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Date : 20190109


Dossier : T‑1787‑16

Référence : 2019 CF 19

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

QUALITY PROGRAM SERVICES INC.

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ONTARIO, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DE L’ÉNERGIE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente décision a trait aux dépens en l’espèce, à la suite du jugement et des motifs datés du 4 octobre 2018 (le jugement), par lesquels je concluais que la défenderesse, Sa Majesté la Reine du chef de l’Ontario, représentée par le ministre de l’Énergie (l’Ontario), avait usurpé la marque de commerce « EMPOWER ME » de la demanderesse, Quality Program Services Inc. (QPS), en violation de l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 (la Loi), et j’accordais 10 000 $ à titre de dommages‑intérêts relativement à cette contrefaçon.

[2]  Le jugement a suivi une requête en procès sommaire en vertu de l’article 213 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), débattue à Vancouver le 25 juin 2018. Comme l’ont demandé les parties à l’audience, le jugement leur permettait de s’entendre sur les dépens ou de proposer un délai de présentation de leurs observations écrites. Les deux parties ont présenté des observations dans le cadre de ce processus; celles‑ci constituent le fondement de la présente décision au sujet des dépens.

[3]  Comme je l’ai expliqué d’une façon plus détaillée ci‑dessous, j’accorde à QPS des dépens majorés, sous la forme d’une somme globale de 25 800 $.

II.  La position de la demanderesse sur les dépens

[4]  QPS demande qu’on lui accorde les dépens, sous la forme d’une somme globale de 60 000 $. Elle relève l’énoncé récemment formulé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Nova Chemicals Corporation c The Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 (Nova Chemicals), au paragraphe 11, selon lequel les tribunaux privilégient de plus en plus l’adjudication de sommes globales au titre des dépens, puisque cette formule fait épargner aux parties temps et argent en plus de contribuer à la réalisation de l’objectif des Règles d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. QPS fait valoir plusieurs arguments et invoque notamment plusieurs des facteurs prescrits par le paragraphe 400(3) des Règles afin d’orienter la Cour dans l’exercice son pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à l’adjudication des dépens. Ces arguments comprennent l’observation selon laquelle le jugement précisait les droits et obligations juridiques des autorités publiques qui obtiennent un avis public en ce qui concerne les marques officielles visées par le sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi, en confirmant que la qualité de marque officielle ne représente pas une défense contre une allégation de contrefaçon. QPS s’appuie également sur une offre de règlement présentée à l’Ontario et sur l’application de l’article 420 des Règles qui en découle.

[5]  QPS soutient qu’une adjudication des dépens taxés conformément à la colonne III du Tarif B (qui, selon elle, s’élèverait à environ 8 000 $, plus les taxes et les débours) représenterait une indemnité inadéquate. À l’appui de sa position, QPS a déposé un affidavit d’un adjoint juridique rattaché au cabinet de son avocat, en y joignant des copies de ses relevés de services juridiques afin de démontrer que ses frais juridiques réels s’élevaient à 79 701,81 $, soit 64 095,00 $ à titre d’honoraires, 7 113,39 $ à titre de débours, 3 538,94 $ à titre de TPS et 4 954,48 $ à titre de TVP.

III.  La position de la défenderesse sur les dépens

[6]  L’Ontario soutient que la réclamation de 60 000 $ à titre de dépens est disproportionnée, puisque QPS a demandé des dommages‑intérêts de 50 000 $ dans cette action et a recouvré 10 000 $. L’Ontario convient avec QPS que cette affaire soulevait de nouvelles questions, puisqu’aucun tribunal canadien ne s’était auparavant penché sur le moyen de défense principal de l’Ontario selon lequel la qualité de marque officielle empêchait la Cour de conclure à l’existence de contrefaçon. L’Ontario soutient donc qu’il est approprié pour chaque partie d’assumer ses propres dépens, en s’appuyant sur des précédents dans lesquels les tribunaux ont conclu qu’il ne convenait pas d’adjuger des dépens lorsque des questions nouvelles en matière d’interprétation législative ont été soulevées (voir, p. ex. : Nault c Canada (Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2010 CF 623, au paragraphe 27).

