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Date : 20190111


Dossier : 18‑T‑51

Référence : 2019 CF 33

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 janvier 2019

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

MICHAEL MCGUIRE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La présente ordonnance concerne une requête en prorogation du délai prévu pour la présentation d’une demande de contrôle judiciaire. Michael McGuire (le demandeur) sollicite l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire d’une décision (la décision) refusant à sa mère, Beatrice McGuire (Mme McGuire), un paiement à titre gracieux au titre du Régime d’aide aux personnes déstructurées à l’Institut Allan Memorial. Cette décision a été communiquée dans une lettre de Marc Gervais (M. Gervais), directeur du régime, en date du 17 mars 1993. Comme Mme McGuire est maintenant décédée, le demandeur souhaite être nommé représentant de sa succession aux fins de la demande de contrôle judiciaire.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la requête pour prorogation de délai sera rejetée.

I.  Le contexte

[3]  Cette affaire concerne le traitement psychiatrique qu’a reçu Mme McGuire à titre de patiente du Dr Ewen Cameron (Dr Cameron) à l’Institut Allan Memorial (IAM), à Montréal, en 1955. Pendant les années 1950 et 1960, le Dr Cameron a prodigué des soins psychiatriques à des patients de l’IAM, notamment des traitements de « déstructuration ».

[4]  Dans les années 1980, le gouvernement du Canada a retenu les services de l’avocat George Cooper, pour enquêter sur les travaux du Dr Cameron à l’AMI, car ses recherches étaient financées en partie par le gouvernement fédéral. Ce rapport est motivé par une poursuite intentée par d’anciens patients de l’IAM contre le gouvernement des États‑Unis. Les demandeurs dans cette affaire ont allégué que la Central Intelligence Agency avait financé des expériences psychiatriques sur des patients de l’IAM, et ce, sans leur consentement. L’Opinion de M. George Cooper, c.r. au sujet du financement par le gouvernement canadien de l’institut Allan Memorial au cours des années 1950 et 1960 (le rapport Cooper) a été publié en 1986.

[5]  Le rapport Cooper a traité d’une technique psychiatrique particulière désignée par « déstructuration » à laquelle a eu recours le Dr Cameron pour les patients de l’IAM. La déstructuration combine la thérapie électroconvulsive (TEC) et la thérapie du sommeil prolongé provoqué par médicament. La théorie qui sous‑tend la technique du Dr Cameron est décrite dans le rapport Cooper :

L’idée [du Dr Cameron] était de détruire les schèmes mentaux par l’application d’électrochocs massifs, leur nombre étant bien des fois supérieur au nombre de chocs dans un traitement de sismothérapie normal - deux fois par jour, plutôt que trois fois par semaine, par exemple - jusqu’à ce que le cerveau du patient ait été « déstructuré »; c’est‑à‑dire (dans le cas de patients souffrant de psychose) jusqu’à ce que tous les symptômes de schizophrénie aient disparu, de même que d’autres aspects de la mémoire.  Une fois cette opération terminée, il s’agissait de « restructurer » le cerveau en tentant d’inculquer dans l’esprit du patient de nouveaux schèmes de pensée « corrects ». (Rapport Cooper, p. 15) 

[6]  À la suite du rapport Cooper, le gouvernement fédéral a mis sur pied le Régime d’aide aux personnes déstructurées à l’IAM (le régime) afin d’indemniser les personnes qui avaient subi des traitements de déstructuration « complets ou considérables » à l’IAM. Le régime a été établi par un décret intitulé Décret concernant les paiements à titre gracieux aux personnes déstructurées à l’Institut Allan Memorial au cours des années 1950 et 1965, C.P. 1992‑2302 (le décret). Le décret autorisait le ministre de la Justice à verser un paiement à titre gracieux de 100 000 $ aux personnes qui avaient subi des traitements complets ou considérables de déstructuration à l’IAM, entre 1950 et 1965. Le décret prévoyait également que la personne déstructurée devait être en vie au moment du versement.

