Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Dossier : T‑945‑18

Référence : 2019 CF 73

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

GARY CRUMMEY

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision (la décision) du Comité d’appel de l’admissibilité (le Comité d’appel) du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le TACRA), transmise par lettre datée du 23 avril 2018, dans laquelle le Comité d’appel a confirmé la décision du Comité de révision de l’admissibilité (le Comité de révision) du TACRA, datée du 24 novembre 2015, rejetant la demande d’indemnité d’invalidité présentée par le demandeur en raison de fractures par tassement aux vertèbres thoraciques T4, T9 et T10, aux termes de l’article 45 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, LC 2005, c 21 (désormais la Loi sur le bien‑être des vétérans, LC 2005, c 21, en vigueur depuis le 1er avril 2018) (la Loi).

[2]  Comme il est expliqué de manière plus détaillée ci‑dessous, la demande est accueillie, parce que j’ai jugé déraisonnable la conclusion défavorable du Comité d’appel quant à la crédibilité, concernant l’un des avis médicaux déposés en preuve par le demandeur.

II.  Le contexte

[3]  Gary Crummey, le demandeur, est un homme âgé de 52 ans et un membre des Forces armées canadiennes, affecté à la Force régulière. Il a d’abord servi au sein de la Force de réserve, du 7 novembre 1983 au 17 juillet 1990, avant de commencer son service au sein de la Force régulière. Le service militaire de M. Crummey comprend deux périodes d’affectation en service spécial. Une première en Israël (du 28 mai au 3 décembre 2003) et une deuxième en Égypte (du 3 avril au 25 octobre 2008).

[4]  En 2013, M. Crummey a présenté une demande de pension au titre de la Loi, en raison de fractures par tassement aux vertèbres T4, T9 et T10 de sa colonne thoracique. Anciens Combattants Canada (ACC) a rejeté sa demande le 5 février 2014, après avoir conclu que les fractures en question ne découlaient pas de son service au sein de la Force régulière et qu’elles n’étaient pas liées directement à celui‑ci. ACC avait également conclu que les fractures ne s’étaient pas produites durant son service spécial et qu’elles n’étaient pas imputables à ce service.

[5]  M. Crummey a présenté une demande au Comité de révision pour qu’il examine la décision d’ACC. Le 24 novembre 2015, le Comité de révision a rejeté sa demande et confirmé la décision d’ACC. Le Comité de révision a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir un lien entre les fractures de M. Crummey et son service au sein de la Force régulière ou ses affectations spéciales.

[6]  M. Crummey a ensuite interjeté appel de la décision du Comité de révision au Comité d’appel, et il a déposé deux rapports de médecin à l’appui de son appel. La décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire est celle rendue par le Comité d’appel, qui a confirmé la décision du Comité de révision.

III.  La décision du Comité d’appel de l’admissibilité

[7]  Le Comité d’appel a passé en revue la preuve et les arguments sur lesquels M. Crummey s’est appuyé lors de son appel. Il a pris acte de la position de M. Crummey, selon laquelle ses maux chroniques dans le milieu du dos découlaient d’une blessure qu’il avait subie en 2008, lors de son service spécial en Égypte, lorsqu’il était tombé deux fois en effectuant une course à obstacles, et que d’autres facteurs liés à son service militaire avaient contribué à son état ou l’avaient aggravé. La preuve présentée par M. Crummey comprenait des documents en lien avec l’incident s’étant produit en Égypte, un rapport d’urgence daté du 10 novembre 2011 relatif à un incident où M. Crummey était tombé sur le dos sur la Base des Forces canadiennes (la BFC) de Stadacona, en Nouvelle‑Écosse, un rapport d’examen radiographique de sa colonne thoracique, daté du 7 novembre 2012, qui confirme la présence des fractures par tassement alléguées, ainsi que les deux rapports de médecin déposés par M. Crummey à l’appui de son appel.

