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Date : 20190114


Dossier : IMM‑1797‑18

Référence : 2019 CF 46

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 14 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

EKUNDAYO ADIJAT OLUSOLA

EKUNDAYO TEMITOPE OLUWADAMILOLA

EKUNDAYO OLUWATOMISIN ENIOLA

EKUNDAYO SHALOM OLUWADAMILARE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs sont citoyens du Nigéria. Ils demandent à la Cour d’annuler la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) qui a confirmé le rejet de leur demande d’asile par la Section de la protection des réfugiés (la SPR), aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Pour des motifs distincts, les deux tribunaux ont fondé le rejet sur la crédibilité. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Le contexte

[2]  La présente affaire concerne une famille composée de la demanderesse principale et de ses trois enfants (collectivement, les demandeurs). L’époux de la demanderesse principale se trouve toujours au Nigéria. Je résumerai brièvement leur récit avant de me pencher sur les conclusions défavorables de la SAR quant à la crédibilité, que les demandeurs contestent dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[3]  La demanderesse principale affirme avoir été accusée de sorcellerie par la famille de son époux. La famille de son époux a par conséquent demandé qu’elle se soumette à des rituels de purification, que ses deux filles soient excisées et que son fils subisse des rituels de scarification. La demanderesse principale a refusé de se soumettre et de soumettre ses enfants à ces rituels. Après avoir cherché en vain à obtenir la protection de la police, elle dit s’être cachée, après quoi la famille de son époux l’a recherchée et a répandu dans toute la communauté la rumeur selon laquelle elle était une sorcière.

[4]  Les demandeurs ont fui le Nigéria et sont arrivés au Canada, en août 2016, munis de visas de visiteur. Ils ont ensuite présenté des demandes d’asile. En juillet 2017, la SPR a conclu qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Ils ont interjeté appel à la SAR.

[5]  La SAR a conclu que la demanderesse principale n’était pas crédible. Bien qu’elle ait attribué une plus grande force probante à certains éléments de preuve documentaire que la SPR, et que, par conséquent, elle ait tiré des conclusions contraires à celles que le tribunal de première instance avait faites à l’encontre des demandeurs quant à certaines des questions de crédibilité, la SAR a néanmoins conclu que ces conclusions infirmées n’étaient pas suffisantes pour faire contrepoids au manque de crédibilité de la demanderesse principale.

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[6]  La demanderesse conteste diverses conclusions de fait de la SAR, auxquelles s’applique la norme de contrôle de la décision raisonnable (Onyeawuna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1214, au paragraphe 21).

IV.  Analyse

A.  La décision de la SAR est‑elle raisonnable?

[7]  Les demandeurs soutiennent que les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SAR ne sont pas raisonnables. Plus précisément, la demanderesse principale fait valoir que la SAR a commis une erreur dans son traitement de plusieurs aspects clés de la preuve documentaire sur lesquels elle s’est appuyée pour arriver à sa conclusion défavorable quant à la crédibilité, notamment ceux ayant trait à (i) l’excision avant 2016, (ii) la participation à une réunion familiale en avril 2016, (iii) l’affidavit de son voisin et (iv) le défaut de mettre à jour l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) et l’affidavit de son époux. Chacun de ces aspects sera examiné respectivement.

(1)  Les menaces concernant l’excision avant 2016

[8]  La SAR a tiré une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité de la demanderesse principale, du fait qu’elle a mentionné dans son témoignage – mais n’en a pas fait mention dans l’exposé circonstancié de son FDA – que la famille de son époux lui avait dit qu’elle avait l’intention d’exciser ses filles après leur naissance, en 2003 et en 2011, respectivement. La SAR a conclu qu’il était vrai que, dans l’exposé circonstancié du FDA de la demanderesse principale, il était question des menaces d’excision faites après que la famille de son époux eut décidé qu’elle était une sorcière, mais ces menaces étaient différentes de celles décrites par la demanderesse principale dans son témoignage, et que leur absence de l’exposé circonstancié du FDA était importante.

[9]  La demanderesse principale soutient que la SAR n’aurait pas dû mettre en doute sa crédibilité en se fondant sur son défaut de mentionner plus tôt les menaces d’excision, parce qu’elle y a fait allusion de façon générale dans l’exposé circonstancié de son FDA et qu’elle aurait dû être autorisée à ajouter des détails à l’audience. Elle s’appuie sur la décision Sibanda c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 1187, au paragraphe 14, à l’appui de la proposition selon laquelle la SAR a mal interprété son témoignage sur ce point, puis a invoqué cette interprétation pour mettre en doute la crédibilité des demandeurs.

