Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20181221


Dossier : T‑1556‑12

Référence : 2018 CF 1302

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2018

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

HUMAN CARE CANADA INC.

demanderesse/défenderesse reconventionnelle

et

EVOLUTION TECHNOLOGIES INC.

défenderesse/demanderesse reconventionnelle

VERSION PUBLIQUE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS

TABLE DES MATIÈRES

I. Aperçu  4

A. La nature de l’action  4

B. Les parties et leurs produits  6

(1) Human Care  6

(2) Evolution  7

C. Le marché canadien des dispositifs d’aide au déplacement 8

D. Le brevet 392  10

II. Les faits convenus  12

III. Quelques questions préliminaires  15

A. La réalisation commerciale et le succès commercial 16

(1) L’interrogatoire principal de M. Macmillan  17

(2) Le rapport d’expert de M. Brienza  18

(3) Les conclusions sur les objections formulées  19

B. Les augmentations du coût des stocks (CPV) d’Evolution  21

C. Le non‑lieu  24

D. Le brevet Lane  28

IV. Les témoins  33

A. Les témoins factuels de Human Care  33

(1) Douglas Macmillan  33

(2) Jeffrey Fishbein  36

(3) Rick Synkowicz  37

B. Les témoins factuels d’Evolution  39

(1) José‑Luis Pita  39

(2) Stephen Liu  41

C. Les témoins experts de Human Care  42

(1) M. David Brienza  42

a) La critique d’Evolution à l’endroit de M. Brienza  45

b) La contestation, par Evolution, des titres de compétence de M. Brienza  46

(2) Nancy Rogers  48

a) Critique, par Evolution, de Mme Rogers  49

D. Les témoins experts d’Evolution  50

(1) Jonathon Schuch  50

a) La critique, par Human Care, de M. Schuch  51

(2) Mark A. Gain  52

a) La critique, par Human Care, de M. Gain  52

V. Les questions en litige  53

VI. Les revendications en litige  54

VII. L’interprétation des revendications  56

A. Le droit applicable  56

B. La manière dont M. Brienza et M. Schuch ont interprété les revendications  61

C. La personne moyennement versée dans l’art 64

D. Les connaissances générales courantes [CGC] 67

E. Les éléments essentiels des revendications du brevet 392  71

(1) Les éléments essentiels convenus  73

(2) Les éléments essentiels non convenus  73

(3) La manière d’interpréter téléologiquement les termes essentiels qui sont en litige  74

(4) Le dispositif formant barre de tension  75

(5) « La barre de tension connecte structurellement »  81

(6) Les premier et second supports  88

(7) La poignée  93

(8) Les premier et second croisillons  101

VIII. La contrefaçon  107

A. Le droit applicable  107

B. Commentaires généraux sur les questions de contrefaçon qui opposent les parties  108

(1) La réalisation privilégiée  109

C. Le déambulateur Xpresso contrefait le brevet 392  111

(1) Les connexions structurelles du dispositif formant barre de tension  113

(2) Les premier et second supports  114

(3) La poignée  114

(4) Les premier et second croisillons  115

IX. La validité  116

A. Les objections relatives à la validité  117

B. L’antériorité  121

(1) Le droit applicable  121

(2) Le brevet 392 n’était pas antériorisé  124

C. L’évidence  125

(1) Le droit applicable  125

(2) Le concept inventif 130

(3) L’essence de l’invention  131

(4) Le brevet 392 n’était pas évident 132

a) Le succès commercial 133

D. La portée excessive  135

(1) Le droit applicable  135

(2) Les arguments des parties  138

E. La simple juxtaposition  139

(1) Le droit applicable  139

(2) Le brevet 392 n’est pas une simple juxtaposition  140

X. Les réparations  141

A. Les dommages subis – Une réparation raisonnable  141

B. Human Care a‑t‑elle droit aux bénéfices d’Evolution à l’égard de ses produits Xpresso?  142

C. Les faits convenus, relativement à la restitution des bénéfices  144

D. Les principes juridiques généraux de la restitution des bénéfices  144

E. La méthode du profit différentiel d’Evolution  145

F. L’analyse de la méthode du profit différentiel d’Evolution  147

G. La méthode de restitution qui convient pour déterminer les profits d’Evolution  150

H. Quels coûts, s’il y en a, peuvent être déduits des recettes qu’Evolution a tirées de l’Xpresso, et dans quelle proportion?  151

(1) Les dépenses déductibles que réclame Evolution  153

a) Les frais de vente et d’administration – EVO‑56  153

b) Les frais comptables et juridiques  155

c) Les honoraires de consultation  156

d) Les autres déductions discrétionnaires réclamées  157

I. Les conclusions sur la restitution des bénéfices  157

J. Human Care a‑t‑elle droit à une injonction permanente?  158

K. Faudrait‑il accorder les « bénéfices réalisés sur les bénéfices »?  158

XI. Les dépens  159

XII. Les intérêts avant et après jugement 159

I.  Aperçu

A.  La nature de l’action

[1]  La demanderesse, Human Care Canada Inc. [Human Care], et la défenderesse, Evolution Technologies Inc. [Evolution] fabriquent toutes deux des produits appelés « déambulateurs » dans l’industrie des dispositifs d’aide au déplacement. Bien que le public en général appelle communément les déambulateurs des « marchettes », il s’agit en fait d’un produit distinct – un déambulateur est une « marchette » munie de roulettes.

[2]  Human Care prétend qu’Evolution a contrefait les revendications 16 et 18 du brevet canadien no 2 492 392 [le brevet 392] dont elle est ou a été une titulaire, ou une personne se réclamant d’un breveté, pendant toute la période pertinente. Elle allègue que le déambulateur Xpresso d’Evolution [Xpresso] comporte tous les éléments essentiels de ces deux revendications.

[3]  Human Care sollicite :

  1. une déclaration portant que les produits Xpresso d’Evolution contrefont les revendications 16 et 18 de son brevet 392;

  2. le rejet de la demande reconventionnelle d’Evolution dans son intégralité, au motif que le brevet 392 est valide;

  3. l’octroi de réparations, dont :

    1. une injonction permanente interdisant à Evolution de contrefaire le brevet 392;

    2. un dédommagement raisonnable pour contrefaçon au cours de la période pendant laquelle la demande est devenue accessible au public et le brevet a été délivré, ce qui inclut les bénéfices réalisés par Evolution par suite de la vente des produits contrefaisants;

    3. une directive portant qu’Evolution remette sans délai à Human Care la totalité des articles visés par le brevet 392 qui sont en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde;

    4. les intérêts avant et après jugement, ainsi que les dépens de la présente action, que la Cour déterminera.

[4]  Evolution défend l’action en contrefaçon en faisant valoir que l’Xpresso ne comporte pas cinq éléments essentiels dont font état les revendications 16 et 18 du brevet 392.

[5]  Dans sa demande reconventionnelle, Evolution fait valoir aussi que le brevet 392 n’est pas valide parce qu’il était antériorisé par un autre brevet, qu’il était évident compte tenu des réalisations antérieures, qu’il n’a pas de valeur inventive et ne constitue qu’une simple juxtaposition de pièces connues et que les revendications du brevet 392 ont une portée plus large que celle de l’invention concrètement réalisée ou décrite. À l’appui de la demande reconventionnelle, une liste de 54 antériorités est jointe en tant qu’annexe à la seconde déclaration et demande reconventionnelle modifiée.

[6]  Dans la seconde réponse et défense modifiée qui se rapporte à la demande reconventionnelle, Human Care rejette les allégations d’Evolution et affirme que le succès commercial de l’invention montre que le brevet 392 est inventif et non évident.

[7]  Pour les motifs qui suivent, je suis arrivée à la conclusion que le brevet 392 est valide et qu’il a été contrefait.

B.  Les parties et leurs produits

(1)  Human Care

[8]  Human Care est une société ontarienne située à Nepean (Ontario). Elle est une filiale d’un fabricant et fournisseur mondial de produits de soins de santé à domicile, dont des marchettes et d’autres dispositifs d’aide au déplacement.

[9]  En 2007, la société suédoise Human Care a fait l’acquisition de la société canadienne Dana Douglas Inc. De ce fait, la demanderesse, Human Care, est la filiale canadienne d’une société suédoise de produits d’aide au déplacement qui a également des bureaux à Austin (Texas), aux Pays‑Bas et à Melbourne (Australie). Human Care compte environ 100 employés à l’échelle mondiale.

[10]  Ce sont Douglas Macmillan et son père, Dana Macmillan, qui ont lancé Dana Douglas. Cette entreprise a commencé à vendre des déambulateurs au Canada en 1990 en les important des Pays‑Bas. Elle a plus tard conclu une entente aux termes de laquelle elle vendrait en Amérique du Nord les produits d’une installation de fabrication située à Taïwan, qui les vendrait partout ailleurs dans le monde. Quand le fabricant a ouvert un centre de distribution aux États‑Unis, Dana Douglas a décidé qu’il lui fallait prendre en main sa propre destinée et créer ses propres produits. Le premier de ces produits a été appelé l’Infiniti.

[11]  Un produit qui revêt un intérêt particulier en l’espèce est un déambulateur que Human Care commercialise sous le nom de marque « Nexus ». M. Macmillan a fait savoir que le Nexus, quand il a été lancé à la fin de 2004, était le seul déambulateur à pliage croisé (latéral) au monde, muni d’un siège central rigide et pliable. Tous les autres déambulateurs se pliaient de l’avant vers l’arrière ou, s’ils étaient à pliage croisé, ils étaient munis d’un siège de type à sangle.

(2)  Evolution

[12]  Evolution est une société privée qui a été constituée en Colombie‑Britannique. Elle exploite ses activités à l’échelle mondiale et fournit des dispositifs d’aide au déplacement destinés à des consommateurs.

[13]  L’unique actionnaire, président et chef de la direction d’Evolution est Julian Liu. C’est lui qui est chargé de tous les aspects relatifs aux activités de la société. Il supervise la rentabilité et le contrôle de la qualité d’Evolution, et il négocie les contrats, comme ceux qui se rapportent à l’usine et à la société d’exportation. L’épouse de M. Liu, Alice Chen, et leur fils, Stephen Liu, participent également aux activités d’Evolution.

[14]  Le déambulateur d’Evolution, qui contrefait censément le brevet 392, est commercialisé sous le nom de marque « Xpresso ». Il est convenu que tous les déambulateurs Xpresso sont munis d’un châssis à pliage central. Il est entendu que le terme « pliage central » se rapporte à une marchette ou à un déambulateur dont le pliage se fait latéralement (c’est-à-dire qu’il se fait de côté), une opération que déclenche l’utilisateur en tirant sur une poignée.

[15]  Il est également convenu qu’Evolution ne détient pas de licence à l’égard du brevet 392.

[16]  Outre Evolution, M. Liu possède en Chine une entreprise qui vend des logiciels de gestion de point de vente à des salons de beauté situés en Chine. Ce produit porte lui aussi le nom d’Xpresso.

C.  Le marché canadien des dispositifs d’aide au déplacement

[17]  Ce sont habituellement les personnes ayant besoin d’aide dans leurs activités de tous les jours qui se servent d’un dispositif d’aide au déplacement, lequel leur assure un soutien lors d’une activité ou d’un déplacement. Au nombre de ces dispositifs figurent les canes, les béquilles, les marchettes, les fauteuils roulants et les déambulateurs.

[18]  Les dispositifs d’aide au déplacement existent depuis des siècles. Des fauteuils à roulettes permettant de transporter des gens étaient apparemment utilisés dès le VIe siècle. Le premier brevet concernant un fauteuil roulant muni d’un dossier entièrement rabattable a été délivré en 1869. Plus récemment, dans les années 1930, un fauteuil roulant pliable, doté d’un siège à sangle a été inventé et il est encore utilisé de nos jours. Les fauteuils roulants ont continué d’évoluer au fil du temps. Il est bien connu qu’il existe aujourd’hui divers fauteuils roulants spécialisés, dont des fauteuils roulants électriques, des fauteuils roulants conçus pour des sports particuliers, ainsi que des fauteuils roulants pouvant être manœuvrés par des quadraplégiques.

[19]  Les marchettes étaient faites au départ d’un cadre non pliant, et munies de poignées et d’au moins quatre pattes. Ces marchettes obligeaient leurs utilisateurs à les soulever et à les faire avancer quand ils se déplaçaient. Les années 1970 ont vu apparaître sur le marché des marchettes pliantes et légères, munies de roulettes. L’utilisateur pouvait ainsi pousser la marchette ou la faire rouler sans avoir à la soulever pour avancer.

[20]  Le premier déambulateur a été une marchette à quatre roulettes, inventée en 1978 par une Suédoise pour son usage personnel. Par contraste avec une marchette, un déambulateur comporte habituellement des freins, des poignées et un siège, de même qu’un châssis et des roulettes.

[21]  Il est prévu que l’on se serve des déambulateurs à l’extérieur. Cela étant, ils doivent être stables lors de leur utilisation et suffisamment souples pour qu’on puisse les déposer dans le coffre d’une automobile en vue de leur transport. Les utilisateurs s’assoient souvent dans leur déambulateur et ce dernier doit donc pouvoir également supporter leur poids sans s’effondrer.

[22]  Au Canada, les dispositifs d’aide au déplacement sont vendus au public directement par l’intermédiaire de sites web et de vendeurs de matériel médical utilisable à domicile. Il existe des centaines de commerçants indépendants, en plus de grandes sociétés de vente comme Motion Specialties, Shoppers Home Healthcare et Home Medical Equipment. Les commerçants offrent les produits de divers fabricants ou distributeurs, et les vendeurs recherchent activement leur clientèle. Il est possible aussi que des physiothérapeutes recommandent à leurs clients des produits particuliers.

D.  Le brevet 392

[23]  Le brevet 392 a été déposé le 14 janvier 2005, revendiquant la priorité au 26 mars 2004 par le brevet américain 10/809 334. Le brevet 392 expirera le 14 janvier 2025. Il a été mis à la disponibilité du public le 26 septembre 2005 et délivré le 30 novembre 2010.

