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Date : 20190116


Dossier : IMM‑1382‑18

Citation : 2019 CF 58

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2019

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

JIAQUAN LIANG

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur sollicite l’asile, car il craint d’être persécuté en Chine, parce qu’il est un adepte du Falun Gong. Il demande le contrôle de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR), qui l’a débouté de sa demande d’asile présentée au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). La SPR a conclu que la demande d’asile était manifestement infondée. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et la conclusion générale tirée par la SPR, selon laquelle la demande d’asile présentée par le demandeur était manifestement infondée, est déraisonnable.

Le contexte

[2]  Le demandeur est un citoyen de la Chine qui dit avoir été initié au Falun Gong en juillet 2016, afin de l’aider à faire face à la dépression et au stress causés par les disputes de ses parents.

[3]  Le demandeur déclare qu’en avril 2017, le Bureau de la sécurité publique (BSP) a fait une descente lors d’une séance du groupe auquel il appartenait, mais qu’il est arrivé à s’enfuir. Il a résidé avec son oncle, alors que le BSP était à sa recherche.

[4]  Avec l’aide d’un passeur, il a obtenu un visa pour les États‑Unis (É.‑U.), et a quitté la Chine. Il est entré au Canada à partir des É.‑U., et a présenté une demande d’asile au motif qu’il était une cible du BSP, en raison de sa pratique du Falun Gong.

La décision de la SPR soumise au contrôle

[5]  Dans la décision qu’elle a rendue le 11 décembre 2017, la SPR a rejeté la demande d’asile présentée par le demandeur, et, a conclu que celui‑ci n’avait produit aucun élément de preuve crédible ou digne de foi. La SPR a aussi conclu, en raison du manque d’éléments de preuve crédibles et de l’existence de documents vraisemblablement frauduleux, que la demande d’asile présentée par le demandeur était manifestement infondée.

[6]  La SPR a été convaincue que le demandeur avait établi son identité au moyen de sa carte d’identité de résidant, mais elle a tiré une inférence défavorable, car le demandeur n’avait pas été en mesure de produire d’autres documents connexes, comme son passeport ou des billets d’avion. La SPR n’a pas accepté l’explication selon laquelle le passeur avait pris le passeport du demandeur, et elle a conclu que la réponse du demandeur d’après laquelle il avait jeté ses billets d’avion n’était pas crédible.

[7]  La SPR a aussi conclu que l’explication du demandeur concernant la raison pour laquelle il pratiquait le Falun Gong n’était pas crédible. Il avait déclaré qu’il était moins stressé, grâce à la pratique du Falun Gong, et qu’après avoir initié ses parents au Falun Gong, ces derniers se disputaient moins. La SPR a relevé que, dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), le demandeur n’avait pas déclaré que ses parents étaient des adeptes du Falun Gong. La SPR a aussi relevé que même si le demandeur pratiquait le Falun Gong, cela n’a pas permis de mettre un terme aux disputes de ses parents. Par conséquent, la SPR a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité générale du demandeur en raison de son comportement et du manque d’éléments de preuve établissant ce qui l’avait incité à pratiquer le Falun Gong.

[8]  Le demandeur a avancé que, pour obtenir son visa des É.‑U., il est personnellement allé au consulat des É.‑U., à Guangzhou, en Chine. La SPR a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur avait été en mesure de sortir de la clandestinité et qu’il avait volontairement pris le risque de s’exposer au BSP, lorsqu’il a utilisé des moyens de transport public et s’est promené en public pour aller au consulat des É.‑U.

[9]  De plus, la SPR a conclu que la preuve présentée par le demandeur selon laquelle il avait voyagé à l’extérieur de la Chine munie de son propre passeport n’était pas crédible. La SPR a relevé que les autorités chinoises surveillaient attentivement les citoyens qui sortaient du pays, et, a conclu que si le demandeur était recherché par les autorités chinoises, il aurait été arrêté. Le demandeur a expliqué que son passeur a fait de fausses déclarations au bureau des douanes pour le compte du demandeur. La SPR a jugé qu’une telle explication n’était pas crédible.

