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Date : 20190107


Dossier : IMM‑1913‑18

Référence : 2019 CF 11

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

NOOR AHMAD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, monsieur Noor Ahmad, est un citoyen de l’Afghanistan. Il indique qu’il craint d’être ciblé par les talibans puisqu’il a aidé l’armée américaine en Afghanistan en tant qu’entrepreneur. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a refusé sa demande d’asile, jugeant qu’elle était manifestement infondée au sens de l’article 107.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2]  M. Ahmad demande le contrôle judiciaire de la décision de la SPR. Il affirme que les conclusions défavorables de la SPR sur la crédibilité et la vraisemblance n’étaient pas fondées sur la preuve et que l’analyse de sa demande sur place était déficiente. Il affirme également que le fait que la SPR n’a pas obtenu les documents originaux en la possession de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) constituait un manquement à l’équité procédurale.

[3]  Le défendeur affirme que la conclusion de la SPR manifestement infondée était raisonnable compte tenu des nombreuses conclusions défavorables de la SPR au sujet de la crédibilité, qu’aucune erreur n’a été commise lors de l’analyse sur place et qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

[4]  La demande est rejetée pour les motifs qui seront exposés ci‑après.

II.  Contexte

[5]  M. Ahmad indique dans son Formulaire de renseignements personnels qu’il était vice‑président et chef de la direction de Revival Construction and Supplies, un entrepreneur qui fournissait un soutien logistique à l’armée américaine en Afghanistan. En raison de ses liens avec l’armée américaine, il a reçu des menaces téléphoniques de personnes parlant en pachtoune qui, selon lui, étaient des talibans. Il indique qu’une bombe a explosé dans sa maison au début du mois d’avril 2012.

[6]  Laissant sa femme et ses trois enfants aux soins de son père, il a quitté l’Afghanistan en se servant d’un passeport britannique. Il est arrivé au Canada le 30 avril 2012. Il affirme que, en 2013, la maison où sa femme et ses enfants habitaient a été attaquée. Sa famille a ensuite déménagé au Pakistan et, en novembre 2014, elle est entrée en Allemagne, où sa demande d’asile a été rejetée. Un appel de cette décision est en cours.

III.  L’intitulé

[7]  Le demandeur a désigné le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada en tant que défendeur dans la présente affaire. Le nom approprié pour le défendeur est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, au par. 5(2) et LIPR, au par. 4(1)). Par conséquent, l’intitulé de la cause est modifié afin de désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme défendeur.

IV.  La décision faisant l’objet du présent contrôle

[8]  La SPR a déterminé que les principaux enjeux soulevés par la demande sont l’identité et la crédibilité. La SPR a souligné que la crainte prétendue était uniquement fondée sur le profil de M. Ahmad en tant que personne travaillant avec l’armée américaine.

[9]  La SPR a examiné les réserves formulées par l’ASFC au sujet de la crédibilité découlant : (1) d’un changement important au fondement de la demande; (2) de renseignements possiblement frauduleux; et (3) d’autres renseignements indiquant que le demandeur peut, directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent.

[10]  La SPR a mentionné les préoccupations soulevées par le ministre concernant l’identité, la crédibilité et l’intégrité du programme : (1) M. Ahmad est arrivé au Canada sans papiers; (2) il avait utilisé un passeport étranger sous un faux nom; (3) ses documents indiquaient des dates de naissance différentes; (4) plusieurs documents indiquaient des noms différents; (5) il y a eu des changements dans les événements et les récits; (6) il est retourné en Afghanistan après que les prétendues menaces ont été proférées; (7) des questions se posent quant à son entreprise.

[11]  En ce qui concerne la crédibilité, la SAR a d’abord tenu compte des préoccupations relatives au profil avancé par M. Ahmad, remarquant son éducation et son expérience limitées et se demandant « comment le demandeur d’asile pouvait être le chef de la direction d’une entreprise qui gère des contrats de plusieurs millions de dollars ». La SPR a souligné que les réponses aux questions concernant son partenaire d’affaires étaient vagues et ne démontraient pas que son partenaire avait les compétences, y compris les compétences linguistiques et informatiques, pour mener des affaires avec les Américains. La SPR a également souligné que la preuve relative à l’enregistrement de l’entreprise était incohérente. La SPR a ensuite examiné ce qu’elle décrivait comme des lacunes importantes dans le document d’enregistrement de l’entreprise, y compris des anomalies dans la couleur, le fond et les photos, et elle a remarqué que la date d’entrée en vigueur précédait la date de délivrance. La SPR n’a pas accepté le document comme étant valide et elle ne lui a accordé aucune valeur, soulignant qu’il jetait également davantage de doutes sur les affirmations de M. Ahmad selon lesquelles il avait fondé l’entreprise et qu’il y en était le chef de la direction.

