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Date : 20190109


Dossier : IMM‑279‑18

Référence : 2019 CF 26

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

GIFTY IRENE ADOM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Mme Gifty Irene Adom (la demanderesse) est une citoyenne du Ghana. Le 2 janvier 2018, un agent du haut‑commissariat du Canada au Ghana (l’agent des visas) a rejeté la demande de permis d’études qu’elle avait présentée pour fréquenter le Collège Algonquin à Ottawa. L’agent des visas a jugé que son établissement précaire au Ghana et ses faibles ressources financières n’étaient pas suffisants pour établir qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour.

[2]  Le 18 janvier 2018, la demanderesse a présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire. Pour les motifs qui suivent, j’annule la décision rendue par l’agent des visas.

II.  Les faits

[3]  La demanderesse est une citoyenne du Ghana âgée de 34 ans. Elle souhaite étudier en ressources humaines au Collège Algonquin à Ottawa. Il s’agit de sa deuxième demande de contrôle judiciaire relative au rejet d’une demande de permis d’études. La première demande (IMM‑1468‑17) a été renvoyée pour nouvelle décision sur consentement des parties.

[4]  Une personne qui souhaite étudier au Canada doit satisfaire à un certain nombre d’exigences. Par exemple, sa candidature doit être acceptée par un établissement d’enseignement désigné, elle doit avoir suffisamment d’argent pour couvrir les frais de scolarité et de subsistance ainsi que le voyage de retour dans son pays d’origine, et elle doit convaincre Citoyenneté et Immigration Canada qu’elle quittera le pays à la fin de son séjour autorisé.

[5]  Le 26 octobre 2017, la demanderesse a présenté des éléments de preuve supplémentaires à l’appui de sa demande, notamment une lettre confirmant son acceptation reportée au Collège Algonquin, une copie d’un titre indiquant qu’elle était propriétaire de terres au Ghana, des copies du relevé bancaire de son frère et une copie de son propre relevé bancaire. De plus, la demande initiale de la demanderesse comprenait un plan d’études expliquant la raison pour laquelle elle souhaitait étudier en gestion des ressources humaines au Collège Algonquin et son intention d’établir un cabinet de ressources humaines au Ghana après avoir terminé ses études.

[6]  Après un examen, l’agent des visas a rejeté la demande. La lettre de décision indique les facteurs pris en considération par l’agent des visas, y compris l’absence de voyages antérieurs, ses liens familiaux au Ghana, l’objet de sa visite, sa situation d’emploi actuelle, ainsi que ses biens personnels et sa situation financière.

[7]  Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) qui accompagnent la décision contiennent des détails supplémentaires au sujet de la décision. Elles expliquent la façon avec laquelle l’agent des visas en est arrivé à sa conclusion selon laquelle l’établissement de la demanderesse au Ghana était précaire : elle ne vit pas seule (elle réside avec trois frères et sœurs plus jeunes) et elle n’a pas de travail rémunéré (elle est bénévole pour son frère à temps partiel en échange d’une allocation). De plus, l’agent des visas conclut que l’absence de voyages antérieurs est un facteur dans l’évaluation générale de son établissement au Ghana.

[8]  Les notes consignées dans le SMGC décrivent également la préoccupation de l’agent des visas quant au fait que les études prévues par la demanderesse au Canada ne viendraient pas renforcer de façon importante le travail qu’elle accomplit pour son frère. L’agent des visas a conclu que le soutien de son frère pour ses études [traduction« [ne peut être accepté] sans examen approfondi […] pour les besoins de l’examen objectif à savoir si la demanderesse est une résidente temporaire véritable et si elle est admissible à un permis d’études ». Aussi, son frère affirme qu’il financera son programme de certificat; par contre, l’agent des visas a conclu qu’il ne dispose pas d’une source de fonds constante et fiable. En fait, l’agent des visas a formulé des critiques au sujet des soldes initiaux relativement faibles des deux comptes bancaires, dans lesquels d’importants dépôts d’argent comptant ont subséquemment été effectués le 14 novembre 2016 et le 23 octobre 2017. En ce qui a trait aux économies de la demanderesse, l’agent des visas a relevé que celles‑ci s’élevaient uniquement à l’équivalent de 2 800 dollars canadiens.

[9]  L’agent a aussi formulé des critiques relativement au titre déposé en preuve. Plus particulièrement, d’après les notes consignées au SMGC, il n’y a aucun renseignement sur l’état des terres, aucune image des terres, aucun renseignement sur la date d’achat et aucune preuve de la valeur des terres. 

[10]  Le 2 janvier 2018, l’agent des visas a rejeté la demande, en concluant que la preuve n’établissait pas que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour.

III.  Les questions en litige

[11]  La demanderesse soulève les questions en litige suivantes :

  1. La décision de l’agent était‑elle déraisonnable et a‑t‑elle été prise sans égard à la preuve?

  2. L’omission d’envoyer une lettre d’équité procédurale à la demanderesse constituait‑elle une violation de son droit à l’équité procédurale?