[8]  Le Comité d’appel a fait référence au rapport du Dr Richard Dumais, daté du 18 octobre 2016, à la lettre qui l’accompagnait, celle‑ci datée du 20 juin 2017 ainsi qu’au rapport du Dr Jeremy Smith, daté du 9 septembre 2016. Chacun de ces documents contenait des avis quant à la cause des fractures par tassement des vertèbres thoraciques de M. Crummey. Le Dr Dumais était d’avis que les fractures étaient partiellement attribuables aux facteurs ainsi qu’aux incidents en lien avec le service et que les facteurs liés au service avaient joué un rôle aussi grand que ceux qui n’étaient pas liés au service. Le Dr Smith a déclaré que plusieurs facteurs en lien avec le service militaire pourraient avoir causé les fractures et qu’il n’était pas possible de déterminer la cause exacte, mais que, en l’absence d’autres causes probables, son avis médical était que les fractures étaient probablement liées au service.

[9]  Dans son analyse, le Comité d’appel a expliqué qu’il avait tenu compte de l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18 (la Loi du TACRA), aux termes duquel il doit : a) tirer les conclusions les plus favorables possible à l’égard de l’appelant; b) accepter tout élément de preuve non contredit que lui présente l’appelant et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence; c) trancher en sa faveur toute incertitude quant au bien‑fondé de la demande. Le Comité d’appel a aussi fait remarquer que l’article 39 ne dispensait pas l’appelant de s’acquitter du fardeau de prouver les faits requis pour établir un lien entre l’affection alléguée et le service. Le Comité d’appel a ajouté qu’il n’était pas tenu d’accepter l’ensemble des éléments de preuve présentés par un appelant s’il concluait que ces éléments n’étaient pas vraisemblables, même s’ils n’étaient pas contredits.

[10]  Le Comité d’appel a cité un rapport de clinique médicale daté du 10 juillet 2008 (en lien avec le service de M. Crummey en Égypte), dans lequel il est mentionné que M. Crummey était tombé trois semaines auparavant, qu’il se serait blessé au dos, mais pas à la tête ni au cou. Il est aussi mentionné dans ce document que M. Crummey ressentait des douleurs d’intensité variable et à différents endroits, notamment dans la région occipitale, mais qu’il n’avait pas d’autres problèmes à signaler. Le Comité d’appel a également pris acte d’une évaluation de santé périodique du 9 novembre 2010, laquelle faisait mention du fait que M. Crummey souffrait de douleurs chroniques au bas du dos et d’une entorse lombo‑sacrée, d’un traitement au moyen d’un [traduction« programme de physiothérapie et de gestion de la santé » et du fait que le problème avait été résolu.

[11]  En examinant la preuve provenant du Dr Dumais, le Comité d’appel a exprimé ses réserves quant à son rapport. Le Comité d’appel a fait remarquer qu’il fondait son avis sur des rapports médicaux non contemporains portant sur des blessures encourues lors du service militaire. Le Comité d’appel a observé que M. Crummey n’avait déposé aucune plainte dans le cadre de son service, dans les catégories médicales temporaires ou permanentes, relativement aux chutes qu’il avait subies, et qu’il avait poursuivi son service sans se plaindre ou signaler de problèmes avec son dos, et ce, jusqu’en 2012. Le Comité d’appel a ajouté que les exemples fournis ne donnaient pas à penser qu’il s’agissait de blessures qui entraîneraient des problèmes chroniques, et que les derniers commentaires indiquaient que tous les problèmes de dos de M. Crummey avaient été réglés en 2010. Le Comité d’appel a aussi pris acte du fait que le Dr Dumais était un spécialiste de la douleur et il a déclaré qu’il serait plus à l’aise avec des commentaires provenant d’un expert du système musculosquelettique, comme un chirurgien orthopédiste.

[12]  En examinant la preuve provenant du Dr Smith, le Comité d’appel a conclu que son avis, selon lequel les fractures par tassement des vertèbres thoraciques découlaient probablement du service militaire, relevait fortement de la conjecture. Le Comité d’appel a conclu que l’avis du Dr Smith n’était pas vraisemblable et que, par conséquent, il ne pouvait pas lui accorder beaucoup de poids.