[12]  La SPR a jugé que M. Ahmad n’avait pas démontré qu’il était le cofondateur ou le chef de la direction de l’entreprise et elle a conclu qu’il n’était pas crédible.

[13]  Dans son évaluation des documents d’affaires, y compris les feuilles de soumission et les contrats, la SPR a jugé qu’ils n’étaient pas dignes de foi, soulignant qu’ils n’avaient pas d’identification, d’en‑tête ou de caractéristique les associant aux États‑Unis. La SPR a souligné des problèmes avec la police et la signature du demandeur sur les documents. La SPR a jugé que les documents n’avaient aucune valeur probante.

[14]  Ayant conclu que le fondement de la demande du demandeur n’était pas crédible, la SPR a fait remarquer que cela avait une incidence sur le reste des allégations et de la preuve de M. Ahmad. L’effet cumulatif des préoccupations au sujet de la crédibilité et de l’authenticité démontrait qu’aucune des pièces présentées n’était digne de foi.

[15]  La SPR a également cerné divers sujets de préoccupation en examinant une copie d’une pièce d’identité apparemment requise pour accéder aux bases américaines. La SPR a fait remarquer qu’il n’était pas clair pourquoi l’insigne original ne lui avait pas été présenté, mais elle a jugé que l’insigne n’aurait pas été utile, puisque la preuve n’avait pas établi avec crédibilité le profil de M. Ahmad. Lorsqu’elle a examiné la copie de l’insigne, la SPR a souligné qu’elle ne prouvait pas nécessairement la présence du demandeur sur les bases américaines et elle a relevé plusieurs incohérences à première vue.

[16]  Lorsqu’elle s’est penchée sur la question de l’identité du demandeur, la SPR a relevé des incohérences relativement à son nom et à sa date de naissance dans les divers documents d’identité dont elle était saisie. Elle a relevé des contradictions entre les déclarations faites au point d’entrée et les renseignements et autres déclarations fournis ou faites par M. Ahmad. La SPR a également conclu que l’identité du demandeur ne pouvait pas être établie.

[17]  En ce qui concerne la demande sur place, la SPR a remarqué que la famille de M. Ahmad vivait toujours à Kabul. Elle a jugé qu’il était peu probable que, même s’il avait vécu six ans au Canada, il soit perçu comme un Occidental à Kabul, où sa famille réside toujours et où les talibans n’exercent pas de contrôle.

[18]  La SPR a conclu que M. Ahmad était un témoin non fiable, qui a retenu des renseignements, qui a attendu des indices quant à la manière de répondre aux questions et qui n’a pas présenté de document digne de foi. La demande d’asile a été jugée manifestement infondée.

V.  Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[19]  J’ai formulé les questions soulevées en ces termes :

A.  Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité et la vraisemblance étaient‑elles arbitraires et fondées sur aucune preuve?

  1. La SPR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a jugé que la demande était manifestement infondée?

  2. La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse sur place lorsqu’elle a omis de tenir compte de la preuve pertinente?

D.  La SPR a‑t‑elle manqué aux principes de justice naturelle ou d’équité procédurale en se fondant sur les photocopies des documents du demandeur?

[20]  En ce qui concerne les manquements allégués en matière d’équité procédurale, la Cour d’appel fédérale a récemment examiné, dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée), ce qu’un tribunal doit évaluer. La Cour d’appel a conclu que, lorsqu’il est question d’équité, une cour de révision doit évaluer « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances », et que « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre ». La Cour d’appel a reconnu qu’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie de la norme de contrôle lorsqu’il est question d’équité, et elle soutient que, « à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » bien qu’elle ait jugé que la norme de la décision correcte est celle qui reflète le mieux le rôle de la Cour (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, aux par. 52 à 56).

[21]  Les parties conviennent que les conclusions de faits et les conclusions mixtes de fait et de droit qui relèvent de l’expertise de la SPR doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux par. 47, 53, 55 et 62; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux par. 52 à 62).

VI.  Analyse

VII.  Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité et la vraisemblance étaient‑elles arbitraires et fondées sur aucune preuve?

[22]  M. Ahmad soutient que les nombreuses conclusions défavorables au sujet de la crédibilité de la SPR n’étaient pas étayées par une preuve objective et qu’elles étaient fondées sur des hypothèses infondées. Il affirme que les préoccupations de l’ASFC relatives à sa crédibilité ne lui ont pas été divulguées antérieurement et que les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité reflétaient simplement ces préoccupations. Il affirme qu’en tirant des conclusions défavorables au sujet de sa crédibilité en ce qui a trait à son profil et à sa participation et au rôle de son entreprise, la SPR n’a pas tenu compte de la preuve et de ses explications, appliquant un [traduction« paradigme canadien » pour l’évaluation de la situation en Afghanistan.

