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Date : 20190110


Dossier : T‑2077‑17

Référence : 2019 CF 31

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

ESCAPE TRAILER INDUSTRIES LTD.

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 22 novembre 2017, par laquelle un sous‑commissaire de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] refusait de recommander qu’une ordonnance de remise soit accordée en application du paragraphe 23(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F‑11 [la LGFP] en ce qui concerne la taxe de vente harmonisée et l’arriéré d’intérêts, représentant un montant total de 273 183,39 $ [le montant de la taxe].

II.  Contexte

[2]  La demanderesse, Escape Trailer Industries Ltd., est une société privée canadienne qui fabrique et vend des caravanes en fibre de verre [les caravanes].

[3]  Reace Harmatuik et Tammy Harmatuik sont les seuls actionnaires et administrateurs de la demanderesse.

[4]  Entre le 1er octobre 2010 et le 30 septembre 2012 [la période pertinente], la demanderesse a vendu des caravanes à des clients résidents des États‑Unis de la manière suivante :

  1. Le client payait la caravane à l’avance.
  2. Le jour de la livraison, la demanderesse conduisait la caravane au poste frontalier canado‑américain d’Huntingdon, situé au sud d’Abbotsford, en Colombie‑Britannique.
  3. La demanderesse garait la caravane dans un stationnement du côté canadien de la frontière.
  4. Le client franchissait la frontière aux douanes canadiennes et il rencontrait la demanderesse dans le stationnement du côté canadien de la frontière.
  5. La demanderesse transférait la caravane au client.
  6. Le client franchissait ensuite les douanes des États‑Unis avec la caravane. Le client était inscrit comme l’importateur au dossier de la caravane.

[la procédure de transaction].

[5]  La demanderesse ne percevait pas la taxe de vente harmonisée [TVH] de ses clients des États‑Unis, parce qu’elle croyait à tort que ces caravanes avaient été fournies à l’extérieur du Canada et n’étaient donc pas taxables en vertu de l’article 142 de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15 [la LTA].

[6]  L’article 142 de la LTA a pour effet de rendre taxables les biens livrés à l’acquéreur ou mis à sa disposition au Canada (alinéa 142(1)a)), tandis que les biens livrés ou mis à la disposition de l’acquéreur à l’extérieur du Canada ne sont pas taxables (alinéa 142(2)a)) :

142 (1) Pour l’application de la présente partie et sous réserve des articles 143, 144 et 179, un bien ou un service est réputé fourni au Canada si :

a) s’agissant d’un bien meuble corporel fourni par vente, il est, ou sera, livré à l’acquéreur au Canada ou y est, ou y sera, mis à sa disposition;

[…]

(2) Pour l’application de la présente partie, un bien ou un service est réputé fourni à l’étranger si :

a) s’agissant d’un bien meuble corporel fourni par vente, il est, ou sera, livré à l’acquéreur à l’étranger ou est, ou sera, mis à sa disposition à l’étranger;

[7]  L’ARC a vérifié la déclaration de TVH avec solde créditeur de la demanderesse pour la période pertinente et elle a délivré une cotisation datée du 12 février 2013 dans laquelle elle a indiqué que la demanderesse devait 375 780,10 $ en TVH nette ainsi que 23 546,28 $ en intérêts.

[8]  La demanderesse a demandé une nouvelle cotisation et le ministre du Revenu national [le ministre] a réduit la TVH nette payable de 89 571,47 $ plus les intérêts afférents au moyen d’une nouvelle cotisation délivrée le 10 février 2014 [la nouvelle cotisation].

[9]  La demanderesse n’a pas interjeté appel de la nouvelle cotisation devant la Cour canadienne de l’impôt. La demanderesse a payé le solde qu’elle devait en février 2014.

[10]  Le 24 novembre 2014, la demanderesse a écrit à l’ARC pour demander que le ministre recommande au gouverneur en conseil de lui accorder une remise, en application du paragraphe 23(2) de la LGFP, correspondant au montant de la taxe, qui avait été établi relativement aux caravanes vendues à des clients des États‑Unis selon la procédure de transaction [la demande].

