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Date : 20190111


Dossier : T‑1681‑17

Référence : 2019 CF 41

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

PATRICK CHIPESIA, CLARENCE APSASSIN, GABRIEL HARVEY, SYLVESTER APSASSIN, ANGELA APSASSIN, SUSAN DUMAS, AMANDA APSASSIN, TRACY PAQUETTE, VANESSA APSASSIN, ANTHONY POUCE‑COUPE, HENRY APSASSIN, JOSEPH APSASSIN, MALCOLM APSASSIN, RUSSELL APSASSIN ET WALTER APSASSIN

demandeurs

et

PREMIÈRES NATIONS DE LA RIVIÈRE BLUEBERRY ET CHEF MARVIN YAHEY PÈRE, SHAWN DAVIS, SHERRY DOMINIC, DEREK GREYEYES, WAYNE YAHEY EN LEUR QUALITÉ DE CHEF ET DE REPRÉSENTANTS DU CONSEIL DES PREMIÈRES NATIONS DE LA RIVIÈRE BLUEBERRY

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs sont membres des Premières Nations de la rivière Blueberry (la PNRB ou la bande), une bande formée en 1978 dont les territoires traditionnels se trouvent dans la région de la haute rivière de la Paix, dans la province de la Colombie‑Britannique. La PNRB regroupe environ 499 membres, dont 326 étaient des électeurs admissibles pendant la période visée par la présente demande. Les demandeurs, des membres qui vivent dans la réserve et à l’extérieur de celle‑ci, viennent d’horizons divers et entretiennent diverses relations les uns avec les autres.

[2]  Le 2 novembre 2017, les demandeurs ont déposé un avis de demande dans lequel il sollicitait le contrôle judiciaire, sur le fondement de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (la Loi sur les Cours fédérales), du code électoral (le code électoral) adopté par l’assemblée des membres des PNRB à la suite d’un scrutin référendaire et [traduction« promulgué en août 2017 par voie de résolutions » des défendeurs, le chef et le conseil des PNRB (le conseil de bande). Le code électoral met en œuvre un nouveau système de gouvernance et d’élections fondé sur les groupes familiaux au sein des PNRB.

[3]  Les demandeurs allèguent qu’ils ont été classés arbitrairement dans un grand groupe de 152 électeurs qui portent 41 noms de famille différents. Même si ce groupe représente près de la moitié des électeurs de la bande, il est seulement autorisé à élire un des cinq conseillers au conseil de bande.

[4]  Comme mesure de redressement, les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant la résolution du conseil de bande (la RCB) et toute autre résolution connexe qui donne effet au code électoral ou qui le met en vigueur. Subsidiairement, ils demandent à la Cour de rendre une ordonnance radiant l’article 2 (définition des termes [traduction« conseiller familial » et [traduction« groupe familial »), ainsi que les articles 8, 9, 11, 12, 13, 14 et 15 et tous les autres renvois au « groupe familial » ou au « conseiller familial » dans le code électoral (les dispositions contestées). Voici les dispositions du code électoral qui portent sur la division des membres des PNRB en groupes familiaux et sur l’élection des conseillers familiaux qui représentent chaque groupe familial :

[traduction

Définitions

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement :

[…]

« conseiller familial » désigne un membre de la bande de la rivière Blueberry qui fait partie d’un groupe familial et qui est élu au poste de conseiller familial par les électeurs de son groupe familial conformément au présent règlement administratif;

« groupe familial » désigne :

a)  groupe familial 1, famille de feu Daniel Apsassin;

b)  groupe familial 2, famille de feu Edward Apsassin;

c)  groupe familial 3, famille de feu Pete Davis;

d)  groupe familial 4, famille de feu Jack Wolf;

e)  groupe familial 5, familles de feu Charlie Yahey et de feu Jack Appaw.

[…]

8. La bande de la rivière Blueberry doit être administrée par un conseil composé des membres suivants :

a) un (1) chef;

b) cinq (5) conseillers familiaux (un de chaque groupe familial).

9. Une personne peut seulement être candidate au poste de chef ou à un poste de conseiller familial dans tout scrutin, mais pas les deux.

[…]

11. Les conseillers familiaux doivent être nommés par les électeurs qui font partie de leur groupe familial respectif au moyen d’une pétition écrite signée par au moins deux (2) électeurs appartenant à ce groupe familial et présentée au préposé aux élections au cours d’une assemblée de mise en candidature. Un électeur peut nommer ou appuyer plus d’un candidat au poste de conseiller familial.

12. Un (1) conseiller familial est élu pour chaque groupe familial au moyen d’un vote à scrutin secret, étant celui qui a obtenu le nombre le plus élevé de suffrages parmi tous les candidats selon le vote des électeurs de son groupe familial.

13. Les conseillers familiaux doivent :

a) faire partie de la liste du groupe familial qui les élit;

b) être âgés d’au moins dix‑huit (18) ans;

c) être inscrits sur la liste des membres de la bande de la rivière Blueberry.

14. Le chef doit être nommé au moyen d’une pétition écrite signée par au moins deux (2) électeurs et présentée au préposé aux élections au cours d’une assemblée de mise en candidature. Un électeur ne peut nommer ou appuyer qu’un seul candidat au poste de chef.