[7]  La Cour a rendu plusieurs décisions relatives au régime. Dans l’affaire Kastner c Canada (Procureur général), 2004 CF 773, le juge Beaudry a accueilli une demande de contrôle judiciaire d’une décision de refus d’indemnité au titre du régime. Dans l’affaire Huard c Canada (Procureur général), 2007 CF 195, le juge Martineau a rendu une ordonnance autorisant une prorogation du délai prévu pour présenter une demande de contrôle judiciaire d’une décision de refus d’indemnisation au titre du régime. Dans cette affaire, la personne qui avait été traitée par le Dr Cameron était toujours en vie. Enfin, dans l’affaire Pleszekewycz c Canada (Procureur général), 2012 CF 106, madame la juge Bédard a rejeté une demande de contrôle judiciaire d’une décision de refus d’indemnité au titre du régime.

II.  La requête

[8]  Les facteurs à prendre en compte dans le cadre d’une demande de prorogation de délai (les facteurs) ont été énoncés dans l’arrêt Grewal c ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 CF 263 (CAF). En voici la liste :

  • 1) la question de savoir si le demandeur a eu l’intention de présenter sa demande de contrôle judiciaire dans le délai prescrit et s’il a toujours eu cette intention par la suite;

  • 2) la durée de la prorogation;

  • 3) le préjudice à l’autre partie;

  • 4) l’explication pour justifier le retard;

  • 5) la question de savoir s’il y a une cause défendable pour annuler l’ordonnance que le demandeur souhaite contester en contrôle judiciaire.

[9]  Il revient au juge de déterminer quels facteurs doivent être pris en compte en fonction des faits d’une affaire particulière (Jakutavicius c Canada, 2004 CAF 289, par. 17).

[10]  Le défendeur fait également valoir que le demandeur n’a pas qualité pour présenter cette demande au nom de la succession de Mme McGuire.

III.  Analyse

[11]  À mon avis, la question déterminante est l’absence d’une cause défendable. Par conséquent, il ne sera pas nécessaire de tenir compte des autres facteurs ou de la qualité du demandeur.

[12]  J’ai deux raisons de conclure que le demandeur n’a pas de cause défendable. Premièrement, la preuve indique que Mme McGuire n’était pas une « personne déstructurée » au sens du décret. Deuxièmement, le décret limite explicitement l’indemnisation aux personnes vivantes. J’examinerai chacun de ces éléments.

A.  La preuve indique que Mme McGuire n’était pas une personne déstructurée au titre de la Loi.

[13]  Le décret définit une personne déstructurée comme une personne qui a subi des traitements complets ou considérables de déstructuration. Le décret définit le traitement de déstructuration comme un « sommeil prolongé suivi d’une sismothérapie intensive, rendant l’état mental du patient semblable à celui d’un enfant ». [Non souligné dans l’original.]

[14]  La jurisprudence actuelle établit que la Cour peut avoir recours au rapport Cooper pour fournir un contexte supplémentaire quant à la signification du décret (Huard, par. 90). Le rapport Cooper décrit ainsi le traitement de déstructuration :

Dans la déstructuration, le patient était soumis à une sismothérapie massive - parfois jusqu’à vingt ou trente fois plus intense que l’électroconvulsivothérapie « normale ». À la fin d’un traitement, qui pouvait durer jusqu’à 30 jours et compter jusqu’à 60 séances d’électrochocs, à raison de deux par jour, le patient était devenu plus ou moins insouciant et son état mental s’apparentait à celui d’un enfant.

Avant de commencer le traitement, on administrait au patient divers médicaments afin de maintenir un sommeil prolongé pendant une période d’environ dix jours. Par la suite, on procédait à la sismothérapie intensive, le patient étant maintenu insconscient pendant toute la durée du traitement. La déstructuration était complète à un certain point entre le trentième et le soixantième jour de sommeil et après de 30 à 60 électrochocs. La déstructuration était ensuite maintenue pendant une période supplémentaire d’une semaine au cours de laquelle le nombre d’électrochocs était réduit à trois.

Peu à peu, le nombre de traitements diminuait à un par semaine. Il y avait ensuite une période de réorganisation, au cours de laquelle le patient passait du « troisième stade », par le « deuxième stade » et jusqu’au « premier stade » de la déstructuration.