[24]  Les inventeurs nommés du brevet 392 sont MM. Ross Lyell Cowie et Bjarki Hallgrimsson. Le propriétaire du brevet 392 est la demanderesse, Human Care.

[25]  Le brevet 392 est intitulé « Mobility Aiding Device » (Dispositif d’aide au déplacement). La section « Technical Field » (Domaine technique) de l’invention indique ce qui suit : [traduction« [l]a présente invention a trait à un dispositif d’aide au déplacement, et, en particulier, à un fauteuil roulant, une marchette, une chaise de transport, un siège de douche ou un déambulateur munis d’un siège rigide, articulé au milieu, de façon à pouvoir plier facilement le dispositif en position de rangement ».

[26]  La section « Background of the Invention » (Contexte de l’invention) indique que la présence d’une vaste population vieillissante et urbaine a créé une demande accrue en divers dispositifs d’aide au déplacement. Il y est indiqué que les dispositifs d’aide au déplacement existants, comme les marchettes et les déambulateurs, ont aujourd’hui plus de succès que les fauteuils roulants, les béquilles ou les canes en raison de leur polyvalence et de leur support structurel accrus. Une particularité très recherchée est la possibilité de plier le dispositif en position de rangement en vue d’un déplacement ou juste pour gagner de la place quand il n’est pas utilisé. Les fauteuils roulants classiques offrent la possibilité de plier les deux côtés du châssis en position de rangement, mais ils sont toujours munis d’un siège souple ou de type « hamac ». Il semble que ce que l’on recherche maintenant ce soit une surface rigide permettant de s’asseoir confortablement ainsi qu’une structure de soutien pouvant être utilisée pour d’autres objets.

[27]  La section « Contexte de l’invention » fait ensuite état de diverses lacunes qui ont été relevées dans les réalisations antérieures :

  • - les sièges faits d’une seule pièce sont compliqués et ils requièrent une grande dextérité manuelle et beaucoup de force pour ouvrir et fermer le dispositif;

  • - les sièges en deux parties requièrent des panneaux de support supplémentaires auxquels on accède par le dessous du siège;

  • - les sièges en deux parties recourent à des surfaces de butée extra larges situées entre les panneaux de siège pivotants, et ces surfaces de butée a) peuvent pincer des parties du corps et b) ne sont pas toujours assez solides pour un usage de longue durée.

[28]  La section portant sur le contexte de l’invention indique en terminant que le problème que règle le brevet 392 consiste à [traduction« surmonter les lacunes des réalisations antérieures en offrant une aide au déplacement […] munie d’un siège rigide formé de deux sections connectées par pivotement, dont la structure est renforcée et qui se plie facilement en une position de rangement ».

[29]  La section « Summary of the Invention » (Sommaire de l’invention) décrit de façon générale deux variantes du dispositif d’aide au déplacement ajustable entre une position d’utilisation et une position de rangement.

[30]  Le brevet 392 comporte neuf dessins décrivant les réalisations privilégiées. Les dessins illustrent ces dernières sous des angles différents. Le déambulateur est illustré de quatre façons différentes : une vue isométrique en deux positions : utilisation et rangement, une vue de face et une vue de profil. Le châssis est présenté de cinq manières différentes : une vue isométrique, une vue de face, une vue en bout depuis le dessous du siège, une vue en bout en position partiellement fermée et une vue en bout en position de rangement.

[31]  La section « Detailed Description » (Description détaillée) des dessins, qui figure aux paragraphes 30 à 39, renvoie aux neuf dessins qui décrivent divers éléments de la réalisation illustrée. Ces paragraphes reproduisent le texte des revendications et comportent des renseignements supplémentaires, comme le fait que le châssis [traduction« est fait de préférence d’un matériau très résistant et léger, comme l’aluminium » et [traduction« si la présente invention devait être utilisée avec un siège de marchette ou de douche, les roulettes avant et arrière pourraient être remplacées par des embouts faits de caoutchouc ou d’un autre matériau antidérapant ».

[32]  Le brevet 392 comporte 18 revendications. Les revendications 16 et 18, qui, selon Human Care, sont contrefaites par Evolution, sont des revendications indépendantes, à l’instar des revendications 10, 12, 14, 15 et 17. Evolution conteste la validité des 18 revendications.

II.  Les faits convenus

[33]  La première pièce déposée au procès a été un exposé conjoint des faits [ECF], produit en tenant pour acquis que la teneur de l’entente ne constituait pas une admission, de la part de l’une ou de l’autre des parties, de la pertinence des faits convenus ou du poids, le cas échéant, à leur accorder au procès.

[34]  Dans l’ECF, les parties ont convenu de certains termes non litigieux. Par exemple, elles s’entendent sur le sens à donner à un déambulateur à pliage central :

[traduction]

 « Pliage central » s’entend d’une marchette ou d’un déambulateur qui se plie latéralement (ou de côté), au moyen d’une poignée que tire l’utilisateur;

[35]  Les dates pertinentes concernant le brevet 392 et les extraits de divers passages de ce dernier ont également été énoncés et convenus, tout comme les noms des inventeurs et le fait que Human Care est la titulaire actuelle du brevet 392.

[36]  L’ECF contient un bref sommaire de la mise au point du brevet 392. Il y est fait référence à un courriel de M. Macmillan à l’un des inventeurs, M. Hallgrimsson, dans lequel sont mentionnés deux brevets américains désignés en l’espèce sous le nom de « Fernie » et de « Loodberg » et qui lui a été transmis par l’autre inventeur, M. Cowie.

[37]  Le produit annuel total des ventes externes, le produit annuel total des ventes de déambulateurs Nexus et le produit que Human Care a tiré de ses déambulateurs Nexus en pourcentage de son produit des ventes externes au cours de la période de 2006 à 2015 sont convenus et présentés sous forme de tableau dans l’ECF. Cette entente évitait que l’une ou l’autre des parties ait à prouver les documents qui sous-tendaient les chiffres indiqués dans le tableau, y compris les documents financiers sur lesquels les experts‑comptables des deux parties s’étaient fondés.

[38]  Il est reconnu qu’Evolution a vendu pour la première fois les déambulateurs Xpresso en juillet 2008 et qu’ils sont munis d’un châssis à pliage central. Il est également confirmé qu’Evolution a mis en vente, vendu, importé au Canada et exporté du Canada un certain nombre de déambulateurs appelés Xpresso, et de tailles différentes, et que le modèle Xpresso Zero est assemblé au Canada depuis juillet 2008. Les pièces et accessoires Xpresso sont définis dans l’ECF et ils sont censément mis en vente, vendus, importés au Canada, exportés du Canada et assemblés au Canada par Evolution depuis juillet 2008.

[39]  Il est convenu qu’Evolution ne détient pas de licence concernant le brevet 392.

[40]  Il est entendu qu’il n’existe aucune divulgation d’antériorité de l’invention au sens de l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets, LRC (1985), c P‑4 [Loi sur les brevets].

[41]  S’il est conclu que le brevet 392 est valide et contrefait au sens du paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets, un montant est convenu pour le paiement d’une redevance raisonnable par suite de l’emploi qu’Evolution a fait de la technologie brevetée de Human Care entre la date du lancement de l’Xpresso en juillet 2008 et la date à laquelle le brevet 392 a été délivré, soit le 30 novembre 2010. Les taux de redevance concernant les déambulateurs Xpresso, de même que le nombre total de ces dispositifs qui ont été vendus entre le 1er juillet 2008 et le 30 novembre 2010, sont convenus. Le taux de redevance est fondé sur les taux de redevance réels qui ont été payés à l’égard des déambulateurs Nexus entre 2006 et 2011, et il est calculé à partir du 1er juillet 2008 jusqu’au 1er juillet 2010 et du 1er juillet 2010 jusqu’au 30 novembre 2010.

[42]  Pour aider à calculer la restitution des bénéfices, un tableau indique les ventes unitaires de déambulateurs Xpresso entre le 1er décembre 2010 et le 30 juin 2016. Il existe pour la même période une stipulation quant au produit total des ventes des produits Xpresso, défini plus tôt dans l’ECF. Il y a aussi une entente entre les parties quant au coût du transport des produits Xpresso au cours de cette même période.

[43]  Les faits qui ont été convenus, en plus des éléments qui précèdent, sont parsemés dans tout le présent jugement et ses motifs.

III.  Quelques questions préliminaires

[44]  Au cours du procès, un certain nombre d’objections ont été formulées. Certaines d’entre elles ont été réglées sur‑le‑champ; d’autres ont été reportées à plus tard et seront réglées au besoin dans le cadre du présent jugement et de ses motifs, au moment où le sujet de l’objection sera examiné.

[45]  Il y a eu aussi une requête en non-lieu à la clôture de la preuve de la demanderesse. Cette requête est rejetée, pour les motifs exposés ci‑après.

[46]  Human Care a formulé une objection à propos du fait qu’Evolution se fondait sur un brevet américain en tant qu’inspiration pour l’Xpresso. Cette objection est maintenue, et les motifs sont exposés dans la présente décision.

[47]  Human Care s’est également opposé aux frais de stock majorés d’Evolution. Cette objection est analysée dans la présente décision et maintenue.

[48]  Après la réception des observations finales écrites, chacune des parties a envoyé une lettre au sujet des observations d’Evolution sur l’invalidité du brevet pour cause d’antériorité. Cette objection est examinée dans le cadre de l’analyse portant sur la question de savoir si les revendications du brevet 392 étaient antériorisées.

[49]  Deux questions qui ont été brièvement reportées à plus tard et réglées le deuxième jour du procès sont décrites et tranchées ci‑après.

A.  La réalisation commerciale et le succès commercial

[50]  Le premier jour du procès, lors de l’interrogatoire principal de M. Macmillan, l’avocate d’Evolution, invoquant l’article 248 des Règles des cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], s’est opposée à ce que Human Care présente des faits ou des renseignements ou formule des observations à propos du fait que le déambulateur Nexus constituait la réalisation commerciale du brevet 392. La même objection a ensuite été formulée au sujet des ventes du déambulateur Nexus ou des preuves qu’il s’agissait d’un succès commercial. Les objections étaient fondées sur le fait que Human Care, lors de l’interrogatoire préalable, avait refusé de répondre à un certain nombre de questions portant à la fois sur la réalisation commerciale et le succès commercial.

[51]  De plus, Evolution s’est opposée à ce que l’on formule des observations sur le Nexus et, en particulier, sur tout fait ou toute preuve, de la part d’un témoin quelconque, que le Nexus est une réalisation commerciale du brevet 392. Cette objection englobait le rapport d’expert de M. David Brienza et les déclarations de celui-ci selon lesquelles le Nexus est la réalisation commerciale des revendications du brevet 392, ainsi que toute preuve factuelle mise de l’avant par un témoin quelconque quant au succès commercial du Nexus.

[52]  À l’ouverture de la deuxième journée du procès, j’ai rejeté les objections par la voie de conclusions orales. Voici un bref sommaire des objections et des conclusions connexes.

(1)  L’interrogatoire principal de M. Macmillan

[53]  L’objection relative au fait de savoir si l’on pouvait produire une preuve du succès commercial du Nexus était une question liée de près à l’argument fondé sur la réalisation commerciale. Cette objection a pris naissance quand l’avocat d’Evolution s’est opposé à ce que M. Macmillan mentionne l’[traduction« énorme succès du déambulateur à pliage latéral », en réponse à la question de l’avocat d’Evolution, qui avait demandé [traduction« quel déambulateur à pliage latéral? ». M. Macmillan, qui n’était vraisemblablement pas au courant de l’argument du succès commercial, avait aussitôt répondu : [traduction« le Nexus ». Le bal était ouvert.

[54]  L’avocat d’Evolution était fin prêt; il a lu un certain nombre d’exemples de questions posées lors de l’interrogatoire préalable de M. Macmillan à propos du Nexus et les réponses données par son avocate étaient généralement que la question n’était pas pertinente ou alors qu’elle relevait d’une opinion d’expert.

[55]  En réponse à cette objection, Human Care a fait valoir que des réponses avaient été données et qu’il y avait une modification aux actes de procédure qui revendiquait le succès commercial du Nexus.

(2)  Le rapport d’expert de M. Brienza

[56]  Invoquant l’article 52.2 des Règles, Evolution s’est opposée au rapport d’expert de M. Brienza au motif qu’il n’y avait aucune analyse, juste des conclusions fondées sur des photographies du Nexus qu’il avait examinées. Cela étant, Evolution souhaitait faire exclure le rapport en vertu des articles 279 et 280 des Règles parce qu’il n’avait pas été établi d’une manière conforme au Code de déontologie régissant les témoins experts de la Cour. L’article 52.2 des Règles exige que l’on fasse état dans le rapport des faits et des présomptions qui étayent les motifs accompagnant chaque opinion présentée.

[57]  Human Care a répondu qu’Evolution avait en main le rapport d’expert et les témoignages anticipés avant même la conférence préparatoire, mais qu’elle n’y avait pas fait opposition. De plus, Evolution avait été avisée que Human Care estimait que le Nexus était la réalisation commerciale du brevet 392 depuis que la première série d’interrogatoires préalables avait eu lieu et que la modification des actes de procédure mentionnait clairement que l’on revendiquait le succès commercial.

(3)  Les conclusions sur les objections formulées

[58]  Après avoir entendu les arguments, passé en revue les documents fournis ou mentionnés et pris en considération la jurisprudence applicable, j’ai conclu que les objections n’étaient pas bien fondées, et ce, pour diverses raisons que j’ai énoncées dans mes motifs oraux. De plus, j’ai décrété que la meilleure façon de mettre en doute les préoccupations entourant la question du succès commercial – ou non – du Nexus et de la teneur des rapports de M. Brienza était de procéder à un contre-interrogatoire.

[59]  Au procès, j’ai ajouté – et je réitère ici – que, en tout état de cause, j’aurais exercé mon pouvoir discrétionnaire pour que l’on renonce au respect des Règles, compte tenu du temps durant lequel on avait répondu aux questions posées à l’interrogatoire préalable et aussi du fait que chaque partie avait omis de prendre des mesures concrètes pour répondre aux questions soulevées dans les objections, soit à la conférence de gestion de l’instance, soit à la conférence préparatoire au procès.

