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Date : 20190115


Dossier : T‑235‑18

Référence : 2019 CF 51

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

4053893 CANADA INC.

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  L’Agence du revenu national [l’ARC] a le pouvoir en vertu de la loi d’offrir un allègement aux contribuables qui divulguent volontairement des renseignements qui n’ont pas été antérieurement déclarés à celle-ci. Ce pouvoir est exercé dans le cadre du Programme des divulgations volontaires [PDV] de l’ARC. Dans le cadre du PDV, un allègement des pénalités ou des poursuites peut être accordé à un contribuable contrevenant dans les cas où l’inobservation est divulguée par le contribuable et lorsqu’il est déterminé que les conditions établies dans le PDV ont été remplies.

[2]  La demanderesse, 4053893 Canada Inc. [405], a demandé un allègement dans le cadre du PDV; cette demande a d’abord été refusée. Un deuxième examen ou réexamen administratif de la décision défavorable a été demandé; la déléguée de la ministre [la déléguée] a maintenu le refus et 405 demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision. La demanderesse soutient que la déléguée a conclu à tort que (1) une mesure d’exécution avait été prise à son égard avant qu’elle n’ait produit sa divulgation volontaire et que (2) une mesure d’exécution prise à l’égard du propriétaire et administrateur unique de 405, à titre personnel, rendait inadmissible la divulgation.

[3]  La demande est accueillie. Pour les motifs décrits en plus de détails ci‑dessous, le fondement de la conclusion de la déléguée selon laquelle la divulgation n’était pas « volontaire » n’apparaît pas clairement de la décision ou du dossier sous‑jacent. Ce manque de transparence rend la décision déraisonnable.

II.  Le contexte

[4]  Monsieur Brent Harris est le propriétaire exclusif de 405 et en est également l’administrateur unique. M. Harris n’avait pas produit ses déclarations de revenus des particuliers pour les années d’imposition 2006 à 2015. Par lettre datée du 18 août 2016, l’ARC a informé M. Harris de son obligation de produire ses déclarations de revenus des particuliers et M. Harris, au cours d’un entretien téléphonique, a ensuite discuté de la lettre avec un représentant de l’ARC.

[5]  En janvier 2017, le représentant de 405 a déposé auprès de l’ARC une lettre de divulgation volontaire anonyme. 405 n’avait pas produit ses déclarations de revenus depuis 2003.

[6]  Par lettre datée du 6 février 2017, l’ARC a accusé réception de la demande écrite dans le cadre du PDV, a établi que la date d’entrée en vigueur de la divulgation était le 17 janvier 2017 et a indiqué qu’[traduction] « il n’y aura pas confirmation que cette divulgation est volontaire et/ou complète tant que l’identité du contribuable ne sera pas connue et que d’autres conditions pour une divulgation valide (telles qu’elles sont indiquées ci‑dessus) ne seront pas remplies. »

[7]  Par lettre datée du 8 mai 2017, le représentant de 405 a informé l’ARC que le contribuable non désigné était 405. La divulgation volontaire de 405 s’est terminée en juin 2017 avec la production des formulaires et des déclarations remplis pour les années 2006 à 2016.

[8]  Dans une lettre datée du 18 septembre 2017, une déléguée de la ministre, au cours d’un examen de « premier niveau », a refusé la demande dans le cadre du PDV, en concluant que la divulgation n’était pas volontaire. Elle a affirmé ce qui suit : [traduction] « [L’ARC] a commencé à communiquer avec vous avant la date de divulgation concernant la même affaire ou les mêmes renseignements divulgués. »

[9]  En octobre 2017, le représentant de 405 a demandé un deuxième examen administratif en faisant remarquer l’absence de détails dans la lettre du 18 septembre 2017 concernant la [traduction] « supposée communication antérieure » et a déclaré qu’il n’y avait eu aucune communication entre l’ARC et 405 avant la présentation concernant la date d’entrée en vigueur de la divulgation.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[10]  Dans la lettre de décision du 10 janvier 2018, il était mentionné que la situation de 405 avait été examinée attentivement et que, conformément à la Circulaire d’information IC00‑1R5, il a été conclu que la divulgation n’était pas « volontaire ». La déléguée a indiqué qu’une conversation téléphonique avait eu lieu entre un agent de l’ARC et M. Harris le 19 août 2016 au cours de laquelle (1) M. Harris a confirmé que 405 était toujours active; (2) M. Harris avait été informé qu’il devait produire à la fois ses déclarations de revenus des particuliers et ses déclarations de revenus des entreprises, mais que ces dernières devaient être produites en premier; (3) M. Harris a dit qu’il devait trouver un représentant pour l’aider à s’acquitter de ses obligations en matière de production.

[11]  La déléguée a conclu que, puisque cette conversation avait eu lieu avant la divulgation, 405 ne répondait pas aux exigences du Programme des divulgations volontaires.


