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Date : 20190116


Dossier : IMM-2995-18

Référence : 2019 CF 64

Montréal (Québec), le 16 janvier 2019

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

WILLIAM VALENTIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur se pourvoit à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR], datée du 30 mai 2018. La SAR avait alors maintenu la décision de la Section de protection des réfugiés [SPR] rejetant la demande d’asile du demandeur au motif que le fondement de ladite demande n’était pas crédible.

[2]  Le demandeur est un ressortissant haïtien. Il s’est présenté à la frontière canadienne pour y demander l’asile le 9 juillet 2017, après avoir séjourné pendant près d’un an aux États-Unis. Il allègue avoir fui Haïti parce qu’il dit craindre les membres du parti politique PHTK de sa localité qui lui en veulent parce qu’il aurait appuyé le candidat d’un autre parti politique lors des élections législatives tenues à Haïti le 25 octobre 2015 et refusé, suite à la défaite de ce candidat, d’appuyer leur candidat du parti PHTK. Le demandeur soutient que suite à ce refus, il a reçu des menaces de ces individus et que ces menaces se sont concrétisées lorsqu’ils se sont présentés, armés, à son domicile. Après avoir constaté que le demandeur était absent à ce moment, ils auraient néanmoins battu la mère de son enfant.

[3]  Selon le narratif au soutien de sa demande d’asile, le demandeur aurait, le lendemain de cet incident, porté plainte à la police, ce qui aurait enragé encore davantage ces individus qui lui auraient alors tendu des embuscades. Ces nouveaux incidents auraient incité le demandeur à se cacher et à se rendre en République Dominicaine avant de prendre la route pour les États-Unis.

[4]  La SPR n’a pas cru le récit du demandeur. Cinq contradictions ou omissions dans ce récit l’ont convaincue de rejeter la demande d’asile du demandeur, à savoir :

  1. Le demandeur n’a pu donner la date exacte des élections législatives à laquelle il dit avoir participé;

  2. Il a inscrit « Néant » en réponse à la question du formulaire de demande d’asile lui demandant d’indiquer les organisations, politiques notamment, dont il avait été membre, affilié ou sympathisant;

  3. Il s’est contredit quant au moment où ses problèmes auraient commencé en affirmant, lors de son témoignage, qu’il ne s’était rien passé avant l’attaque de son domicile, le 20 novembre 2015, alors que dans son narratif, il a indiqué avoir reçu des menaces avant cette date;

  4. Il s’est contredit aussi en témoignant que c’est son frère qui avait porté plainte à la police suite à l’attaque de son domicile alors que dans son narratif, il a indiqué que c’était lui; et

  5. Il n’a pas produit copie de cette plainte pour corroborer ses allégations.

[5]  La SAR, après avoir procédé à son propre examen de la preuve faite devant la SPR, a jugé qu’il n’y avait pas matière à intervenir.

[6]  Le demandeur soutient que la Cour doit intervenir au motif que la SAR n’a pas tenu compte de son faible niveau de scolarité, étape obligée, selon lui, avant de juger de sa crédibilité. Il lui reproche aussi d’avoir analysé son témoignage avec une optique canadienne, particulièrement quant à son souvenir de la date des élections législatives, et de s’être attardée à des éléments périphériques et secondaires de son récit dans l’évaluation de sa crédibilité. Enfin, le demandeur reproche à la SAR de ne pas avoir tenu compte des circonstances dans lesquelles il a rempli son formulaire de demande d’asile à son arrivée à la frontière.

[7]  En tout respect, je ne saurais faire droit aux récriminations du demandeur à l’encontre de la décision de la SAR.

[8]  Je rappelle que le bien-fondé du mérite des décisions de la SAR doit s’apprécier suivant la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35; Paye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 685 au para 3). Une décision sera raisonnable si les conclusions de fait, de droit ou mixtes de fait et de droit qui la sous-tendent et dont on conteste le bien-fondé, se situent dans la gamme des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Il s’agit là d’une norme déférente. Il est bien établi qu’en pareil cas, le rôle de la Cour n’est pas de procéder à une réévaluation du dossier et de substituer ses propres conclusions à celles du décideur administratif (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 au para 54). La fenêtre d’intervention est plus limitée, tel qu’énoncé dans l’arrêt Dunsmuir.

[9]  D’abord, je ne saurais faire droit à l’argument fondé sur le fait que le demandeur ne compterait que 10 ans de scolarité et que ses facultés intellectuelles ne seraient donc pas aussi aguerries qu’elles auraient pu l’être avec un niveau de scolarité plus élevé. Je ne vois pas de rapport entre le niveau de scolarité et la capacité de se souvenir d’événements ou dates importantes, lorsque ces événements ou ces dates sont au cœur d’une démarche d’obtention de l’asile. La date des élections auxquelles le demandeur a participé en tant que sympathisant d’un des candidats est pourtant mentionnée dans son narratif. La SAR, qui a écouté l’enregistrement de l’audience devant la SPR, a noté par ailleurs que le demandeur s’était vu offrir à quelques reprises par la SPR la possibilité de donner la date desdites élections, ce qui mine l’argument du demandeur voulant qu’on ait requis de lui une réponse spontanée. Elle a noté à cet égard que les questions de la SPR à ce sujet « étaient parfaitement claires et précises », ce qui, encore une fois, mine l’argument du demandeur voulant qu’il ne comprenait pas ces questions en particulier.