[60]  Pour ce qui est de l’objection fondée sur l’article 248 des Règles, j’ai conclu qu’en dépit de l’argument selon lequel aucune réponse n’avait été fournie à l’interrogatoire préalable, des réponses avaient bel et bien été données.

[61]  J’ai indiqué précisément que l’article 248 des Règles ne s’applique que si l’on a posé une question appropriée et que si, à ce moment‑là ou par la suite, on a refusé d’y répondre. Une objection a été formulée à l’égard des questions qui avaient été posées à M. Macmillan en avril 2015 au motif que ce dernier n’était pas suffisamment qualifié pour y répondre, car elles relevaient de l’opinion d’un expert. Il ne s’agissait donc pas de questions appropriées. De plus, on avait répondu par la suite, le 8 juillet 2015, aux questions portant sur la réalisation commerciale en disant que les déambulateurs Nexus 1, 2 et 3 étaient des réalisations commerciales du brevet 392. La modification aux actes de procédure que Human Care a incluse dans la demande reconventionnelle mentionnait que le déambulateur Nexus était la réalisation de l’invention visée par le brevet 392.

[62]  Pour ce qui est de l’objection fondée sur l’article 52.5 des Règles, j’ai jugé qu’on ne pouvait pas dissocier la conclusion formulée dans le rapport d’expert du reste du rapport dans lequel M. Brienza avait passé en revue les revendications 1 à 15 et que son rapport sur la contrefaçon était mentionné dans son rapport de réponse, où il décrivant en détail les dispositions des revendications 16 et 18 du brevet 392.

[63]  De plus, M. Brienza a fait abondamment référence aux dessins et il a examiné les revendications du brevet 392. On ne pouvait tout simplement pas dire que ses conclusions n’étaient pas étayées par des faits, des présomptions et des analyses.

B.  Les augmentations du coût des stocks (« CPV ») d’Evolution

[64]  À l’audience, Human Care a soulevé une objection à propos de l’augmentation du coût des stocks (« CPV ou coût des produits vendus ») d’Evolution. C’est‑à‑dire que Human Care s’opposait, en vertu de l’article 248 des Règles, à ce qu’Evolution se fonde censément sur des augmentations du CPV. Human Care prétend qu’étant donné qu’Evolution n’a pas été interrogée sur l’augmentation des coûts à l’interrogatoire préalable, cette information ne devrait pas servir de fondement à ma décision.

[65]  En particulier, Human Care soutient ce qui suit :

  • Après deux séries d’interrogatoires préalables, M. Pita a prétendu que – d’après le document EVO‑49 – le coût des stocks de la gamme Xpresso Lite et de la gamme Xpresso Original et Tall était de |||||| et de |||||||||| respectivement.

  • Le 8 août 2016, Evolution a censément fourni de nouvelles factures pour Fine Faith qui montrent que le coût des déambulateurs Xpresso varie de |||||||||| à ||||||||||.

  • Compte tenu du nouveau prix unitaire, Human Care a demandé qu’Evolution réponde à quatre pages d’interrogatoires écrits avant le procès. Evolution a refusé. Human Care soutient donc qu’on ne lui a pas communiqué de manière suffisante le prix unitaire de l’Xpresso et qu’on lui a donc causé préjudice.

[66]  Evolution fait valoir que Human Care interprète erronément la déclaration de M. Pita, et elle sollicite une autre série d’interrogatoires préalables. Plus précisément, il est possible de résumer la position d’Evolution comme suit :

  • M. Pita n’exprimait généralement pas une opinion au sujet du coût des déambulateurs Xpresso; il décrivait plutôt une facture particulière à propos de laquelle Me Wall posait des questions.
  • Evolution a fourni tous les documents pertinents (EVO‑57 à EVO‑63) trois mois avant la deuxième série d’interrogatoires préalables.
  • Il est évident dans ces factures que le coût unitaire de l’Xpresso varie.
  • Evolution n’a pas répondu aux questions écrites avant le procès parce que : (i) les questions étaient une tentative voilée pour obtenir une autre série d’interrogatoires préalables, (ii) les Règles n’autorisent la tenue d’un interrogatoire préalable oral et écrit que si les parties y consentent (ou avec l’autorisation de la Cour). Ni l’un ni l’autre de ces motifs ne s’appliquait en l’espèce.

[67]  Je conclus qu’Evolution n’a pas fourni à Human Care une possibilité suffisante de soulever des questions au sujet du CPV, et ce, pour trois raisons.

[68]  Premièrement, l’argument d’Evolution selon lequel Human Care avait eu accès aux factures pertinentes lors des deux premières séries d’interrogatoires préalables est inexact. On n’a fourni à Human Care que les factures destinées à Fine Faith pour les années 2008‑2012 (EVO‑49) lors des interrogatoires préalables. Ces factures indiquaient que le coût unitaire des déambulateurs était de |||||| et de ||||||||||. Ce n’est qu’après les deux séries d’interrogatoires préalables qu’on a remis à Evolution des factures plus détaillées, faisant état d’un coût unitaire supérieur.

[69]  Deuxièmement, Evolution dit que les documents fournis après les deux interrogatoires préalables étaient un moyen de vérifier les factures qui avaient été communiquées plus tôt. En fait, ils ne sont pas « nouveaux ». Cependant, les documents EVO‑57 à 63 – les factures communiquées avant les deux séries d’interrogatoires préalables – contiennent des renseignements fragmentaires sur Fine Faith et ne permettraient à personne de se faire une idée précise du prix unitaire contesté.

[70]  Troisièmement, Human Care a fait des efforts raisonnables pour obtenir des renseignements sur le prix unitaire, surtout en lien avec Fine Faith. En voici quelques exemples :

  • Lorsqu’il a été interrogé en 2015, M. Pita a confirmé que le prix unitaire était de |||||| et de ||||||||||, respectivement. Il est facile de constater dans l’échange que, peut-être, l’avocate de Human Care, Me Wall, parlait du prix en général et que M. Pita ne faisait qu’interpréter une seule facture (ce qui est le cas, selon Evolution). Néanmoins, Me Wall est certaine que ce prix s’applique à « tous » les déambulateurs. Evolution s’est engagée à aviser du contraire si M. Pita se trompait.
  • On a assuré une fois de plus à l’avocate de Human Care que le prix était de |||||| et de |||||||||| lors des interrogatoires préalables qui ont eu lieu en décembre 2015.

[71]  Il est inexact de dire que Human Care a omis de poser des questions sur le prix unitaire. Elle l’a fait à plusieurs reprises en interrogeant les témoins d’Evolution. C’est plutôt Evolution qui n’a pas pu ou voulu fournir ces renseignements.

[72]  Compte tenu des trois constatations qui précèdent, je conclus que l’article 248 des Règles interdit à Evolution de se fonder sur des renseignements concernant l’augmentation du CPV. La Cour a reconnu que les dispositions de l’article 248 « ont pour objet d’éviter que l’une ou l’autre des parties ne soit lésée par la communication tardive de documents ou de renseignements et d’interdire le recours aux ‘pièges’ pendant l’instruction » : Airbus Helicopters, SAS c Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2017 CF 170, au paragraphe 18; Apotex Inc. c Sanofi Aventis, 2010 CF 481, au paragraphe 6. Le fait qu’Evolution n’ait pas fourni de renseignements opportuns et complets représente précisément ce contre quoi la jurisprudence met en garde : ce fait a causé préjudice à la capacité de Human Care d’interroger convenablement les témoins d’Evolution. Je ne tiendrai donc pas compte des augmentations du CPV d’Evolution dans mon évaluation.

C.  Le non-lieu

[73]  À la clôture de la preuve de Human Care sur la contrefaçon, Evolution a présenté une demande de non-lieu au motif que Human Care ne s’était pas acquittée de son fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le déambulateur Xpresso tombait sous le coup des revendications du brevet 392.

[74]  Le fondement de cette allégation était une comparaison entre le témoignage de M. Brienza au procès et des déclarations faites dans son rapport d’expert, une comparaison à la suite de laquelle Evolution a conclu que, d’après la manière dont M. Brienza interprétait le brevet 392, le déambulateur Xpresso ne tombait pas sous le coût de la revendication 16 ou 18 parce qu’il lui manquait un élément essentiel : un support connecté par pivotement au montant du châssis.

[75]  Cette conclusion était fondée, par ricochet, sur le fait que M. Brienza avait dit de la connexion des premier et second supports aux premier et second montants du châssis dans le brevet 392 qu’elle était directe. Cela a été comparé au paragraphe 40 du rapport d’expert de M. Brienza, dans lequel celui-ci a déclaré que les croisillons étaient connectés aux supports et aux montants du châssis soit directement, soit indirectement, par un ou plusieurs composants, tels qu’une charnière ou une ferrure. Evolution en a conclu qu’il y avait une connexion indirecte entre les supports et les montants du châssis de l’Xpresso et que, de ce fait, l’Xpresso ne tombait pas sous le coup du brevet 392, qui exigeait une connexion directe.

[76]  Human Care a répondu à la requête, après quoi Evolution a eu à choisir si elle souhaitait présenter une preuve, ce qu’elle a fait.

[77]  J’ouvre ici une parenthèse pour signaler que les Règles ne prévoient aucune procédure en cas de demande de non-lieu. Dans la décision Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c Société canadienne des postes, 2011 CF 25, la juge Bédard, saisie d’une demande de non-lieu, a examiné le fait que les Règles qu’appliquait la Cour en 1978 traitaient de l’effet d’un jugement de non-lieu, mais l’article en question, l’article 339, avait été abrogé au moment de l’adoption des Règles de 1998. La juge Bédard a conclu, pour des raisons énoncées au paragraphe 13 de sa décision, que l’abrogation de l’article 339 des Règles n’éliminait pas le droit préexistant de présenter une demande de non-lieu.

[78]  La Cour d’appel de l’Ontario a signalé que même si ni la Loi sur les tribunaux judiciaires, LSO 1990, c C. 43 ni les Règles de procédure civile, RRO 1990, Règl. 194 ne prévoient expressément le dépôt d’une demande de non-lieu, les juges ont continué d’entendre de telles demandes : FL Receivables Trust 2002‑A c Cobrand Foods Ltd, 2007 ONCA 425, au paragraphe 12 [FL Receivables].

[79]  Il se peut fort bien que le non-lieu existe en common law, mais il n’est pas nécessaire de trancher la question car j’ai décidé que si cette mesure existe, soit sous le régime des Règles soit sous celui de la common law, Evolution n’est pas parvenue à montrer qu’il n’y a aucune preuve à réfuter, ainsi qu’il est dit dans l’arrêt FL Receivables, au paragraphe 14.

[80]  Dans l’affaire FL Receivables, le juge Laskin a analysé, aux paragraphes 13, 14 et 35, la procédure à suivre pour une requête en non-lieu, et il a fait des commentaires sur l’utilité d’une telle mesure :

[traduction]

[13]  Pourtant, je me demande si dans notre province le dépôt d’une requête en non-lieu dans un procès civil sans jury est d’une grande valeur. En Ontario, quand un défendeur dépose une telle requête, il doit décider s’il produira des preuves ou non. Voir la décision Ontario c. Ontario Public Service Employees Union (OPSEU), [1990] O.J. No. 635, 37 O.A.C. 218 (C. Div.), au par. 40. S’il opte pour produire des preuves, le juge prend la requête en délibéré jusqu’à l’issue de l’affaire. Si le défendeur décide de ne produire aucune preuve – comme l’a fait Robert Laba en l’espèce – le juge se prononce alors sur la requête aussitôt après son dépôt.

[14]  Une requête en non-lieu ajoute du temps et des dépenses à un procès. Et à cause de l’obligation de faire un choix, elle a peu de valeur du point de vue pratique. Il est possible qu’un défendeur qui présente la requête y voie un avantage tactique, puisqu’il est capable de faire valoir sa cause en premier. Pour obtenir gain de cause dans le cadre de sa requête, le défendeur doit toutefois montrer que le demandeur n’a mis de l’avant aucune preuve à réfuter, ce qui, dans la plupart des poursuites, est une tâche fastidieuse. Pourquoi ne pas montrer simplement que la prétention du demandeur devrait être rejetée? Il n’est guère surprenant que la plupart des analystes considèrent que, dans les procès civils devant un juge seul, les requêtes en non-lieu rapportent peu et sont en passe d’être obsolètes. Voir Phipson on Evidence, 16e éd., Londres, Sweet & Maxwell, 2005, à la p. 274, et John Sopinka, Donald B. Houston et Melanie Sopinka, The Trial of an Action, 2éd., Toronto, Butterworths Canada, 1999, aux p. 151‑52.

[…]

[35]  Dans une requête en non-lieu, le juge du procès entreprend une enquête limitée. Cette enquête est soumise à deux principes pertinents. Premièrement, si un demandeur présente une preuve quelconque sur tous les éléments de sa prétention, le juge se doit de rejeter la requête. Deuxièmement, pour évaluer si le demandeur a établi une preuve prima facie, le juge est tenu de présumer que la preuve est véridique et d’attribuer le « sens le plus favorable » aux éléments qui sont susceptibles de donner lieu à des inférences opposées. [ . . . ]

[Non souligné dans l’original.]

[81]  Certes, Human Care a présenté plus qu’une simple preuve « quelconque » sur la totalité des éléments de ses prétentions pour montrer qu’Evolution avait contrefait le brevet 392. Pour cette seule raison, la requête est rejetée.

[82]  J’ajouterais que le problème que pose l’analyse d’Evolution est que le témoignage que M. Brienza a fait au procès avait trait à un élément différent – la connexion avec les supports – de celui auquel il faisait référence dans son rapport d’expert – les croisillons. En contre‑interrogatoire, M. Brienza a clairement indiqué au sujet du type de connexion entre le support et le montant du châssis de l’Xpresso que [traduction« l’Xpresso est directement connecté, par pivotement – directement connecté par pivotement au montant du châssis, de sorte qu’il tombe bel et bien sous le coup de l’interprétation ». Il est possible de rejeter la requête en non-lieu sur la foi de cette preuve qui, je le présume, est véridique. Si l’on attribue le sens le plus favorable à cette preuve, le support d’Xpresso est directement connecté au montant du châssis et Evolution ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve.