[11]  Le paragraphe 23(2) de la LGFP confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de recommander au gouverneur en conseil qu’une ordonnance de remise soit accordée à un contribuable lorsque les circonstances font en sorte que la perception ou l’exécution forcée d’une taxe ou d’une pénalité serait déraisonnable ou injuste ou que, d’une façon générale, l’intérêt public justifie la remise de la taxe ou de la pénalité :

23(2) Sur recommandation du ministre compétent, le gouverneur en conseil peut faire remise de toutes taxes ou pénalités, ainsi que des intérêts afférents, s’il estime que leur perception ou leur exécution forcée est déraisonnable ou injuste ou que, d’une façon générale, l’intérêt public justifie la remise.

[12]  La LGFP ne précise pas les situations dans lesquelles il serait déraisonnable ou injuste de percevoir une dette fiscale ou quand il serait dans l’intérêt public de faire remise de la dette fiscale; cette décision relève du pouvoir discrétionnaire du ministre.

[13]  Le guide, intitulé Lignes directrices de l’ARC concernant les remises d’impôt, daté d’octobre 2014 [les Lignes directrices], contient des indications à l’intention des représentants du ministre qui sont chargés d’exercer le pouvoir discrétionnaire du ministre. Selon les Lignes directrices, même si chaque demande de remise doit être étudiée sur le fond, les critères suivants peuvent justifier de recommander une ordonnance de remise :

  1. Situation financière extrêmement difficile;
  2. Difficultés financières assorties de circonstances atténuantes;
  3. Mesure ou conseil erroné des fonctionnaires de l’ARC;
  4. Résultats non voulus des dispositions législatives.

[14]  La demanderesse a invoqué les trois derniers critères dans sa demande.

[15]  Le 22 novembre 2017, le sous‑commissaire, Politique législative et réglementaire de l’ARC [le fonctionnaire] a rejeté la demande [la décision]. Il était mentionné dans la décision que le ministre, après examen de tous les facteurs pertinents, y compris les critères énoncés dans les Lignes directrices, n’était pas disposé à recommander qu’une ordonnance de remise soit accordée.

III.  Les questions en litige

[16]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La décision du ministre est‑elle raisonnable?
  2. La décision est‑elle contraire aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale?
  3. Le ministre a‑t‑il commis une erreur de droit dans son interprétation de l’objet de l’article 142 de la LTA?

IV.  La norme de contrôle

[17]  Les parties conviennent que l’examen de la décision sur le fond devrait être effectué selon la norme de la décision raisonnable. Compte tenu de la nature discrétionnaire d’une décision rendue au titre du paragraphe 23(2) de la LGFP, il convient de faire preuve d’une retenue considérable (Twentieth Century Fox Home Entertainment Canada Limited c Canada (Procureur général), 2012 CF 823, au paragraphe 18, conf. par 2013 CAF 25; Axa Canada Inc. c Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CF 17, aux paragraphes 23 et 24 [Axa]).

[18]  La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte.

[19]  La demanderesse fait valoir que la qualification par le fonctionnaire de l’objet de l’article 142 de la LTA est une erreur de droit révisable selon la norme de la décision correcte, en s’appuyant sur l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51 [Dunsmuir]. Même si je conviens que la qualification du fonctionnaire soulève une question de droit, les paragraphes 54 et 55 de l’arrêt Dunsmuir énumèrent des facteurs qui permettent de conclure qu’une question de droit peut être appréciée selon la norme de la décision raisonnable. Étant donné que le paragraphe 23(2) de la LGFP confère au ministre un vaste pouvoir discrétionnaire et que le ministre possède une expertise spéciale dans l’interprétation des dispositions législatives applicables, je conclus que la norme de la décision raisonnable s’applique.

V.  Analyse

A.  La décision du ministre est‑elle raisonnable?

[20]  La demanderesse remet en question le caractère raisonnable de la décision pour deux motifs :

  1. Difficultés financières assorties de circonstances atténuantes;
  2. Mesure ou conseil erroné des fonctionnaires de l’ARC.

(a)  Difficultés financières assorties de circonstances atténuantes

[21]  La demanderesse a fait valoir dans sa demande qu’elle a été aux prises avec des difficultés financières pour les motifs suivants :

  1. La demanderesse n’a pas perçu de TVH des clients qui avaient acquis des caravanes selon la procédure de transaction, de sorte que la demanderesse devait rembourser le montant de la taxe à l’aide de ses propres fonds;
  2. La nouvelle cotisation a eu des effets négatifs sur la cote de solvabilité de la demanderesse, de sorte que ses fournisseurs demandaient d’être payés à l’avance, plutôt que 30 jours après la livraison;
  3. Le montant de la taxe représentait environ 90 p. 100 du revenu net après impôt de la demanderesse.