[15]  Le rapport Cooper indique que le sommeil prolongé provoqué par médicament se poursuivait pendant le TEC. Il s’agit d’une définition plus précise que celle fournie dans le décret, qui décrit simplement le sommeil prolongé « suivi » d’une sismothérapie intensive. Sans égard à cette différence, le décret, lu conjointement avec le rapport Cooper, indique clairement qu’il doit y avoir un lien entre la thérapie du sommeil prolongé et la thérapie électroconvulsive (TEC) pour répondre à la définition de traitement de déstructuration. 

[16]  Les éléments de preuve indiquent que, bien que Mme McGuire ait reçu une thérapie du sommeil prolongé à l’IAM et une thérapie électroconvulsive à l’IAM, ces deux traitements ont été administrés de manière distincte et séparée.

[17]  Mme McGuire a été admise à l’IAM le 15 juin 1955. Elle a reçu une thérapie du sommeil prolongé pendant 30 jours entre le 26 juin 1955 et le 26 juillet 1955. Rien n’indique qu’elle ait reçu la TEC pendant cette période. Elle a ensuite été gardée à l’IAM pour observation jusqu’à son congé le 9 août 1955 (le congé).

[18]  Une note de progrès publiée par le Dr Cameron le 9 août 1955 indique que son plan de congé comprenait une psychothérapie à long terme et des médicaments quotidiens, mais ne mentionne pas la TEC. Une lettre du Dr Cameron à un autre des médecins de Mme McGuire, le Dr Hughes, en date du 23 août 1955, indique que la psychothérapie doit être le seul traitement de suivi.

[19]  Des éléments de preuve indiquent que les symptômes antérieurs d’anxiété et de dépression de Mme McGuire sont réapparus après son congé. Près d’un mois plus tard, le 8 septembre 1955, Mme McGuire a commencé à recevoir une thérapie électroconvulsive en tant que patiente externe à l’IAM.

[20]  Comme on constate dans le dossier de la présente requête, le fait que Mme McGuire ait reçu une thérapie du sommeil et une TEC à titre de traitements distincts constitue une des raisons expliquant le refus de sa demande d’indemnisation au titre du régime. Dans une lettre en date du 6 mai 1993, M. Gervais a écrit ceci à Mme McGuire :

[traduction]

Dans tous les cas de déstructuration, la thérapie du sommeil a été effectuée en association avec la TEC.

Dans votre cas, vous avez reçu une thérapie du sommeil, après quoi vous avez reçu votre congé et commencé à recevoir une TEC en consultation externe.

[21]  D’après les éléments de preuve dont je dispose, le demandeur n’a pas d’argument défendable selon lequel cette conclusion était déraisonnable. Il est clair que, dans le cas de Mme McGuire, la thérapie du sommeil prolongé et la thérapie électroconvulsive ont été administrées de manière distincte et séparée. La TEC n’était pas prévue au moment de son admission initiale ni au moment de son congé.

[22]  De plus, ces faits sont différents de ceux d’autres recours qui ont été accueillis par la Cour. Dans l’affaire Kastner, le demandeur a présenté des rapports d’experts psychiatriques aux administrateurs du Régime. Ils ont conclu qu’il y avait [traduction] « un lien clair entre le sommeil forcé et l’utilisation massive de TEC » dans le traitement qu’elle a reçu (par. 9). Dans l’affaire Huard, où le juge Martineau a autorisé la prorogation du délai, le lien était moins clair, mais il y avait des lacunes importantes dans les dossiers de l’hôpital.

[23]  La TEC était une pratique psychiatrique courante au moment où le Dr Cameron travaillait à l’IAM (rapport Cooper, p. 13‑14). Toutefois, le traitement de déstructuration demandait l’application de doses massives d’électrochocs, jusqu’à vingt ou trente fois plus intenses que dans le cadre de la thérapie électroconvulsive « habituelle » (rapport Cooper, p. 17). De plus, le traitement de déstructuration demandait des électrochocs plus fréquents, deux fois par jour, par opposition à un traitement normal qui aurait demandé trois séances de TEC par semaine (rapport Cooper, p. 15‑16). 