[83]  En fin de compte, pour ces raisons, la requête en non-lieu est rejetée.

D.  Le brevet Lane

[84]  Human Care s’est opposée, aux termes de l’article 248 des Règles, à ce qu’Evolution présente par l’entremise de son témoin factuel, M. Pita, une preuve selon laquelle l’inspiration du déambulateur Xpresso venait d’un brevet américain de 1957 portant le numéro 2 810 429 [le brevet Lane]. Human Care dit que cette histoire d’inspiration du déambulateur Xpresso a été évoquée pour la première fois au présent procès, et ce, malgré la longueur des procédures, dont les interrogatoires préalables antérieurs de M. Pita au sujet de la mise au point du déambulateur Xpresso.

[85]  Human Care a pris connaissance du brevet Lane quand elle a reçu la déclaration d’expert de M. Jonathon Schuch, datée de septembre 2016, et que ce brevet a été cité en tant que réalisation antérieure. Cependant, avant l’ouverture du procès, Human Care n’était pas au fait de la prétention selon laquelle M. Pita ou M. Liu avaient exprimé l’avis que le brevet Lane avait servi d’inspiration à l’Xpresso, comme l’a décrit M. Pita en réponse à une question de l’avocat d’Evolution :

[traduction]

Q.  Et la structure pliante de l’Xpresso que l’on voit ici, ces croisillons, ils viennent…

R.  Ouais. Nous avons essayé des choses différentes. Nous avons essayé même, comme, comme un fauteuil roulant. Les fauteuils roulants avaient des travers comme ceux‑là et des tubes, et ce n’était pas assez solide avant que nous trouvions – nous avons vu ceci, les plans d’un fauteuil roulant dont le brevet datait de 1957. Je pense qu’il s’appelait Lane, le type qui l’a conçu, et il y avait dans ce fauteuil un siège rigide, qui pliait. Il était séparé au milieu, et il pliait comme…

Transcription du procès, vol. 4, p. 729, l. 8 à 17.

[86]  Le fondement de l’objection, une fois que ce témoignage a été fait, est qu’au cours de l’interrogatoire préalable du 20 mai 2015, Human Care a demandé à Evolution d’indiquer quels étaient les brevets dont elle était au courant lors de la mise au point du déambulateur Xpresso et de mentionner, le cas échéant, les faits qui étaient pertinents à l’égard des allégations selon lesquelles le brevet 392 était antériorisé et évident. Evolution n’a pas révélé le brevet Lane en réponse à ces questions.

[87]  Evolution soutient avoir révélé à Human Care, le premier jour de l’interrogatoire préalable, que le déambulateur Xpresso était basé sur un fauteuil roulant bien connu, comme l’illustre l’échange suivant :

[traduction]

Q.  Aussi à la page 2, il y a la rubrique « Caractéristiques » et, sous celle-ci il est indiqué style croisé, mécanisme de pliage central pour rangement compact et transport. Qu’entend‑on par style croisé ou style en X?

R.   [Par M. Pita]… Les fauteuils roulants sont munis d’un X. Pendant des années, ils ont dit « C’est un pliage en X », parce qu’il y a un châssis qui forme un X comme ceci, ce qui fait que nous avons simplement emprunté cela à la terminologie du fauteuil roulant.

Q.  Il s’agit donc juste d’une référence au châssis, sous la marchette, qui permet de la plier?

R.  Oui. Et c’est ceci qui est un X parce que la marchette s’ouvre comme ceci. Quand on la ferme, c’est ça le résultat qu’on obtient. Mais il s’agit d’une chose que l’on trouve dans tous les fauteuils roulants. Chaque fabricant de fauteuils roulants parle de ça.

Q.  Et cela remonte à ce que vous avez dit plus tôt, que les fauteuils roulants utilisent depuis un certain temps une technique à pliage central.

A.  Oui. Depuis de nombreuses années.

Transcription du procès, vol. 5, p. 873, l. 17 à 28; p. 874, l. 1 à 16.

[88]  Evolution fait remarquer que Human Care n’a posé aucune question complémentaire pour déterminer s’il y avait un document ou un plan de fauteuil roulant particulier qu’elle avait pris en considération; pas plus qu’on a posé des questions qu’il aurait été possible de mettre à jour de façon à fournir les renseignements demandés. En fait, Evolution dit que la réponse que M. Pita a donnée faisait suite à une question portant sur des déclarations faites sur le site web d’Evolution au sujet de la conception en X.

[89]  La question sur laquelle se fonde Human Care pour dire qu’il aurait fallu qu’Evolution divulgue le brevet Lane était de nature générale et exhaustive, à savoir : [traduction« De quels autres faits Evolution dispose‑t‑elle pour dire que l’objet des revendications, à part les revendications 16 et 18, a été divulgué au public avant le 13 janvier 2013 ou avant le 26 mars 2004? ». Autrement dit, le brevet Lane est pertinent sur le plan de l’évidence et de l’antériorité et il aurait donc fallu répondre à la question.

[90]  Human Care fait remarquer que la référence au brevet Lane ne faisait pas partie de l’affidavit de documents d’Evolution daté du 6 février 2014, ni d’aucun des trois affidavits de documents ultérieurs qui étaient antérieurs au 12 août 2016. Il en a été question pour la première fois dans l’affidavit de documents complémentaire daté du 31 octobre 2016. C’est dans l’affidavit de documents du 30 août 2017 qu’on a produit pour la première fois des copies certifiées de toutes les réalisations antérieures sur lesquelles se fonde Evolution, dont le brevet Lane.

[91]  Human Care résume la question en disant que, même si M. Pita a été interrogé au préalable à de multiples occasions, dans le cadre de deux actions distinctes concernant le déambulateur Xpresso, ce n’est qu’au présent procès qu’il a indiqué que le brevet Lane avait servi d’inspiration au déambulateur Xpresso et que M. Liu et lui-même le connaissaient très bien depuis 2005 au moins.

[92]  L’avocat d’Evolution a indiqué qu’il n’avait pris connaissance du brevet Lane qu’au moment où il avait reçu le rapport d’expert de M. Schuch et que ce n’était qu’à ce moment‑là seulement qu’il s’était rendu compte que ce brevet était pertinent à l’égard des questions d’antériorité et d’évidence.

[93]  Pour ce qui est de cette objection, formulée après l’audition de la totalité des témoignages, je conclus qu’il est inutile d’arriver à une conclusion au sujet de l’objection concernant le brevet Lane, parce que, après avoir entendu le témoignage de M. Pita, examiné les antécédents des parties, dont des extraits tirés de plusieurs interrogatoires préalables, et la chronologie de l’affidavit de documents, je conclus que le témoignage qu’a fait M. Pita au présent procès a été vague et incompatible, à plusieurs égards, avec le témoignage qu’il a fait lors de l’interrogatoire préalable. En toute justice, il se peut fort bien que ce soit parce qu’il faisait état de renseignements de seconde main que M. Liu lui avait fournis.

[94]  L’histoire du brevet Lane en tant que source d’inspiration n’est tout simplement pas crédible. Elle souffre de problèmes de ouï-dire en ce qui a trait à la participation de M. Liu. Je considère que le témoignage de M. Pita sur le souvenir qu’il a du brevet Lane ou du rôle inspirationnel que ce dernier a joué n’est pas crédible. Il a clairement déclaré que M. Liu, qui n’a pas témoigné en l’espèce, prétend avoir trouvé dans le brevet Lane son inspiration pour le déambulateur Xpresso.

IV.  Les témoins

[95]  Les parties ont appelé neuf témoins en tout : cinq pour Human Care et quatre pour Evolution.

[96]  De plus, des extraits de l’interrogatoire préalable des inventeurs, MM. Hallgrimsson et Cowie, ont été déposés. Dans le cadre de ces extraits, une série de documents a été incluse à titre contextuel. Il n’y a pas eu d’entente au sujet de la véracité du contenu des déclarations faites dans ces documents.

[97]  Il y a eu aussi des extraits de l’interrogatoire préalable du témoin d’Evolution, M. Pita, tant dans la présente affaire que dans une action antérieure opposant les mêmes parties.

[98]  M. Liu a été contre-interrogé par voie de téléconférence téléphonique le 3 décembre 2014. Une partie d’une transcription condensée de ce contre-interrogatoire a été produite en tant que pièce jointe à l’interrogatoire préalable de M. Pita, tenu le 20 mai 2015, et elle a été déposée en tant que pièce au procès.

A.  Les témoins factuels de Human Care

(1)  Douglas Macmillan

[99]  M. Macmillan est la première personne qui a été appelée à témoigner au procès. Pendant 28 ans environ, il a exercé les fonctions de vice-président ou de président de Dana Douglas, tout d’abord et, ensuite, de Human Care. En juillet 2015, M. Macmillan n’était plus au service de Human Care.

[100]  M. Macmillan a commencé à travailler dans le domaine des dispositifs d’aide au déplacement en 1988 ou 1989, et il vendait principalement des fauteuils roulants. Il a fait un bref survol de l’historique des produits que Dana Douglas et Human Care vendaient.

[101]  M. Macmillan a eu l’idée de créer un nouveau produit en 2001 ou 2002, pendant qu’il se trouvait à Montréal pour rendre visite à la grand-mère de son épouse, qui vivait dans une maison de retraite. Il a constaté que les pensionnaires devaient laisser leurs déambulateurs à l’entrée de la salle à manger et qu’ensuite on les amenait séparément, assis dans un fauteuil roulant, jusqu’à leurs tables pour qu’ils y prennent place. Il avait posé des questions et on lui avait dit que c’était parce que le commissaire aux incendies exigeait qu’il y ait une distance précise entre les tables de la salle à manger et les murs de cette dernière. Les pensionnaires qui utilisaient un fauteuil roulant pliant pouvaient l’amener à leurs tables. Les déambulateurs prenaient trop de place, car il fallait qu’ils soient posés par terre et ils étaient considérés comme un risque en cas d’incendie. Cette observation a amené M. Macmillan à se dire qu’il était possible de mettre au point un produit destiné aux établissements de soins de longue durée et aux maisons de soins infirmiers.

[102]  Après avoir réfléchi à la question, M. Macmillan avait à l’esprit certaines caractéristiques qu’un nouveau produit devrait présenter. Il considérait que ce dernier devait se plier latéralement et être muni d’un siège rigide, qui se plierait en même temps que le châssis. Il avait constaté que les sièges du type « à sangle » que l’on employait à l’époque dans les fauteuils roulants présentaient des problèmes. Il avait également constaté que ses deux jeunes enfants préféraient les balançoires du parc qui étaient munies d’un siège rigide parce que celles qui avaient un siège à sangle s’enfonçaient et leur pinçaient les hanches.

[103]  M. Macmillan a déclaré qu’il n’avait pas suivi d’études postsecondaires et qu’il n’était pas tout à fait sûr d’avoir terminé ses études secondaires. Pour ce qui était de concevoir un produit, il se savait incapable de le faire, en partie parce qu’il était dyslexique. Il s’était donc tourné vers l’époux d’une amie de son épouse, M. Hallgrimsson, qui était concepteur de produits.

[104]  La contribution de M. Macmillan à l’étape dite de la « conception du produit » de l’invention visée par le brevet 392 avait consisté à voir sur Internet quels étaient les brevets existants et s’il y avait quelque chose d’intéressant. Comme ses capacités de lecture et de compréhension étaient faibles, il n’avait pas lu le texte des brevets, mais il avait toutefois examiné les images.

[105]  Pour ce qui était des déambulateurs à pliage latéral, M. Macmillan connaissait le Tango, qui était muni d’un siège à sangle. Human Care, qui, à l’époque, était une société distincte située en Suède, avait un déambulateur à pliage latéral et muni d’un siège rigide, mais le siège lui‑même n’était pas pliant. Il fallait le sortir et le rabattre pour pouvoir plier le déambulateur. Selon M. Macmillan, ce siège était [traduction« très, très bizarre ».

[106]  M. Macmillan a aussi témoigné au sujet du processus de mise au point des nouveaux produits de Human Care, du coût de ce processus et de la possibilité de réaliser des économies en prenant appui sur des travaux de conception antérieurs et des pièces fabriquées pour le premier produit maison, l’Infiniti.

[107]  En contre-interrogatoire, M. Macmillan a reconnu qu’il n’avait pas quitté l’entreprise en bons termes. Il n’avait toutefois aucun intérêt pécuniaire dans l’issue de la présente action. Il a déclaré qu’il avait reçu de la Suède l’instruction d’engager l’action et que, à l’époque – à la suite de tests rudimentaires – il était d’avis que l’Xpresso contrefaisait le brevet 392. Il a confirmé qu’il ne connaissait pas M. Brienza, pas plus qu’il ne lui avait donné instruction de procéder à des essais particuliers.

[108]  M. Macmillan a été un témoin crédible. Il s’est exprimé de manière réfléchie, simple et directe. Quand il ne pouvait pas se souvenir d’une date, il le disait. S’il n’était pas sûr, il expliquait pourquoi et s’il devinait ou présumait, il le disait. Il n’avait pas du tout l’esprit querelleur. Il a expliqué ses problèmes de lecture et a dit qu’il était plus à l’aise avec les dessins parce qu’à cause de sa dyslexie et du trouble de déficit de l’attention qui y était lié, il était un « visuel ».

(2)  Jeffrey Fishbein

[109]  M. Fishbein s’occupe à titre indépendant de la mise en marché et de la vente de matériel médical à domicile depuis 1994. Il représente divers fabricants et s’occupe principalement de dispositifs d’aide au déplacement, dont des fauteuils roulants, des déambulateurs et des accessoires pour fauteuil roulant. Il exerce ses activités sur le marché ontarien des dispositifs d’aide au déplacement et il vend les produits de fabricants qui concurrencent Human Care.

[110]  Entre le 1er mars 1997 et le 31 juillet 2015, il a vendu des produits de Dana Douglas et, ensuite, de Human Care. À cette époque, il ne vendait les produits d’aucune autre marque. Il a confirmé qu’il ne vend plus de produits de Human Care, pas plus qu’il n’a de liens avec cette entreprise.

