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Date : 20190118


Dossier : IMM-4699-17

Référence : 2019 CF 72

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

YU SONG ET JIANXIN WANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  Les demandeurs, Yu Song et Jianxin Wang, sont citoyens de la Chine. En juin 2016, ils ont présenté une demande de résidence permanente au Canada dans le cadre du Programme des candidats de la province de l’Île‑du‑Prince‑Édouard (catégorie des gens d’affaires). M. Song était le demandeur principal. Mme Wang a été incluse en tant qu’épouse à charge.

[2]  Leur demande a été refusée par un agent d’immigration le 15 septembre 2017, parce que l’agent a conclu qu’ils avaient fait une présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait, concernant les antécédents professionnels de Mme Wang. Plus précisément, le nom de l’institut de mécanique et d’électricité à Xi’an, en Chine, où elle avait travaillé de 1993 à 1997, a été indiqué de manière inexacte dans leur demande. Avant que la décision ne soit prise, les demandeurs ont été informés, dans une lettre relative à l’équité procédurale, que cette inexactitude pourrait causer problème. En réponse à cette lettre, les demandeurs ont reconnu l’erreur et fourni une explication. L’agent a trouvé que leur explication n’était pas crédible ou qu’elle ne suffisait pas à dissiper les préoccupations soulevées par la différence entre le nom exact de l’institut et celui qu’ils avaient donné. Par conséquent, l’agent a conclu que les demandeurs étaient interdits de territoire pour avoir fait une présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait, au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). (Les dispositions législatives pertinentes figurent à l’annexe des présents motifs.)

[3]  Les demandeurs présentent maintenant une demande de contrôle judiciaire de cette décision conformément au paragraphe 72(1) de la LIPR.

[4]  Pour les motifs qui suivent, j’accueille la demande et j’ordonne que l’affaire soit renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.

II.  CONTEXTE

[5]  Le contexte nécessaire pour comprendre la présente affaire est simple.

[6]  Mme Wang est titulaire d’un baccalauréat en instruments électroniques et technologie de mesure de l’université de Xi’an Shiyou (1993), d’une maîtrise en systèmes de communication et d’information de l’université de Lanzhou Jiaotong (2000) et d’un doctorat en systèmes de communication et d’information de l’université Jiao Tong de Shanghai (2004).

[7]  Parmi les documents qu’elle devait remplir à l’appui de la demande de résidence permanente, il y avait le formulaire canadien d’immigration IMM 5669. Le formulaire exige que le requérant fournisse des renseignements personnels complets, y compris sa date de naissance, sa scolarité, ses antécédents professionnels, ses adresses résidentielles antérieures, ses antécédents criminels (le cas échéant) et ainsi de suite. En signant le formulaire rempli, le requérant déclare que les renseignements qu’il a fournis « sont véridiques, complets et exacts ».

[8]  Mme Wang a signé son formulaire IMM 5669 le 28 février 2017. Entre autres choses, elle avait déclaré dans le formulaire que, d’août 1993 à mai 1997, elle a été employée comme ingénieure adjointe au Xi’an Qinghua Mechanical and Electrical Institute, dans la ville de Xi’an, en Chine. D’après d’autres renseignements figurant sur le formulaire, il est évident qu’elle a commencé cet emploi dès la fin de ses études de premier cycle à l’université de Xi’an Shiyou. Dans la liste de ses adresses résidentielles, Mme Wang a déclaré que, de septembre 1989 à août 1993, elle a résidé à l’université de Xi’an Shiyou, à Xi’an, dans la province du Shanxi. Ensuite, en septembre 1993, elle a déménagé dans le dortoir du personnel du Xi’an Qinghua Mechanical and Electrical Institute, à Xi’an, dans la province du Shanxi, où elle est restée jusqu’en août 1997.