IV.  La norme de contrôle applicable

[12]  La norme de contrôle applicable à la décision de l’agent des visas est celle de la décision raisonnable (Ngalamulume c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1268, au paragraphe 16). Les questions d’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

V.  Analyse

A.  La décision de l’agent était‑elle déraisonnable et a‑t‑elle été prise sans égard à la preuve?

[13]  Pour que la décision d’un décideur soit raisonnable, celle‑ci doit être prise avec égards à la preuve de la preuve dont il dispose. La demanderesse soutient que ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce. Plus particulièrement, elle prétend que l’agent des visas n’a pas tenu de compte de son plan d’études détaillé qu’elle avait inclus dans le cadre de sa demande de permis d’études. La demanderesse fait également valoir, en s’appuyant sur la décision Dhanoa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 729, au paragraphe 12 [Dhanoa], que l’agent des visas a commis une erreur en considérant son absence de voyages antérieurs comme preuve qu’elle ne reviendrait pas au Ghana dans le futur.

[14]  Selon le défendeur, l’agent des visas n’a pas omis de tenir compte de la preuve. Le défendeur prétend plutôt qu’aucune preuve n’appuie les déclarations faites par la demanderesse dans son plan d’études. Par exemple, selon le défendeur, rien au dossier ne prouve la valeur des terres, l’intention de vivre dans l’immeuble en construction et le fait que la demanderesse avait une carrière établie au Ghana. Le défendeur fait en outre valoir que le curriculum vitae de la demanderesse décrit un historique de travail administratif, mais ne fait état d’aucune expérience de travail en ressources humaines. Lors de l’audition du contrôle judiciaire, le défendeur a également soutenu que [traduction« ce qu’elle dit, et ce que dit son frère pour elle, n’est pas appuyé par la documentation, ce qui est une source de préoccupation pour l’agent des visas ». En ce qui concerne les conclusions de l’agent des visas quant à son absence de voyages antérieurs à l’extérieur du Ghana, le défendeur soutient que cette conclusion ne suffit pas pour annuler une décision par ailleurs raisonnable.

[15]  Premièrement, comme l’a conclu la Cour dans la décision Dhanoa, l’absence de voyages antérieurs constitue un facteur neutre. Par conséquent, l’agent des visas a commis une erreur en considérant l’absence de voyages antérieurs comme un facteur défavorable.

[16]  Deuxièmement, je ne suis pas d’accord avec l’argument du défendeur selon lequel la décision était par ailleurs raisonnable. Ayant moi‑même examiné le plan d’études de la demanderesse, il est évident qu’elle n’y demande nulle part des conseils en orientation de carrière. Pourtant, cet agent des visas semble avoir profité de l’occasion pour assumer le rôle de conseiller en orientation professionnelle et ainsi formuler son opinion selon laquelle les études que la demanderesse envisageait de faire au Canada ne renforceraient pas son travail pour son frère. Ces considérations externes font en sorte qu’il est évident que l’agent des visas a mené un examen déraisonnable de la preuve.

[17]  Il serait négligent de ma part de ne pas souligner que l’incursion de l’agent des visas dans le domaine de l’orientation professionnelle indique également que le plan d’études détaillé de la demanderesse n’a pas été examiné. Bien qu’elle y explique son intention de revenir au Ghana pour établir un cabinet de conseillers en ressources humaines, l’agent des visas, dans ses motifs, fait état de sa croyance erronée selon laquelle la demanderesse avait l’intention de travailler pour la compagnie de son frère :

[traduction]

En outre, je ne suis pas convaincu que la poursuite d’études au Canada en ce moment mènerait à une amélioration importante dans la vie de la demanderesse et à un renforcement de son travail pour la compagnie... Étant donné que le frère occupe à la fois le rôle de membre de la famille, d’employeur et de répondant, je ne suis pas convaincu que l’on puisse accepter sans examen approfondi son soutien pour les besoins de l’examen objectif à savoir si la demanderesse est une résidente temporaire véritable et si elle est admissible à un permis d’études.

[18]  Si l’agent des visas avait lu le plan d’études, il aurait su que la demanderesse avait l’intention d’ouvrir son propre cabinet de ressources humaines, ce qui explique son choix d’étudier en ressources humaines au Collège Algonquin. Le passage cité illustre également que cette croyance erronée de l’agent des visas a eu une incidence sur son évaluation de la preuve, puisqu’elle a mené à la conclusion selon laquelle la preuve du soutien de son frère est insatisfaisante.

[19]  Cette décision est déraisonnable et je l’annule. Il n’est pas nécessaire d’examiner la deuxième question soulevée par la demanderesse.

VI.  La question certifiée

[20]  On a demandé aux avocats des deux parties s’il y avait des questions à certifier. Chacun a affirmé qu’il n’y avait pas de questions à certifier, et je suis d’accord avec eux.

VII.  Conclusion

[21]  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans IMM‑279‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La décision est annulée et l’affaire renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de janvier 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑279‑18

 

INTITULÉ :

GIFTY IRENE ADOM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 octobre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 JANVIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Adam Hummel

 

Pour la demanderesse

 

Sally Thomas

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell, LLC

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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