[111]  M. Fishbein a décrit le lancement du déambulateur Nexus, qui, croit‑il, a eu lieu à la fin de 2004. À sa connaissance, il s’agissait du premier déambulateur à pliage central, muni d’un siège rigide, que l’on pouvait trouver sur le marché. Il a dit que le marché avait accueilli le Nexus comme une « nouvelle référence, un véritable coup de circuit ». Il a ajouté que, par rapport au lancement du déambulateur précédent de Human Care – l’Infiniti – le Nexus avait connu un succès nettement plus rapide et marqué. Ce produit a commencé à s’approprier une part importante du marché, aux dépens du « leader » de ce dernier.

[112]  En contre-interrogatoire, M. Fishbein a confirmé qu’aucun client du Nexus ne lui avait jamais dit qu’il appréciait la barre de tension et, par ailleurs, que lui-même ignorait ce qu’était une barre de tension ou la reconnaîtrait si on la lui montrait.

[113]  M. Fishbein s’est exprimé de manière franche, et il n’y a aucune raison de douter de son témoignage.

(3)  Rick Synkowicz

[114]  M. Synkowicz est le directeur national des ventes chez Human Care, un poste qu’il occupe depuis 2012. Il est chargé de la mise en marché et de la vente des produits de la demanderesse au Canada. Il a entrepris sa carrière de vendeur en 1997, au service de Coca‑Cola. Il s’est joint au secteur des aides au déplacement en 2009, en travaillant chez Invacare Canada [Invacare], un concurrent de Human Care. Il s’est joint à Human Care après avoir travaillé pour Motion Specialties, à Ottawa.

[115]  M. Synkowicz a fourni des preuves sur le chiffre d’affaires annuel de Human Care ainsi que sur la contribution des déambulateurs Nexus à ce chiffre d’affaires, confirmant ainsi les chiffres indiqués dans l’ECF des parties.

[116]  M. Synkowicz a indiqué qu’à l’époque où il travaillait pour Invacare, on avait dit que le Nexus s’était approprié le marché en tant que produit de choix auprès des thérapeutes et des consommateurs, délogeant ainsi le déambulateur Legacy d’Invacare en tant que marque la plus vendue. Invacare croyait que c’était parce que le Nexus était à pliage croisé et qu’il était muni d’un siège ferme mais souple, contrairement au Legacy, qui était doté d’un siège dur et qui n’était pas à pliage croisé. Il a déclaré que pour concurrencer le dispositif à pliage croisé du Nexus, Invacare avait lancé le déambulateur Jazz, à pliage croisé. Ce dispositif, a-t-il dit, n’avait pas obtenu de bons résultats sur le marché parce qu’il était muni d’un siège à sangle de nylon et que, comme il l’a décrit, le mécanisme de pliage était [traduction« un peu incommode ».

[117]  En contre-interrogatoire, M. Synkowicz a confirmé que même s’il avait identifié le dessin du déambulateur qui figurait à l’avant du brevet 392 comme étant celui du Nexus III, il n’était pas un expert en brevets ou en schémas.

[118]  À part ce qui précède, le témoignage qu’a fait M. Synkowicz a été essentiellement factuel et il n’a pas été contesté.

B.  Les témoins factuels d’Evolution

(1)  José‑Luis Pita

[119]  M. Pita est le directeur de la mise en marché et de la vente chez Evolution, où il est entré en service à ce titre en mai ou en juin 1994. Il est chargé des déambulateurs Evolution, ce qui inclut ceux de la gamme Xpresso.

[120]  M. Pita a déclaré que l’origine de l’Xpresso remonte à l’époque où des thérapeutes téléphonaient pour dire que les marchettes existantes prenaient trop de place et où ils se demandaient si Evolution pouvait en concevoir une qui ressemblerait à un fauteuil roulant, qu’il serait possible de plier et de laisser dans une position de rangement. Les marchettes qui se pliaient de l’avant vers l’arrière devaient être déposées par terre, sauf les déambulateurs Evolution qu’il était possible de plier de l’avant vers l’arrière et de laisser dans une position de rangement. Mais ces déambulateurs prenaient quand même plus de place que les fauteuils roulants.

[121]  Selon M. Pita, en Ontario les thérapeutes ne voulaient pas d’autres déambulateurs que ceux du type à pliage central, qu’ils avaient, a‑t‑il dit, [traduction« adoptés ». C’est ce qui a amené M. Liu, le président d’Evolution, à charger en 2002 un professeur de l’École de design de l’Université Polytechnique de Hong Kong de créer un prototype basé sur ce qui, d’après M. Pita, était nécessaire : un déambulateur nouveau, unique et très moderne, doté à l’avant de freins à disque.

[122]  Selon M. Pita, certains des produits qui avaient été conçus étaient réellement étranges, comme celui muni d’une roue de 12 pouces, en plastique transparent. Il y avait aussi des déambulateurs à pliage central et d’autres munis de systèmes de freinage sans câble. Les concepteurs allaient bien finir par trouver quelque chose, mais, en fin de compte, le dispositif serait complexe et difficile à construire, ainsi que trop coûteux et extrêmement lourd.

[123]  M. Pita a déclaré qu’au stade de l’étude des modèles à pliage central, il avait montré quelques photographies de prototypes à des clients, qui avaient ensuite voulu qu’il les fasse venir. Cependant, il avait été décidé que c’était peu pratique. Il a déclaré qu’il avait fallu [traduction« revenir à la planche à dessin ». Evolution a cessé de travailler sur ce modèle vers 2004 ou 2005.

[124]  M. Pita a indiqué qu’à l’époque Evolution avait décidé qu’il fallait faire quelque chose : un modèle différent, plus classique, était nécessaire. Le professeur avait été mis de nouveau à contribution. M. Pita a déclaré que l’équipe avait examiné de nombreuses choses différentes, allant de mini-déambulateurs à des modèles pédiatriques, avant qu’elle commence finalement à travailler sur ce qui allait devenir, trois ans plus tard, l’Xpresso.

[125]  Pour ce qui est du processus de mise au point, M. Pita demandait aux vendeurs ce dont ils avaient besoin, ce qu’ils aimeraient avoir. Il transmettait ces informations à M. Liu, qui travaillait ensuite avec le professeur pour vérifier s’il était possible de fabriquer ce qu’on suggérait.

[126]  M. Pita a indiqué que l’entreprise voulait fabriquer une marchette à pliage central. Evolution était reconnue dans l’industrie comme l’entreprise qui fabriquait la marchette la plus solide sur le marché, capable de supporter un poids de 300 livres. Pour accomplir cela, a‑t‑il dit, la conception du châssis faisait appel à des tubes dont la largeur était de près de 50 % supérieure à ceux de la plupart des autres marchettes. L’entreprise y avait intégré un arc plein cintre, une caractéristique reconnue pour sa solidité. Elle voulait un dispositif qui, aussi, aurait un aspect agréable et se vendrait bien.

[127]  M. Pita a confirmé que le président, M. Liu, passait le plus clair de son temps en Chine, où il possédait également une entreprise de vente de logiciels destinés aux salons de beauté. Son épouse et lui s’occupent des activités quotidiennes d’Evolution, tandis que M. Liu s’occupe des activités générales, ou de la [traduction« situation d’ensemble ». À titre de président, c’est aussi lui qui supervise le contrôle de la qualité et qui négocie avec les fabricants, les fournisseurs et les expéditeurs.

[128]  Le témoignage de M. Pita a été essentiellement factuel et incontesté, sauf pour ce qui est des éléments déjà mentionnés au sujet du brevet Lane.

(2)  Stephen Liu

[129]  Le chef des opérations d’Evolution est M. Stephen Liu. Celui‑ci s’est joint à Evolution en 2010 et il exerce ses fonctions depuis 2012. Il supervise les activités quotidiennes, ce qui inclut les mesures d’embauche et de congédiement, le système comptable et la paye. Il gagne |||||||||||||||||| par année, tout comme son père et sa mère.

[130]  M. Stephen Liu a déclaré qu’il ne s’occupe pas des activités de recherche et de développement [R‑D] d’Evolution. Il est titulaire d’un diplôme en sciences appliquées de l’Université de la Colombie-Britannique, et il a suivi un cours de gestion générale.

[131]  M. Stephen Liu a décrit la supervision qu’il fait du système comptable ainsi que les types d’inscriptions qui servent à faire le suivi des ventes, des achats et des stocks. Les ventes sont suivies au moyen des commandes des clients, lesquelles sont consignées dans le système comptable à leur valeur nominale, indépendamment de la devise en question. Le rapprochement des devises se fait séparément, et M. Stephen Liu en ignore les détails. Les renseignements relatifs aux commandes génèrent ensuite une facture.

[132]  M. Stephen Liu a déclaré en contre-interrogatoire que, pour la préparation des productions financières d’Evolution dans la présente affaire, il avait suivi les instructions de son père.

[133]  Bien que M. Stephen Liu se soit exprimé de manière franche et crédible, son témoignage est d’une utilité restreinte. Dans une large mesure, pour ce qui était des questions cruciales, il s’agissait d’informations par ouï-dire de la part de son père.

C.  Les témoins experts de Human Care

(1)  M. David Brienza

[134]  M. Brienza est professeur au Department of Rehabilitation Science and Technology (Service des sciences et de la technologie de la réadaptation), à l’Université de Pittsburgh. Il a obtenu son baccalauréat en génie électrique à l’Université de Notre-Dame en 1986, sa maîtrise en génie électrique à l’Université de Virginie en 1988, et son doctorat en génie électrique à l’Université de Virginie en 1991.

[135]  M. Brienza travaille dans le domaine des technologies de l’assistance et de la réadaptation depuis 1987. Il a été choisi comme « fellow » de la Rehabilitation and Assistive Technology Association of North America en 2007 et il a présidé, notamment, le groupe d’intérêt spécial sur les sièges et la mobilité. M. Brienza a siégé à plusieurs comités de rédaction, a donné des cours sur le génie de la réadaptation et a fondé une petite entreprise qui se consacre à la mise au point d’aides à la mobilité sur roulettes et de sièges. Enfin, M. Brienza est l’auteur de plus de 70 documents et il a déposé (ou a en instance) huit demandes de brevet, dont des brevets portant sur des fauteuils roulants et des dispositifs d’assistance.

[136]  M. Brienza a confirmé qu’il s’était conformé au code de la Cour qui régit les rapports d’experts. De plus, dans le cadre de sa mission, M. Brienza avait reçu une copie expurgée du brevet 392, qui n’énumérait pas qui étaient les inventeurs et les titulaires du brevet. Il n’avait pas eu en main les actes de procédure avant de rédiger son rapport, pas plus qu’il ne savait s’il aidait la demanderesse ou la défenderesse. Enfin, il ignorait quel était le dispositif qui constituait une prétendue contrefaçon lorsqu’il avait rédigé son rapport sur la contrefaçon.

[137]  M. Brienza était qualifié comme expert dans les domaines des sciences de la réadaptation et des dispositifs d’assistance, ce qui inclut les aides au déplacement tels que les fauteuils roulants et les marchettes, ainsi que les travaux de conception dans le secteur du génie de la réadaptation. L’expertise de M. Brienza englobe les activités d’enquête, de mise au point et d’évaluation concernant les technologies applicables à la gestion de la mobilité et de l’intégrité des tissus, relativement aux dispositifs d’assistance.

[138]  M. Brienza a produit un rapport d’expert portant sur des questions directement liées à la validité et à la contrefaçon du brevet 392 le 23 septembre 2016 [le rapport d’expert]. Dans son rapport, M. Brienza a déclaré que l’Xpresso renferme [traduction« tous les éléments des revendications 16 et 18 du brevet 392 et [a ajouté] que la personne versée dans l’art aurait la même compréhension ».

[139]  Le 19 mai 2017, M. Brienza a déposé un rapport d’expert de réponse [le rapport d’expert de réponse], dans lequel il a interprété les revendications 1 à 15 et 17 du brevet 392. Il a également répondu aux constatations de M. Schuch, l’expert d’Evolution. En particulier, même s’il souscrivait à certaines des conclusions de M. Shuch, M. Brienza a souligné qu’il n’était pas d’accord avec l’interprétation de ce dernier, à savoir que n’importe quel terme particulier devrait se limiter aux réalisations précises qui étaient énoncées dans le brevet 392.

[140]  À l’appui de ses deux rapports, M. Brienza a déclaré que le déambulateur Xpresso contrefait le brevet 392 et qu’il s’agit d’un brevet valide. Les passages pertinents des rapports et du témoignage de M. Brienza sont mentionnés et analysés dans tout le présent jugement et les motifs connexes, à mesure que les revendications sont interprétées et que les questions de contrefaçon et de validité sont tranchées.

a)  La critique d’Evolution à l’endroit de M. Brienza

[141]  Evolution a fait valoir qu’il convient généralement d’accorder moins de poids à l’interprétation que fait M. Brienza des recommandations qu’à celle que fait M. Schuch. En bref, les préoccupations d’Evolution ont essentiellement trait aux points suivants : 1) M. Brienza n’a pas évalué les connaissances générales courantes avant d’interpréter les revendications 16 et 18; 2) il a omis d’examiner ensemble la totalité des revendications, et 3) il n’a pas examiné et étudié comme il faut les réalisations antérieures.

[142]  L’allégation selon laquelle M. Brienza a omis d’évaluer les connaissances générales courantes n’est pas étayée par la preuve. Lors de son interrogatoire principal et en contre‑interrogatoire, il a confirmé qu’il en avait tenu compte. M. Schuch a confirmé dans son rapport de réponse et dans son témoignage que M. Brienza avait traité des connaissances générales courantes dans son rapport d’expert.

[143]  M. Brienza a directement déclaré qu’il avait pris en compte la totalité des revendications avant de rédiger son rapport d’expert, qu’il avait lu en détail le mémoire descriptif et examiné les chiffres. Son témoignage faisait suite à une contestation, formulée lors du contre‑interrogatoire, quant à la question de savoir si les revendications étaient claires et non équivoques : [traduction« Par défaut, je lis toujours le brevet tout entier pour essayer de le comprendre dans son intégralité ».

