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Date : 20190109


Dossier : IMM‑1228‑18

Référence : 2019 CF 28

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

PAYAM SOHI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  En septembre 2011, Payam Sohi (le « demandeur »), a présenté une demande de parrainage de sa famille, qui résidait en Iran, pour que ces derniers viennent au Canada. Son frère, Danesh Daryoush Sohi, figurait dans la demande à titre d’« enfant à charge » au sens du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le « RIPR »).

[2]  Le demandeur a été informé par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (« IRCC ») que Daryoush n’était pas un enfant à charge; le demandeur n’a pas contesté cette conclusion. En revanche, il a demandé une exemption fondée sur des motifs d’ordre humanitaire conformément au paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR »). Un agent d’IRCC a examiné la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité avant de la rejeter la demande.

[3]  Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire du rejet de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

II.  Les faits

[4]  Le demandeur est un citoyen canadien. Il a quitté l’Iran en 1999 et il a demandé l’asile au Canada, demande qui a été accueillie. En septembre 2011, il a présenté une demande de parrainage visant ses parents. Dans la même demande, il a inclus son frère, Daryoush, en tant qu’enfant à charge.

[5]  IRCC a traité la demande de parrainage six ans plus tard. Il convient de relever qu’au moment où le demandeur a présenté ses formulaires, la définition du terme « enfant à charge » n’était pas la même qu’aujourd’hui. L’ancienne définition englobait les étudiants adultes à temps plein, à condition qu’ils aient commencé leurs études avant d’atteindre l’âge de 22 ans.

[6]  IRCC a conclu que Daryoush (maintenant âgé de 33 ans) ne répondait pas à la définition d’« enfant à charge » à la date déterminante. Par exemple, à la date déterminante il avait 26 ans, il avait terminé son service militaire après avoir obtenu son diplôme de l’école secondaire et il avait obtenu un baccalauréat en 2014.

[7]  Le 5 avril 2017, IRCC a informé la famille du demandeur que Daryoush n’était pas un enfant à charge, mais leur a permis de fournir de plus amples renseignements pour répondre à ces préoccupations.

[8]  Au lieu de contester la définition, le 24 mai 2017, le demandeur a présenté une demande fondée sur le paragraphe 25(1) de la LIPR en vue d’obtenir la levée de l’obligation pour des motifs d’ordre humanitaire. Le conseil du demandeur a fait valoir que le service militaire obligatoire et les nombreuses années nécessaires au traitement de la demande étaient des circonstances indépendantes de la volonté de son client. Le conseil a également expliqué que Daryoush avait consacré sa vie à prendre soin de sa mère, de son père malade (maintenant décédé), et de sa grand‑mère, dont l’état de santé est précaire. Étant donné que Daryoush est sans emploi, le conseil a également écrit qu’il dépend de sa mère pour le soutien financier.

[9]  L’agent a examiné la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, mais il a conclu que les allégations du demandeur n’étaient pas très crédibles. Par exemple, bien que Daryoush ait dit qu’il avait dû servir dans l’armée, l’agent savait que d’autres demandeurs avaient reporté leur service afin de poursuivre leurs études. L’agent a également examiné des éléments de preuve selon lesquels Daryoush travaillait en fait dans un gymnase en échange d’un abonnement gratuit, alors que, selon le conseil, ce dernier était sans emploi. L’agent a conclu que Daryoush était sans emploi simplement pour pouvoir être admissible en tant que personne financièrement à charge pour les besoins de la demande de parrainage.

[10]  Les notes manuscrites de l’agent figurent également dans le dossier certifié du tribunal (le « DCT ») à la page 154. L’agent y répond à l’argument du demandeur selon lequel le service militaire est obligatoire. L’agent fait remarquer que, indépendamment de ce qui s’était passé par la suite, Daryoush n’était plus un étudiant à la date pertinente :

[traduction

S’il était vraiment encore [à charge], cela n’aurait pas d’importance. Il a arrêté ses études et a accepté un travail non rémunéré pour obtenir gratuitement un abonnement au gymnase qu’il n’avait pas les moyens de se permettre.

[11]  Le 11 décembre 2017, l’agent rendu sa décision selon laquelle aucun motif d’ordre humanitaire ne justifiait d’exempter Daryoush de l’exigence relative à l’« enfant à charge » et a retiré Daryoush de la demande.

[12]  Le 15 mars 2018, le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire. Il soutient que son droit à l’équité procédurale a été violé parce qu’il n’a pas eu la possibilité de répondre aux conclusions défavorables de l’agent quant à la crédibilité.

III.  La question en litige

[13]  La seule question en litige que soulève la présente demande est de savoir si l’agent a violé le droit du demandeur à l’équité procédurale.

IV.  La norme de contrôle applicable

[14]  Les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, 2009, au paragraphe 43).

V.  Analyse

[15]  Le demandeur soutient que l’agent a violé son droit à l’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de présenter une réponse relativement aux conclusions défavorables quant à la crédibilité (Hamza c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 264, aux paragraphes 25 et 26 [Hamza]). En particulier, le demandeur affirme qu’il aurait dû avoir l’occasion d’expliquer pourquoi il n’aurait pas pu reporter le service militaire.

[16]  Le défendeur soutient que toute question d’équité procédurale en ce qui concerne la crédibilité n’est pas un facteur déterminant de la décision puisque Daryoush ne répondait pas à la définition d’un « enfant à charge », que les facteurs d’ordre humanitaire soient satisfaits ou non.