[22]  Le fonctionnaire a conclu que la demanderesse n’éprouvait pas de difficultés financières et qu’aucun facteur atténuant n’était applicable :

[traduction]

En dernier lieu, la demande de remise indique que les Harmatiuk [sic] ont éprouvé des difficultés financières importantes, étant donné qu’ils ne pouvaient pas récupérer la TVH de leurs clients américains et que les projets d’expansion de l’entreprise avaient été entravés en conséquence.

Même si le remboursement de la dette de TVH a pu causer un recul financier pour Escape Trailers, la dette avait été payée en mars 2014 et le site Web de la compagnie indique qu’en 2012, les Harmatiuk [sic] avaient acquis le bien‑fonds qu’ils louaient antérieurement et qu’ils avaient bâti un troisième immeuble sur les lieux pour installer un nouvel atelier de fibre de verre. Comme l’indiquent les déclarations de TPS/TVH de la compagnie, les ventes et les revenus en 2014, 2015 et 2016 se sont chiffrés en moyenne à 7,1 millions de dollars par année. À l’heure actuelle, Escape Trailers n’éprouve donc pas de difficultés financières en raison de son ancienne dette fiscale. De plus, il n’existait aucun facteur atténuant hors du contrôle des Harmatiuk [sic] qui les aurait empêchés de déterminer la bonne façon d’exporter les caravanes détaxées du Canada.

[23]  La demanderesse conteste les positions du fonctionnaire pour deux motifs :

  1. Le fonctionnaire s’est appuyé sur des faits non pertinents, à savoir l’acquisition de 2012 qui a été effectuée avant que la vérification de l’ARC soit rendue publique en février 2013, des statistiques sur les revenus annuels qui ne tiennent pas compte des dépenses de la demanderesse et le fait que la demanderesse avait payé le montant de la taxe en février 2014;
  2. Le fonctionnaire a déraisonnablement fait fi de l’observation de la demanderesse selon laquelle le montant de la taxe représentait environ 90 % du revenu annuel net après impôt de la demanderesse.

[24]  Selon les Lignes directrices, les difficultés financières [traduction« sont moins graves qu’une “situation financière extrêmement difficile” et nécessitent d’établir l’importance du montant de taxe en cause pour une personne en particulier ». Le concept de « situation financière extrêmement difficile » est également défini et renvoie aux situations dans lesquelles les ressources financières courantes et prévues d’une entité ne sont pas suffisantes pour régler la dette fiscale.

[25]  La demanderesse fait valoir que le fonctionnaire a considéré les répercussions financières dans une mauvaise perspective, du moins d’un point de vue temporel; il ou elle aurait dû tenir compte de ces répercussions au moment où la dette a été payée, et non par la suite. Je ne suis pas d’accord.

[26]  Le fonctionnaire a raisonnablement conclu que, pour un commerce dont les revenus annuels moyens dépassaient 7 millions de dollars entre les années 2014 et 2016, une dette fiscale inférieure à 300 000 $ qui avait déjà été payée ne constituait pas des difficultés financières qui justifiaient de recommander une ordonnance de remise. La demanderesse a admis que son entreprise a continué d’exister et a pris de l’expansion pendant ces années, et il était raisonnable de la part du fonctionnaire d’en tenir compte. La demanderesse tente de remettre en question la force probante que le fonctionnaire a attribuée à la preuve.

[27]  Pour établir si le montant de la taxe représentait des difficultés financières, même s’il avait été préférable pour le fonctionnaire de prendre en considération les dépenses d’entreprise et d’effectuer une analyse adéquate des dossiers financiers, l’omission de le faire ne rend pas la décision déraisonnable. Dans le même ordre d’idées, l’omission par le fonctionnaire de reconnaître expressément la prétention de la demanderesse selon laquelle le montant de la taxe représentait à peu près 90 p. 100 de son revenu annuel après impôt ne rend pas la décision déraisonnable, car il s’agit d’un simple facteur à prendre en considération.

[28]  Le fonctionnaire a mentionné l’acquisition d’un bien‑fonds qui avait eu lieu avant la première vérification de l’ARC, mais il a ajouté dans la même phrase que la demanderesse avait construit un nouveau bâtiment. Le fonctionnaire semble avoir reconnu que la demanderesse avait poursuivi l’expansion de son entreprise en dépit du montant de la taxe. Quoi qu’il en soit, l’acquisition du bien‑fonds a été seulement l’un des facteurs que le fonctionnaire a pris en considération et il n’a pas été déterminant pour le raisonnement du fonctionnaire.