[10]  Par ailleurs, le demandeur a déclaré que son voyage vers le Canada s’est fait à partir de la Chine vers la Corée, et, ensuite vers les É.‑U. La SPR a relevé une incohérence dans l’explication du demandeur quant aux pays par lesquels il est passé lorsqu’il a quitté la Chine, et, elle a donc conclu que la preuve à cet égard n’était pas crédible.

[11]  La SPR n’a pas examiné la demande d’asile « sur place », car elle a conclu que le demandeur n’était pas un véritable adepte du Falun Gong. La SPR a relevé que même si le demandeur avait démontré qu’il possédait certaines connaissances du Falun Gong, il était [traduction] « visiblement hésitant » quand il récitait les versets des cinq exercices. La SPR a conclu que le témoignage du demandeur n’était pas révélateur d’une croyance sincère. La SPR a aussi décidé que le demandeur n’avait pas déclaré qu’il avait envoyé des [traduction] « pensées vertueuses », jusqu’à ce que le tribunal l’y incite. La SPR a exprimé des réserves quant au fait que le demandeur a erronément nommé le principe de base du Falun Gong. Certes, le demandeur a déclaré que le principe était de renforcer le corps et la santé, mais la SPR a affirmé que, selon la preuve documentaire, la réponse aurait dû être : [traduction] « Vérité, Bonté, Patience ».

[12]  Enfin, la SPR a conclu que l’exemplaire de l’assignation (chuanpiao) délivré par un tribunal de la Chine et produit par le demandeur était frauduleux, en raison d’une incohérence dans la position d’un caractère chinois.

Les questions en litige

[13]  Bien que le demandeur soulève diverses questions relativement à la décision de la SPR, le caractère raisonnable de la conclusion que la demande d’asile était manifestement infondée suffit à trancher la présente demande de contrôle judiciaire.

La norme de contrôle

[14]  Les questions mixtes de faits et de droit relatives aux conclusions concernant la crédibilité et le caractère manifestement infondé sont soumises au contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 596, aux paragraphes 25 et 26).

Analyse

La conclusion selon laquelle la demande d’asile était manifestement infondée était‑elle raisonnable?

[15]  Le demandeur soutient que la conclusion selon laquelle la demande d’asile qu’il a présentée était manifestement infondée n’est pas raisonnable, car elle sert de prémisse à toute une série d’autres conclusions tirées par la SPR, lesquelles ne sont pas raisonnables et ne touchent pas au cœur de sa demande d’asile. En particulier, le demandeur conteste bon nombre de conclusions défavorables concernant la crédibilité et tirées par la SPR, ainsi que la conclusion selon laquelle l’assignation qu’il a produite était frauduleuse.

[16]  Les conséquences d’une conclusion selon laquelle une demande d’asile est « manifestement infondée » sont importantes, car une telle conclusion nie au demandeur la possibilité d’interjeter appel de la décision de la SPR, et elle lui nie le sursis automatique à la mesure de renvoi. Ainsi, une conclusion selon laquelle une demande d’asile est manifestement infondée fait l’objet d’un examen complet de tous les éléments de preuve (Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89 (Rahaman)). En particulier, aux paragraphes 45 à 49, l’arrêt Rahaman énonce qu’une conclusion qu’une demande d’asile est manifestement infondée ne peut pas être tirée simplement parce que le tribunal ne juge pas que des éléments de preuve ou l’exposé circonstancié du demandeur d’asile est crédible.

[17]  L’espèce est semblable à celle ayant mené à la décision Yuan c ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2018 CF 755, dans laquelle la juge Strickland a conclu que la décision de la SPR selon laquelle la demande d’asile était manifestement infondée n’était pas raisonnable, et a résumé son raisonnement de la manière suivante, au paragraphe 43 :

Et bien que les décisions Warsame et Nanyongo pourraient être citées pour suggérer qu’il était loisible à la SPR de fonder sa conclusion selon laquelle la demande était manifestement infondée sur le cumul de ses conclusions quant à la crédibilité, j’avoue ma crainte, du moins en l’espèce, que ces éléments équivalent à une demande clairement frauduleuse, par opposition à l’absence de minimum de fondement. Quoi qu’il en soit, en l’espèce, la SPR n’avait pas fondé sa conclusion selon laquelle la demande était manifestement infondée sur le cumul de ses conclusions quant à la crédibilité.