15. Le chef doit être élu par scrutin secret et avoir obtenu le plus grand nombre de suffrages parmi les conseillers familiaux au cours d’une assemblée pour l’élection du chef, conformément à la partie 15.

[5]  Subsidiairement encore, les demandeurs sollicitent un jugement déclarant que les dispositions contestées sont nulles et inopérantes.

[6]  Les demandeurs allèguent que : a) le code électoral ne reflète pas le consensus de la collectivité; b) l’avis donné aux membres des PNRB en vue du scrutin du 17 août 2017 pour ratifier le code électoral était inadéquat et inéquitable, tant en ce qui concerne le moment auquel il a été donné que son contenu; c) les dispositions contestées du code électoral sont discriminatoires, arbitraires, inéquitables et contraires aux exigences du droit administratif; d) les dispositions contestées du code électoral vont à l’encontre de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi sur le Canada de 1982 (R‑U), 1982, c 11 (la Charte), et elles ne sont pas justifiées au regard de l’article premier.

[7]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Cour n’est pas régulièrement saisie de la demande dans son ensemble, y compris de l’argument fondé sur la Charte. Par conséquent, la demande est rejetée.

II.  Contexte factuel

[8]  Les PNRB se sont jointes à la bande de la rivière Doig pour former la bande indienne de Fort St. John, une signataire du traité no 8. En 1977, la bande de Fort St. John a été dissoute et les PNRB ainsi que les Premières Nations de la rivière Doig sont devenues des bandes indépendantes.

[9]  Les PNRB ont deux réserves près de Fort St. John, en Colombie‑Britannique. Environ 250 membres vivent dans les réserves. La majorité des membres qui habitent dans les réserves résident dans la réserve indienne de la rivière Blueberry no 205, où sont situés les bureaux des PNRB et la salle communautaire. Un plus petit nombre de membres vivent dans la moitié sud de la réserve indienne de la rivière Beaton no 204.

[10]  Les PNRB sont formés de descendants de tribus de langue crie et de descendants du peuple parlant le dane‑zaa. Au fil du temps, l’origine des membres a créé ou a été utilisée pour créer de la division dans la collectivité. Ces divisions n’ont toutefois pas dicté les habitudes historiques de vote des membres de la bande. Au cours des scrutins antérieurs, où chaque membre adulte de la bande avait un droit de vote, des membres du conseil et des chefs des deux « côtés » ont été élus depuis au moins 1991.

[11]  Depuis la formation des PNRB en 1978 et conformément à l’arrêté C.P. 1978‑593 du 2 mars 1978 pris en application du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5 (l’Arrêté sur les élections en vertu de la Loi sur les Indiens), les élections du chef et du conseil sont régies par la Loi sur les Indiens et le Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, CRC, c 952. Au fil des ans, les membres des PNRB ont discuté de la possibilité de passer à un modèle de code électoral communautaire ou coutumier, mais aucun consensus ne s’est dégagé de ces discussions.

[12]  Pour parvenir à adopter un modèle de cette nature, une version préliminaire du code a été distribuée en juin 2008. Celle‑ci proposait de recourir à un système de représentation par groupe familial constitué de quatre groupes familiaux, une méthode pour déterminer qui serait classé dans chaque groupe familial, et l’élection du chef par l’ensemble des membres en vue de tenir un cinquième scrutin pour élire le conseil. La version préliminaire de 2008 du code électoral n’a pas été adoptée lors d’un scrutin référendaire.

[13]  Une autre version préliminaire du code électoral a été distribuée aux alentours de 2012, qui prévoyait là encore un système de représentation par groupe familial. Le code de 2012 a également été abandonné puisque les modalités y figurant ne faisaient pas consensus.

[14]  En 2016, en réaction à divers problèmes constants concernant la gestion des affaires des PNRB ainsi que la santé de la bande et de ses membres, le conseil de bande a retenu les services de consultants pour mener une série de séances de médiation communautaire. Les consultants ont produit un rapport intitulé [traduction« Rapport de médiation communautaire et recommandations à l’intention des Premières Nations de la rivière Blueberry » (le rapport de médiation).

[15]  Le rapport de médiation a été le résultat des séances de médiation qui se sont échelonnées sur six jours et qui ont suscité l’intervention de 78 membres différents représentant neuf familles différentes. Il relevait plusieurs problèmes au sein de la collectivité, notamment le fait que la durée du mandat de deux ans qu’impose l’article 78 de la Loi sur les Indiens fait obstacle à la stabilité politique. Selon le rapport de médiation, le système de scrutin par famille n’assure pas la représentation politique de certaines familles. Pour remédier à ces problèmes, il était recommandé que les PNRB élaborent et mettent en œuvre un code électoral coutumier. Toutefois, le rapport de médiation contenait une mise en garde selon laquelle il [traduction« ne constituait pas une tentative de définir ou de qualifier des faits normatifs » et que ses recommandations [traduction« ne devaient pas être interprétées comme étant appuyées sans réserve par la collectivité ou les dirigeants ».