[29]  La demanderesse conteste également l’analyse par le fonctionnaire des facteurs atténuants. Dans son étude visant à établir s’il existait des facteurs atténuants, le fonctionnaire a mentionné ce qui suit :

[traduction]

De plus, il n’existait pas de facteurs atténuants échappant au contrôle des Harmatiuk [sic] qui les auraient empêchés de déterminer la bonne façon d’exporter les caravanes détaxées du Canada.

[30]  La demanderesse allègue que le fonctionnaire a eu recours à une définition beaucoup plus restreinte des facteurs atténuants que celle qui figure dans les Lignes directrices. Les Lignes directrices prévoient deux facteurs susceptibles d’être atténuants – les circonstances indépendantes de la volonté de la personne et l’erreur du contribuable – mais elles ne ferment pas la porte à ce que d’autres facteurs supplémentaires soient pris en considération.

[31]  Comme le prévoient les Lignes directrices, pour recommander une ordonnance de remise fondée sur ce motif, le fonctionnaire doit constater que des difficultés financières se sont produites et qu’un facteur est présent. Le fonctionnaire avait déjà raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas eu de difficultés financières; par conséquent, les commentaires concernant des facteurs atténuants n’étaient pas déterminants. Malgré cela, le fonctionnaire s’est penché sur l’existence possible de facteurs atténuants et il a conclu qu’il n’en existait aucun. Le fait que le fonctionnaire n’a pas mentionné dans la décision l’erreur commise par la demanderesse en ne percevant pas la TVH ni les circonstances concernant l’entreprise de la demanderesse ne rend pas cette conclusion déraisonnable.

(b)  Mesure ou conseil erroné des fonctionnaires de l’ARC

[32]  Dans sa demande, la demanderesse a fait valoir que les fonctionnaires de l’ARC lui avaient fourni un conseil erroné qui l’a incitée à adopter sa procédure de transaction. Le fonctionnaire a conclu que la preuve n’était pas suffisante pour justifier de recommander une ordonnance de remise pour ce motif :

[traduction]

La demande de remise repose principalement sur un conseil trompeur que M. Harmatiuk [sic] prétend avoir reçu des préposés aux demandes de renseignements des entreprises de l’ARC en 2007 et en 2009, selon lequel ses méthodes de livraison des caravanes à ses clients américains à la frontière entre le Canada et les États‑Unis suffiraient à faire en sorte que la TPS et la TVH ne s’appliquent pas.

L’appel de M. Harmatiuk [sic] en 2007 concernait l’annulation du Programme de remboursement aux visiteurs et son désir d’« éliminer » la TPS sur les ventes de caravanes à des clients américains, étant donné qu’il ne pouvait plus récupérer la taxe. Il affirme qu’on lui a conseillé de conserver une preuve de résidence hors province et une copie estampillée des documents d’exportation des clients américains. Malgré ce conseil, je constate que M. Harmatiuk [sic] n’a pas conservé de documentation concernant l’exportation de caravanes. Il s’est procuré cette documentation seulement une fois que le dossier était à l’étude au stade de l’opposition.

Je ne peux pas recommander la remise en raison d’un conseil erroné donné de vive voix par des fonctionnaires de l’ARC sans une preuve corroborante concrète concernant les particularités des contrats comme les noms, les dates et le compte rendu écrit des questions discutées. L’exactitude d’un conseil verbal de l’ARC est fondée sur l’exactitude et l’intégralité des renseignements fournis par le contribuable qui demande des précisions à l’ARC au sujet d’une affaire fiscale; pour ce motif, un conseil verbal non documenté n’oblige pas l’ARC. D’après la demande de remise, M. Harmatiuk [sic] n’a pas gardé de notes au sujet de ses conversations de 2007 et de 2009 et il n’a pas relevé les noms des fonctionnaires de l’ARC avec lesquels il s’est entretenu. Il n’existe pas non plus de compte rendu de ces conversations dans les bases de données électroniques de l’ARC.