[144]  On a fait valoir de manière distincte et précise qu’il fallait accorder peu ou pas de poids à la manière dont M. Brienza a interprété les revendications parce que celui-ci s’est fondé, dans une large mesure, sur l’[traduction« essence de l’invention » pour interpréter les revendications. Cet argument est analysé et rejeté, à la section qui porte sur la validité du brevet 392.

[145]  Evolution a allégué que M. Brienza n’a pas pris en considération et étudié comme il faut les réalisations antérieures. Elle a affirmé que ce n’est qu’après le rapport initial de M. Schuch que M. Brienza s’est rendu compte qu’il avait [traduction« fait une erreur incurable » en n’examinant pas de manière indépendante les réalisations antérieures. Cette présumée erreur est fatale, d’après Evolution, parce qu’il fallait que M. Brienza cherche les réalisations antérieures pour déterminer ce que la personne moyennement versée dans l’art aurait découvert dans le cadre d’une [traduction« recherche raisonnable et diligente ».

b)  La contestation, par Evolution, des titres de compétence de M. Brienza

[146]  Evolution a fait valoir que les travaux et les enseignements de M. Brienza avaient principalement trait à trois domaines : la prévention des plaies de pression, les systèmes de commande électrique et la télé-réadaptation. Elle a soutenu que cela signifie que M. Brienza n’était pas très versé dans le génie mécanique, surtout dans des secteurs tels que la conception et la mise au point de la technologie des fauteuils roulants, la technologie des surfaces de soutien ainsi que l’élaboration de normes techniques régissant les technologies de la mobilité.

[147]  Evolution a soutenu que même si M. Brienza est un expert en sciences et en génie de la réadaptation, il n’était pas en mesure de fournir un témoignage d’expert dans des secteurs liés aux dispositifs mécaniques et à l’analyse des dispositifs d’aide au déplacement dits « portants » parce qu’il n’est pas ingénieur en mécanique.

[148]  M. Brienza a reconnu que le brevet 392 s’adresse, de façon générale, à une personne ayant des connaissances en génie mécanique. Il a également expliqué les diverses situations dans lesquelles, au cours de sa carrière, il lui a fallu posséder et appliquer une connaissance très détaillée de la mécanique et observer les règles de l’application de la mécanique à divers problèmes, tels que les plaies de pression. Il a également obtenu un certain nombre de brevets – donc un grand nombre portent sur des dispositifs mécaniques, comme une machine que l’on manipule pour créer une forme servant de moule à coussins.

[149]  M. Brienza a déclaré que par l’entremise du programme de génie électrique qu’il a suivi – et grâce auquel il a obtenu son doctorat en génie électrique – il a acquis les connaissances nécessaires en matière de statique et de dynamique pour analyser les points dont il est question dans le brevet 392. Il donne des cours sur la conception technique en matière de réadaptation, ce qui inclut les rudiments du processus de conception technique et les éléments particuliers qui entrent dans la mise au point de techniques de réadaptation axées sur la personne et ses besoins.

[150]  M. Brienza est le directeur du Rehabilitation Engineering Research Centre on Wheeled Mobility (Centre de recherche en génie de la réadaptation et en aide à la mobilité sur roues) de l’Université de Pittsburgh, qui se spécialise dans les dispositifs d’aide au déplacement. Le Centre partage ses activités de manière approximativement égale entre des travaux de développement et des travaux de recherche. Il a le titre de fellow au sein de la Rehabilitation Engineering & Assistive Technology Association of North America [RESNA], dont il est membre depuis 1988. RESNA est le seul organisme en Amérique du Nord qui se consacre expressément au domaine des technologies de la réadaptation.

[151]  En fin de compte, les parties ont convenu que M. Brienza pouvait témoigner sur les questions abordées dans ses rapports et il a été admis comme expert dans les domaines mentionnés plus tôt, tout en réservant à Evolution la possibilité de contester le poids à attribuer aux opinions ou aux déclarations de M. Brienza qui toucheraient d’autres secteurs. Je suis convaincue que M. Brienza est tout à fait compétent pour faire part de son opinion sur les questions en litige, vu sa vaste expérience dans le domaine et ses titres de compétence.

(2)  Nancy Rogers

[152]  Mme Rogers a obtenu un baccalauréat en administration de l’Université Western Ontario. Elle est agréée par l’Institut canadien des comptables agréés à titre de spécialiste en juricomptabilité. Elle est également agréée en criminalistique financière.

[153]  Les parties conviennent que Mme Rogers est une comptable professionnelle agréée et une experte en évaluation d’entreprise qui est spécialisée dans les secteurs de la quantification des dommages, de la juricomptabilité et des évaluations d’entreprise.

[154]  Mme Rogers a produit trois rapports d’expert, qui ont été déposés au procès :

  1. Un rapport en deux volumes, daté du 23 septembre 2016 [le rapport Rogers] dans lequel Mme Rogers a quantifié les profits réalisés par Evolution au cours de la période du 1er décembre 2010 au 30 juin 2016 en contrefaisant censément le brevet 392 par l’utilisation ou la vente du déambulateur Nexus; Mme Rogers a également calculé la demande d’indemnisation raisonnable de Human Care qui s’applique à la période du 26 septembre 2005 au 30 novembre 2010, montant dont les parties ont convenu;

  2. Un rapport daté du 18 mai 2017, dans lequel Mme Rogers a présenté un sommaire des revenus que Human Care a tirés de la vente de ses déambulateurs Nexus ainsi que du montant total des revenus que Human Care a gagnés au cours de la période du 26 septembre 2005 au 30 novembre 2010;

  3. Un rapport complémentaire daté du 9 août 2017 dans lequel Mme Rogers a mis à jour les calculs présentés dans le rapport Rogers à la suite d’une entente ultérieure entre les parties, et ce, en se servant d’un prix unitaire fixe pour les déambulateurs Xpresso et en intégrant deux scénarios de calcul supplémentaires.

[155]  Mme Rogers a appliqué une [traduction« approche fondée sur les profits réels » pour calculer les revenus bruts tirés des produits Xpresso d’Evolution et elle a attesté ces faits au procès. J’analyserai plus en détail son témoignage à la section « Réparations » du présent jugement et motifs.

a)  Critique, par Evolution, de Mme Rogers

[156]  Evolution soutient que Mme Rogers a joué [traduction« le rôle de défenseur plutôt que celui d’expert indépendant et objectif, qui a cherché à justifier que l’on fasse abstraction de certains coûts de manière à faire grimper les profits à des niveaux déraisonnables ». En particulier, Evolution soutient que Mme Rogers n’a pas respecté les pratiques ordinaires concernant les missions d’enquête judiciaire en examinant des documents étrangers à sa mission et elle a seulement effectué les calculs qu’on lui avait demandé de faire, au lieu de procéder à une analyse d’enquête de plus grande envergure en vue de formuler ses propres hypothèses.

[157]  Ces allégations seront analysées à la section « Réparations ».

D.  Les témoins experts d’Evolution

(1)  Jonathon Schuch

[158]  M. Schuch est directeur de la Santé et du mieux-être au travail au Health System (Système de santé) de l’Université de Virginie. Il a obtenu un baccalauréat ès sciences en biologie de l’Université d’État de la Caroline du Nord en 1981, ainsi qu’une maîtrise en génie biomédical de l’Université de Virginie en 1984.

[159]  M. Schuch a été qualifié comme expert dans le domaine du génie biomédical et du génie mécanique, avec une concentration dans la conception de matériel de réadaptation, de technologies de réadaptation, de dispositifs mécaniques et de machines, ainsi que dans l’analyse et la conception de dispositifs d’aide au déplacement, dont, notamment, les fauteuils roulants, les marchettes et les déambulateurs. Son témoignage a été admis dans la mesure où Human Care se réservait le droit de contester son expertise sur les questions de poids, à la suite d’un contre‑interrogatoire sur ses antécédents.

[160]  M. Schuch a produit des rapports datés du 23 septembre 2016 et du 15 décembre 2016. Dans ces derniers, il a fait part de son opinion sur la validité du brevet 392, il a passé en revue les revendications et il a conclu qu’Xpresso ne contrefaisait pas le brevet 392. Selon lui, le dessin [traduction« n’est rien de plus qu’une juxtaposition de pièces anciennes, sans résultat nouveau ou inventif ».

a)  La critique, par Human Care, de M. Schuch

[161]  Human Care avait des doutes au sujet des antécédents de M. Schuch, mais elle a convenu que ce dernier pouvait être qualifié comme expert sous réserve d’un contre-interrogatoire qui porterait sur le poids de son témoignage.

[162]  Human Care a fait remarquer au procès que M. Schuch n’est pas ingénieur en mécanique. Il n’a pas de diplôme de premier cycle ou de diplôme d’études supérieures en génie qui soit agréé par l’ABET. Il a passé un examen écrit en génie de nombreuses années après avoir terminé ses cours, ce qui lui permet d’être reconnu comme ingénieur professionnel dans l’État de la Virginie. Même s’il n’existe aucune catégorisation qui le reconnaisse en tant qu’ingénieur en mécanique, c’est toutefois ainsi qu’il se désigne.

[163]  Human Care fait valoir que M. Schuch s’est livré à une [traduction« interprétation axée sur les résultats » étroite. Il a censément interprété des mots faisant partie des revendications de manière [traduction« isolée, leur attribuant des définitions étrangères aux revendications elles-mêmes ». Human Care dit que M. Schuch n’a pas lu le brevet de manière holistique, agissant ainsi de manière contraire à la jurisprudence bien établie en matière d’interprétation de brevet. Il est allégué qu’il y a donc lieu d’accorder moins de poids à son témoignage.

(2)  Mark A. Gain

[164]  M. Gain est associé et vice-président principal chez Matson, Driscoll & Damico Ltd. Il a obtenu son baccalauréat en commerce de l’Université McMaster en 1978. Il a plus de 35 ans d’expérience dans le domaine de la juricomptabilité.

[165]  Il est convenu que M. Gain est un comptable professionnel agréé et un évaluateur d’entreprise agréé qui est un expert dans les domaines de l’évaluation d’entreprise, de la quantification des pertes économiques et de la juricomptabilité.

[166]  M. Gain a produit un rapport daté du 21 avril 2017 [le rapport Gain] dans lequel il a adopté une approche fondée sur le [traduction« profit différentiel » pour calculer les bénéfices qu’Evolution avait gagnés au cours de la période du 1er décembre 2010 au 30 juin 2016 en contrefaisant le brevet 392. Il a également fait part de commentaires sur le rapport Rogers.

[167]  Le montant que M. Gain a calculé à titre de redevances raisonnables à payer par Human Care pour les ventes d’Xpresso d’Evolution au cours de la période d’octroi du brevet 392 a été admis par les parties et convenu dans l’ECF.

a)  La critique, par Human Care, de M. Gain

[168]  Human Care n’a eu rien à redire au sujet des qualifications de M. Gain, mais elle a tout de même fait remarquer que l’analyse présentée dans son rapport était inexacte en droit et non étayée par la preuve. Il convient donc de lui accorder peu de poids.

[169]  Ces allégations seront également examinées dans l’analyse relative aux réparations.

V.  Les questions en litige

[170]  Au début du procès, les parties ont présenté un énoncé conjoint des questions en litige :

  1. Pour ce qui est du brevet 392, qui est la personne moyennement versée dans l’art?

  2. Quelles étaient les connaissances générales courantes de la personne moyennement versée dans l’art en date du 26 septembre 2005?

  3. Comment la personne moyennement versée dans l’art aurait-elle compris les termes et les restrictions qui suivent dans le brevet 392 :

  1. « premier » et « second » supports;

  2. « dispositif formant charnière »;

  3. « dispositif formant barre de tension »;

  4. « poignée »;

  5. « premier » et « second » « croisillons »;

  6. « relie structurellement »;

  7. « s’étend entre ».

  1. Si le déambulateur Xpresso contrefait les revendications 16 ou 18 du brevet 392.

  2. Si l’objet du brevet 392 était invalide en date du 26 mars 2004 pour l’une quelconque des raisons suivantes :

  1. l’antériorité, à cause du brevet américain no 5 348 336 [Fernie];

  2. l’évidence à cause de Fernie et d’autres réalisations antérieures énumérées dans la seconde défense modifiée;

  3. la portée excessive, en ce sens que les revendications sont d’une portée plus large que l’invention réalisée ou décrite dans le mémoire descriptif;

  4. le fait d’être une simple juxtaposition de pièces antérieurement connues, ayant chacune son propre résultat et sans qu’un nouveau résultat découle de la combinaison.

[171]  La liste des termes et des restrictions a été quelque peu rajustée. Les changements en question sont les suivants :

  1. Le litige entourant les mots « dispositif formant charnière » fait maintenant partie du litige entourant la manière d’interpréter les supports. Il ne sera pas considéré comme un élément distinct à interpréter.

  2. Les mots « connecte structurellement » sont pris en considération par rapport à la barre de tension et aux supports.

  3. « s’étend entre » est examiné avec les croisillons.

  4. Evolution a soulevé une question additionnelle, à la suite des témoignages faits au procès au sujet de la [traduction] « connexion par pivotement » entre les supports et les montants du châssis. Il en est question dans l’examen de la contrefaçon.

[172]  Si le brevet 392 est valide et contrefait, il y a donc un certain nombre de questions qui se rapportent aux mesures de réparation. Ces questions sont énoncées séparément à la section « Réparations » du présent jugement et motifs.

VI.  Les revendications en litige

[173]  Les revendications 16 et 18 sont en litige pour cause de contrefaçon. Les 18 revendications sont en litige pour cause de validité.