[16]  En février 2017, le conseil de bande a proposé qu’un code électoral soit promulgué par les PNRB pour remplacer le processus électoral prévu par la Loi sur les Indiens. Pour y arriver, il fallait notamment élaborer, à la suite d’une consultation sérieuse des membres, un code électoral qui recueillait l’appui de la collectivité sous forme d’un vaste consensus. Il fallait aussi que le ministre (le ministre) des Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC) prenne un arrêté, en application du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens, pour abroger l’Arrêté sur les élections en vertu de la Loi sur les Indiens et soustraire les PNRB à l’application de cette disposition.

[17]  Les membres des PNRB ont été consultés à propos de la création d’un code électoral communautaire. De la rétroaction a été recueillie auprès de certains membres au sujet de son contenu. Une série d’assemblées ont été organisées et se sont tenues à divers endroits. Des rencontres ont été organisées au sein des groupes familiaux des PNRB, avec l’aide de coordonnateurs pour chaque groupe qui rassemblaient les membres de leur groupe familial respectif. Le conseil de bande a aussi organisé des rencontres avec des membres vivant hors réserve à Calgary, Edmonton, Prince George, Kelowna et Vancouver. Les membres des PNRB ont été avisés de ces rencontres au moyen d’affiches au bureau de la bande, sur le site Web ou la page Facebook des PNRB ou par des appels téléphoniques individuels. Il n’est pas contesté que la participation à ces rencontres a été généralement faible. De plus, comme nous le verrons plus loin dans les présents motifs, les parties ne s’entendent pas sur le caractère suffisant du processus de consultation.

[18]  En fin de compte, les membres du conseil de bande se sont entendus sur un projet de code électoral qui répartit les membres des PNRB en cinq groupes familiaux et qui prévoit que chacun de ces groupes familiaux doit élire un conseiller familial qui agira comme son représentant au conseil de bande. Toutefois, le projet de code électoral ne prévoit aucun processus pour classer chaque membre de la bande dans un groupe familial. Les conseillers familiaux sont chargés de choisir le chef au moyen d’un vote majoritaire entre eux.

[19]  Le 20 juin 2017, les PNRB ont retenu les services de Rosie Holmes, une non‑membre résidant à Sooke, sur l’île de Vancouver, pour agir comme préposée aux élections de la bande dans le cadre du scrutin référendaire sur le projet de code électoral qui devait avoir lieu le 17 août 2017 (le scrutin référendaire).

[20]  Mme Holmes a employé quatre méthodes pour communiquer le contenu du projet de code électoral ainsi que la date de la tenue du scrutin référendaire. Mme Holmes a fait le nécessaire pour faire livrer en main propre aux électeurs qui vivaient dans la réserve un dossier contenant un document de directives sur la façon de voter, un formulaire de déclaration du votant, un document intitulé [traduction« Avis de scrutin » dans lequel étaient annoncés la date et le lieu du scrutin référendaire, ainsi que des précisions au sujet d’une rencontre d’information qui devait avoir lieu le 1er août 2017. Un dossier similaire a été envoyé par la poste aux membres établis hors réserve. L’avis de scrutin a également été affiché au bureau de la bande, comme l’exige le Règlement sur les référendums des Indiens, CRC, c 957 (le Règlement sur les référendums), dans le cas de référendums tenus en application du sous‑alinéa 39(1)b)(iii), du paragraphe 39(2) ou de l’article 39.1 de la Loi sur les Indiens, ainsi que sur le site Web et la page Facebook des PNRB.

[21]  Le conseil de bande a tenu des assemblées supplémentaires en juillet et en août 2017 pour expliquer le code électoral et pour répondre aux questions des membres de la bande.

[22]  Le 18 août 2017, le lendemain du scrutin référendaire, le conseil de bande a annoncé sur le site Web de la bande que sur les 191 électeurs qui avaient voté, 101 s’étaient exprimés en faveur du code électoral et 90 avaient voté contre; une majorité de 52 % des électeurs étaient donc favorables au code, sur un taux de participation de 58 %. La RCB contestée a été adoptée le même jour. Le préambule indique que les PNRB ont élaboré un code électoral communautaire et qu’une majorité des électeurs ont voté en faveur de la soustraction de la bande à l’application des dispositions électorales de la Loi sur les Indiens. Il se termine par une demande de la part du conseil de bande pour que le ministre prenne un arrêté en vue de soustraire les PNRB à l’application des dispositions sur les élections de la Loi sur les Indiens.

[23]  Le conseil de bande a par la suite présenté la RCB et le code électoral au ministère des Affaires autochtones (le ministère). Le 13 septembre 2017, le ministre a pris un arrêté en application du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens (l’arrêté pris en application du paragraphe 74(1)), qui a été enregistré le 15 septembre 2017 et publié dans la Gazette du Canada le 4 octobre 2017.