[17]  Tout porte à croire qu’il s’agit d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Par conséquent, la décision antérieure selon laquelle Daryoush ne satisfaisait pas à la définition d’« enfant à charge » n’est pas en cause en l’espèce, ou plutôt, n’aurait pas dû être. Il en est ainsi parce que le demandeur a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR et, ce faisant, il demandait une exemption à la condition de satisfaire à la définition d’« enfant à charge ». Il a également déposé des éléments de preuve à l’appui de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, y compris des lettres décrivant le décès de leur frère et de leur père, ainsi que le lien solide qui unit Daryoush à sa famille. Pourtant, et étonnamment, l’agent n’a pas relevé de facteurs d’ordre humanitaire à évaluer :

[traduction

Les renseignements comprennent le fait qu’il y avait un autre fils, qui est décédé en Iran après que le parrain eut obtenu le droit d’établissement au Canada. L’argument relie ce décès au cancer et à la mort subséquente [du père] du parrain. La personne à charge a apparemment pris, de son propre chef, la responsabilité de s’occuper de la famille et de se consacrer à leur bien‑être. Je fais remarquer que la personne à charge était âgée de presque 30 ans au moment du décès de son père, il n’était pas si jeune et il a accepté un travail non rémunéré seulement pour obtenir un abonnement gratuit à un gymnase. Je ne vois pas de preuve dans cette partie des observations qui indique que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est justifiée.

[18]  Ces motifs démontrent que l’agent n’a ni examiné ni soupesé les facteurs d’ordre humanitaire allégués et ils révèlent également une conclusion défavorable quant à la crédibilité :

[traduction

L’argument contenait certaines allégations qui ne sont pas très crédibles, comme le fait que la personne à charge NE POUVAIT PAS continuer ses études avant de faire son service militaire. Je conclus que l’énoncé [traduction] « si Daryoush n’a pas satisfait à la définition d’enfant à charge, ce n’est qu’en raison de circonstances indépendantes de sa volonté » est un énoncé fallacieux qui vise à bonifier la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et qui n’est pas appuyé par des faits.

[Souligné dans l’original.]

[19]  Même si l’agent a bel et bien tiré cette conclusion défavorable quant à la crédibilité, le défendeur soutient que le demandeur n’a tout simplement pas présenté ses meilleurs arguments dans sa réponse à la lettre précédente relative à l’équité procédurale. Le défendeur s’appuie aussi sur la décision Toor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 573, au paragraphe 17, pour affirmer que l’agent n’avait aucune obligation de divulguer la conclusion défavorable, parce que cette dernière découlait de documents qui étaient connus du demandeur.

[20]  Cet argument ne me convainc pas, et ce, pour deux motifs. Premièrement, contrairement à ce que prétend le défendeur, l’agent s’appuie sur des éléments de preuve que le demandeur ne connaît pas. En particulier, l’agent porte son attention sur des cas antérieurs mettant en cause d’autres demandeurs :

[traduction

Je n’accepte pas l’allégation selon laquelle la personne à charge n’était pas en mesure de poursuivre ses études après l’école secondaire et qu’il n’aurait pas pu reporter son service militaire. J’ai vu un très grand nombre de cas où cela avait été fait. Rien ne démontre que les circonstances de la personne à charge en l’espèce étaient différentes et qu’on l’a EMPÊCHÉ de poursuivre ses études. Toutefois, la présente demande n’était pas encore en traitement, de sorte qu’il ne voyait pas la nécessité de poursuivre ses études à ce moment‑là. J’ai l’impression que la personne à charge a probablement effectué son service militaire, puisqu’il avait terminé ses études et qu’il s’est ensuite inscrit aux études, et y est resté jusqu’en 2016 pour être admissible à être inclus en l’espèce.

[Souligné dans l’original.]

[21]  Deuxièmement, une lettre d’équité antérieure traitant d’un autre sujet n’aurait pu éteindre l’obligation d’équité en ce qui concerne la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Lors de l’audition du contrôle judiciaire, le défendeur a convenu qu’aucune demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’avait été déposée avant l’envoi de la lettre relative à l’équité procédurale. En fait, la lettre relative à l’équité procédurale est ce qui a motivé le demandeur à déposer une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Comme l’a expliqué notre Cour dans Hamza, au paragraphe 25, l’obligation d’équité procédurale peut entraîner le fait de donner la chance au demandeur de répondre aux préoccupations liées à la crédibilité, à la véracité ou à l’authenticité de documents présentés. En l’espèce, l’obligation a pris naissance lorsque l’agent s’est appuyé sur des documents inconnus du demandeur pour tirer des conclusions défavorables quant à sa crédibilité. Étant donné qu’une telle possibilité n’a pas été offerte au demandeur en l’espèce, je conclus que l’agent a violé le droit du demandeur à l’équité procédurale.

VI.  Certification

[22]  On a demandé aux avocats des deux parties s’il y avait des questions à certifier, chacun a indiqué qu’il n’y avait aucune question à certifier, et je suis du même avis.

VII.  Conclusion

[23]  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans IMM‑1228‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de février 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1228‑18

 

INTITULÉ :

PAYAM SOHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 octobre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 JANVIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Bjorn Harsanyi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Galina Bining

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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