[174]  Le texte de la revendication16 est le suivant :

[traduction]

Un dispositif d’aide au déplacement ajustable entre une position d’utilisation et une position de rangement, et formé des éléments suivants :

un premier montant de châssis doté d’une paire de dispositifs d’entrée en contact avec le sol à leur extrémité inférieure, en vue d’assurer ce contact;

un second montant de châssis doté d’une paire de dispositifs d’entrée en contact avec le sol à leur extrémité inférieure, en vue d’assurer ce contact;

un premier support connecté par pivotement au premier montant de châssis;

un second support connecté par pivotement au second montant de châssis et connecté par pivotement au premier support, les premier et second supports étant destinés à supporter un poids au‑dessus du sol dans la position d’utilisation;

un dispositif formant charnière connectant par pivotement le premier support au second support et permettant à ces deux supports de pivoter l’un vers l’autre dans la position de rangement;

un dispositif formant barre de tension et permettant de répartir le poids entre les premier et second supports, ledit dispositif étant ajustable entre une position déployée, dans laquelle ladite barre de tension est connectée structurellement auxdits premier et second supports lorsque le dispositif est en position d’utilisation, et une position déverrouillée permettant de mettre le dispositif en position de rangement;

un premier croisillon s’étendant entre le premier support et le second montant du châssis, de façon à transférer au moins une partie du poids au second montant de châssis;

un second croisillon s’étendant entre le second support et le premier montant de châssis, de façon à transférer au moins une partie du poids au premier montant du châssis.

[175]  La revendication 18 est identique à la revendication 16, sauf qu’elle ne mentionne pas les deux croisillons (les deux derniers paragraphes de la revendication 16) et qu’elle ajoute une poignée au dernier paragraphe :

[traduction]

une poignée passant au travers du premier support de façon à faire pivoter ladite barre de tension en position de déverrouillage, et à faire pivoter les premier et second supports en position de rangement.

[176]  Comme il est indiqué dans l’énoncé conjoint des questions en litige, plusieurs termes employés dans le brevet 392 doivent être interprétés par la Cour. Le litige entourant le [traduction« dispositif formant charnière » est englobé dans le litige entourant le terme « premier » et « second » supports. Cela étant, il y a maintenant six éléments de revendication à interpréter. De plus, Evolution soutient qu’une autre question d’interprétation s’est posée lors du procès quand M. Brienza a interprété les mots [traduction« connecté par pivotement » en faisant référence aux supports et aux montants de châssis de deux façons différentes. L’expression « connecté par pivotement » n’est pas interprétée séparément car elle fait partie de l’interprétation des « premier » et « second » supports et des croisillons.

VII.  L’interprétation des revendications

A.  Le droit applicable

[177]  La Cour suprême du Canada a établi dans plusieurs arrêts le droit qu’il convient d’appliquer à l’interprétation des revendications. Ce faisant, elle a intégré des éléments jurisprudentiels issus du Royaume-Uni et tirés parfois de textes et d’articles spécialisés sur les brevets.

[178]  Un brevet délivré est un texte selon le paragraphe 2(1) de la Loi d’interprétation, LRC (1985), c I‑21 et il convient de l’interpréter d’une manière qui « soit compatible avec la réalisation de son objet », selon l’article 12. Quand on interprète un brevet, le contexte dans lequel des mots sont employés « fournit généralement des indices quant à la façon de les interpréter ainsi qu’une protection contre leur mauvaise interprétation » : Whirlpool Corp c Camco Inc., 2000 CSC 67, à l’alinéa 49e) [arrêt Whirlpool].

[179]  Consciente des questions en litige et des arguments invoqués en l’espèce, je suis d’avis que le sommaire présenté par le juge Locke aux paragraphes 71 à 79 de la décision Pollard Banknote Limited c BABN Technologies Corp., 2016 CF 883, résume de manière utile le droit qu’il convient d’appliquer :

[71]  L’interprétation des revendications précède l’examen des questions de validité et de contrefaçon : arrêt Whirlpool Corp c. Camco Inc., 2000 CSC 67, au paragraphe 43 [Whirlpool].

[72]  Un brevet ne s’adresse pas au citoyen ordinaire, mais au travailleur versé dans l’art décrit comme :

[TRADUCTION]

un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée. Cette notion de la personne fictive a parfois été assimilée à celle de l’« homme raisonnable » retenue en matière de négligence. On suppose que cette personne va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec.

[Arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, au paragraphe 44, citant Fox, Harold G. The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4e éd., Toronto, Carswell, 1969, à la p. 184.]

[73]  Comme il est indiqué dans l’arrêt Catnic Components Ltd c Hill & Smith Ltd, [1982] RPC 183, aux pages 242 et 243 [Catnic], et cité dans l’arrêt Whirlpool, au paragraphe 44 :

Le mémoire descriptif d’un brevet doit recevoir une interprétation téléologique plutôt que l’interprétation purement littérale découlant du genre d’analyse terminologique méticuleuse que les avocats sont trop souvent tentés de faire en raison de leur formation. La question qui se pose dans chaque cas est la suivante : les personnes ayant une connaissance et une expérience pratiques du genre de travail auquel l’invention est destinée à servir comprendraient‑elles que le breveté voulait que l’interprétation stricte d’une expression ou d’un mot descriptifs particuliers figurant dans une revendication constitue une condition essentielle de l’invention, de manière à ce que toute variante soit exclue du monopole revendiqué même s’il se peut qu’elle n’ait aucun effet important sur la façon dont l’invention fonctionne.

[En italique dans l’original.]

[74]  C’est la teneur des revendications qui, dans une interprétation téléologique, démontre que certains éléments de l’invention revendiquée sont essentiels alors que d’autres ne le sont pas : voir l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 SCC 66, au paragraphe 31 [Free World Trust]. Comme les éléments d’une revendication sont censés être essentiels, il incombe à la partie qui prétend le contraire d’en établir le caractère non essentiel.

[75]  Pour interpréter une revendication de façon téléologique, il est important de garder à l’esprit la primauté de la teneur des revendications : voir l’arrêt Free World Trust, paragraphe 40.

[76]  Tel qu’énoncé dans l’arrêt Consolboard Inc c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd, [1981] 1 RCS 504, à la page 520 :

Il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement (Noranda Mines Limited c. Minerals Separation North American Corporation), [1950] R.C.S. 36), sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n’est pas le moment d’être trop rusé ou formaliste en matière d’oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dans l’arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c. Baldwin International Radio of Canada [[1934] R.C.S. 570], à la p. 574 : [traduction] « quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet ». Sir George Jessel a dit à peu près la même chose il y a beaucoup plus longtemps dans l’arrêt Hinks & Son c. Safety Lighting Company [(1876), 4 Ch. D. 607]. Il a dit que l’on devait aborder le brevet « avec le souci judiciaire de confirmer une invention vraiment utile ».

[77]  Si plusieurs interprétations sont raisonnablement possibles, la Cour doit favoriser celle qui permet de confirmer la validité du brevet : voir la décision Letourneau c. Clearbrook Iron Works Ltd., 2005 CF 1229, aux paragraphes 37 et 38; la décision Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1725, au paragraphe 52.

[78]  Il existerait une incompatibilité entre un principe selon lequel l’interprétation des revendications est antérieure à l’examen des questions portant sur la validité et un autre principe selon lequel on doit favoriser l’interprétation qui permet de confirmer la validité du brevet (ou aborder celui‑ci avec le souci judiciaire de confirmer une invention vraiment utile). Il semblerait que l’on doive favoriser l’interprétation qui permet de confirmer un brevet seulement après avoir examiné ce qui est nécessaire à la confirmation de la validité du brevet. Il n’est donc pas tout à fait clair s’il faut examiner les questions concernant la validité au moment d’interpréter les revendications. À mon avis, les deux principes susmentionnés vont de pair. Pour clarifier les choses, on peut s’appuyer sur le fait que la Cour ne peut interpréter une revendication dans l’ignorance de l’objet du litige entre les parties; il est essentiel de voir où le bât blesse, de manière à pouvoir se concentrer sur les points importants : voir la décision Shire biochem inc. c. Canada (Santé), 2008 CF 538, au paragraphe 22; la décision Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CF 676, au paragraphe 82.

[79]  Dans l’arrêt Free World Trust, la CSC a expressément rejeté le recours aux documents extrinsèques, notamment la correspondance entre le demandeur et l’examinateur, dans le but d’interpréter les revendications d’un brevet lors des poursuites portant sur ce brevet. La Cour s’est penchée sur un concept qui existe aux États-Unis, la préclusion fondée sur les notes apposées au dossier, qui prévoit que le breveté ne peut reprendre le terrain cédé au cours de poursuites portant sur une demande de brevet pour éviter que l’invention se heurte à une antériorité. De cette façon, la correspondance avec l’examinateur peut avoir de la pertinence lors de l’interprétation des revendications concernant des brevets américains. Cependant, dans l’arrêt Free World Trust, la Cour a plutôt opté pour la simplicité lorsqu’elle affirme au paragraphe 66 :

Autoriser la mise en preuve de tels éléments extrinsèques pour déterminer l’étendue d’un monopole compromettrait le rôle des revendications dans l’information du public et ajouterait à l’incertitude, tout en attisant le brasier déjà intense du contentieux en matière de brevets. La faveur dont jouit actuellement l’interprétation téléologique, qui assure la primauté de la teneur des revendications, paraît également incompatible avec l’ouverture de la boîte de Pandore que serait la préclusion fondée sur les notes apposées au dossier. Lorsque des observations importantes lui sont présentées concernant la portée des revendications, le Bureau des brevets devrait exiger, si besoin est, qu’une modification soit apportée en conséquence aux revendications.

[180]  Dans le même ordre d’idées, le témoignage des inventeurs à propos de la juste interprétation des revendications est également inadmissible car il s’agit, là aussi, d’une preuve extrinsèque : Merck & Co., Inc. c Apotex Inc., 2006 CAF 323, aux paragraphes 51 à 53.

[181]  Une interprétation dite « en fonction de l’objet visé » (ou « téléologique ») oblige à se reporter à l’ensemble du mémoire descriptif afin de fournir le contexte nécessaire à une compréhension appropriée des mots employés par l’inventeur : Pfizer Canada Inc. c Canada (Santé), 2007 CAF 209, au paragraphe 53; autorisation d’interjeter appel rejetée le 15 novembre 2017, CSC no 32132.

[182]  L’interprétation téléologique ne permet pas d’interpréter un brevet en fonction du mécanisme que l’on prétend contrefait quand il est question de contrefaçon, ni en fonction de l’antériorité quand il est question de validité : arrêt Whirlpool, à l’alinéa 49a). Le brevet ne doit pas non plus être interprété sans qu’il soit tenu compte du produit qui aurait été fabriqué grâce à ses enseignements : Janssen‑Ortho Inc. c Canada (Santé), 2010 CF 42, au paragraphe 105.

[183]  L’interprétation des revendications comporte plus que le simple fait de prendre les mots d’un brevet au pied de la lettre. Dans l’arrêt Whirlpool, la Cour suprême a souligné que le contexte dans lequel les mots sont employés constitue un élément essentiel de la compréhension du brevet. Dans l’arrêt Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 [arrêt Free World Trust], la Cour suprême a apporté des précisions sur la manière dont les mots d’un brevet doivent être interprétés en ajoutant une restriction :

51  Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui‑même. Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée.

[Non souligné dans l’original.]

[184]  Pour ce qui est de l’interprétation des revendications, la date pertinente est la date de publication du brevet 392, soit le 26 septembre 2005.

B.  La manière dont M. Brienza et M. Schuch ont interprété les revendications

[185]  Bien que M. Brienza et M. Schuch aient abordé différemment l’un de l’autre leur travail d’interprétation des revendications, j’ai trouvé qu’ils étaient tous deux des témoins sincères et bien informés. Chacun d’eux a fait de son mieux pour répondre à toutes les questions et ce, sans faire preuve de combativité ou sans se livrer à un travail de défense ou se lancer dans un débat avec les avocats. En général, ils étaient d’accord sur les questions d’interprétation dans lesquelles les différences n’étaient pas marquées. Bien sûr, une réserve importante s’impose : les points sur lesquels ils ne s’entendent pas sont importants, en ce sens que leurs opinions sont diamétralement opposées.

[186]  M. Brienza a interprété les revendications de manière plus large que M. Schuch, qui a adopté une approche étroite, plus littérale.

[187]  M. Brienza a procédé à une analyse téléologique, en examinant le brevet dans son ensemble, l’interaction des éléments des revendications et le mémoire descriptif.

[188]  M. Brienza a adopté, au sujet des revendications, un point de vue qui permet de les maintenir; il a dit qu’il les trouvait relativement simples à lire et à comprendre. Il a confirmé son interprétation en faisant référence au mémoire descriptif, ce que, a‑t‑il dit, il faisait toujours. L’interprétation qu’il a faite des éléments des revendications n’entrait pas en conflit avec les  mêmes éléments qui étaient présents dans les autres revendications. Il a reconnu qu’il est préférable d’interpréter de façon différente des revendications différentes que d’avoir des interprétations de revendications différentes qui sont les mêmes. Ce faisant, il a respecté le principe de la différenciation des revendications dont a fait état la juge Gauthier dans la décision Eli Lilly and Company c Apotex Inc., 2009 CF 991, au paragraphe 90 :

Chaque partie du mémoire descriptif doit faire l’objet d’une interprétation et, dans la mesure du possible, chaque revendication doit être interprétée indépendamment des autres et se voir attribuer un sens distinct. Les tribunaux ne seront pas portés à conclure à l’identité de deux revendications dans un mémoire descriptif, car si une revendication a le même sens que l’autre, on ne peut pas dire qu’elle ait une signification véritable.

[Souligné dans l’original.]

[189]  M. Schuch a tout d’abord défini un certain nombre des termes qu’il a relevés dans les revendications en se fondant sur la connaissance qu’il avait du sens ordinaire de chacun. Il a confirmé qu’il était arrivé à ses définitions [traduction« indépendamment du texte des revendications ». Il a dit aussi qu’il avait ensuite appliqué ses définitions à l’interprétation des revendications. Comme l’a déclaré l’avocate de Human Care : [traduction« M. Schuch […] a examiné les revendications, a choisi des mots au hasard, les a définis en dehors du cadre des revendications et les a ensuite réinsérés dans ces dernières ». Il s’agit là, selon moi, d’une juste description du processus que M. Schuch a suivi.