[23]  Il affirme que la SPR n’a pas respecté ni mis en œuvre les principes selon lesquels les conclusions relatives à la vraisemblance ne doivent être tirées que dans les cas les plus clairs, en fonction de la preuve, et que, en l’absence de motifs permettant de douter de sa sincérité. un demandeur est présumé dire vérité. Il affirme que la SPR n’a pas correctement évalué les documents les plus importants et les plus pertinents à l’appui de sa demande.

[24]  Je ne suis pas convaincu par les observations de M. Ahmad. Les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité et à la vraisemblance étaient fondées sur des contradictions relevées entre le récit de M. Ahmad et les documents présentés à l’appui de la demande ou sur des préoccupations soulevées par la preuve documentaire. Chacune de ces contradictions a été relevée et M. Ahmad a eu l’occasion de les expliquer. Dans le cas des réserves de la SPR relatives aux documents opérationnels présentés à l’appui de la demande, M. Ahmad a eu l’occasion de présenter des documents supplémentaires. Ses explications ont été prises en compte et les réserves de la SPR à cet égard sont énoncées dans la décision.

[25]  À titre d’exemple, M. Ahmad affirme que la SPR a commis une erreur en concluant que son certificat d’enregistrement d’entreprise n’était pas authentique. La SPR a fait état de ses préoccupations concernant le document, qui contient des espaces autour des images et des divergences entre la date d’entrée en vigueur et la date de délivrance indiquées sur le document. La SPR a soulevé ces préoccupations et d’autres préoccupations et elle a pris acte de la preuve de M. Ahmad, y compris son explication selon laquelle des taxes impayées expliquaient les divergences entre les dates. La SPR a indiqué la raison pour laquelle cette explication ne l’a pas convaincue. Ce faisant, la SPR a également décrit M. Ahmad comme étant « visiblement déconcerté » par la question, elle a souligné que sa réponse était hésitante et elle a jugé que son explication était équivoque. La conclusion de la SPR relative à cette preuve est transparente, justifiée et intelligible. La SPR effectue une analyse semblable à l’appui de la plupart de ses conclusions relatives à la crédibilité.

[26]  Il n’était pas déraisonnable que la SPR conclue que le certificat d’enregistrement de l’entreprise, un document étayant l’essentiel de la demande de M. Ahmad, était frauduleux. 

[27]  M. Ahmad dénonce également le fait que la SPR n’a pas tenu compte de certains documents, y compris une lettre du département de la Défense des États‑Unis. Même si une cour de révision peut préférer qu’un décideur explique et commente tous les éléments de preuve, aucun fardeau de ce genre n’est imposé à un décideur. La SPR est présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve. En l’espèce, elle a conclu à un manque de crédibilité générale. De plus, comme le défendeur l’a fait remarquer, la lettre en question était antérieure au lancement des opérations de l’entreprise et elle faisait uniquement référence au demandeur, et non à son entreprise. Je conclus qu’aucune erreur ne découle du fait que la SPR n’a pas expressément tenu compte de la lettre.

[28]  Je conviens avec M. Ahmad que, à certains égards, la SPR s’est livrée à des spéculations incorrectes. À titre d’exemple, la conclusion selon laquelle l’agent afghan ayant délivré un passeport aurait vérifié le registre des naissances s’il avait des doutes quant à la date de naissance du demandeur n’est fondée sur aucun élément de preuve objectif. La conclusion n’est que conjecture. Toutefois, à la lumière des nombreuses conclusions défavorables qui pouvaient raisonnablement être tirées au sujet de la crédibilité de M. Ahmad et de l’authenticité des documents, les erreurs commises ne rendent pas déraisonnable la décision de la SPR.

[29]  La SPR a droit à une déférence considérable lorsqu’elle tire des conclusions en matière de crédibilité (Hohol c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 870, au par. 18 (Hohol); Kahumba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 551, au par. 34). En l’espèce, les conclusions de la SPR étaient fondées sur la preuve et constituaient une issue raisonnable.

A.  La SPR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a jugé que la demande était manifestement infondée?

[30]  Le critère à remplir pour conclure qu’une demande d’asile est « manifestement infondée » est élevé (Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 755, au par. 45; Bushati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 803, au par. 45 (Bushati)).