[10]  Dans l’affaire Sibanda, toutefois, le commissaire avait tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité, parce qu’il avait conclu que le demandeur n’était pas en mesure de décrire l’opinion politique qu’il alléguait avoir avec clarté et cohérence. Lors du contrôle judiciaire, la Cour a conclu que le témoignage du demandeur illustrait ses connaissances au sujet de la situation politique dans son pays, lesquelles étaient conformes à ce dont on pourrait raisonnablement s’attendre d’une personne de 25 ans, et que le commissaire avait fait fi d’éléments de preuve concernant la situation politique et avait mal interprété d’autres éléments.

[11]  Ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce. Il n’y a pas eu de méprise quant à la preuve ou d’omission d’en tenir compte. Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que le témoignage permet de donner plus de détails sur les déclarations contenues dans le FDA. Toutefois, comme l’a souligné le défendeur à l’audience, la question à trancher ici concernait un élément de preuve omis : les menaces d’excision avant 2016 ont été présentées dans le témoignage de la demanderesse principale, mais elles ne figuraient pas dans l’exposé circonstancié de son FDA. Bien que la SAR ait pris acte de l’argument de la demanderesse principale selon lequel elle avait mentionné dans l’exposé circonstancié de son FDA le désir de sa belle‑famille que ses filles soient excisées, elle a conclu de façon raisonnable que les détails omis concernant ces menaces étaient des éléments fondamentaux de sa demande. À mon avis, la SAR pouvait conclure que les omissions n’étaient pas des détails mineurs ni des précisions, mais qu’elles étaient plutôt liées à des faits essentiels aux demandes d’asile et qu’elles pourraient justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité (Guzun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1324, au paragraphe 18).

(2)  La réunion familiale en avril 2016

[12]  Encore une fois, la SAR a conclu qu’une incohérence avait miné la crédibilité : la demanderesse principale a affirmé dans son témoignage qu’elle n’avait pas parlé durant une réunion familiale qui s’était tenue en avril 2016, bien que, dans l’exposé circonstancié de son FDA, elle ait déclaré qu’elle avait parlé à l’oncle au cours de la réunion. Lorsque la SPR lui a présenté cette incohérence, elle est revenue sur son témoignage, fournissant une explication différente.

[13]  Les demandeurs font valoir que, bien que cet événement ait été un élément fondamental de leur demande, la conclusion de la SAR quant à la crédibilité impose une norme trop élevée par rapport à la mémoire de la demanderesse principale, tout particulièrement parce que cela concerne une période très traumatisante et qu’une demande d’asile ne devrait pas être tranchée sur la base d’un test de mémoire (Sheikh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15200).

[14]  Encore une fois, il faut faire une distinction d’avec l’affaire Sheikh. Dans cette affaire, les divergences comprenaient le défaut du demandeur de se rappeler des détails, et cela ressemblait à un jeu‑questionnaire, y compris de se rappeler correctement l’ensemble des cinq devises d’un parti politique, le nombre de personnes ayant distribué des dépliants au cours d’une journée en particulier ou le numéro d’un bureau de district d’un parti politique.

[15]  En l’espèce, il s’agissait de faits beaucoup plus fondamentaux de l’exposé circonstancié concernant les agents de persécution. Encore une fois, il était raisonnable que la SAR s’attende à une uniformité entre le témoignage de la demanderesse principale et l’exposé circonstancié de son FDA, afin de soutenir des aspects fondamentaux des demandes des demandeurs, plutôt que des aspects périphériques, comme dans l’affaire Sheikh.

(3)  L’affidavit du voisin

[16]  La SAR a conclu que l’affidavit du voisin de la demanderesse principale présentait une valeur limitée, car l’histoire qu’il racontait était incomplète et fournissait peu de détails sur les circonstances entourant le moment où les demandeurs s’étaient cachés. La SAR a en outre conclu que la plus grande partie de son contenu semblait avoir été rapportée au voisin par la demanderesse principale.

[17]  Les demandeurs s’appuient sur la décision Mahmud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8019, au paragraphe 11, à l’appui de la proposition selon laquelle les documents devraient être analysés en fonction des renseignements qui y sont contenus, et non pas de renseignements qui en sont absents. Ils font valoir que la SAR a rejeté le document au motif que certains éléments étaient manquants, ce qui est contraire à la jurisprudence existante (Teganya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 42, au paragraphe 25).

[18]  La SAR a conclu qu’une distinction pouvait être établie avec l’affaire Mahmud, parce qu’elle traitait d’une situation où la crédibilité du demandeur avait été minée du fait qu’une partie de l’exposé circonstancié n’avait pas été mentionnée dans la documentation fournie par d’autres personnes. En l’espèce, on a accordé peu de poids à l’affidavit, parce qu’il fournissait peu de détails. Autrement dit, l’affidavit présentait un déficit relativement à la suffisance, plutôt qu’une lacune sur le plan de l’uniformité. Ce sont des questions différentes qui peuvent à juste titre entraîner des résultats différents. En l’espèce, la SAR a raisonnablement expliqué pourquoi la situation différait de celle de l’affaire Mahmud. Dans la présente affaire, la conclusion de la SAR selon laquelle le contenu de l’affidavit semblait avoir été dicté par la demanderesse principale représentait une autre faiblesse.