[9]  Dans une lettre datée du 27 avril 2017, un agent d’immigration du consulat du Canada à Hong Kong a informé M. Song de ce qui suit :

[traduction] Vous avez soumis à ce bureau les formulaires Annexe A de votre épouse dûment remplis et signés à l’appui de votre demande d’immigration. Votre épouse à charge a indiqué sur les formulaires d’annexe qu’elle a transmis qu’elle a travaillé pour le Xi’an Qinghua Mechanical and Electrical Institute d’août 1993 à mai 1997 à titre d’ingénieure adjointe. Toutefois, son profil personnel accessible au public sur le site Web de l’Université de Xiamen indique qu’elle a travaillé comme ingénieure adjointe pour le Military Arsenal Industry No. 203 Research Institute. Par conséquent, j’ai des préoccupations quant au fait que votre épouse à charge et vous avez fourni à ce bureau, à l’appui de votre demande d’immigration, des renseignements non véridiques relativement à l’emploi et aux antécédents de votre épouse à charge. Je suis également préoccupé par le fait que votre épouse à charge et vous avez fourni les mêmes renseignements non véridiques au bureau de la province de l’Île‑du‑Prince‑Édouard en vue d’obtenir un certificat de désignation délivré par la province.

Bien que cela n’ait pas été énoncé explicitement, la préoccupation concernait l’endroit où Mme Wang a travaillé d’août 1993 à mai 1997. Aucune autre préoccupation concernant les renseignements fournis quant aux antécédents professionnels de Mme Wang n’a été soulevée dans la lettre relative à l’équité procédurale ou ailleurs.

[10]  Après avoir attiré l’attention de M. Song sur l’obligation de dire la vérité prévue au paragraphe 16(1) de la LIPR et sur les conséquences possibles, en vertu de l’article 40 de la LIPR, de faire une présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait, la lettre l’invitait à répondre à l’information qui y était énoncée.

[11]  Dans une lettre datée du 10 mai 2017, le représentant qui assistait les demandeurs dans leur demande de résidence permanente a répondu à la lettre relative à l’équité procédurale en fournissant les renseignements suivants. Premièrement, Mme Wang avait commis une erreur en déclarant que le nom de l’institut était le Xi’an Qinghua Mechanical and Electrical Institute. Comme Mme Wang l’a elle-même expliqué dans une lettre d’accompagnement, en fait, le nom de l’institut est le Shaanxi Qinghua Mechanical and Electrical Institute. Elle était pressée et a utilisé par erreur le nom de la ville où l’institut est situé (Xi’an), alors que celui-ci porte le nom de la province dans laquelle il est situé (Shaanxi). Deuxièmement, cet institut est également connu sous le nom de No. 203 Research Institute of China Ordnance Industries. Comme Mme Wang l’a également expliqué dans sa lettre, ce dernier nom est le nom « interne » de l’institut. Shaanxi Qinghua Mechanical and Electrical Institute est son nom « externe ». Les deux noms désignent la même installation. Mme Wang a fourni des documents supplémentaires corroborant ce fait.

[12]  Après que cette réponse à la lettre relative à l’équité procédurale (LEP) a été reçue, un autre agent d’immigration a examiné la demande afin de déterminer si elle devait être refusée parce qu’il y avait eu une présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait.

[13]  Dans une lettre datée du 15 septembre 2017, les demandeurs ont été informés que leur demande de résidence permanente avait été refusée en raison de fausses déclarations. La lettre indiquait essentiellement ce qui suit :

[traduction] Le 16 novembre 2016, votre demande de résidence permanente au Canada a été reçue à notre bureau. Vous avez fait une présentation erronée sur le fait important suivant, ou une réticence sur ce fait :

  WANG Jianxin était employée par le Shaanxi Qinghua Mechanical and Electrical Institute de 1993 à 1997.