[13]  Le Comité d’appel a formulé des commentaires selon lesquels il n’avait pas trouvé de document concernant des traitements médicaux qui auraient été prodigués à M. Crummey pour des problèmes dans la région de la colonne thoracique. Il a fait mention des rapports de blessures remplis vers la fin de ses périodes d’affectation en service spécial, en prévision de son retour. Une Déclaration de blessures ou de maladies contractées en zone de service spécial (Israël), datée du 24 novembre 2003, indiquait que le demandeur s’était étiré les muscles du bas du dos lors d’un entraînement aux poids, ce qui aurait été traité sur place, sans qu’il y ait de problème au retour. Une Déclaration de blessures ou de maladies contractées en zone de service spécial (Égypte), datée du 12 octobre 2008, mentionnait que M. Crummey s’était cogné le dos et la tête en tombant d’un pont de corde. Cette déclaration comportait également les entrées [traduction« Possibilité de commotion; je me sens mieux maintenant » et [traduction« maux de tête, physio pendant 2 mois ». Une Fiche d’examen médical, datée du 9 novembre 2010, indiquait que M. Crummey était apte à remplir l’ensemble de ses fonctions, relevant comme seul problème ses douleurs au bas du dos. Le Comité d’appel a aussi fait également remarquer que l’affection alléguée relative aux fractures par tassement des vertèbres thoraciques n’avait pas été diagnostiquée avant le 11 juillet 2012.

[14]  Le Comité d’appel a conclu qu’il ne lui avait pas été présenté des éléments de preuve médicaux vraisemblables et convaincants permettant de déterminer que la cause et/ou l’aggravation de l’état de santé de M. Crummey étaient spécifiquement liées à son service au sein de la Force régulière. Le Comité d’appel a également conclu qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve convaincants ou d’avis vraisemblables permettant d’établir un lien de causalité entre les facteurs relatifs au service et le développement ou l’aggravation de l’affection. Par conséquent, le Comité d’appel a confirmé la décision du Comité de révision et rejeté la demande d’indemnité d’invalidité présentée par le demandeur au titre de l’article 45 de la Loi.

IV.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[15]  Selon le demandeur, la seule question en litige dans le cadre du présent contrôle judiciaire est de savoir si le Comité d’appel a commis une erreur en décidant qu’il n’avait pas droit à une indemnité d’invalidité pour son affection. Les parties conviennent, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable (voir Leroux c Canada (Procureur général), 2012 CF 869 [Leroux], au paragraphe 32).

V.  Analyse

[16]  La position principale de M. Crummey est que le Comité d’appel a conclu de façon déraisonnable que les rapports des deux médecins n’étaient pas vraisemblables. Avant d’examiner ses arguments à l’appui de cette position, il est utile de revoir brièvement certaines dispositions législatives applicables aux décisions rendues prises par le Comité d’appel.

[17]  La principale disposition en cause en l’espèce, qui vise à conférer le droit de présenter une demande de prestations d’invalidité, est l’alinéa 45(1)a) de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

Admissibilité

Eligibility

45 (1) Le ministre peut, sur demande, verser une indemnité d’invalidité au militaire ou vétéran qui démontre qu’il souffre d’une invalidité causée :

45 (1) The Minister may, on application, pay a disability award to a member or a veteran who establishes that they are suffering from a disability resulting from

a) soit par une blessure ou maladie liée au service;

(a) service‑related injury or disease;

[…]

[18]  L’article 43 de la Loi énonce certaines règles régissant la façon d’examiner les éléments de preuve présentés à l’appui de demandes au titre de la Loi, ainsi :

Décisions

Benefit of doubt

43 Lors de la prise d’une décision au titre de la présente partie ou de l’article 84, le ministre ou quiconque est désigné au titre de l’article 67

43 In making a decision under this Part or under section 84, the Minister and any person designated under section 67 shall

a) tire des circonstances portées à sa connaissance et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible au demandeur;

(a) draw from the circumstances of the case, and any evidence presented to the Minister or person, every reasonable inference in favour of an applicant under this Part or under section 84;

b) accepte tout élément de preuve non contredit que le demandeur lui présente et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to the Minister or the person, by the applicant, that the Minister or person considers to be credible in the circumstances; and

c) tranche en faveur du demandeur toute incertitude quant au bien‑fondé de la demande.