[19]  Enfin, je ferais remarquer que la SAR a accordé un certain poids, et non pas aucun, à l’affidavit. Contrairement à l’argument des demandeurs, la SAR n’a pas fait abstraction de l’affidavit. Le poids attribué aux éléments de preuve relève du tribunal administratif, et non pas de la Cour au moment du contrôle judiciaire.

(4)  Le défaut de mettre à jour l’exposé circonstancié du FDA et l’affidavit de l’époux

[20]  La SAR a conclu que le défaut de la demanderesse principale de mettre à jour l’exposé circonstancié de son FDA a miné sa crédibilité, car celui‑ci ne tenait pas compte de deux menaces clés faites par l’oncle à l’endroit de son époux, en septembre 2016, soit (1) la signaler à la police comme étant une sorcière s’il se révélait incapable de la retrouver avant la fin du mois; (2) récupérer les demandeurs et procéder aux rituels à leur retour au Nigéria. La SAR a fait remarquer que les demandeurs étaient représentés par un conseil d’expérience dans les procédures de la SPR et qu’ils auraient pu mettre à jour le FDA, compte tenu de l’importance de ces incidents.

[21]  La demanderesse principale fait valoir que l’analyse de la SAR était microscopique, puisque les omissions du FDA n’ajoutaient pas une nouvelle dimension à la demande des demandeurs – ils avaient déjà soutenu que l’oncle s’était rendu chez eux et les avait menacés.

[22]  Je ne suis pas de cet avis. La SAR a raisonnablement conclu que la menace de l’oncle consistant à s’emparer des enfants à leur retour au Nigéria était extrêmement pertinente à la demande des demandeurs, puisqu’elle indiquait que la menace était continue, tout particulièrement en raison du fait que, lors de sa visite précédente en juin 2016, l’oncle n’avait pas menacé de s’emparer des enfants et de les exciser ou les soumettre à des rituels de scarification à leur retour au Nigéria. Comme l’a souligné le défendeur à l’audience, ce fait a élevé le [traduction] « niveau de menace » pour les demandeurs, et la SAR a raisonnablement conclu que le défaut de la demanderesse principale de mettre à jour son FDA et de signaler la nouvelle menace à la police avait miné sa crédibilité. À mon avis, il était raisonnable que la SAR conclue que le défaut de la demanderesse principale de modifier son FDA afin de tenir compte de ces faits importants avait miné sa crédibilité.

[23]  Enfin, la SAR n’a pas accepté le faible poids attribué par la SPR à l’affidavit de l’époux de la demanderesse principale; par conséquent, elle lui a attribué une force probante importante. En raison de ce changement, la demanderesse principale affirme que la SAR n’a pas expliqué comment elle pouvait attribuer un poids substantiel à l’affidavit, qui corroborait des aspects importants de la demande des demandeurs, tout en déclarant que les mêmes points attestés par la demanderesse principale n’étaient pas crédibles.

[24]  À mon avis, la SAR avait le loisir de conclure que le poids substantiel accordé à l’affidavit de l’époux de la demanderesse principale, conjugué au poids limité attribué à la lettre du pasteur ainsi qu’à celle du voisin, n’était pas suffisant pour faire contrepoids au manque de crédibilité de la demanderesse principale, compte tenu des diverses autres conclusions défavorables quant à la crédibilité.

V.  Conclusion

[25]  Plusieurs conclusions raisonnables portant sur la crédibilité ont amené la SAR à conclure que, dans l’ensemble, la demande n’était pas crédible. Si on examine la décision comme un tout (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papiers Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54), il est clair que la SAR a apprécié la preuve de manière indépendante et qu’elle a fourni des explications intelligibles et transparentes pour parvenir à une conclusion justifiable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1797‑18

LA COUR STATUE :

  1. que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. qu’aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et que l’affaire n’en soulève aucune;

  3. qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de février 2019

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1797‑18

 

INTITULÉ :

EKUNDAYO ADIJAT OLUSOLA, EKUNDAYO TEMITOPE OLUWADAMILOLA, EKUNDAYO OLUWATOMISIN ENIOLA, EKUNDAYO SHALOM OLUWADAMILARE c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JANVIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 14 JANVIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Oluwakemi Oduwole

 

POUR LES DEMANDEURS

 

David Cranton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Topemarké Attorneys

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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