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Date : 20190117


Dossier : IMM-449-18

Référence : 2019 CF 67

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

YE, LIPING

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  M. Liping Ye (le demandeur) est un citoyen de la Chine âgé de 41 ans. Après avoir pris part à une manifestation contre l’expropriation de maisons par le gouvernement chinois, il est venu au Canada et a présenté une demande d’asile au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  Le 24 novembre 2017, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a rejeté sa demande et a conclu qu’il n’y avait pas de preuve crédible ou fiable à l’appui de la demande. Puisque la SPR a conclu que la demande du demandeur n’avait pas de minimum de fondement, il a perdu son droit d’interjeter appel devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR) par l’application de l’alinéa 110(2)c) de la LIPR.

[3]  L’avis de décision est daté du 12 janvier 2018. Le 31 janvier 2018, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour. Pour les motifs qui suivent, j’estime que la décision est déraisonnable et je l’annulerai.

II.  Faits

[4]  Le demandeur, un citoyen de Chine, vivait à Fuqing, ville située dans la province du Fujian, dans une maison ancestrale qui a été dans sa famille pendant des générations. En mars 2016, le gouvernement l’a informé de plans d’expropriation visant sa propriété. On lui a offert une compensation, mais une évaluation effectuée par le demandeur a permis d’établir que la compensation offerte par le gouvernement se réduisait à presque 1/5 de la valeur de la maison. Mécontents du montant offert, le demandeur et cinq autres voisins ont pris l’initiative de négocier une meilleure compensation pour les ménages touchés. Ces négociations n’ont rien donné.

[5]  Le 20 mai 2016, le demandeur et 30 autres propriétaires du quartier ont commencé une manifestation devant les bureaux du gouvernement de la ville. Ils ont apporté des affiches, ont bloqué l’accès au stationnement et ont crié des slogans tels que [traduction] « le gouvernement est corrompu », de même que [traduction] « les agents du gouvernement sont des bandits et des voleurs ». Même si la manifestation était pacifique, le troisième jour de la manifestation, la police s’est présentée et a arrêté certains manifestants. Le demandeur s’est sauvé et s’est caché. Alors qu’il se cachait, le demandeur a été informé par sa femme que le gouvernement avait démoli leur maison le 16 juin 2016. Le demandeur a également été informé par sa femme que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) s’était présenté à leur maison pour le trouver et avait laissé un mandat en vue de son arrestation en raison de son rôle de chef de file dans les activités antigouvernementales.

[6]  Le demandeur a embauché un passeur et a quitté la Chine. Le demandeur dit qu’il a utilisé son propre passeport authentique pour quitter la Chine, et ensuite un passeport frauduleux pour se rendre de l’Europe au Brésil puis au Canada. Il prétend que les deux passeports ont été pris par le passeur et qu’il ne pouvait pas les fournir à la SPR.

A.  Audience à la SPR

[7]  Le 25 octobre 2017, la demande d’asile du demandeur a été entendue. À l’appui de sa demande, le demandeur a présenté de nombreux documents, y compris une lettre de pétition, un acte de propriété, une évaluation, un avis d’expropriation de terres et une citation à comparaître.

[8]  La SPR a conclu que le demandeur n’a fourni aucune preuve crédible ou fiable à l’appui de sa demande. Elle a renvoyé à la preuve documentaire indiquant que des documents frauduleux étaient facilement accessibles. La SPR estimait également qu’il était invraisemblable qu’en tant que personne recherchée, le demandeur ait pu sortir de Chine en utilisant son propre passeport, et elle a cité à l’appui son guide jurisprudentiel et la jurisprudence de la Cour fédérale du Canada.

[9]  La SPR a également traité de l’omission du demandeur de fournir l’un ou l’autre de ses passeports à son arrivée au Canada. Se fondant sur Elazi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 191 FTR 205 (CF 1re inst), la SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur. La SPR a également conclu que la lettre de pétition fournie était partiellement illisible et que rien ne prouvait qu’elle avait été remise à un agent du gouvernement ou reçue par un tel agent.

[10]  De façon générale, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que le risque qu’il soit persécuté était fondé. La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur et a conclu que sa demande n’avait pas un minimum de fondement.

[11]  Le 31 janvier 2018, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour.

III.  Question en litige et norme de contrôle

[12]  La principale question posée dans cette affaire est de savoir si le traitement de la preuve par la SPR est déraisonnable. La norme de la décision raisonnable s’applique à l’évaluation de la preuve par la SPR (Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1027, paragraphe 16).