[24]  L’arrêté pris en application du paragraphe 74(1) est conforme à une politique intitulée Politique sur la conversion à un système électoral communautaire (la politique), qui énonce les conditions préalables que le ministre doit respecter avant de prendre un arrêté exemptant une bande de l’application du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens. Ces conditions prévoient notamment que le système électoral communautaire doit être rédigé en termes clairs et comporter des dispositions sur les appels en matière d’élections et sur la modification du système électoral, qu’il doit être conforme aux principes de justice naturelle et à la Charte, qu’il a été examiné et jugé acceptable par le ministère et qu’il a reçu l’appui de la communauté. La politique prévoit en outre que le code électoral sera réputé approuvé par la communauté si une majorité d’électeurs (50 p. 100 + 1) se prononcent en faveur du système par scrutin secret ou si la communauté approuve le système de toute autre manière ayant fait l’objet d’une entente entre la Première Nation et le ministère. Elle prévoit enfin que la bande doit prendre des mesures pour prévenir suffisamment à l’avance les électeurs de leur droit de participer au processus d’approbation ainsi que du contenu du code.

[25]  Le 18 septembre 2017, la conseillère Sherry Dominic a dressé des listes des noms des électeurs de la bande dans chacun des cinq groupes familiaux établis en vertu du code électoral. Une lettre de présentation a aussi été rédigée pour indiquer que les listes étaient préliminaires, que le conseil de bande voulait s’assurer que les listes étaient exactes, et que les membres étaient invités à communiquer avec le bureau de la bande s’ils avaient des questions ou des préoccupations. Ces documents ont été remis à tous les membres qui résidaient dans la réserve et ont été envoyés par la poste aux membres établis hors réserve.

[26]  Le 19 septembre 2017, l’administrateur de la bande a reçu un courriel auquel une lettre était jointe de la part de Marc Boivin, directeur à la Direction des politiques et mise en œuvre de la gouvernance, Affaires autochtones et du Nord Canada, dont voici le contenu :

[traduction]

Je suis heureux de vous informer que le ministre des Affaires autochtones et du Nord Canada a signé un arrêté qui soustrait les Premières Nations de la rivière Blueberry à l’application des dispositions électorales de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, les Premières Nations de la rivière Blueberry tiendront leurs élections futures conformément au système électoral de la collectivité qui a été récemment ratifié. L’arrêté a été enregistré par le greffier du Conseil privé le 14 septembre 2017 sous le numéro DORS/2017‑193 et est entré en vigueur le jour de son enregistrement. Une copie de l’arrêté est jointe en annexe.

Toutefois, étant donné que le chef et les conseillers actuellement en poste ont été élus en vertu du système électoral prévu par la Loi sur les Indiens, les dispositions sur les vacances de l’article 78 de la Loi sur les Indiens continuent de s’appliquer, comme le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens. Les règles sur les élections communautaires commenceront à s’appliquer seulement au moment de la première élection déclenchée sous leur régime.

Je transmets mes meilleurs vœux aux Premières Nations de Blueberry en vue de leurs premières élections en vertu des nouvelles règles électorales.

[27]  Une copie de la lettre de M. Boivin et des documents annexés a été remise ou envoyée par la poste aux membres de la bande le ou vers le 25 septembre 2017.

[28]  En octobre 2017, le conseil de bande a affiché dans une section privée de son site Web un avis d’assemblée de mise en candidature dans lequel il était indiqué qu’en vertu du code électoral, une élection du conseil était prévue le 14 décembre 2017 et que [traduction] « l’élection du chef » allait avoir lieu le 15 décembre 2017. Selon les demandeurs, en contravention des délais prescrits dans le code électoral, l’assemblée de mise en candidature a été fixée tardivement, car elle devait avoir lieu le 3 novembre 2017. Il semble qu’elle ait eu lieu à l’extérieur du délai de 40 jours prévu à l’article 40 du code électoral.

[29]  D’après l’administrateur de la bande, personne n’a communiqué avec lui ni avec un autre employé de la bande pour faire part de son désaccord, pour demander un changement à son classement dans son groupe familial ou pour discuter par ailleurs de son classement avant l’élection, qui a eu lieu le 14 décembre 2017.

III.  Questions en litige

[30]  Les demandeurs font valoir que la demande soulève les questions suivantes :

A.  Le code électoral, les dispositions contestées et les pratiques qui y sont énoncées représentent‑ils une coutume valable de la bande qui fait l’objet d’un vaste consensus dans la collectivité?

B.  Le code électoral ou les dispositions contestées sont‑ils nuls du fait qu’ils sont arbitraires et discriminatoires, contrairement aux principes du droit administratif?

C.  Le code électoral ou les dispositions contestées du code électoral sont‑ils nuls du fait qu’ils sont discriminatoires, contrairement à la Charte?

[31]  Les défendeurs prient la Cour de formuler les questions différemment. De leur point de vue, il faut d’abord se demander si la Cour a compétence pour examiner certaines ou l’ensemble des questions en litige dans la présente demande.

[32]  Peu importe comment les questions sont formulées, le résultat est le même. Les demandeurs n’ont pas contesté l’arrêté pris en application du paragraphe 74(1) et n’ont pas non plus désigné le ministre comme défendeur. Par conséquent, leur demande doit être rejetée.

IV.  Analyse

[33]  Au moyen de la présente demande, les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire du processus ayant mené à l’adoption du code électoral, de la manière dont le code électoral a été mis en œuvre, du code électoral lui‑même et de la décision subséquente de classer les membres dans des groupes familiaux aux fins de l’élection qui approchait. Ces questions sont toutes distinctes, chacune reposant sur des faits et des questions différents, mettant en cause différents intervenants et commandant des normes de contrôle différentes.