[7]  L’Ontario soutient en outre que, si la Cour décide d’adjuger des dépens à QPS, le montant qui lui est attribué ne devrait pas dépasser 20 000 $. Elle invoque le principe de la proportionnalité, soutient que la complexité de l’affaire et la quantité de travail en cause n’étaient pas importantes et fait remarquer que QPS n’a pas eu entièrement gain de cause dans son action, puisqu’elle a fait valoir trois causes d’action contre l’Ontario et n’a eu gain de cause que pour une seule d’entre elles. L’Ontario reconnaît que l’offre de règlement de QPS lui donne droit à des dépens d’indemnisation substantielle ou au double du montant des dépens (mais non des débours) à partir de la date de signification de l’offre.

IV.  Analyse

[8]  Je traite d’abord de l’argument relatif à la nouveauté. J’estime que ce point a peu d’incidence sur ma décision quant aux dépens. Je reconnais les précédents cités par l’Ontario, qui soutiennent la proposition selon laquelle il peut être approprié que chaque partie assume ses propres dépens dans des affaires qui reposent sur une question de droit n’ayant pas été tranchée auparavant lorsqu’une partie [traduction« s’engage dans une voie qui n’est pas encombrée d’un précédent qui l’avertirait de ne pas continuer » (voir Baldwin c Daubney, [2006] OJ no 3919 [CSJ Ont] [Baldwin], au paragraphe 19). Cependant, il est également clair que, même si la nouveauté d’une question est un facteur doit prendre en considération, ce facteur n’entraîne pas un résultat en particulier, car la Cour préserve son pouvoir discrétionnaire (voir Baldwin, aux paragraphes 29 à 31).

[9]  Je conviens que l’affaire en l’espèce comportait un certain degré de nouveauté. Dans le jugement (au paragraphe 29), j’ai conclu qu’aucun des précédents cités par l’Ontario ne traitait directement de la question dont la Cour était saisie, soit celle de savoir si le sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi a pour effet de protéger l’autorité publique contre des réclamations de la nature de celles présentées par QPS. Comme le soutient QPS, j’ai conclu (au paragraphe 23 du jugement) que la jurisprudence invoquée par l’Ontario en défense portait sur un point conceptuellement distinct de celui dont la Cour était saisie. Toutefois, j’ai conclu, suivant un exercice d’interprétation législative (aux paragraphes 29 à 34 du jugement), que le sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi ne pouvait pas constituer un moyen de défense à l’encontre des réclamations de QPS. Comme il a été énoncé dans la décision Baldwin, au paragraphe 20, j’estime qu’il s’agit d’une circonstance dans laquelle [traduction« la loi confère une orientation adéquate permettant de répondre à la question ».

[10]  Je refuse par conséquent d’adopter la position de l’Ontario selon laquelle chaque partie devrait assumer ses propres dépens. Cependant, j’estime également que le degré de nouveauté de la question d’interprétation législative entourant le sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi ne soutient pas la position de QPS, fondée sur les alinéas 400(3)c), g) et h) des Règles, selon laquelle l’importance et la complexité des questions en litige, y compris l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance et la charge de travail requise, justifient une adjudication de dépens supplémentaires. Alors que la question des marques officielles exigeait de tenir compte de la jurisprudence présentée par les parties et, en l’absence de jurisprudence applicable, de procéder à un exercice d’interprétation législative, la question, à mon avis, n’est pas suffisamment complexe pour justifier l’adjudication de dépens majorés.

[11]  Je ne souscris pas à la prétention de QPS selon laquelle le niveau de complexité général de l’action en l’espèce, ou la charge de travail nécessaire pour la poursuivre, justifient l’attribution de dépens majorés. Comme le relève l’Ontario, le jugement portait en grande partie sur des questions de droit soulevées au moyen d’une requête en jugement sommaire, après la clôture des actes de procédure et les parties s’entendaient quant aux faits importants. Il n’y a eu aucun interrogatoire préalable, aucun contre‑interrogatoire sur des affidavits ni aucune preuve d’expert et l’audience a été terminée le jour même.