J’ai pris cette décision parce que vous n’avez pas déclaré cette information pertinente concernant les antécédents personnels de WANG Jianxin dans les formulaires de demande. Votre réponse à la LEP qui vous a été envoyée par notre bureau confirme les faits ci-dessus concernant les antécédents personnels de WANG Jianxin. J’ai examiné votre explication et votre réponse à la LEP transmise par notre bureau et je trouve qu’elles ne sont pas crédibles ou qu’elles ne suffisent pas à dissiper les préoccupations. Il vous incombe à tous deux de vous assurer que tous les renseignements fournis sur les formulaires de demande sont véridiques et complets.

Selon la prépondérance des probabilités, je suis convaincu que vous avez, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent au traitement de la présente demande d’immigration, ou une réticence sur ce fait. La présentation erronée sur un fait important, ou la réticence sur ce fait, aurait pu entraîner des erreurs dans l’application de la Loi, car des visas d’immigrant auraient pu vous être délivrés sans que vous ayez fourni des renseignements véridiques et complets pour nous permettre d’évaluer correctement votre admissibilité.

[14]  Les notes de l’agent inscrites dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC) apportent d’autres éclaircissements sur l’évaluation qu’a faite l’agent des renseignements dont il disposait. Ce dernier a admis que l’institut avait un nom externe ainsi qu’un nom interne et il n’était pas préoccupé par le fait que Mme Wang n’avait pas mentionné le nom interne. Ce qui le préoccupait, c’est que celle-ci n’avait donné ni le nom interne ni le nom externe exact. Autrement dit, du point de vue de l’agent, la fausse déclaration était que Mme Wang avait nommé son employeur comme étant le Xi’an Qinghua Mechanical and Electrical Institute, lequel n’existait pas. Ce faisant, elle avait [traduction] « dissimulé le vrai nom de l’employeur ». D’un autre côté, les notes indiquent que l’agent a admis que Mme Wang avait été employée par le Shaanxi Qinghua Mechanical and Electrical Institute de 1993 à 1997, mais qu’elle n’avait pas déclaré ce fait dans sa demande. De plus, comme la lettre le souligne également, les notes indiquent que l’agent a conclu que l’explication fournie par les demandeurs pour cette omission n’était pas crédible [traduction] « ou ne suffis[ait] pas à dissiper les préoccupations ». Enfin, les notes exposent la conclusion de l’agent selon laquelle la présentation erronée, ou la réticence, concernait des renseignements importants, [traduction] « parce qu’ils sont pertinents relativement à l’admissibilité de WANG Jianxin dans la présente demande ». Les notes se poursuivent comme suit : [traduction] « Cette fausse déclaration aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi et la délivrance de visas d’immigrant aux demandeurs sans que tous les renseignements nécessaires à l’évaluation de l’admissibilité aient été fournis ». Aucune autre explication n’est donnée.

III.  NORME DE CONTRÔLE

[15]  Il n’est pas contesté que la décision d’un agent d’immigration de rejeter une demande comme celle en cause en l’espèce pour présentation erronée d’un fait important, ou réticence sur ce fait, est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368, au paragraphe 12 [Wang]).

[16]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit » (Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, au paragraphe 18). La cour de révision examine la décision quant « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et vérifie « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16). Autrement dit, la cour de révision doit examiner à la fois les motifs et le résultat (Delta Airlines Inc. c Lukács, 2018 CSC 2, au paragraphe 27 [Delta Airlines]).

[17]  Comme il est indiqué dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 43, l’obligation de donner des motifs repose sur l’importance des droits touchés par la décision. Une conclusion de fausses déclarations visée à l’article 40 de la LIPR entraîne non seulement le rejet de la demande en question (en l’espèce, une demande de résidence permanente), mais également une interdiction de territoire au Canada pendant cinq ans pour le demandeur. Une telle conclusion ne doit pas être tirée à la légère (Nwali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 907, au paragraphe 14 [Nwali]).