[10]  Le demandeur a aussi évoqué devant moi, pour expliquer son blanc de mémoire, qu’il est stressant de comparaitre devant la SPR. Sans nier que cela puisse être le cas pour une forte majorité de demandeurs d’asile, cela ne saurait, sans plus, servir de justification à des contradictions matérielles, surtout lorsque, comme ici, l’occasion a été offerte au demandeur d’asile, à plus d’une reprise, de fournir l’information demandée et que ce même demandeur est assisté d’un avocat. Je ne saurais, enfin, accorder de poids à l’argument voulant que la SAR ait erré en examinant l’appel du demandeur avec une « optique canadienne ». Un tel argument ne saurait prévaloir sans un développement plus étoffé.

[11]  Les conclusions de la SAR sur ce premier point de divergence m’apparaissent satisfaire aux exigences de la norme de la raisonnabilité.

[12]  Le demandeur prétend en second lieu qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de conclure que sa réponse négative à la question du formulaire d’asile relative à son appartenance à des organisations politiques minait sa crédibilité. Il soutient que la SAR aurait dû tenir compte du contexte de son arrivée au Canada, lui qui n’a pas traversé la frontière à un point d’entrée. Il soutient que, dans un tel contexte, des omissions sont possibles et que la SPR doit faire preuve d’indulgence. Toutefois, le dossier révèle qu’il a reçu l’assistance d’une avocate lorsqu’il a rempli les formulaires requis pour sa demande d’asile. Questionné sur ce qui a pu motiver cette réponse à cette question du formulaire, le demandeur a indiqué qu’il ne savait pas.

[13]  Dans les circonstances, et vu l’importance de la réponse à cette question à la lumière du fondement principal de la demande d’asile du demandeur, lié à ses activités politiques, la SAR était en droit, selon moi, de tirer une inférence négative eu égard à la crédibilité du demandeur. Du moins, il ne lui était pas déraisonnable de le faire. Je note que la question du formulaire est claire et ne se limite pas au fait d’être « membre » d’une organisation politique. Elle vise aussi les cas où un demandeur d’asile est simplement un « sympathisant » de cette organisation. Selon la preuve faite devant la SPR, le demandeur était clairement un sympathisant du parti du candidat qu’il a appuyé aux élections d’octobre 2015. C’est aussi le constat porté par la SAR. Le fait que le demandeur, sans savoir pourquoi, ait répondu de cette manière à cette question soulève, dans les circonstances, plus de questions qu’il n’en résout.

[14]  Encore une fois, je ne saurais intervenir à l’égard des conclusions de la SAR relatives à ce second point de divergence.

[15]  En troisième et dernier lieu, le demandeur reproche à la SAR de ne pas avoir adéquatement apprécié son niveau intellectuel lorsqu’elle a vu une contradiction entre le narratif du demandeur et son témoignage quant au moment où il aurait commencé à recevoir des menaces de ses agents persécuteurs. Je rappelle que lors de son témoignage, le demandeur a affirmé qu’il n’avait pas fait l’objet de menaces de la part de ses agents persécuteurs avant l’attaque de son domicile, le 20 novembre 2015, alors que dans son narratif, il a indiqué ceci :

« […] Ces actes de criminalité ont commencé après l’annonce du résultat pour la députation de cette commune aux élections du 25 octobre 2015. Cela a commencé par des pressions, puis c’est devenu des menaces. Puis le 20 novembre 2015, c’était un groupe de gens armés d’armes semi-automatiques qui ont envahi ma maison. […] »

[16]  J’estime qu’il était raisonnable de la part de la SAR d’y voir là une contradiction puisque le narratif fait état d’une gradation de la menace qui culmine le 20 novembre 2015. Dire, plus tard en témoignage, qu’il ne s’était rien passé avant cette date est problématique et ne peut s’expliquer, à mon sens, en faisant valoir, sans plus, le niveau de scolarité. Il semble peu plausible, d’ailleurs, qu’une attaque de l’envergure du 20 novembre 2015, du moins tel que le demandeur l’allègue, n’ait pas été précédée d’une forme quelconque de menaces préalables. Cette contradiction n’est pas banale et je ne vois rien qui puisse justifier mon intervention.

[17]  À cela s’ajoute la contradiction liée au fait que dans son narratif, le demandeur a indiqué être celui qui a porté plainte à la police alors que dans son témoignage, il a affirmé que c’était plutôt son frère. Le demandeur soutient que la SAR a fait preuve de zèle en lui reprochant cette contradiction. Pourtant, comme l’a noté la SAR, il n’a pu fournir d’explication à la SPR lorsque questionné sur cette contradiction. Comme le défendeur, j’estime qu’il était loisible à la SAR d’en tirer une inférence négative.

[18]  Enfin, la SAR a aussi considéré le fait que le demandeur n’avait pas fourni une copie de cette plainte et n’avait pas non plus demandé à son frère, ou à quiconque d’autre, de lui en procurer une. Questionné à ce sujet, il a affirmé « qu’il n’avait pas la tête à cela ». La SAR a jugé que cette explication n’était pas raisonnable vu le temps qui s’est écoulé depuis son départ d’Haïti. Ce point n’a pas été abordé par le demandeur devant cette Cour. Pourtant, j’estime qu’il a son importance, vu les autres contradictions notées par la SAR et la SPR avant elle. Cela n’aide certes pas la cause du demandeur.

[19]  Malgré l’effort louable du procureur du demandeur, Me Koudiatou, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de certifier une question en vue d’un appel. J’estime aussi qu’il n’y a pas matière à le faire dans les circonstances de la présente affaire.


JUGEMENT au dossier IMM-2995-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2995-18

 

INTITULÉ :

WILLIAM VALENTIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

mONTRÉAL

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 janvier 2019

 

JUGEMENT et motifs :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 janvier 2019

 

COMPARUTIONS :

Aristide Koudiatou

 

Pour le demandeur

 

Eloïse Eysseric

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aristide Koudiatou

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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