[18]  De façon semblable, en l’espèce, la SPR ne semble pas avoir tiré de conclusion selon laquelle la demande d’asile était manifestement infondée, sur le fondement de conclusions cumulatives quant à la crédibilité, mais plutôt sur le fondement que l’assignation produite par le demandeur était frauduleuse.

L’assignation

[19]  Le demandeur fait valoir qu’il n’était pas raisonnable que la SPR conclût que l’assignation qu’il a produite était frauduleuse en raison de la mauvaise position d’un caractère chinois dans le document.

[20]  La SPR a centré son examen de l’assignation sur ce seul caractère. Le reste de l’assignation semble être conforme, mais la SPR n’a fait aucune appréciation de l’ensemble du document, en particulier, en ce qui concerne la question de savoir si ce caractère touche à la forme ou au fond de l’assignation (Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 163, aux paragraphes 22 à 24). Il ne s’agit pas d’une appréciation raisonnable d’un document réputé être une assignation.

[21]  L’appréciation que la SPR a faite de l’assignation n’était pas raisonnable, et, par conséquent, le fait que la SPR s’est fondée sur une assignation prétendument frauduleuse à l’appui de sa conclusion selon laquelle la demande d’asile était manifestement infondée n’est pas raisonnable.

L’appréciation du Falun Gong

[22]  Le demandeur fait en outre valoir que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’était pas un véritable adepte du Falun Gong au moyen d’une mauvaise interprétation de ses raisons de le pratiquer.

[23]  Au paragraphe 20 de sa décision, la SPR a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Le demandeur a déclaré que les raisons qui l’ont poussé à pratiquer le Falun Gong étaient de pallier son manque de sommeil causé par les disputes constantes de ses parents. Le tribunal a posé au demandeur la question de savoir si le Falun Gong avait permis de mettre un terme aux disputes de ses parents. Sa réponse a été négative. Le tribunal a ensuite demandé au demandeur d’asile comment il était en mesure de dormir si ses parents continuaient à se disputer. Le demandeur a déclaré que le Falun Gong a changé tout son être, à savoir que son cœur n’était plus aussi lourd qu’avant.

[24]  D’après la conclusion de la SPR, le fait que le demandeur pratiquait le Falun Gong n’a pas empêché ses parents de se disputer, et, ainsi, les raisons qui l’ont poussé à pratiquer le Falun Gong n’étaient pas crédibles. Une telle conclusion est illogique. Selon le témoignage du demandeur, le Falun Gong l’a aidé à faire face au stress lié aux disputes de ses parents et non pas de mettre un terme à leurs disputes. Une telle explication est raisonnable et conforme aux commentaires formulés dans la décision Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1140, dans laquelle le juge Southcott s’est opposé à la conclusion d’un tribunal qui avait rejeté les observations du demandeur d’asile concernant les bienfaits de la pratique du Falun Gong pour la santé. Le juge Southcott a écrit ce qui suit au paragraphe 38 : « Cependant, la question de savoir si le demandeur a bel et bien tiré des bienfaits pour sa santé de sa pratique religieuse ne peut logiquement entrer en ligne de compte dans l’analyse de la question de savoir si ses croyances sont authentiques. »

[25]  Certes, je souscris à l’avis du défendeur selon lequel la SPR n’a pas l’obligation de rendre une décision parfaite, mais elle a néanmoins l’obligation de rendre une décision justifiable et transparente (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). La conclusion de la SPR concernant les raisons ayant poussé le demandeur à pratiquer le Falun Gong n’est pas justifiable, et elle n’est donc pas raisonnable.

[26]  Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1382‑18

LE JUGEMENT DE LA COUR EST LE SUIVANT : la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et aucune question n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de février 2019.

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1382‑18

INTITULÉ :

JIAQUAN LIANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 octobre 2018

Jugement et motifs :

La juge MCDONALD

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 16 janvier 2019

COMPARUTIONS :

Peter Neill

Pour le demandeur

Catherine Vasilaros

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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