[34]  Dix‑huit affidavits ont été déposés par les demandeurs ou d’autres membres des PNRB à l’appui de la demande. Les affiants affirment qu’il n’y a pas eu de consultation sérieuse concernant l’élaboration du code électoral coutumier et que l’avis du scrutin référendaire était insuffisant et inadéquat.

[35]  La contestation par les demandeurs du caractère suffisant du processus de consultation et de l’avis de scrutin référendaire est manifestement hors délai. Les demandeurs connaissaient ou sont réputés avoir connu les résultats du scrutin référendaire le 18 août 2017, lorsque le conseil de bande les a affichés sur le site Web de la bande. Il incombait aux demandeurs de contester la RCB subséquente ou le scrutin référendaire en temps utile, c’est‑à‑dire dans le délai de 30 jours prescrit par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, ou d’expliquer les raisons pour lesquelles ils n’ont pas présenté cette demande en temps opportun. Indépendamment du fait que le contrôle judiciaire de ces questions est prescrit, par souci d’exhaustivité, je vais brièvement me pencher sur les questions que les demandeurs ont soulevées.

A.  L’élaboration du code électoral

[36]  Les demandeurs font valoir que le conseil de bande a fait peu d’efforts pour consulter les membres des PNRB à propos des modalités du projet de code électoral et que tout le processus de consultation a été précipité. Même si ces assemblées avaient comme principal objectif de mobiliser la collectivité et d’entendre ce que les membres désiraient accomplir en adoptant un code électoral coutumier, les demandeurs allèguent que les avis des assemblées étaient tout à fait inadéquats, que les assemblées étaient fixées à des moments mal choisis et qu’une part importante des membres n’a pas été consultée. Les demandeurs soutiennent que les planificateurs embauchés par le conseil de bande pour aider à l’élaboration d’un nouveau code ont rédigé le code électoral entre avril et juin 2017 sur la foi d’observations concrètes reçues seulement de la part du représentant d’AANC et du conseil de bande.

[37]  Les demandeurs affirment qu’aucune information exacte et pertinente n’a été fournie ou n’a été fournie en temps opportun, de sorte qu’aucun apport convaincant n’a pu être fait pour influer sur le résultat de la rédaction du code électoral. Les demandeurs n’ont pas tort. Le rapport de médiation précisait que l’élaboration d’un code exige [traduction« un processus de mobilisation des membres amélioré » prévoyant [traduction« une période de mobilisation prolongée » pour surmonter les obstacles comme [traduction« le manque de confiance, la division dans la collectivité et les divers degrés de scolarisation ». Compte tenu de la preuve dont je dispose, je suis d’avis que le processus de consultation n’a pas atteint cet objectif. Ce résultat est surtout attribuable au court délai imposé par le conseil de bande pour recevoir, assimiler et formuler des commentaires.

[38]  Compte tenu de tout ce qui précède, la question essentielle consiste à savoir si les membres des PNRB ont eu l’occasion de présenter des observations en temps utile au sujet du projet de code électoral. Je conclus que le processus de consultation, même s’il était loin d’être parfait, a été fondamentalement équitable au plan de la procédure. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit de la troisième tentative des PNRB de s’attaquer à la question litigieuse du classement par groupes familiaux en vue des élections au cours de la dernière décennie. La collectivité est relativement petite et les membres semblent bien participer aux affaires de gouvernance. En outre, le conseil de bande a mis en place des mécanismes pour communiquer efficacement l’information aux membres dans la réserve et hors de celle‑ci.

[39]  Pour que la Cour ait la compétence requise pour annuler le code électoral, les manquements à l’équité procédurale doivent être très importants et équivaloir à un vice fondamental, comme le fait de priver une personne de son droit d’être entendu ou de ne pas lui donner la plupart ou même certains des renseignements pertinents. Or, rien de tout cela n’est manifeste en l’espèce.

[40]  Durant le processus de consultation, des renseignements ont été envoyés aux membres par la poste, des assemblées ont été organisées à différents endroits où les membres résidaient, des renseignements ont été distribués et affichés sous une forme quelconque au cours de ces assemblées et des renseignements ont été publiés sur le site Web et la page Facebook de la bande. Tout au long du processus, les planificateurs, l’administrateur et le conseil de bande sont demeurés disponibles pour répondre aux lettres, aux courriels ou aux appels téléphoniques des membres intéressés. Il s’agissait d’un volet essentiel du processus de consultation. Ces efforts, pris dans leur ensemble, ont procuré aux membres une possibilité suffisante de poser des questions, de présenter des demandes de renseignements et de recevoir les renseignements pertinents ainsi que de faire connaître leur avis sur les enjeux qui les inquiétaient. Dans les circonstances, je conclus que l’élément essentiel d’un processus équitable dans ce contexte était présent.