[31]  L’article 107.1 de LIPR est rédigé en ces termes :

107.1 La Section de la protection des réfugiés fait état dans sa décision du fait que la demande est manifestement infondée si elle estime que celle‑ci est clairement frauduleuse.

107.1 If the Refugee Protection Division rejects a claim for refugee protection, it must state in its reasons for the decision that the claim is manifestly unfounded if it is of the opinion that the claim is clearly fraudulent.

[32]  Dans Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 596 (Warsame), le juge Yvan Roy s’est penché sur l’article 107.1. Il a remarqué que la SPR devrait procéder en deux étapes : elle doit d’abord indiquer qu’elle estime que la demande est clairement frauduleuse, puis elle doit indiquer que la demande est manifestement infondée et exposer les motifs qu’elle a de le penser (Warsame, au par. 23). Il doit y avoir des éléments de preuve indiquant que la demande est clairement frauduleuse (Warsame, au par. 24). Ces éléments de preuve peuvent être constitués des nombreuses contradictions et des nombreux défauts figurant dans la preuve (Warsame, au par. 24).

[33]  L’article 107.1 précise que la SPR doit estimer que la preuve est « clairement frauduleuse ». Le juge Roy explique cette exigence en ces termes :

Le législateur a décidé d’exiger que la demande d’asile soit « clairement frauduleuse » pour qu’il s’ensuive des conséquences déterminées. Il faut en déduire que c’est la demande d’asile elle‑même qui doit être jugée frauduleuse, et non par exemple le fait que le demandeur aurait utilisé de faux documents pour sortir du pays d’origine ou entrer au Canada. Une fois qu’il a présenté sa demande d’asile, le demandeur doit se conduire de manière irréprochable, et les déclarations qu’il fait à l’appui de cette demande doivent être exactes, sinon elles pourraient être retenues contre lui. En d’autres termes, les mensonges par lesquels une personne essaierait d’obtenir l’asile pourraient rendre sa demande d’asile frauduleuse. C’est la demande d’asile en soi qui doit être frauduleuse.

(Warsame, au par. 27).

[34]  Le juge Roy a continué en expliquant que l’élément essentiel de la fraude est la malhonnêteté, qui peut, ou non, se manifester par la supercherie ou le mensonge (Warsame, aux par. 28 et 29). Selon l’article 107.1, la malhonnêteté, les supercheries ou les mensonges doivent toucher à « un aspect important de [la] demande, de sorte à influer substantiellement sur la décision dont elle fera l’objet » [non souligné dans l’original] (Warsame, au par. 30; voir également Hohol, au par. 32; Bushati, au par. 45).

[35]  Reconnaissant que le critère à remplir pour conclure qu’une demande d’asile est « manifestement infondée » est élevé, je n’ai aucun doute qu’il a été satisfait en l’espèce. J’ai conclu que les conclusions au sujet de la crédibilité et de l’authenticité des documents étaient raisonnables. Plusieurs des préoccupations soulevées avaient trait à des aspects clés et importants de la demande, y compris l’existence de l’entreprise que le demandeur affirmait diriger et la question de savoir s’il y avait des liens avec l’armée américaine en Afghanistan. Ces renseignements touchaient le cœur de la demande d’asile et les conclusions défavorables sur ces points permettaient à la SPR de conclure que la demande était « clairement frauduleuse ». La SPR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a jugé que la demande était manifestement infondée.

B.  La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse « sur place » lorsqu’elle a omis de tenir compte de la preuve pertinente?

[36]  M. Ahmad affirme que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a traité sa demande sur place en omettant d’examiner si sa vie serait en danger en raison de sa [traduction« longue résidence au Canada et de son mode de vie occidentalisé ». Il affirme que la SPR n’a pas pris en compte la différence entre sa situation et celle de ses parents. Il affirme également que la SPR n’a pas tenu compte de photos prouvant l’existence d’une relation avec l’armée américaine et de la preuve indiquant l’absence de confiance envers la police. Finalement, il affirme que la SPR, malgré le rejet de sa demande pour des raisons de crédibilité, n’a pas évalué en fonction de la preuve objective le risque auquel il était exposé.

[37]  L’analyse sur place de la SPR est limitée. Comme l’affirme M. Ahmad, la preuve documentaire indique effectivement que les personnes perçues comme occidentalisées ou ayant adopté des valeurs et/ou une apparence associée avec l’Occident, ou les personnes ayant coopéré avec les forces de sécurité nationale afghanes ou la communauté internationale, peuvent courir des risques. La preuve indiquant que M. Ahmad répond à ce profil est son lien avec les forces américaines en Afghanistan et les six ans qu’il a passés au Canada.