IV.  Analyse

A.  La SPR a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables quant à la preuve?

[13]  Le demandeur soutient que la SPR n’a pas examiné, soupesé et analysé la preuve, ni n’a fourni de motifs pour rejeter la citation à comparaître. Le demandeur invoque Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 157, paragraphe 55, pour dire que le simple fait que des documents frauduleux sont facilement accessibles ne signifie pas que toutes les citations à comparaître sont nécessairement frauduleuses.

[14]  Selon le défendeur, la SPR a raisonnablement conclu que la citation à comparaître n’est pas authentique puisqu’elle a été comparée à une preuve documentaire objective.

[15]  Je ne puis souscrire à l’avis du défendeur. La règle générale est que les documents d’un gouvernement étranger sont présumés valides (Cai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 577, paragraphes 16 et 17). Cette présomption n’est pas réfutée par l’abondance généralisée de documents frauduleux (Lin, paragraphe 55). Et, alors que la SPR dit qu’elle s’est fondée sur la preuve documentaire pour arriver à cette conclusion, un examen du dossier démontre que la preuve documentaire sur laquelle elle s’est fondée était le cartable national de documentation qui indiquait que des documents d’identité frauduleux étaient largement disponibles. L’analyse de la citation à comparaître par la SPR se trouve au paragraphe 27 de la décision.

Le demandeur d’asile a produit une citation à comparaître afin d’établir qu’il est recherché par le PSB. Il s’agit d’un document d’une seule page qui est rédigé en caractères noirs, qui comporte une seule caractéristique de sécurité plutôt rudimentaire, soit un timbre à l’encre rouge, et qui peut donc être facilement contrefait. Compte tenu des préoccupations susmentionnées quant à la crédibilité et de la conclusion selon laquelle le fait de franchir sans entraves les points de contrôle de sortie de la Chine est incohérent avec le fait d’être recherché par les autorités chinoises, le tribunal s’appuie sur les éléments de preuve documentaire faisant état de la présence répandue de documents frauduleux en Chine. Le tribunal estime que le demandeur d’asile a produit un document frauduleux en guise de citation à comparaître et tire une autre inférence défavorable quant à la crédibilité.

Le document mentionné à la note de bas de page 23, pièce 3, est intitulé « Cartable national de documentation, Chine, 20 juillet 2017, onglet 3.22 : Information sur les documents frauduleux, y compris la fabrication, l’acquisition, la distribution et l’utilisation de passeports, de hukous et de cartes d’identité de résidant (CIR), en particulier dans le Guangdong et le Fujian; les cas où des fonctionnaires délivrent des CIR contrefaites aux citoyens et [...], Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, 21 octobre 2013, CHN104579.EF. » En d’autres mots, le document porte sur l’abondance de documents frauduleux. Et, même si la SPR a affirmé de façon générale que les timbres rudimentaires peuvent être facilement contrefaits, elle n’a pas analysé de manière indépendante le timbre de cette citation à comparaître en particulier. Par conséquent, pour parvenir à sa conclusion, la SPR ne réfute pas la présomption selon laquelle la citation à comparaître est valide. Il s’agit d’une erreur particulièrement grave, puisqu’elle a mené la SPR à conclure que le demandeur n’avait aucun fondement crédible. En conséquence, le droit d’appel du demandeur devant la SAR a été retiré par l’application de l’alinéa 110(2)c) de la LIPR. Par conséquent, j’annule la décision parce qu’elle est déraisonnable.

V.  Question certifiée

[16]  Interrogés afin de savoir s’il y avait des questions à certifier, les avocats des parties ont répondu qu’il n’y en avait aucune et je suis d’accord.

VI.  Conclusion

La SPR a conclu que la citation à comparaître du demandeur n’est pas authentique en se fondant sur la preuve que les citations à comparaître frauduleuses sont répandues en Chine. Cette conclusion ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47). Puisque la décision est déraisonnable, je l’annulerai.


JUGEMENT dans le dossier IMM-449-18

LA COUR STATUE que :

  1. La décision faisant l’objet du contrôle est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Aucune question n’est certifiée.

 « Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de février 2019

Sandra de Azevedo, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-449-18

INTITULÉ :

YE, LIPING c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 septembre 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DES MOTIFS :

Le 17 JANVIER 2019

COMPARUTIONS :

Olha Senyshyn

POUR Le demandeur

Neeta Logsetty

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levine Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR Le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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