(c) resolve in favour of the applicant any doubt, in the weighing of the evidence, as to whether the applicant has established a case.

[19]  Des dispositions pratiquement identiques se trouvent à l’article 39 de la Loi du TACRA, la loi qui régit le fonctionnement du TACRA. Le mémoire des faits et du droit du défendeur décrit ainsi l’effet des dispositions législatives applicables :

[traduction]

Par conséquent, il appartient au demandeur d’établir un lien de causalité. Toutefois, bien qu’il appartienne au demandeur de démontrer que son invalidité est liée à son service militaire, l’article 43 de la [Loi], interprété conjointement avec l’article 39 de la Loi du TACRA, exige que le [TACRA] applique certaines règles de preuve avantageuses pour le demandeur. Ces dispositions sont communément appelées les clauses « du bénéfice du doute ». Le décideur doit accepter toutes les conclusions les plus favorables possibles à la cause du demandeur, et trancher en faveur du demandeur toute incertitude quant au bien‑fondé de la demande.

[20]  Je suis d’accord avec cette description et je prends également note de l’explication que l’on trouve dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Wannamaker, 2007 CAF 126 (Wannamaker), aux paragraphes 5 et 6, qui traite en particulier de l’interprétation de l’alinéa 39b) de la Loi du TACRA (et, donc, de l’alinéa 43b) de la Loi), en lien avec la nature et l’effet des conclusions à tirer par le TACRA quant à la crédibilité :

[5]  L’article 39 assure que la preuve au soutien de la demande de pension est examinée sous le jour lui étant le plus favorable possible. Toutefois, l’article 39 ne dispense le demandeur de la charge d’établir par prépondérance de la preuve les faits nécessaires pour ouvrir droit à une pension : Wood c. Canada (Procureur général) (2001), 199 F.T.R. 133 (C.F. 1re inst.), Cundell c. Canada (Procureur général) (2000), 180 F.T.R. 193 (C.F. 1re inst.).

[6]  L’article  39 n’oblige pas non plus le Tribunal à admettre toute la preuve présentée par le demandeur. Le Tribunal n’a pas l’obligation d’accepter des éléments de preuve présentés par le demandeur s’il conclut qu’ils ne sont pas crédibles, et ce, même s’ils ne sont pas contredits. Par contre, il se peut que le Tribunal doive expliquer la raison pour laquelle il conclut que les éléments de preuve ne sont pas crédibles : MacDonald c. Canada (Procureur général) (1999), 164 F.T.R. 42, aux paragraphes 22 et 29. La preuve est crédible si elle est plausible, fiable et logiquement capable d’établir la preuve du fait en question.

[21]  Dans sa décision, le Comité d’appel s’est penché sur ces principes et les a ainsi résumés :

[traduction]

Cela signifie que le Comité examinera la preuve dont il disposera sous le jour le plus favorable et qu’il tranchera toute incertitude en faveur de l’appelant. La Cour fédérale a toutefois confirmé que cette règle ne dispensait pas l’appelant de s’acquitter du fardeau de prouver les faits requis pour établir un lien entre l’affection alléguée et le service. Le Comité n’est pas tenu d’accepter tous les éléments de preuve que lui présente un appelant s’il juge qu’ils ne sont pas vraisemblables, et ce, même s’ils ne sont pas contredits.

[22]  Encore une fois, à mon avis, il s’agit d’une description fidèle des principes applicables. La principale question en litige soulevée par M. Crummey ne concerne pas de l’interprétation du Comité d’appel des clauses « du bénéfice du doute », mais il s’agit plutôt de savoir si sa conclusion, selon laquelle la preuve des deux médecins n’était pas vraisemblable, constitue une décision raisonnable. Le demandeur fait remarquer que, comme l’explique la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wannamaker, le Comité d’appel était tenu d’expliquer pourquoi il avait conclu que les éléments de preuve n’étaient pas vraisemblables, compte tenu du fait que la preuve est vraisemblable si elle est plausible, fiable et logiquement capable d’établir la preuve du fait en question.