B.  Absence d’avis et insuffisance de l’avis du scrutin référendaire

[41]  De nombreux demandeurs affiants ont déclaré qu’ils avaient reçu un avis tardif ou qu’ils n’avaient pas reçu d’avis du tout quant au contenu du code électoral qui avait été rédigé ni quant au moment de la tenue du scrutin référendaire. Les défendeurs ont rétorqué en présentant des éléments de preuve contestant ces allégations.

[42]  La preuve des demandeurs qui portait sur l’avis du scrutin référendaire et sur leur connaissance du contenu des modalités du projet de code électoral présente moins d’intérêt pour ce qu’ils affirment que pour ce qu’ils n’affirment pas. Aucun d’entre eux n’a affirmé ignorer que les PNRB envisageaient d’apporter des changements au code électoral. Ils n’allèguent pas non plus que les renseignements ne leur étaient pas raisonnablement accessibles. En fait, la plupart des affiants ont finalement voté ou ont décidé de ne pas participer au scrutin référendaire.

[43]  Bien que trois membres de la bande qui vivaient hors réserve au moment du scrutin référendaire n’aient pas reçu le dossier envoyé par la poste et qu’un autre ait reçu le dossier en retard, rien n’indique que ce retard était attribuable au conseil de bande. Au contraire, le conseil de bande tenait un registre des adresses et des coordonnées des membres des PNRB qui vivaient hors réserve. Il incombait à ceux qui désiraient exercer leur droit de vote à titre de membres de la bande de mettre à jour leurs renseignements (Première Nation des Abénakis d’Odanak c Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien, 2008 CAF 126, au paragraphe 39). Il ressort clairement de la preuve que l’avis annonçant la date et le lieu du scrutin référendaire et de la rencontre d’information du 1er août a été remis ou envoyé par la poste aux électeurs et qu’il a été affiché au bureau de la bande le 4 juillet 2017, comme l’exige le Règlement sur les référendums, ainsi que sur le site Web et la page Facebook le 11 juillet 2017.

[44]  Les demandeurs font valoir que la faible participation aux assemblées de consultation et au scrutin référendaire était attribuable à l’absence de consultation ou d’avis. Toutefois, le faible taux de participation est plus probablement imputable à la lassitude ou à l’apathie des électeurs, compte tenu des tentatives répétées de la part des PNRB de mettre en place un code électoral coutumier.

[45]  À la lumière de la preuve dont je dispose, je suis convaincu qu’un avis suffisant du scrutin référendaire ainsi que du contenu du projet de code électoral a été donné aux membres des PNRB.

C.  Contestation de l’arrêté pris en application de l’article 74

[46]  Les demandeurs désirent obtenir une ordonnance annulant la RCB du 18 août 2017, laquelle approuvait le code électoral ainsi que toute autre résolution connexe donnant effet au code électoral ou le mettant en vigueur. Toutefois, le code électoral n’a pas été promulgué par la RCB, mais il a plutôt été adopté par les électeurs de la bande à l’issue d’un scrutin référendaire et a été mis en œuvre par l’arrêté pris en application du paragraphe 74(1). En l’espèce, le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de dispenser la bande de l’obligation de tenir d’autres élections sous le régime de la Loi sur les Indiens, parce qu’il a établi que le code électoral faisait l’objet du large consensus requis.

[47]  Les demandeurs ont reçu avis de l’arrêté pris en application du paragraphe 74(1) le ou vers le 25 septembre 2017. Les demandeurs n’ont pas expliqué pourquoi ils n’ont pas cherché à contester cet arrêté, qui est manifestement la décision exécutoire, dans le délai prescrit par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales ou à tout autre moment. Le fait qu’ils n’ont pas contesté l’arrêté est fatal à leur demande, compte tenu de la jurisprudence convaincante, voire contraignante.

[48]  Dans l’arrêt Taypotat c Taypotat, 2013 CAF 192 [Taypotat], l’appelant contestait la Kahkewistahaw First Nation’s Election Act, qui imposait un niveau minimum de scolarité pour se porter candidat à une charge publique. La contestation a été introduite au moyen d’une demande de contrôle judiciaire visant la première élection qui a suivi l’adoption de la nouvelle loi. Comme dans la présente affaire, la Kahkewistahaw Election Act avait été adoptée à l’issue d’un processus ayant abouti à un arrêté pris en application du paragraphe 74(1) à la suite d’une procédure prévue par la politique. La Cour d’appel fédérale a statué que le défaut de l’appelant de contester l’arrêté pris en application du paragraphe 74(1) n’était pas simplement une lacune procédurale, mais bien un vice de fond. À l’exception des observations fondées sur le paragraphe 15(1) de la Charte et sur le principe de l’égalité énoncé dans la Kahkewistahaw Election Act elle‑même, la Cour a conclu que toutes les autres questions soulevées par l’appelant pouvaient être rejetées sans difficulté. Voici comment le juge Robert Mainville s’est exprimé au paragraphe 21:

Premièrement, les nombreuses thèses soulevées par l’appelant concernant l’absence d’un « large consensus » au sujet de la ratification de la Kahkewistahaw Election Act doivent être rejetées au motif que l’appelant n’a pas contesté la décision du ministre de révoquer l’arrêté pris en application du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens. Si l’appelant était d’avis que cette décision avait été prise sans le consensus communautaire requis, il aurait dû la contester en temps opportun ou, à tout le moins, il aurait dû désigner le ministre comme partie dans sa demande de contrôle judiciaire.