Indépendamment des communications avec des préposés aux demandes de renseignements des entreprises, l’information qui se trouve dans le guide RC4022, Renseignements généraux sur la TPS/TVH pour les inscrits de l’ARC qui aurait été facilement accessible pour les Harmatiuk [sic] a été mise à jour en février 2007 pour indiquer clairement que la seule façon d’exporter des biens non commerciaux détaxés pour des clients non résidents consiste à les faire livrer à l’extérieur du Canada. Des notes dans le dossier de vérification mentionnent que M. Harmatiuk [sic] était au courant que la TVH ne s’appliquait pas si les caravanes étaient livrées aux États‑Unis et que plusieurs des ventes de caravanes à des clients américains pendant la période de la vérification avaient été réalisées de cette façon.

[33]  La demanderesse remet en question le caractère raisonnable de cette partie de la décision pour plusieurs motifs, notamment :

  1. Le commentaire du fonctionnaire concernant l’omission par la demanderesse de conserver de la documentation, étant donné l’absence de preuve que la demanderesse n’avait pas constamment en sa possession des copies de ces dossiers. Ce commentaire, quoique regrettable, n’est pas crucial pour l’analyse du fonctionnaire et il ne rend pas la décision déraisonnable.
  2. Le fait que le fonctionnaire s’en est remis à la disponibilité du guide « RC4022, Renseignements généraux sur la TPS/TVH pour les inscrits » [RC4022], en dépit du fait que le guide RC4022 ne traite pas de la situation particulière de la demanderesse.

[34]  Toutefois, comme le fonctionnaire l’a fait remarquer, le guide RC4022 énonce que la seule manière de vendre des biens non commerciaux détaxés consiste à les livrer à l’extérieur du Canada et ce renseignement était, lors de la période pertinente, à la disposition de la demanderesse. Il était raisonnable de la part du fonctionnaire de conclure que l’information à la disposition de la demanderesse lors de la période pertinente lui permettait de constater que sa procédure de transaction entraînerait une dette fiscale.

B.  La décision est‑elle contraire aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale?

[35]  La demanderesse s’inscrit en faux contre la réticence du fonctionnaire à admettre que M. Harmatuik s’est fondé sur un conseil erroné d’employés de l’ARC pour transférer les caravanes à l’aide de la procédure de transaction. Dans la demande, M. Harmatuik a offert de présenter une déclaration solennelle sous serment au sujet de son souvenir de ses conversations avec l’ARC.

[36]  Les Lignes directrices décrivent quatre conditions qui doivent exister avant qu’une remise soit envisagée en raison d’une mesure ou d’un conseil erroné de la part de fonctionnaires de l’ARC :

[traduction]

• il n’y a aucun signe de mauvaise foi de la part de la personne qui demande la remise;

• il n’aurait pas été raisonnable de s’attendre à ce que la personne prenne des mesures en temps opportun pour éviter ou minimiser la taxe (ou pour percevoir et remettre la taxe ou pour demander un remboursement de TPS/TVH);

• la personne demande la remise dans un délai raisonnable pour permettre aux fonctionnaires de l’ARC de bien faire enquête sur l’affaire;

• il existe une preuve écrite pour justifier le fait que les fonctionnaires de l’ARC ont pris une mesure erronée ou ont donné un conseil erroné à la personne; en l’absence de preuve écrite, les faits peuvent être vérifiés par d’autres moyens acceptables.

[37]  En étudiant la quatrième condition, le fonctionnaire a constaté qu’il n’existait pas de preuve écrite pour justifier l’allégation de la demanderesse selon laquelle M. Harmatuik avait reçu un conseil erroné et il a donc conclu qu’il n’allait pas recommander la remise :

[traduction]

Je ne peux pas recommander la remise en raison d’un conseil erroné donné de vive voix par des fonctionnaires de l’ARC sans une preuve corroborante concrète concernant les particularités des contrats comme les noms, les dates et le compte rendu écrit des questions discutées. L’exactitude d’un conseil verbal de l’ARC est fondée sur l’exactitude et l’intégralité des renseignements fournis par le contribuable qui demande des précisions à l’ARC au sujet d’une affaire fiscale; pour ce motif, un conseil verbal non documenté n’oblige pas l’ARC. D’après la demande de remise, M. Harmatiuk [sic] n’a pas gardé de notes au sujet de ses conversations de 2007 et de 2009 et il n’a pas relevé les noms des fonctionnaires de l’ARC avec lesquels il s’est entretenu. Il n’existe pas non plus de compte rendu de ces conversations dans les bases de données électroniques de l’ARC.

