Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190114


Dossier : T-1072-18

Référence : 2019 CF 44

Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2019

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

MOHAMED OUSAID DEGHEB

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [demandeur] sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par une juge de la citoyenneté le 9 mai 2018, approuvant la demande de citoyenneté de Mohamed Ousaid Degheb [défendeur]. Dans sa décision, la juge de la citoyenneté se déclare satisfaite des preuves présentées par le défendeur pour établir sa présence physique au Canada durant la période de référence applicable et conclut que le défendeur satisfait aux exigences énoncées aux sous-alinéas 5(1)c)(i) et (ii) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 [Loi].

[2]  Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable. Il reproche à la juge de la citoyenneté d’avoir erré dans son évaluation de la présence effective du défendeur au Canada, en se fiant à son témoignage plutôt que sur la preuve documentaire qui, selon le demandeur, comportait de nombreuses lacunes et incohérences qui n’ont pas été adressées par la juge de la citoyenneté. Le demandeur soutient notamment que :

  • (1) les explications du défendeur relativement à l’absence de passeports couvrant l’ensemble de la période de référence étaient insuffisantes;

  • (2) la juge de la citoyenneté aurait dû chercher à obtenir des informations supplémentaires du défendeur sur son omission d’obtenir de la Direction générale de la Sûreté nationale en Algérie un rapport de ses entrées et sorties de l’Algérie, tel qu’il lui avait été demandé par l’agent de la citoyenneté qui a examiné sa demande;

  • (3) la juge de la citoyenneté a erré en concluant que le défendeur avait accumulé deux mille quatorze (2 014) jours de présence effective au Canada et plus de cent quatre-vingt-trois (183) jours par année civile au cours des six (6) ans précédant sa demande en s’appuyant uniquement sur les prétentions du défendeur, ses billets de voyage électroniques et sur le rapport de ses entrées au Canada; et

  • (4) les preuves soumises par le défendeur ne permettaient pas d’établir l’historique de ses activités au Canada pendant la période pertinente et la juge de la citoyenneté aurait dû questionner davantage le défendeur sur ses recherches d’emploi, ce dernier ayant été sans emploi jusqu’en 2015.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la Cour ne peut souscrire aux arguments du demandeur.

[4]  Il est bien établi que la norme de contrôle applicable aux décisions prises par les juges de la citoyenneté sur le respect des exigences en matière de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi est celle de la décision raisonnable (Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 639 au para 12; Semhat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 217 au para 2 [Semhat]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Baccouche, 2016 CF 97 au para 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Lin, 2016 CF 58 au para 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Pereira, 2014 CF 574 au para 18 [Pereira]).

[5]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]).

[6]  Premièrement, en ce qui concerne l’absence de passeports pour l’entièreté de la période de référence s’échelonnant du 10 octobre 2010 au 10 octobre 2016, il est de jurisprudence constante que l’absence de passeports n’est pas fatale à une demande de citoyenneté si le demandeur de citoyenneté fournit une explication quant à l’impossibilité de fournir le passeport (Pereira au para 25; Canada (Citoyenneté et Immigration) c El Bousserghini, 2012 CF 88 au para 19). En l’instance, la Cour estime qu’il était raisonnable pour la juge de la citoyenneté d’accepter les explications du défendeur relativement à la destruction de ses passeports puisqu’elles étaient appuyées par de la preuve documentaire crédible. En effet, le défendeur a produit deux (2) attestations signées par le Consul adjoint du Consulat général de l’Algérie à Montréal [Consulat] dans lesquelles il est indiqué que les passeports algériens du défendeur ont été détruits par le Consulat conformément à la règlementation en vigueur. Les attestations, qui sont spécifiques à chaque passeport, mentionnent le numéro du passeport, la date d’émission et de renouvellement ainsi que la période durant laquelle le passeport était valide.

[7]  Le demandeur fait valoir que les motifs de la juge sont insuffisants pour expliquer comment celle-ci en est venue à accepter les explications du défendeur par rapport à l’absence de passeports. Cependant, il est bien établi que la Cour peut, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux para 15-16, 18 [Newfoundland Nurses]). Contrairement aux prétentions du demandeur, les motifs de la juge de la citoyenneté, lus conjointement avec le dossier, incluant les attestations du Consulat, permettent à la Cour de comprendre la conclusion de la juge de la citoyenneté relativement à la destruction des passeports.

[8]  Deuxièmement, quant au rapport des entrées et sorties de l’Algérie demandé par l’agent de la citoyenneté en raison de l’absence de passeports pour toute la période de référence, il n’était pas déraisonnable pour la juge de citoyenneté de s’appuyer sur la réponse du Consulat d’Algérie indiquant qu’un tel document ne figurait pas dans la nomenclature des documents administratifs algériens. La juge de la citoyenneté est présumée avoir pris en considération tous les éléments de preuve au dossier, ce qui comprend la déclaration de l’agent de citoyenneté sur l’existence d’un tel document (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abidi, 2017 CF 821 au para 42). La juge de la citoyenneté a tenu compte de la preuve qui était devant elle, soit un document signé par le Vice-consul du Consulat d’Algérie. La juge de la citoyenneté a raisonnablement jugé cette preuve documentaire crédible et tiré une conclusion favorable des efforts déployés par le défendeur pour obtenir un relevé de ses déplacements en Algérie.