IV.  Les dispositions législatives pertinentes

[12]  Le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) prévoit que le ministre peut renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts dû par un contribuable, ou l’annuler en tout ou en partie. Un pouvoir semblable est octroyé par le législateur dans d’autres lois fiscales et, comme je l’ai mentionné ci-dessus, ce pouvoir est exercé en application de la Circulaire d’information [CI] de l’ARC. La CI régissant l’examen par la déléguée de la demande de divulgation volontaire de 405 était la circulaire IC00‑1R5 – Programme des divulgations volontaires. Une nouvelle version de la CI a depuis remplacé la circulaire IC00‑1R5.

[13]  La circulaire IC00‑1R5 énonce quatre conditions qui doivent être remplies afin qu’une divulgation soit valide : la divulgation doit être volontaire, complète, comprendre une pénalité et comprendre des renseignements dont la production est en retard d’au moins un an. La divulgation ne sera pas volontaire si le contribuable est au courant d’une mesure d’exécution que prendra l’ARC en ce qui concerne la divulgation ou si la mesure d’exécution a été prise à l’égard d’un autre contribuable ou d’une personne associée au contribuable qui fait la divulgation et cette mesure est susceptible d’avoir révélé les renseignements divulgués. Le numéro 32 de la CI décrit l’exigence « volontaire » comme suit :

Conditions d’une divulgation valide

i)  Volontaire

32. Une divulgation ne sera pas considérée comme une divulgation valide, sous réserve des exceptions du paragraphe 34, en vertu de la condition « volontaire » si l’ARC détermine ce qui suit :

  le contribuable était au courant d’une vérification, d’une enquête ou d’autres mesures d’exécution que devait entreprendre l’ARC ou toute autre autorité ou administration, en ce qui concerne les renseignements divulgués à l’ARC; ou

  les mesures d’exécution relatives à la divulgation ont été prises par l’ARC ou toute autre autorité ou administration, à l’égard du contribuable ou d’une personne associée ou apparentée avec le contribuable (y compris, sans toutefois s’y limiter, des sociétés, des actionnaires, des conjoints et des associés) ou contre n’importe quel autre tiers où le but et l’impact de l’action applicable contre le tiers est suffisamment lié à la divulgation actuelle; et

  les mesures d’exécution sont susceptibles d’avoir révélé renseignements divulgués.

Conditions of a valid disclosure

i)  Voluntary

32. A disclosure will not qualify as a valid disclosure, subject to the exceptions in paragraph 34, under the “voluntary” condition if the CRA determines:

  the taxpayer was aware of, or had knowledge of an audit, investigation or other enforcement action set to be conducted by the CRA or any other authority or administration, with respect to the information being disclosed to the CRA, or

  enforcement action relating to the disclosure was initiated by the CRA or any other authority or administration on the taxpayer, or on a person associated with, or related to the taxpayer (this includes, but is not restricted to, corporation, shareholders, spouses and partners), or on a third party, where the purpose and impact of the enforcement action against the third party is sufficiently related to the present disclosure, and

  the enforcement action is likely to have uncovered the information being disclosed.

V.  Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[14]  Je ne suis saisi que d’une seule question : le rejet de la divulgation volontaire par la déléguée était‑il déraisonnable?

[15]  La jurisprudence enseigne, et les parties en conviennent, que les décisions discrétionnaires ayant trait au PDV doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 51 [Dunsmuir]; Worsfold c Canada (Ministre du Revenu national), 2012 CF 644, aux par. 104 et 105). La norme de la décision raisonnable est une norme déférente. Une cour de révision examine la question de savoir si (1) le processus décisionnel tient compte des éléments de justification, de transparence et d’intelligibilité; si (2) la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au par. 47).

VI.  Analyse

A.  Le rejet de la divulgation volontaire était‑il déraisonnable?

[16]  La demanderesse a déposé de longues observations portant sur l’exigence du caractère « volontaire », telle qu’elle est définie au paragraphe 32 de la CI. Il ressort clairement de l’examen de la « note au dossier » dans laquelle le rejet est recommandé et à laquelle la déléguée s’est fiée, que la décision est fondée sur la deuxième des deux conditions énoncées au paragraphe 32 de la CI – une mesure d’exécution a été prise à l’égard d’une personne apparentée à la demanderesse et cette mesure est susceptible d’avoir révélé les renseignements divulgués. Je dois décider si le rejet, pour ce motif, était raisonnable.

[17]  Le défendeur fait valoir que la décision de la déléguée était raisonnable. Il fait remarquer que la déléguée s’est fondée explicitement sur a) de nombreuses mesures d’exécution antérieures prises par l’ARC à l’égard de M. Harris; b) la lettre envoyée en août 2016 à M. Harris pour l’informer de la mesure d’exécution prise à son égard à titre personnel; c) l’appel téléphonique avec M. Harris au cours duquel il a indiqué que la demanderesse était toujours active et qu’il était un consultant indépendant; et d) l’appel téléphonique du représentant de la demanderesse demandant une prorogation du délai prévu pour produire les déclarations. Le défendeur soutient que la mesure d’exécution prise à l’égard de M. Harris à titre personnel aurait permis de révéler l’inobservation de la demanderesse puisque M. Harris était l’unique propriétaire, administrateur et employé de la demanderesse. Je n’en suis pas convaincu.