[18]  Il est bien établi que les notes inscrites dans le SMGC par un agent font partie des motifs de sa décision et doivent être examinées par la cour de révision (Wang, au paragraphe 9). Même si les motifs donnés peuvent être brefs et doivent être lus dans le contexte de l’ensemble du dossier, ils doivent être suffisants pour expliquer le résultat aux parties et à la cour de révision (voir VIA Rail Canada Inc. c Office national des transports, [2001] 2 CF 25, aux paragraphes 17 à 22 (CAF)). La cour de révision peut intervenir si les motifs ne répondent pas à ce critère ou si le résultat obtenu n’appartient pas aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[19]  La présente demande soulève les questions suivantes :

  • a) La conclusion de l’agent selon laquelle Mme Wang a fait une présentation erronée concernant le nom de son employeur de 1993 à 1997 est-elle raisonnable?

  • b) La conclusion de l’agent selon laquelle il s’agissait d’un fait important est-elle raisonnable?

V.  ANALYSE

[20]  Comme je l’expliquerai, à mon avis, la conclusion de l’agent selon laquelle Mme Wang a fait une présentation erronée concernant le nom de son employeur de 1993 à 1997 est raisonnable, mais la conclusion selon laquelle le nom de l’employeur est un fait important n’est pas raisonnable. Toutefois, avant d’aborder ces questions, il est nécessaire de se pencher brièvement sur l’admissibilité de certaines parties de l’affidavit que Mme Wang a présenté dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

A.  L’admissibilité des paragraphes 7 et 8 de l’affidavit de Mme Wang

[21]  Le 1er décembre 2017, Mme Wang a souscrit un affidavit à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire. L’affidavit présente l’historique de l’affaire et rassemble les documents sur lesquels se fondent les demandeurs pour demander l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire. L’affidavit résumait, de façon tout à fait appropriée et utile, les renseignements qui se trouvaient ailleurs dans le dossier dont disposait le décideur. Toutefois, l’affidavit fournit également des renseignements supplémentaires concernant le nom de l’institut en question (voir, en particulier, les paragraphes 7 et 8 de l’affidavit et les pièces qui y sont mentionnées). L’agent d’immigration ne disposait pas de ces renseignements. Le défendeur s’oppose à l’admissibilité de cet élément de preuve dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[22]  La règle générale est que le dossier de la preuve dans une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un tribunal administratif se limite au dossier dont disposait le décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 19 [Access Copyright]; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, au paragraphe 13 [Bernard]). La logique de cette règle repose sur les rôles respectifs du décideur administratif et de la cour de révision (Access Copyright, aux paragraphes 17 et 18; Bernard, aux paragraphes 17 et 18). Le décideur statue sur le bien‑fondé de l’affaire, alors que la cour de révision ne peut examiner que la légalité générale de ce que le décideur a fait. Cette règle générale admet des exceptions (comme il est mentionné dans Access Copyright, au paragraphe 20, et dans Bernard, aux paragraphes 19 à 28), mais aucune ne s’applique en l’espèce. Par conséquent, j’ai conclu que le contenu des paragraphes 7 et 8 de l’affidavit de Mme Wang souscrit le 1er décembre 2017 (y compris les pièces connexes) est inadmissible dans le cadre de la présente demande. Il n’aura donc aucune influence sur ma décision sur le fond.

B.  La conclusion de l’agent selon laquelle Mme Wang a fait une présentation erronée quant au nom de son employeur de 1993 à 1997 est-elle raisonnable?

[23]  Les demandeurs soutiennent que la conclusion de l’agent selon laquelle Mme Wang a fait une présentation erronée relativement à son employeur de 1993 à 1997 est déraisonnable. Ils reconnaissent qu’ils avaient une obligation de franchise qui les obligeait à fournir des renseignements véridiques, complets et exacts dans leur demande de résidence permanente (voir Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 15 [Baro]; voir également le paragraphe 16(1) de la LIPR). Ils ne contestent pas que les renseignements qu’ils ont fournis au départ étaient inexacts. Toutefois, ils soutiennent que l’erreur de Mme Wang a été commise innocemment dans sa hâte de remplir la demande et, à ce titre, ne constitue pas une fausse déclaration au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Je ne suis pas d’accord.