[9]  Troisièmement, la Cour est également d’avis que la juge de la citoyenneté pouvait raisonnablement conclure que, selon la prépondérance des probabilités, le défendeur avait accumulé deux mille quatorze (2 014) jours de présence effective au Canada au cours de la période de référence pertinente en se basant sur le fait que les sept (7) entrées au Canada déclarées par le défendeur se retrouvaient dans le rapport des entrées au Canada et que cinq (5) des (7) sorties du Canada étaient vérifiables à l’aide de billets électroniques. Seules les sorties de deux (2) voyages n’ont pu être vérifiées. Bien qu’il ait été souhaitable que le défendeur puisse démontrer avec une preuve objective les deux (2) sorties du Canada, la juge de la citoyenneté a souligné, avec raison, que la norme de preuve exigée en matière de citoyenneté est celle de la prépondérance des probabilités, ce qui signifie que la personne qui cherche à obtenir sa citoyenneté doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle respecte son obligation de résidence. Conformément à cette norme de preuve, la certitude n’est pas requise (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Purvis, 2015 CF 368 au para 42; Pereira au para 21; Malevsky c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] ACF No 1554 (QL) au para 7).

[10]  Enfin, la Cour estime mal fondé l’argument du demandeur selon lequel les preuves soumises par le défendeur à l’appui de sa demande de citoyenneté ne permettaient pas d’établir l’historique de ses activités au Canada pendant la période de référence pertinente. Au contraire, le défendeur a fourni à la juge de la citoyenneté les relevés de sa carte de crédit personnelle qui s’échelonnaient du mois d’août 2011 jusqu’à la fin de la période visée. Les relevés font état de transactions financières constantes et permettaient à la juge de la citoyenneté de conclure qu’il était plus probable qu’improbable que le défendeur avait établi une présence effective d’au moins mille quatre cent soixante (1 460) jours au cours des six (6) ans qui ont précédé la date de la demande de citoyenneté et d’au moins cent quatre-vingt-trois (183) jours pendant au moins quatre (4) des six (6) années civiles précédant la date de la demande, conformément aux sous-alinéas 5(1)c)(i) et (ii) de la Loi. Bien que les relevés de carte de crédit du défendeur figurant au dossier certifié du tribunal ne comprennent pas les versos de ces documents – soit l’ensemble des pages deux (2) de trois (3), la preuve au dossier démontre que la juge de la citoyenneté les aurait effectivement consultés dans la prise de sa décision. En consultant les relevés de carte de crédit figurant au dossier du défendeur, ceux-ci, quoique ne couvrant pas l’entièreté de la période de référence, permettent à la Cour de noter que la conclusion de la juge de la citoyenneté selon laquelle les relevés font état de transactions financières constantes, est raisonnable. Par ailleurs, même si la juge de la citoyenneté ne le mentionne pas, la Cour note que le dossier du défendeur compte également une lettre de la compagnie gestionnaire de l’immeuble où il demeure qui indique que le défendeur y réside depuis le 1er novembre 2009.

[11]  Il ne s’agit pas en l’instance d’un cas où la juge de la citoyenneté s’est fiée uniquement au témoignage du défendeur pour conclure qu’il satisfait les exigences de citoyenneté, comme le prétend le demandeur. Ses motifs ne démontrent pas non plus qu’elle a fait fi des préoccupations soulevées par l’agent de la citoyenneté. La conclusion de la juge de la citoyenneté est fondée sur le témoignage du défendeur qu’elle a jugé « sincère, détaillé, plausible et convaincant » ainsi que sur des preuves objectives crédibles et convaincantes. Le demandeur n’a pas démontré que la conclusion de la juge de la citoyenneté n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir au para 47).

[12]  Tel que noté par cette Cour dans l’affaire Semhat, il faut considérer la décision de la juge de la citoyenneté « comme un tout et s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Semhat au para 14; Newfoundland Nurses au para 14). Dans ce contexte et en tenant compte du fait que la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de la juge de la citoyenneté, la Cour souligne que, bien que le demandeur soit en désaccord avec l’appréciation de la preuve effectuée par la juge de la citoyenneté, il n’est pas du rôle de la Cour de substituer son évaluation de la preuve au dossier (Djeddou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1247 au para 16).

[13]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier T-1072-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1072-18

INTITULÉ :

LE MINITRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c MOHAMED OUSAID DEGHEB

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 DÉCEMBRE 2018

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 14 janvier 2019

COMPARUTIONS :

Simone Truong

Pour le demandeur

Mohamed Ousaid Degheb

Pour le défendeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le DEMANDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.