[49]  La Cour d’appel fédérale a conclu au paragraphe 22 qu’étant donné que la révocation de l’arrêté pris en application du paragraphe 74(1) n’avait pas été soulevée devant la Cour fédérale, « la contestation par l’appelant de la validité du scrutin ayant mené à cette décision et à l’adoption du code électoral communautaire aurait pu entraîner un vide juridique quant au processus électoral de la Première nation de Kahkewistahaw, avec la confusion et le désarroi qui se seraient ensuivis ».

[50]  Bien que l’arrêt Taypotat de la Cour d’appel fédérale ait été infirmé par la Cour suprême du Canada sur les questions reposant sur la Charte, le raisonnement aux paragraphes 21 et 22, que je considère comme judicieux et convaincant, n’a pas été modifié. Il n’est pas loisible aux demandeurs d’attaquer de manière indirecte un arrêté pris par le ministre. Étant donné que l’arrêté pris en application du paragraphe 74(1) n’a pas été contesté et que le ministre n’a pas été désigné comme défendeur, il serait déplacé pour la Cour d’intervenir. Si la Cour concluait que le code électoral est nul parce qu’il ne repose pas sur un large consensus au sein de la collectivité, les PNRB feraient face à un vide juridique entre l’arrêté pris en application du paragraphe 74(1), qui exempte la bande du processus électoral prévu par la Loi sur les Indiens, et l’absence de loi électorale coutumière en vigueur. La Cour ne peut remédier à cette situation sans l’intervention du ministre.

[51]  Toutefois, j’aimerais ajouter que la question de savoir en quoi consiste un large consensus, sur laquelle le ministre s’est penché, est contextuelle (McLeod Lake Indian Band c Chingee, (1998), 153 FTR 257, au paragraphe 19). Bien que le processus de consultation n’était pas dénué de certaines faiblesses, dans le contexte d’un scrutin référendaire tenu dans une collectivité relativement petite comme les PNRB, la preuve dont je dispose démontre que la collectivité était au courant du scrutin référendaire et des modifications proposées au code électoral. Dans les circonstances de l’espèce, compte tenu des résultats du scrutin référendaire (sur 326 électeurs admissibles, 191 (soit environ 58 %) ont voté, dont 101 (soit environ 53 %) se sont prononcés en faveur du code électoral) et de la portée du processus de consultation, je suis convaincu que l’existence d’un large consensus parmi les membres de la bande a été établie.

D.  Le code électoral et les dispositions contestées sont‑ils nuls du fait qu’ils sont arbitraires et discriminatoires, contrairement aux principes du droit administratif ou à la Charte?

[52]  Les demandeurs font valoir que le code électoral doit respecter les principes administratifs fondamentaux de l’équité procédurale et de la justice naturelle. Ils renvoient au traitement discriminatoire direct et intentionnel qu’ont subi les membres qui ont été classés dans le groupe familial d’Edward Apsassin, parce que ce classement leur impose un désavantage qui n’existe pas dans les autres groupes familiaux, comme leur capacité de contribuer également à la sélection des dirigeants des PNRB.

[53]  De plus, les demandeurs soutiennent que le code électoral et les dispositions contestées sont arbitraires. Les demandeurs critiquent l’absence de toute disposition dans le code électoral prévoyant une méthode équitable et impartiale pour classer les membres dans les groupes familiaux. D’après les demandeurs, une telle démarche devrait prévoir une consultation des membres afin de savoir si chacun s’identifie à un groupe familial en particulier et permettre aux membres de contester des décisions concernant le groupe dans lequel ils sont classés. L’absence de telles règles permet au chef et au conseil de désigner arbitrairement et unilatéralement les membres de chaque groupe familial et, donc, de manipuler le résultat d’un scrutin.

[54]  Ces arguments ne sont pas fondés.

[55]  Là encore, les demandeurs n’ont pas formulé la bonne question. Aux termes de l’alinéa 2c) de la politique, le ministre doit s’assurer que le projet de code électoral communautaire est conforme aux principes fondamentaux de justice naturelle avant de faire abroger un arrêté pris en application de l’article 74 de la Loi sur les Indiens. Essentiellement, les demandeurs attaquent de manière indirecte la décision du ministre.

[56]  En outre, même si le code électoral ne confère pas à une personne ou à un organisme le pouvoir de désigner les membres d’un groupe familial, chaque électeur a la possibilité de confirmer si le classement de sa famille est judicieux, comme le prévoit l’article 32 du code électoral. L’absence d’une méthode officielle de classement des familles ne rend pas le code électoral discriminatoire ou arbitraire. Qui plus est, les demandeurs n’ont pas soulevé ces préoccupations à l’administrateur de la bande ni au conseil de bande après avoir été mis au courant de leur classement dans le groupe familial d’Edward Apsassin, et ils n’ont pas contesté expressément la décision des conseillers de la bande en invoquant les dispositions du code électoral. Les demandeurs n’ont pas fait la preuve du caractère arbitraire ou inéquitable du code.