[24]  La jurisprudence indique clairement que l’article 40 de la LIPR doit être interprété de manière large (Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 512, au paragraphe 25). Cela s’explique par le rôle important que cette disposition joue pour aider à assurer l’intégrité de l’administration de la loi et de la politique canadiennes en matière d’immigration (Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428, au paragraphe 23 [Oloumi]). À mon avis, l’agent a raisonnablement conclu que l’erreur initiale concernant le nom de l’employeur de Mme Wang de 1993 à 1997 constituait une fausse déclaration au sens de cette disposition. Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que la déclaration de l’agent dans le SMGC selon laquelle Mme Wang avait « dissimulé » le vrai nom de son employeur, dans la mesure où cela lui attribue un acte de non‑divulgation volontaire, n’est pas appuyée par le dossier. Il n’y a aucune raison de penser que Mme Wang a délibérément fourni le mauvais nom. Toutefois, cela n’est pas nécessaire pour que l’inclusion de renseignements inexacts constitue une présentation erronée (Khedri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1397, au paragraphe 21). Même une erreur innocente peut constituer une présentation erronée en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR (Baro, au paragraphe 15).

[25]  Il y a toutefois une exception si un demandeur peut démontrer qu’il croyait honnêtement et raisonnablement ne pas dissimuler des renseignements importants (Baro, au paragraphe 15), mais cette exception a été interprétée de manière restrictive (Goudarzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 425, aux paragraphes 36 et 37; Wang, aux paragraphes 21 et 22; Nwali, au paragraphe 18). Il ressort clairement du dossier que Mme Wang croyait sincèrement, à l’époque, qu’elle fournissait des renseignements exacts sur ses antécédents professionnels, notamment le fait que l’institut où elle a travaillé de 1993 à 1997 portait le nom de la ville où il était situé et non celui de la province. Toutefois, il est tout aussi évident que, si elle n’avait pas été aussi pressée et avait réfléchi un peu plus attentivement à ce détail, elle n’aurait probablement pas commis cette erreur. J’ai de la difficulté à comprendre pourquoi l’agent n’a pas trouvé crédible l’explication qu’a donné Mme Wang pour cette erreur, mais la conclusion de l’agent selon laquelle l’explication ne suffisait à établir que l’erreur ne constitue pas une présentation erronée est raisonnable.

[26]  À mon avis, la véritable question en litige est de savoir si le fait sur lequel une présentation erronée a été faite, soit le nom de l’employeur de Mme Wang, est un fait important, et c’est ce que je vais examiner maintenant.

C.  La conclusion de l’agent selon laquelle il s’agissait d’un fait important est-elle raisonnable?

[27]  Il est incontestable que les antécédents professionnels d’un demandeur peuvent être pertinents pour déterminer s’il devrait se voir accorder la résidence permanente. Selon le type de demande, cela peut avoir une incidence directe sur le fait que le demandeur possède ou non les qualifications requises. La déclaration complète et exacte des antécédents professionnels d’un demandeur facilite également les enquêtes des responsables de l’immigration relatives à son admissibilité (voir, par exemple, AA c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1066). De façon plus générale, le fait d’inventer ou d’omettre des détails dans les antécédents professionnels d’une personne peut soulever des préoccupations quant à savoir si un demandeur a fait une présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait, concernant son passé. Une présentation erronée n’a pas à être décisive ou déterminante dans une demande pour être importante; il suffit qu’elle ait une « incidence sur le processus amorcé » (Oloumi, au paragraphe 36).

[28]  Le fait que Mme Wang ait travaillé comme ingénieure adjointe d’août 1993 à mai 1997 n’est pas remis en question, ni le fait que cet emploi ait été exercé dans un institut de mécanique et d’électricité situé dans la ville de Xi’an, qui se trouve dans la province du Shanxi (ou Shaanxi). Ces faits sont tous énoncés avec exactitude dans la demande de Mme Wang. La question essentielle est de savoir si, en déformant le nom de l’institut où elle a travaillé pendant cette période, Mme Wang a fait une présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait.