[23]  En ce qui concerne le rapport du Dr Dumais, M. Crummey avance trois arguments pour appuyer sa position selon laquelle il était déraisonnable pour le Comité d’appel de conclure que la preuve en question n’était pas vraisemblable :

[24]  En me laissant guider par la description se trouvant dans l’arrêt Wannamaker portant sur les facteurs à prendre en considération lorsque le Comité d’appel apprécie la crédibilité de la preuve, je conclus que l’appréciation faite par le Comité d’appel du rapport du Dr Dumais ne sort pas des limites du caractère raisonnable. Comme le soutient le défendeur, l’avis du Dr Dumais implique clairement que les fractures ont été causées en partie par des incidents qui n’ont aucun lien avec le service, mais son rapport ne précise pas de quels incidents il s’agit. En ce qui concerne la préoccupation du Comité d’appel en lien avec le fait que l’avis du Dr Dumais est fondé sur des rapports médicaux non contemporains, je conclus que cette préoccupation parle d’elle‑même. En d’autres termes, le manque de documents contemporains concernant les incidents sur lesquels est fondé l’avis suffit à miner cet avis. M. Crummey renvoie la Cour à la conclusion dans Jansen c Canada (Procureur général), 2017 CF 8, au paragraphe 53, selon laquelle le Comité d’appel avait commis une erreur dans sa façon de traiter l’absence de preuve médicale contemporaine. Toutefois, cette conclusion était fondée sur les faits de l’affaire en question; la demanderesse avait expliqué pourquoi il n’existait aucun élément de preuve contemporain. Enfin, en ce qui concerne l’appréciation du domaine de spécialité du Dr Dumais par le Comité d’appel, il s’agit en l’espèce du type d’analyse qui mérite une grande retenue de la part de la Cour (voir Beaudoin c Canada (Procureur général), 2014 CF 536, au paragraphe 12).

[25]  Toutefois, en ce qui concerne le rapport du Dr Smith, je souscris à l’observation de M. Crummey, selon laquelle la décision ne démontre pas de façon intelligible le fondement de la conclusion du Comité d’appel voulant que l’avis du Dr Smith n’était pas vraisemblable. Le Comité d’appel donne comme seul motif qu’il juge que l’avis relève fortement de la conjecture. Cependant, le Dr Smith renvoie à trois incidents liés au service militaire, sur lesquels il fonde son avis. En l’occurrence : la blessure de 2003 subie en Israël, lorsqu’il faisait de la levée de poids; les chutes de 2008 qui ont eu lieu dans le cadre d’une course à obstacles en Égypte; la chute qui s’est produite ultérieurement à la BFC de Stadacona. Dans chaque cas, le Dr Smith explique en quoi la nature de ces incidents pourrait avoir causé des fractures par tassement du genre de celles diagnostiquées dans le cas de M. Crummey.

[26]  Le Dr Smith a mentionné également la possibilité que des activités militaires, comme les marches avec sac à dos et les tests d’aptitude physique au combat, qui demandent de porter des charges importantes sur de longues distances, puissent causer des fractures par tassement des vertèbres thoraciques. Le défendeur fait valoir que ce volet de l’avis est particulièrement abstrait et hypothétique, puisqu’il ne se fonde sur aucun renseignement en lien avec le service de M. Crummey en particulier. Bien que ce raisonnement n’ait pas été fourni par le Comité d’appel, je reconnais qu’il pourrait expliquer sa conclusion selon laquelle l’avis relevait de la conjecture, dans la mesure où il était fondé sur cet aspect du service militaire. Toutefois, en ce qui concerne les trois incidents liés au service qu’a vécus M. Crummey, lesquels ne semblent pas remis en question, je ne vois aucune explication intelligible dans la décision pour la conclusion selon laquelle l’avis du Dr Smith relevait de la conjecture. Comme dans l’analyse que l’on trouve dans Leroux, au paragraphe 64, je conclus que le rapport du Dr Smith est suffisamment étayé pour qu’on en comprenne le fondement, tout particulièrement lorsque l’on tient compte de son expérience à titre de médecin militaire, et je juge que la conclusion tirée par le Comité d’appel, selon laquelle l’avis du Dr Smith relevait de la conjecture, est déraisonnable.

