la preuve. Le traitement de ces éléments de preuve par l’agent appartient aux issues possibles acceptables, et est donc raisonnable.

Existence de recours contre la discrimination

[44]  Le demandeur fait remarquer que l’analyse faite par l’agent des répercussions de la discrimination comprend une conclusion selon laquelle il existe des recours pour les personnes victimes de discrimination au Sri Lanka. Il affirme que l’agent a commis une erreur parce qu’il n’a pas analysé l’efficacité de ces recours, surtout si l’on tient de compte de la preuve documentaire sur la situation au Sri Lanka, qui indique que ces recours ne sont pas efficaces. Le demandeur cible en particulier les éléments de preuve qui mentionnent que la Commission des droits de la personne du Sri Lanka (« Human Rights Commission of Sri Lanka »), à laquelle renvoie la décision, ne dispose pas de suffisamment de pouvoirs, d’indépendance et de ressources, et qu’elle n’a pas été en mesure de remédier à l’impunité à l’égard des violations des droits de la personne.

[45]  Le demandeur se fonde à cet effet sur la décision Francis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1507 [Francis], aux paragraphes 9 à 12, dans laquelle il est précisé que le facteur à prendre en compte est l’efficacité des recours, et que le fait de conclure que des recours sont efficaces, sans mentionner les éléments de preuve contredisant cette conclusion, peut constituer une erreur susceptible de révision.

[46]  Lorsque je lis cette partie de l’analyse de l’agent dans son ensemble, je n’y vois aucune erreur susceptible de révision. Après avoir examiné la preuve documentaire sur la situation au Sri Lanka, l’agent a conclu non seulement que le gouvernement s’efforçait de s’attaquer aux problèmes de discrimination et que des recours existaient, mais aussi que la situation pour la population tamoule était loin d’être idéale, que l’approche adoptée par le gouvernement à l’égard des Tamouls avait produit des résultats mitigés et qu’il existait toujours des préoccupations en matière de discrimination. À mon avis, il ne ressort pas de la décision que l’agent a omis de tenir compte des éléments de preuve portant sur les lacunes en matière de recours disponibles pour les victimes de discrimination.

[47]  Je reconnais que la décision n’est peut‑être pas aussi détaillée qu’elle devrait l’être pour ce qui est de l’analyse de la protection de l’État dans le contexte d’une demande d’asile, comme dans la décision Francis. Une conclusion quant à la protection de l’État est un élément déterminant du droit au statut de réfugié et peut, par conséquent, nécessiter une analyse détaillée de l’efficacité d’une telle protection. En l’espèce, au contraire, la disponibilité des recours contre la discrimination n’est qu’une composante d’un des nombreux facteurs qui doivent être pris en compte pour évaluer si la situation du demandeur justifie une exemption fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Suivant la norme de la décision raisonnable applicable au contrôle de la décision par la Cour, je ne constate aucune erreur découlant de cette composante de l’analyse de l’agent.

[48]  Enfin, le demandeur affirme que l’agent n’a pas pris acte de la militarisation continue des régions tamoules. Selon lui, il s’agit de l’un des plus graves dangers auxquels est exposé le pays. Cependant, l’agent est présumé avoir pris en compte tous les éléments de preuve présentés, en l’absence d’une contradiction suffisante entre la preuve et la conclusion de l’agent pour réfuter cette présomption (se reporter aux décisions Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (1998), 157 FTR 35 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17 et Csoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 651, au paragraphe 27). Les éléments de preuve de la militarisation sur lesquels s’appuie le demandeur ne jouent pas ainsi de manière à réfuter la présomption applicable, et ne minent donc pas le caractère raisonnable de la décision.

Conclusion

[49]  Après avoir examiné les arguments du demandeur et déterminé que la décision était raisonnable, la Cour conclut que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune question ne sera énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2008-18

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de mars 2019.

Karine Lambert, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2008-18

INTITULÉ :

HARISKANNA THIYAGARASA C LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 JANVIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE southcott

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JANVIER 2019

COMPARUTIONS :

Meghan Wilson

POUR LE DEMANDEUR

Catherine Vasilaros

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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