[29]  Par souci de commodité, je répète que, dans la lettre du 15 septembre 2017, l’agent a donné les motifs suivants pour conclure que le nom de l’employeur était important :

[traduction] Selon la prépondérance des probabilités, je suis convaincu que vous avez, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent au traitement de la présente demande d’immigration, ou une réticence sur ce fait. La présentation erronée sur un fait important, ou la réticence sur ce fait, aurait pu entraîner des erreurs dans l’application de la Loi, car des visas d’immigrant auraient pu vous être délivrés sans que vous ayez fourni des renseignements véridiques et complets pour nous permettre d’évaluer correctement votre admissibilité.

Les notes que l’agent a inscrites dans le SMGC (énoncées au paragraphe 14 des présents motifs) réitèrent essentiellement les mêmes motifs.

[30]  À mon avis, les motifs de l’agent sont bien en deçà de ce qui est nécessaire pour expliquer le résultat aux parties et à une cour de révision. La première phrase et la première partie de la deuxième phrase citée plus haut, qui suivent simplement le libellé de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, ne donnent aucune idée du raisonnement de l’agent. Elles ne font qu’énoncer sa conclusion. La deuxième partie de la deuxième phrase n’ajoute rien à notre compréhension. Le fait de dire que les demandeurs auraient pu se voir accorder des visas d’immigrant sans avoir fourni des renseignements véridiques et complets pour permettre une évaluation adéquate de leur admissibilité soulève simplement la question de savoir si le fait erroné était important ou non. Nous savons que le nom de l’employeur a été indiqué de manière inexacte. Ce que nous ne savons pas, et que l’agent n’explique pas, c’est pourquoi, dans les circonstances particulières de la présente affaire, le nom de l’employeur avait une « incidence sur le processus amorcé ». En particulier, l’agent n’explique pas comment le nom inexact de l’employeur aurait pu entraîner des erreurs dans l’application de la Loi même si tous les autres renseignements contenus dans la demande concernant cet emploi étaient exacts et complets. Il n’appartient pas à la cour de révision de deviner ce que le décideur a pu penser (Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 11, cité avec approbation dans Delta Airlines, au paragraphe 28). En l’absence de toute explication à l’appui de la conclusion essentielle sur l’importance du fait, la décision de l’agent manque de transparence et d’intelligibilité.

[31]  Comme mon collègue le juge Grammond l’a mentionné récemment, bien qu’il n’y ait rien de mal en soi à ce que les décideurs administratifs utilisent des formules passe-partout dans leurs motifs, il importe que [traduction] « les motifs soient intelligibles et qu’ils indiquent une démarche raisonnable vers la décision prise » (Boukhanfra c Canada (Citoyenneté et immigration), 2019 CF 4, au paragraphe 9). À mon avis, la conclusion de l’agent selon laquelle la présentation erronée de Mme Wang portait sur un fait important ne répond pas à ce critère et est par conséquent déraisonnable.

VI.  CONCLUSION

[32]  Pour ces motifs, la décision du 15 septembre 2017 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.

[33]  Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève pas.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4699-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision datée du 15 septembre 2017 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de février 2019

Sandra de Azevedo, traductrice


ANNEXE

Obligation du demandeur

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

Obligation — answer truthfully

16 (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

Fausses déclarations

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

Misrepresentation

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

a) l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

 

Application

(2) The following provisions govern subsection (1):

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of five years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced; and

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4699‑17

 

INTITULÉ :

YU SONG ET JIANXIN WANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À FREDERICTON (NOUVEAU‑BRUNSWICK) ET À HALIFAX (Nouvelle‑Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 SEPTEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 JANVIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Roderick (Rory) H. Rogers, c.r.

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Patricia MacPhee

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart McKelvey

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Le procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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