[57]  Les demandeurs allèguent en outre que le code électoral et les dispositions contestées sont discriminatoires et contraires à l’article 15 de la Charte et ne sont pas justifiés au regard de l’article premier. Cet argument doit être rejeté pour deux motifs.

[58]  Premièrement, même si un code électoral communautaire adopté par une Première Nation demeure assujetti à un examen sous le régime de la Charte (Taypotat, au paragraphe 37), le dossier dont dispose la Cour est insuffisant pour effectuer une bonne analyse fondée sur la Charte. Toutefois, par souci d’exhaustivité, je conclus qu’à sa face même, le code électoral ne crée pas un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou de stéréotypes. Comme la demande des demandeurs n’appartient pas aux droits et garanties que l’article 15 vise à protéger, aucune violation de l’article 15 n’a été établie. À la première étape du critère fondé sur le paragraphe 15(1), les demandeurs doivent démontrer que la loi contestée crée une distinction fondée sur l’un des motifs énumérés à l’article 15 ou un motif analogue. Seulement quatre motifs analogues ont été reconnus par la jurisprudence : la citoyenneté, l’état matrimonial, l’orientation sexuelle et le lieu de résidence dans la perspective particulière de la résidence dans une réserve indienne ou hors de celle‑ci. Les demandeurs demandent à la Cour d’admettre un nouveau motif analogue, celui de [traduction« la situation de famille ou la lignée », et ils font valoir que le code électoral crée une distinction fondée sur ce motif en raison de sa disposition sur l’élection d’un conseiller par chacun des groupes familiaux. Je refuse de le faire.

[59]  Rien ne permet de conclure qu’à travers l’histoire, le groupe familial d’Edward Apsassin a été désavantagé ou victime de discrimination. Au contraire, la preuve indique que les membres de ce groupe familial ont fréquemment occupé des postes de chef et de conseiller de la bande. Toute distinction qui pourrait découler du code électoral n’est pas fondée sur des stéréotypes à l’égard des membres des groupes familiaux, mais plutôt sur la pratique historique de la gouvernance par les familles, sur le rôle politique contemporain des groupes familiaux dans la collectivité et sur la nécessité d’offrir une représentation politique aux familles sous‑représentées.

[60]  Deuxièmement, l’arrêté pris en application du paragraphe 74(1) a été adopté conformément à la politique qui énonce les conditions préalables précises que le ministre doit respecter avant de prendre un arrêté soustrayant une bande à l’application du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens. Parmi ces conditions, il faut notamment que le système électoral communautaire soit compatible avec la Charte. Là encore, les demandeurs tentent d’attaquer indirectement la décision du ministre.

V.  Conclusion

[61]  Vu les motifs qui précèdent, je conclus que la demande devrait être rejetée.

[62]  En arrivant à cette conclusion, je ne dépouille pas les demandeurs de tout recours. Il est loisible aux demandeurs de contester le code électoral pour des motifs fondés sur la Charte dans une instance distincte, étayée par un dossier convenable. Ils peuvent également demander d’être classés dans un autre groupe familial en vue de la prochaine élection s’ils n’acceptent pas leur classement actuel. De plus, ils peuvent toujours demander des modifications au code électoral conformément à l’article 203.

[63]  L’une ou l’autre des parties pourra prendre l’initiative de présenter des observations écrites d’au plus trois pages sur la question des dépens dans les deux semaines qui suivront la date du présent jugement; l’autre partie disposera alors d’une semaine à compter de leur réception pour présenter leur réponse, et toute réplique devra être déposée une semaine plus tard.


JUGEMENT dans le dossier no T‑1681‑17

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les parties peuvent s’adresser à la Cour sur la question des dépens le cas échéant.

« Roger R. Lafrenière »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour de mars 2019.

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1681‑17

 

INTITULÉ :

PATRICK CHIPESIA, CLARENCE APSASSIN, GABRIEL HARVEY, SYLVESTER APSASSIN, ANGELA APSASSIN, SUSAN DUMAS, AMANDA APSASSIN, TRACY PAQUETTE, VANESSA APSASSIN, ANTHONY POUCE‑COUPE, HENRY APSASSIN, JOSEPH APSASSIN, MALCOLM APSASSIN, RUSSELL APSASSIN ET WALTER APSASSIN c PREMIÈRES NATIONS DE LA RIVIÈRE BLUEBERRY ET CHEF MARVIN YAHEY PÈRE, SHAWN DAVIS, SHERRY DOMINIC, DEREK GREYEYES, WAYNE YAHEY EN LEUR QUALITÉ DE CHEF ET DE REPRÉSENTANTS DU CONSEIL DES PREMIÈRES NATIONS DE LA RIVIÈRE BLUEBERRY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 1er ET 2 MARS 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 janvier 2019

 

COMPARUTIONS :

Sean Hern

Brent Ryan

 

POUR LES demandeurs

 

Matthew Kirchner

Peter Millerd

 

POUR LES défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Farris, Vaughan, Wills & Murphy LLP

Avocats

Victoria (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES demandeurs

 

Ratcliff & Company LLP

Avocats

North Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES défendeurs

 

 

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