[38]  La demanderesse laisse entendre que le fonctionnaire a commis une erreur (1) en omettant de donner suite à l’offre de déclaration solennelle sous serment ou (2) en omettant généralement de s’efforcer de vérifier par d’autres moyens que le conseil erroné avait été donné, comme l’envisagent les Lignes directrices. La demanderesse laisse aussi entendre que le fonctionnaire a commis une erreur en passant sous silence des conclusions favorables sur la crédibilité qui avaient été tirées par un vérificateur au stade de la cotisation; dans ses notes, le vérificateur admet que les Harmatuik [traduction« ont essayé de faire les choses correctement et ont déployé des efforts considérables pour déterminer ce qu’ils devaient faire ».

[39]  L’obligation d’équité procédurale dont doit s’acquitter le ministre sous le régime du paragraphe 23(2) de la LGFP a été jugée minimale (Desgagnés Transarctik Inc. c Canada (Procureur général), 2014 CAF 14, aux paragraphes 25 et 35).

[40]  Si j’interprète de manière téléologique le libellé de l’article 142 et des dispositions applicables des Lignes directrices, je constate que la demanderesse a bénéficié des droits procéduraux qui devaient lui être offerts.

[41]  Le fonctionnaire a reconnu que M. Harmatuik n’a pas conservé de notes au sujet du conseil qu’il prétend avoir reçu et qu’il n’existe aucune trace des conversations alléguées dans les bases de données électroniques de l’ARC. Même si le fonctionnaire aurait pu décider de donner suite à l’offre d’une déclaration solennelle sous serment, ce qui aurait pu mener à un résultat préférable, son omission d’accepter cette offre ne constitue pas un manquement à l’obligation d’équité procédurale. De plus, agir de façon imprudente sans avoir obtenu de conseils juridiques ou une opinion écrite de l’ARC ou sans avoir fait d’efforts pour documenter le conseil verbal reçu de l’ARC n’entraîne pas, dans ce scénario, une injustice procédurale quelconque.

C.  Le ministre a‑t‑il commis une erreur de droit dans son interprétation de l’objet de l’article 142 de la LTA?

[42]  L’article 142 de la LTA a pour effet de rendre taxables les biens livrés ou mis à la disposition de l’acquéreur au Canada, tandis que les biens livrés ou mis à la disposition de l’acquéreur à l’extérieur du Canada ne sont pas taxables. Les biens qui sont livrés au Canada à un transporteur public avant d’être expédiés à l’extérieur du Canada au consommateur final sont taxables, mais sont ensuite détaxés (LTA, annexe VI, partie V, article 12), ce qui fait en sorte que ces biens ne génèrent aucune dette fiscale.

[43]  Dans sa demande, la demanderesse fait valoir que la TVH a pour objet de taxer la consommation de biens à l’intérieur du Canada, mais que l’alinéa 142(1)a) a comme résultat non voulu de taxer les caravanes en dépit du fait qu’elles n’ont jamais été immatriculées au Canada et qu’elles devaient être utilisées et ont été utilisées exclusivement aux États‑Unis. La demanderesse a également signalé que, si elle avait retenu les services d’un transporteur public pour transporter les caravanes à l’étranger, celles‑ci n’auraient pas été assujetties à la TVH.

[44]  Le ministre a rejeté la position de la demanderesse. Voici le passage pertinent de la décision :

[traduction]

Vous faites remarquer que l’effet de l’alinéa 142(1)a) de la Loi sur la taxe d’accise a mené à un résultat législatif non voulu, dans la mesure où il a débouché en l’espèce sur la taxation de caravanes qui ont été exportées directement aux États‑Unis. Toutefois, l’élimination du Programme de remboursement aux visiteurs soutient l’intention du législateur selon laquelle seuls les acheteurs qui ne sont pas clients peuvent prendre possession de biens au Canada pour les exporter une fois détaxés. Les biens achetés par des consommateurs non résidents sont seulement détaxés s’ils sont expédiés à une destination située à l’extérieur du Canada ou s’ils sont envoyés par la poste ou par messager à une adresse qui se trouve hors du Canada. À compter du 1er avril 2007, la législation avait pour effet de taxer, pour les besoins de la TPS/TVH, les consommateurs non résidents qui achètent et prennent livraison de biens au Canada, et Escape Trailers a, à juste titre, fait l’objet d’une cotisation à cet égard.

[Non souligné dans l’original.]