[27]  J’ai tenu compte de l’argument du défendeur, qui soutient que le Comité d’appel a conclu que l’avis du Dr Smith relevait de la conjecture du fait qu’il pointait vers plusieurs activités liées au service qui auraient pu causer les fractures des vertèbres thoraciques et qu’il n’était pas concluant quant à la cause. En se basant sur la décision, il est impossible d’établir si tel était le raisonnement derrière la conclusion du Comité d’appel. Toutefois, si tel était le raisonnement, j’aurais de la difficulté à accepter qu’il s’agisse d’une analyse raisonnable. Si une personne a vécu plus d’un incident lié au service, chacun d’eux pouvant être la cause de la blessure en question, de sorte qu’un médecin n’arrive pas à déterminer lequel de ces incidents constitue la cause précise, il est certainement illogique de s’appuyer sur ce fait pour conclure que l’avis du médecin manque de crédibilité.

[28]  Enfin, j’ai examiné un autre argument présenté par M. Crummey, selon lequel le Comité d’appel a commis une erreur en imposant des exigences additionnelles en matière de preuve, qui sont contraires aux dispositions législatives applicables. Cet argument s’appuie sur le dernier paragraphe de l’analyse du Comité d’appel, qui conclut ainsi :

[traduction]

Il n’a pas été présenté au Comité de preuve médicale vraisemblable et convaincante permettant de déterminer la cause et/ou l’aggravation de l’affection alléguée de l’appelant, en lien spécifiquement avec son service au sein de la Force régulière. De même, il n’y a aucune analyse convaincante ou aucun avis vraisemblable permettant d’établir un lien de causalité entre des facteurs du service et le développement et/ou l’aggravation de l’affection.

[29]  M. Crummey soutient que le Comité d’appel, en exigeant une preuve médicale [traduction« convaincante », en plus d’être vraisemblable, a violé la directive législative l’obligeant à accepter tous les éléments de preuve non contredits qui lui sont présentés, pourvu qu’ils lui semblent vraisemblables. À mon avis, cet argument particulier est sans fondement. Comme le soutient le défendeur, et comme je l’ai conclu précédemment dans les présents motifs, la décision démontre que le Comité d’appel comprenait les clauses « du bénéfice du doute ». J’ai interprété le terme [traduction« convaincante » comme un raccourci pour la conclusion du Comité d’appel selon laquelle M. Crummey ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir un lien de causalité entre son service et sa blessure.

[30]  M. Crummey soutient également que l’usage du terme [anglais] « pinpointing » [« permettant de déterminer »] constitue une erreur, puisqu’il exige la détermination de la cause d’une blessure avec une certitude incohérente avec les clauses « du bénéfice du doute ». Si l’on interprétait ce libellé dans le sens donnant à penser qu’il est obligatoire de déterminer une cause, à l’exclusion de toutes les autres possibilités, alors je conviens qu’il s’agirait ici d’une erreur, pour les motifs exposés précédemment au paragraphe 27. Je préfère cependant l’interprétation du défendeur, selon laquelle le Comité d’appel se rapportait simplement à l’obligation d’établir un lien de causalité entre la blessure et le service. En arrivant à cette conclusion, je fais remarquer que la formulation employée par le Comité d’appel renvoie à la détermination de la cause et/ou de l’aggravation de l’affection alléguée à l’égard spécifiquement du service de M. Crummey au sein de la Force régulière. Je ne vois aucune erreur dans la décision du Comité d’appel d’établir une telle exigence, puisque c’est l’obligation du demandeur de prestations d’établir un lien de causalité avec sa période de service.

[31]  Cependant, l’avis du Dr Smith est suffisamment fondamental pour l’appel que M. Crummey a interjeté au Comité d’appel que son traitement déraisonnable, qui a été expliqué précédemment, rend la décision déraisonnable en elle‑même. Par conséquent, la décision doit être annulée et renvoyée à un comité d’appel de l’admissibilité différemment constitué pour nouvelle décision.

[32]  Comme aucune partie ne réclame de dépens, aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑945‑18

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision est annulée et que l’affaire est renvoyée à un comité d’appel de l’admissibilité différemment constitué pour nouvelle décision. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Richard F. Southcott »

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de février 2019

C. Laroche, traducteur



 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.