[38]  La SPR avait antérieurement conclu que le récit de M. Ahmad n’était pas crédible et qu’il n’était pas établi qu’il avait un quelconque lien avec les forces armées américaines en Afghanistan. La SPR n’était pas tenue de revoir cette question en effectuant son analyse sur place.

[39]   La preuve de M. Ahmad relative à son occidentalisation réelle ou perçue était limitée à ses six ans au Canada. Malgré la preuve limitée, il eût été préférable que la SPR traite expressément le temps passé par le demandeur au Canada. Cependant, dans mon examen de la décision de la SPR, je suis tenu d’accorder une « attention respectueuse » aux motifs des décideurs et de me garder de substituer mes propres opinions à celles de ces derniers en qualifiant de fatales certaines omissions (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 17).

[40]  Dans le contexte du dossier de preuve, je suis incapable de conclure que la SPR a commis une erreur dans son analyse sur place. Il y avait très peu d’éléments de preuve crédibles permettant de laisser à penser que M. Ahmad avait le profil d’une personne à risque et il n’y avait par conséquent aucune obligation de mener une évaluation détaillée de ce risque, en fonction de la preuve documentaire objective.

C.  La SPR a‑t‑elle manqué aux principes de justice naturelle ou d’équité procédurale en se fondant sur les photocopies des documents du demandeur?

[41]  M. Ahmad affirme que la SPR a manqué au principe de l’équité procédurale en n’obtenant pas des documents originaux, en dépit du fait qu’elle avait reconnu qu’elle se fondait sur des copies floues et du fait qu’elle avait affirmé qu’elle demanderait les originaux. La décision de la SPR indique également que les pages paires d’un rapport d’expert de l’ASFC dans lequel trois documents étaient analysés étaient manquantes, puisqu’un seul côté du rapport recto verso avait été copié.

[42]  Il est préoccupant que la SPR n’ait pas reçu les documents originaux dont l’ASFC semblait disposer; cependant, je ne suis pas convaincu que, en l’espèce, les lacunes du dossier équivalent à un manquement au principe d’équité procédurale.

[43]  Il est reconnu que la portée et le contenu de l’obligation d’équité sont souples et variables et qu’ils reposent sur une appréciation du contexte (Baker c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au par. 22). En l’espèce, le dossier indique que la SPR a fait de nombreuses tentatives pour obtenir les documents originaux, tant avant qu’après l’audience. Il semble qu’elle ait ensuite entrepris de rendre sa décision sur le fondement du dossier dont elle disposait afin d’éviter un retard supplémentaire dans une affaire qui dure depuis plusieurs années. Afin de conclure si, ce faisant, la SPR a rendu le processus injuste, j’ai évalué ce que les documents originaux ou manquants auraient pu ajouter au dossier.

[44]  Je ne suis pas convaincu que les originaux auraient eu un quelconque effet sur l’analyse de la SPR à la lumière des types de préoccupations soulevées et traitées par la SPR. La SPR, par exemple, a souligné que, même si elle n’avait pas eu l’avantage d’examiner l’insigne d’identité originale, l’original n’aurait pas permis de régler ses préoccupations relatives aux renseignements indiqués sur l’insigne et clairement visibles sur la copie. En ce qui concerne le certificat d’entreprise, une version originale aurait pu aider à répondre aux préoccupations de la SPR en lien avec les espaces autour des images, mais, ici encore, il n’aurait pas contribué à dissiper les préoccupations de la SPR relatives au contenu contradictoire du document.

[45]  Dans ses observations, M. Ahmad a affirmé que le manquement à la justice naturelle découle du fait que la SPR n’a pas demandé les originaux après avoir indiqué qu’elle le ferait. À cet égard, les dossiers indiquent que la SPR a demandé les originaux, sans succès. Par conséquent, il semble que la SPR a fait ce qu’elle a dit à M. Ahmad qu’elle ferait. M. Ahmad ne fait mention d’aucune iniquité ou d’aucun préjudice précis autre que ce qui est indiqué plus haut.

[46]  Dans cette situation précise, je suis incapable de conclure qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

VIII.  Conclusion

[47]  La demande est rejetée. Les parties n’ont présenté aucune question grave de portée générale à certifier et aucune ne se pose.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑1913‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée;

  3. Le nom du défendeur qui figure dans l’intitulé de la cause est radié et c’est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration qui est désigné comme défendeur.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de févier 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1913‑18

 

INTITULÉ :

NOOR AHMAD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 octobre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 7 janvier 2019

 

COMPARUTIONS :

Zahra Khedri

 

POUR Le demandeur

 

Melissa Mathieu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Zahra Khedri

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR Le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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