[12]  QPS fait aussi valoir que les résultats de la procédure et les sommes réclamées et recouvrées appuient l’adjudication de dépens majorés, comme l’envisagent les alinéas 400(3)a) et b) des Règles. Je ne suis pas d’accord, puisque les montants en cause dans cette affaire étaient relativement modestes. QPS a demandé 50 000 $ en dommages‑intérêts et s’est vue octroyer 10 000 $. Même si QPS a réussi à faire valoir ses droits relatifs à la marque de commerce par l’une (mais non toutes) des causes d’action qu’elle a fait valoir, ni l’issue ni les montants en cause ne justifient de dépens majorés ou réduits.

[13]  QPS s’appuie sur l’alinéa 400(3)i) des Règles, qui porte sur la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger la durée d’une instance, pour soutenir l’adjudication de dépens majorés. Elle fait remarquer que, lorsque l’Ontario a présenté son dossier de requête le 11 mai 2018, en préparation du procès sommaire, elle a révélé à QPS que la migration prévue vers un nouveau site Web entraînerait la fermeture du site « emPOWERme ». QPS soutient qu’il était par conséquent déraisonnable pour l’Ontario de continuer d’utiliser la marque tout au long du procès sommaire et de se défendre vigoureusement contre l’action de QPS. L’Ontario soutient que, indépendamment du fait qu’elle ait communiqué son intention de cesser d’utiliser le site « emPOWERme », elle a continué d’utiliser sa marque pendant une certaine période et cette marque restait une marque officielle du gouvernement de l’Ontario. L’Ontario soutient que sa décision de défendre sa marque officielle dans la présente procédure ne représente pas le type de conduite visée à l’alinéa 400(3)i) des Règles.

[14]  Je souscris à la position de l’Ontario sur ce point. La conduite à laquelle QPS renvoie est simplement la décision de l’Ontario de se défendre contre l’action. QPS ne relève pas de comportement discutable de la part de l’Ontario dans la manière dont elle a plaidé cette défense. Je conclus que l’alinéa 400(3)i) des Règles ne constitue pas un motif d’adjudication de dépens majorés.

[15]  Cependant, je conviens avec QPS pour dire qu’elle devrait se voir adjuger des dépens majorés en raison des efforts qu’elle a déployés pour régler sa réclamation. QPS a fourni une preuve selon laquelle, le 15 février 2017, après la clôture des actes de procédure, mais avant que les mesures subséquentes aient été prises en l’espèce, ses avocats ont écrit à l’Ontario pour lui proposer un règlement de cette action, en renonçant à sa réclamation de dommages‑intérêts et de dépens si l’Ontario cessait d’utiliser sa marque « emPOWERme », entre autres concessions.

[16]  On peut débattre de la question de savoir si le paragraphe 420(1) des Règles, qui accorde plaignant un droit au double des dépens partie‑partie, est officiellement invoqué par cette lettre, puisque l’issue du jugement n’est pas à tout égard aussi avantageux ou plus avantageux pour QPS que les modalités de son offre. À titre d’exemple, l’offre exigeait que l’Ontario retire sa demande pendant d’avis public de son utilisation d’une marque officielle présentée au titre du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi; cette réparation n’était pas demandée par QPS et elle n’y avait pas droit dans le cadre de l’action. Cependant, QPS a reçu un jugement qui lui était clairement plus favorable d’un point de vue pécuniaire que son offre. Également, comme je l’ai déjà souligné, l’Ontario reconnaît que l’offre de règlement de QPS lui donne droit à des dépens d’indemnisation substantielle ou au double du montant des dépens (mais non des débours) à partir de la date à laquelle l’offre a été signifiée. Je considère par conséquent que l’offre de QPS est un facteur militant en faveur de l’adjudication de dépens majorés.

[17]  QPS affirme que, si ses dépens étaient taxés conformément à la colonne III du Tarif B aux taux réguliers (et non doubles), le montant ainsi obtenu serait d’environ 8 000 $, plus les débours et les taxes. QPS n’a pas présenté de mémoire de frais à l’appui de ce calcul, mais ce chiffre n’est pas contesté par l’Ontario. Je suis par conséquent prêt à adopter ce chiffre comme point de départ pour le calcul pour l’adjudication d’une somme globale. L’offre de règlement de QPS a été signifiée après la clôture des actes de procédure. Cependant, ce moment est suffisamment proche du moment où l’action a été intentée que, puisque le chiffre de 8 000 $ est approximatif, je conclus qu’il est à propos de doubler le montant de 8 000 $.