[24]  M. Gervais a constaté que Mme McGuire n’avait pas reçu de « doses massives d’électrochocs » au sens du décret. Dans la lettre qu’il a adressée à Mme McGuire le 6 mai 1993, M. Gervais dit ceci : [traduction] « Il n’y a pas de définition exacte de doses massives d’électrochocs, car chaque cas est unique. Néanmoins, dans la majorité des cas, ce traitement est du type Page‑Russell, soit plus intensif que la thérapie électroconvulsive habituelle. »

[25]  Malheureusement, la preuve en l’espèce n’établit pas l’intensité ni le type de TEC que Mme McGuire a reçue. Toutefois, on connaît la fréquence du traitement. Entre le 8 septembre et le 5 décembre 1955, elle a été soumise à 17 séances de TEC. Au départ, elle recevait une séance de TEC deux ou trois fois par semaine. Au fil du temps, la fréquence a diminué. C’est beaucoup moins que le nombre élevé de séances dont fait mention le rapport Cooper dans sa description du traitement de déstructuration.

[26]  La troisième exigence pour un traitement de déstructuration tel que défini dans le décret est que le traitement doit « rendre l’état mental du patient semblable à celui d’un enfant ». Le demandeur s’appuie fortement sur une seule note de progression du Dr Cameron, en date du 19 juillet 1955, au cours de la période de sommeil prolongée de Mme McGuire. Le Dr Cameron écrit [traduction] : « Elle se montre encore quelque peu joyeuse et enfantine ». La note montre que le Dr Cameron est arrivé à la conclusion qu’elle était encore enfantine, parce qu’elle était très préoccupée d’avoir manqué son anniversaire. Il n’y a aucun autre signe de comportement semblable à celui d’un enfant, que ce soit pendant la période de sommeil ou pendant la TEC. La note unique en l’espèce peut être comparée à la preuve fournie dans Kastner. Dans cette affaire, on a établi que la demanderesse « régressait dans un état infantile, dans la mesure où elle parlait comme un enfant, souffrait d’incontinence urinaire, qu’elle suçait son pouce et exigeait d’être nourrie au biberon » (Kastner, par. 49).

[27]  En l’espèce, la note unique du Dr Cameron en date du 19 juillet 1955 ne suffit pas à établir un argument défendable selon lequel il est déraisonnable de s’appuyer sur la conclusion de l’administrateur du régime (selon qui Mme McGuire n’avait pas été réduite à un état mental semblable à celui d’un enfant).

B.  Seule une personne vivante peut être indemnisée.

[28]  Enfin, le demandeur n’a pas d’argument défendable, car Mme McGuire n’est plus vivante. Le libellé du décret est clair : il autorise seulement le ministre à indemniser une personne vivante au moment du paiement. Par conséquent, même si un réexamen de la décision devait être ordonné dans le cadre d’un contrôle judiciaire, un paiement au titre du régime ne pourrait être effectué.

IV.  Les dépens

[29]  J’ai noté que, bien que le défendeur ait demandé dans ses documents écrits des dépens d’un montant de 500 $, cette demande n’a pas été mentionnée au moment de l’audience. Par conséquent, je ne suis pas certaine si une adjudication des dépens est demandée. Pour cette raison, la question des dépens est en attente et je vais m’en occuper, à la condition qu’on communique avec le greffe au plus tard le 25 janvier 2019 et qu’on lui fasse part d’une demande d’adjudication.


ORDONNANCE dans le dossier 18‑T‑51

LA COUR ORDONNE que la requête en prorogation de délai soit rejetée.

Comme il est indiqué ci‑dessus, les questions des dépens du défendeur demeurent en délibéré.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 1er jour de février 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

18‑T‑51

 

INTITULÉ :

MICHAEL MCGUIRE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 décembre 2018

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 11 janvier 2019

 

COMPARUTIONS :

Roger Chown

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William Knights

Elizabeth Koudys

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Carroll Heyd Chown LLP

Avocats

Barrie (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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