[18]  La Cour a constamment décidé qu’il ne suffisait pas de simplement conclure, en se fondant sur une relation existante, que la mesure d’exécution prise à l’égard d’un contribuable aurait pour conséquence que des renseignements contenus dans la divulgation volontaire d’un deuxième contribuable soient révélés (Worsfold, aux par. 123, 127 et 128, citant Poon c R, 2009 CF 432, aux par. 21 à 26; voir également Matthew Boadi Professional Corporation c Canada (Procureur général), 2018 CF 53, aux par. 27 et 32).

[19]  L’omission d’aborder la façon dont la mesure d’exécution prise à l’égard d’un contribuable « aurait pour conséquence » que des renseignements visés par la divulgation volontaire d’un autre contribuable soient révélés mine les éléments de justification, de transparence et d’intelligibilité. Par ailleurs, cette omission empêche une cour de révision de décider si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[20]  En l’espèce, la lettre de décision renvoie à une conversation téléphonique entre M. Harris et un représentant de l’ARC, en se fondant sur des notes créées par l’agent de l’ARC qui a discuté avec M. Harris. La demanderesse soutient, en invoquant Chou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 190 FTR 78, confirmée dans 2001 CAF 299, qu’on ne peut pas se fonder sur les notes de l’agent de l’ARC pour établir la substance ou le contenu de l’appel téléphonique. Le défendeur fait valoir que les notes font partie du dossier et qu’elles ont été prises en considération de manière appropriée par la déléguée.

[21]  Il ne fait aucun doute que les notes font partie du dossier en l’espèce et qu’il était loisible à la déléguée de les prendre en considération. Dans la décision Chou, on a demandé à la Cour d’examiner le contenu des notes d’un agent des visas concernant ce qui s’est produit lors d’une entrevue. En l’espèce, le défendeur soutient que la déléguée était régulièrement saisie des notes, peu importe leur contenu, et que la déléguée n’a commis aucune erreur lorsqu’elle s’est fondée sur ces notes. Je souscris à cette prétention. La présente espèce se distingue de la décision Chou : dans cette affaire, on avait demandé à la Cour elle‑même d’examiner le contenu des notes d’un agent, tandis que, en l’espèce, j’examine la décision de la déléguée fondée sur le dossier dont elle était saisie, lequel contenait les notes d’un agent de l’ARC. Il se peut très bien qu’une question d’équité découle du fait que la déléguée s’est fondée sur les notes sans les divulguer d’abord à la demanderesse, mais cette question n’a pas été soulevée et je n’exprime aucune opinion à cet égard.

[22]  Néanmoins, je suis d’avis que la déléguée a commis une erreur. La décision est mieux décrite comme mal étayée en ce qui concerne la conclusion selon laquelle la mesure d’exécution prise à l’égard de M. Harris à titre personnel aurait eu pour conséquence que les renseignements visés par la divulgation volontaire de la demanderesse soient révélés. Une simple description du contenu de l’appel téléphonique entre M. Harris et l’agent de l’ARC, même en supposant que les notes sont exactes, ne permet pas de dissiper la préoccupation soulevée. Ni la lettre de décision ni la « note au dossier » ne comporte une analyse de la façon dont la mesure d’exécution prise à l’égard de M. Harris aurait eu pour conséquence que les renseignements divulgués par la demanderesse soient révélés. Les arguments du défendeur selon lesquels la déléguée pouvait raisonnablement conclure, en se fondant uniquement sur le rôle de M. Harris en tant qu’unique propriétaire, administrateur et employé de la demanderesse, que les renseignements de la demanderesse auraient été révélés dans le cadre de la mesure d’exécution prise à l’égard de M. Harris sont insuffisants. Le simple fait d’examiner la relation entre les parties ne suffit pas (Worsfold, au par. 123).

VII.  Conclusion

[23]  La demande est accueillie.

[24]  En ce qui concerne les dépens, les parties ont convenu que, si la demanderesse obtient gain de cause, des dépens de 6 171,63 $ seraient accordés. Je suis convaincu que le montant convenu est raisonnable. Des dépens de 6 171,63 $, taxes et débours compris, sont adjugés à la demanderesse.


JUDGMENT DANS le dossier T‑235‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie;

  2. L’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre décideur;

  3. Des dépens de 6 171,63 $ sont adjugés à la demanderesse, taxes et débours compris.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de février 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑235‑18

 

INTITULÉ :

4053893 CANADA INC. c LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 novembre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 15 janvier 2019

 

COMPARUTIONS :

Domenic Marciano

Michael Farkas

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alisa Apostle

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marciano Beckenstein LLP

Avocats

Concord (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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