[18]   QPS demande également le montant de 7 112,39 $ à titre de débours. L’Ontario fait remarquer que QPS n’a produit aucun reçu relativement à ces débours. Cependant, ces débours sont détaillés dans les relevés de services juridiques joints à l’affidavit à l’appui de QPS et consistent principalement en une combinaison d’impressions, de copies, de numérisations, de recherches juridiques informatisées, de frais de poste et de courrier, de frais d’appels interurbains, de l’enregistrement de la marque de commerce et d’autres recherches. Je conclus que la réclamation des débours est suffisamment bien étayée.

[19]  Le fait de doubler le montant des dépens de 8 000 $ à 16 000 $, d’ajouter les débours de 7 112,39 $ et d’appliquer la TPS de 5 % et la TVP de la Colombie‑Britannique de 7 % à ces deux chiffres nous donnerait un total de 25 885,88 $. Étant donné que certains débours ne sont peut‑être pas assujettis aux taxes, j’adopterais un montant arrondi à 25 800 $.

[20]  Ce chiffre représenterait juste un peu moins d’un tiers des 79 701,81 $ des dépens réellement engagés par QPS. Cela les place directement dans la fourchette des 25 % à 50 % des frais réels, ce qui constitue, comme l’a relevé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Nova Chemicals (au paragraphe 17), la fourchette habituelle des dépens majorés adjugés sous la forme d’une somme globale dans la jurisprudence applicable. Bien que la Cour d’appel fédérale ait précisé dans l’arrêt Nova Chemicals que certaines situations puissent justifier un pourcentage plus ou moins élevé, aucun des facteurs présentés par QPS ne me convainc qu’un pourcentage plus élevé est approprié en l’espèce. QPS soutient qu’un pourcentage plus élevé est justifié par l’objectif d’accorder une indemnisation juste aux propriétaires d’une marque de commerce qui doivent poursuivre les auteurs des contrefaçons pour préserver les droits qui leur sont conférés par la loi. Rien ne me permet de conclure que le calcul des dépens conformément au Tarif ne représente pas une compensation juste dans les litiges en matière de marques de commerce, en particulier dans des circonstances qui soutiennent le doublement de tels dépens en fonction d’une offre de règlement.

[21]  Finalement, je remarque que QPS s’appuie sur la décision Trans‑High Corporation c Hightimes Smokeshop and Gifts Inc., 2013 CF 1190 [Trans‑High], au paragraphe 27, dans laquelle le juge Manson a adjugé des dépens de 30 000 $ dans une action en contrefaçon de marque de commerce. Cependant, il ressort de cette décision que la défenderesse n’a pas présenté d’observations dans cette instance et qu’elle n’a pas comparu à l’audience; en outre, les motifs de la décision ne contiennent pas de justification du montant de l’adjudication des dépens, mis à part le fait que le juge Manson a accepté les observations de la demanderesse à l’égard du montant des dépens. Il n’est par conséquent pas possible d’établir une comparaison pertinente entre les faits de cette affaire et ceux de l’espèce qui permettrait de conclure, comme le soutient QPS, qu’elle devrait avoir droit à des dépens supérieurs au montant accordé dans la décision Trans‑High.

[22]  En conclusion, ma décision est d’accorder des dépens majorés à QPS, sous la forme d’une somme globale 25 800 $.


JUGEMENT DANS T‑1787‑16

LA COUR STATUE que les dépens sont adjugés à la demanderesse sous la forme d’une somme globale de 25 800 $.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de février 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1787‑16

INTITULÉ :

QUALITY PROGRAM SERVICES INC. c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ONTARIO

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 JUIN 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 9 janvier 2019

COMPARUTIONS :

Jonathan Woolley

Yue Fei

POUR LA DEMANDERESSE

Baaba Forson

Pour LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richards Buell Sutton LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour LA DÉFENDERESSE

 

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