[45]  La demanderesse allègue que le ministre a commis une erreur :

  1. en omettant de tenir compte de l’objet législatif de l’article 142 de la LTA au moment de sa promulgation et par la suite, et en accordant plutôt une force probante exagérée à la décision du gouvernement d’éliminer le Programme de remboursement aux visiteurs;
  2. en omettant de tenir compte de l’objet global de la LTA, c’est‑à‑dire le fait que la TVH ne devrait s’appliquer qu’aux biens et services consommés au Canada.

[46]  La demanderesse dénote une tension juridique entre l’objet global de la LTA et le libellé particulier de l’article 142.

[47]  Le défendeur fait valoir que le fondement de l’article 142 repose sur l’établissement de la nature du bien et de l’endroit où la transaction est conclue; en l’espèce, un bien meuble tangible a été livré au Canada, ce qui rend applicable la TVH.

[48]  Une taxe à la consommation comme la TVH doit être payée par les consommateurs finaux de biens et de services au Canada : CIBC World Markets Inc c Canada, 2011 CAF 270, au paragraphe 6; Évasion Hors Piste Inc. c La Reine, 2006 CCI 477, au paragraphe 21; Club Intrawest c La Reine, 2016 CCI 149, au paragraphe 201, inf. pour d’autres motifs, 2017 CAF 151.

[49]  Le libellé de l’article 142 est clair; il établit une distinction entre les biens et les services reçus par le consommateur final au Canada (assujettis à la taxe) et ceux qui sont reçus à l’extérieur du Canada (non assujettis à la taxe). Bien que cette distinction puisse généralement être compatible avec l’objet de la LTA qui consiste à taxer la consommation de biens ou de services au Canada, dans les circonstances particulières de la présente affaire, le libellé de l’article 142 aboutit à un résultat qui est incompatible avec cet objet.

[50]  En qualifiant l’objet législatif de l’article 142, le fonctionnaire a décidé de s’en tenir au libellé explicite de l’article 142 plutôt que de prendre en considération l’objet global de la LTA, qui consiste à taxer la consommation de biens ou de services au Canada; il a donc conclu que les caravanes étaient assujetties à la TVH.

[51]  Je conclus que cette interprétation est raisonnable. Elle est également compatible avec la jurisprudence de notre Cour qui préfère le libellé strict de la LTA à son objet général dans les circonstances où l’interprétation textuelle aboutit à un résultat qui est contraire à l’objet de la LTA : Axa, précitée, aux paragraphes 47 à 51.

[52]  Toutefois, si j’avais appliqué la norme de la décision correcte à cette question, j’aurais pu arriver à la conclusion contraire.

[53]  Il est établi depuis longtemps comme principe d’interprétation législative qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : Hypothèques Trustco Canada c Canada, 2005 CSC 54, au paragraphe 11. Le fonctionnaire a circonscrit son analyse en la limitant à une interprétation littérale de l’article 142 et il n’a pas tenu compte de l’esprit et de l’objet de la LTA ni de l’intention du législateur au moment de sa promulgation. L’interprétation littérale par le fonctionnaire a tendance à contrecarrer une interprétation téléologique de l’article 142 ainsi que l’objet de la LTA, qui consiste à taxer la consommation de biens au Canada. À mon avis, le recours à une telle démarche reposant sur la « responsabilité stricte » semble contraire à l’esprit et aux objets de la LTA.

[54]  De plus, le paragraphe 23(2) de la LGFP permet de remettre la taxe dans des cas où sa perception serait déraisonnable ou injuste. L’application littérale de l’article 142 de la LTA par le fonctionnaire semble mener à un résultat qui va à l’encontre du fondement équitable du paragraphe 23(2) de la LGFP.

[55]  Pour ces deux motifs, j’éprouve de la sympathie pour la situation difficile de la demanderesse.

[56]  Néanmoins, je ne suis pas en mesure de conclure que l’interprétation qu’a faite le fonctionnaire était déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier no T‑2077‑17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Ainsi que les parties l’ont convenu à l’audience, les dépens sont adjugés au défendeur et sont établis au montant de 1 500 $.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de février 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑2077‑17

 

INTITULÉ :

ESCAPE TRAILER INDUSTRIES LTD c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 DÉCEMBRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 JANVIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Michelle Moriartey

POUr La demanderesse

Shannon Currie

Kiel Walker

POUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LEGACY TAX + TRUST LAWYERS

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUr La demanderesse

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE défendeur

 

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