[190]  Je ne suis pas convaincue que M. Schuch a examiné le texte des revendications dans son juste contexte. Au lieu d’examiner le texte proprement dit des revendications, M. Schuch l’a souvent tronqué ou changé. Par exemple, pour interpréter l’expression [traduction« dispositif formant barre de tension », M. Schuch a défini ce qu’est une barre de tension. Contrairement à M. Brienza, M. Schuch n’a pas mentionné ce signifie que le mot « dispositif » ni n’a réfuté l’explication qu’en a donnée M. Brienza. Pour les expressions « connecte structurellement » ou « connecte par pivotement » M. Schuch a examiné le mot « connecte » séparément. M. Brienza a considéré que le mot « structurellement » modifiait le sens du mot « connecte ». L’une des expressions litigieuses est [traduction« s’étend entre »; M. Schuch n’a examiné et interprété que le mot « s’étend ».

[191]  Quand l’interprétation que faisait M. Schuch d’un élément d’une revendication avait pour résultat d’invalider plusieurs revendications, il n’a pas cherché à revoir cette interprétation en vue de déterminer s’il existait un autre sens qui permettrait de confirmer les revendications.

[192]  L’avocat d’Evolution soutient que les mots que M. Schuch a définis avaient un sens que la personne moyennement versée dans l’art comprendrait facilement. À son avis, c’était M. Brienza qui avait étiré ou déformé des mots tels que [traduction« barre de tension », [traduction« s’étend entre » et [traduction« connecte ».

[193]  Il y a certes eu des occasions où M. Schuch s’est effectivement reporté au mémoire descriptif au moment de traiter de son interprétation des revendications. Il a toutefois appliqué ses propres définitions, de sorte que je garderai à l’esprit les commentaires du juge Stratas, dans l’arrêt Cobalt Pharmaceuticals Company c Bayer Inc., 2015 CAF 116, à savoir que le fait de « sélectionne[r] minutieusement des éléments particuliers du brevet » est une approche tendancieuse qu’il est préférable d’éviter, car il convient d’examiner le brevet dans son ensemble, en interprétant le texte des revendications, comme il est indiqué dans l’arrêt Whirlpool.

C.  La personne moyennement versée dans l’art

[194]  Dans l’arrêt Whirlpool, le juge Binnie a souligné que la personne moyennement versée dans l’art est une personne qui a des compétences ordinaires et qui possède les connaissances usuelles d’une telle personne. Au paragraphe 70, il a fait référence à l’arrêt Consolboard Inc. c MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 RCS 504, à la page 523, où le juge Dickson, tel était alors son titre, a cité des extraits de l’ouvrage Fox Canadian Patent Law and Practice, 4éd., à la page 204 :

Ces revendications s’adressaient forcément à la population plus large des individus moyennement versés dans la technologie des laveuses. Comme le lord juge Aldous l’a fait remarquer dans Beloit Technologies Inc c. Valmet Paper Machinery Inc., [1997] R.P.C. 489 (C.A. Angl.), à la p. 494 :

[traduction]

Le destinataire fictif versé dans l’art est la personne ordinaire qui ne bénéficie peut-être pas des avantages dont peuvent jouir certains employés de grandes sociétés. L’information figurant dans un mémoire descriptif s’adresse à cette personne et doit contenir suffisamment de détails pour qu’elle puisse comprendre et utiliser l’invention. L’aspect inventif ne sera absent que si l’invention est évidente pour cette personne.

[Je souligne.]

Le juge Dickson a mis le même accent sur le « caractère moyen » dans l’arrêt Consolboard, précité, à la p. 523 :

[traduction]

Les personnes à qui le mémoire descriptif s’adresse sont « des travailleurs moyens » doués d’habiletés moyennes dans l’art dont l’invention relève et possédant les connaissances générales moyennes qu’ont les gens de ce domaine d’activité précis. On arrive à la bonne interprétation du brevet en tenant compte de ce qu’un ouvrier habile qui aurait lu le mémoire descriptif à l’époque aurait jugé divulgué et revendiqué par le mémoire.

[195]  Dans l’arrêt Free World, le juge Binnie développe davantage la définition de la personne moyennement versée dans l’art, et décrète ce qui suit au paragraphe 44 :

Traditionnellement, les tribunaux ont protégé le breveté contre les effets d’une interprétation trop textuelle. Le brevet ne s’adresse pas au citoyen ordinaire, mais au travailleur versé dans l’art, que le Dr Fox a décrit comme

[traduction]

un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée. Cette notion de la personne fictive a parfois été assimilée à celle de l’« homme raisonnable » retenue en matière de négligence. On suppose que cette personne va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec.

(Fox, op. cit., à la p. 184)

Ce sont les « connaissances usuelles » que partagent les « travailleurs moyens » compétents qui sont déterminantes aux fins de l’interprétation : Fox, op. cit., à la p. 204; Terrell on the Law of Patents (15e éd. 2000), à la p. 125; I. Goldsmith, Patents of Invention (1981), à la p. 116. […]

[196]  M. Brienza et M. Schuch s’entendent dans une large mesure sur les caractéristiques de la personne moyennement versée dans l’art. Ce n’est qu’à l’égard de la somme d’expérience professionnelle dont aurait besoin une personne ne détenant pas un diplôme en génie qu’ils ne partagent pas la même opinion. Au procès, M. Schuch a admis que cette différence n’était pas importante.

[197]  M. Brienza a émis l’opinion, partagée par M. Schuch, comme il a été indiqué plus tôt, que la personne versée dans l’art pourrait être soit une personne ayant des connaissances en génie, soit une équipe. L’expérience saurait remplacer une formation officielle en génie.

[198]  Le degré d’études dicterait le degré d’expérience en matière de conception de produits de réadaptation que devrait posséder la personne versée dans l’art. Une plus grande expérience en matière de conception exigerait moins d’études, et vice versa.

[199]  Il est nécessaire de connaître les besoins du groupe de personnes auquel le produit est destiné. La personne moyennement versée dans l’art saurait également quels matériaux employer pour la conception d’un produit particulier.

[200]  Après avoir pris en compte le témoignage et le rapport des experts, je conclus que la personne ou l’équipe de personnes à qui s’adresse le brevet 392 posséderait les qualifications et l’expérience qui suivent pour pouvoir comprendre le brevet 392 et mettre ainsi en pratique l’invention :

  • - Une certaine connaissance des mécanismes et une expérience des matériaux entrant dans la conception de produits de réadaptation, comme les marchettes, les déambulateurs ou les fauteuils roulants;

  • - Une connaissance du processus de conception de produits de réadaptation ainsi que des besoins du groupe de personnes auquel le produit est destiné, de même qu’une connaissance des matériaux à utiliser pour la conception de produits particuliers;

  • - Une expérience confirmée sur le plan de la conception de produits de réadaptation semblables, qui remplacerait un diplôme universitaire en génie; cette personne peut avoir suivi une formation dans une école de formation professionnelle et avoir acquis une ou deux années d’expérience de la conception de dispositifs semblables; ou

  • - Un diplôme de premier cycle en génie serait suffisant, de pair avec une expérience supplémentaire en produits de réadaptation, comme une expérience de la conception technique dans le cadre d’un projet de conception; ou

  • - Une personne titulaire d’une maîtrise ou d’un doctorat posséderait une connaissance suffisante ainsi qu’un degré moindre d’expérience, comme dans le cadre d’un projet de conception.

D.  Les connaissances générales courantes [CGC]

[201]  La détermination de ce qui constitue les CGC est une conclusion de fait; cela n’équivaut pas à la totalité des informations disponibles dans le domaine public. Cela inclut une connaissance des brevets, mais non une connaissance de tous les brevets. Il s’agit du sous‑ensemble des brevets, des articles scientifiques et des renseignements techniques qui, comme le reconnaissent généralement les personnes moyennement versées dans l’art, font partie des CGC dans le domaine auquel le brevet se rapporte : Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 219, aux paragraphes 63 à 65.

[202]  Les deux experts s’entendent pour dire que les CGC comprendraient une connaissance de base des capacités fonctionnelles de l’être humain, et plus précisément des invalidités ou des limites fonctionnelles qui ont une incidence sur l’ambulation.

[203]  Les experts conviennent également que les CGC incluraient une connaissance d’un éventail de dispositifs d’aide au déplacement, de leur processus de conception, ainsi que des besoins et des limites des personnes auxquelles ces dispositifs sont destinés. À cet égard, la personne moyennement versée dans l’art posséderait une certaine connaissance de la capacité de charge statique, dynamique et cyclique des structures, ainsi que de l’effet de ses charges sur les structures et leurs composants. Cela inclurait une connaissance et une compréhension modérées des aspects suivants : 1) la manière de concevoir les composantes mécaniques et les structures de façon à ce qu’elles résistent à ces charges et maintiennent la stabilité, et 2) la manière de choisir les matériaux permettant d’atteindre les objectifs de conception.

[204]  M. Schuch et M. Brienza ont tous deux exprimé l’avis que les CGC incluraient l’examen de dispositifs d’aide au déplacement, comme les fauteuils roulants, les marchettes, les poussettes et les déambulateurs. Leurs opinions divergent quant à la question de savoir si les CGC figureraient dans des structures de tous les jours et des éléments de longue date, mais pas nécessairement liés aux dispositifs d’aide au déplacement.

[205]  M. Schuch inclurait dans les CGC des éléments tels que les civières de traumatisme, les chaises pliantes, les tables pliantes, les plateaux repliables, les bancs, les attaches, les bâtons télescopiques et les poignées de valise, car ils renferment des éléments de conception tels que l’emploi d’une barre ou d’une tige de tension assurant un soutien structurel en position déployée.

[206]  M. Brienza a déclaré qu’il limiterait les CGC aux dispositifs d’aide au déplacement, car ces derniers fonctionnent dans un environnement unique et dynamique au sein duquel ces dispositifs doivent soutenir l’utilisateur quand il les pousse tout en marchant, et lui fournir le soutien et la stabilité dont il a besoin quand il s’y assied. De plus, l’utilisateur doit être en mesure de plier le dispositif quand il le veut.

[207]  M. Brienza a exprimé l’avis que les dispositifs statiques comme un banc ou une attache à bâton n’aideraient pas la personne moyennement versée dans l’art, pas plus que d’autres dispositifs comme un plateau repliable parce qu’ils ne sont pas structurés pour fonctionner dans le même environnement dynamique qu’un dispositif d’aide au déplacement.

[208]  M. Schuch donnerait un sens plus large aux CGC parce qu’un grand nombre d’objets de tous les jours ont une longue histoire et qu’un grand nombre de dispositifs mécaniques – dont les tables et les chaises pliantes – incorporent des éléments tels qu’un dispositif formant barre de tension et des croisillons de manière à assurer une stabilité structurelle et à répartir le poids ou les charges.

[209]  Les deux experts conviennent que le fauteuil roulant, l’un des premiers dispositifs d’aide au déplacement, existe de longue date et que les personnes œuvrant dans le domaine comprennent bien les principes fondamentaux de conception et de construction des dispositifs d’aide au déplacement.

[210]  Je souscris à l’analyse que fait M. Brienza de la nature dynamique du fonctionnement d’un dispositif d’aide au déplacement et au fait que ce dernier présente, sur le plan de la conception, des défis particuliers qui ne sont pas courants dans les dispositifs ou les structures ordinaires. Il est donc nécessaire d’évaluer l’effet de toute modification de conception pour en déterminer l’utilisabilité dans une multitude d’environnements.

[211]  Evolution laisse entendre que M. Brienza n’a pas été cohérent dans ses déclarations concernant le fait que les objets n’ayant pas pour fonction d’aider au déplacement ne font pas partie des CGC et qu’il s’est contredit quand, à titre d’exemple, il a fait référence à une charnière de porte. Je ne considère pas son témoignage sous cet angle. M. Brienza a fait une distinction entre ce qu’un inventeur prendrait en considération et ce que seraient les CGC de la personne moyennement versée dans l’art. Dans ce contexte, il s’est dit d’avis que des objets n’ayant pas pour fonction d’aider au déplacement ne feraient pas partie des CGC de la personne moyennement versée dans l’art. Il ne fait aucun doute que l’on trouve des charnières dans de nombreux dispositifs d’aide au déplacement et que, à cet égard, elles font partie des CGC.

[212]  Une connaissance des concepts et des principes, de l’objet et de l’utilisation des divers éléments d’un dispositif d’aide au déplacement, comme les tiges de tension, les montants, les croisillons, les jambes de force et les charnières, feraient partie des CGC. Dans le même ordre d’idées, d’autres dispositifs d’aide au déplacement qui se plient pour en faciliter leur rangement feraient également partie des CGC.

[213]  Toutefois, vu la complexité du processus de conception et le risque qu’un utilisateur se blesse si la conception est viciée, les CGC n’incluraient pas la connaissance des structures et des éléments ordinaires d’objets de longue date qui ne sont pas liés aux dispositifs d’aide au déplacement. Ces éléments des CGC sur lesquels s’entendent les experts, comme il a été mentionné plus tôt, feraient partie des CGC de la personne moyennement versée dans l’art.

[214]  Enfin, dans la description de la personne moyennement versée dans l’art, les experts ont indiqué que cette personne avait une connaissance des besoins du groupe de personnes auquel le produit est destiné, ainsi qu’une connaissance des matériaux entrant dans la conception de produits particuliers. Cette connaissance ferait partie de leurs CGC. Cela me convainc aussi que le fait de trop s’écarter du domaine des dispositifs d’aide au déplacement pour chercher des éléments présents dans d’autres structures ne ferait pas partie des CGC.

E.  Les éléments essentiels des revendications du brevet 392

[215]  Un élément est dit essentiel s’il est nécessaire pour que le dispositif fonctionne de la manière envisagée et revendiquée. Il ne l’est pas s’il peut être remplacé ou supprimé sans que cela ait un effet marqué sur la structure ou le fonctionnement de l’invention décrite dans les revendications. Toutefois, un élément peut être essentiel, même s’il peut être remplacé ou supprimé, s’il ressort clairement du mémoire descriptif, sans avoir à examiner des preuves intrinsèques, que le ou les inventeurs entendaient que cet élément soit essentiel : Free World Trust, au paragraphe 20 et au sous-alinéa 31e)(iv).

[216]  Il est nécessaire d’interpréter les revendications de manière téléologique si l’on veut déterminer quels sont les éléments essentiels et, à cette fin, la Cour suprême fournit les indications suivantes :

Pour qu’un élément soit jugé non essentiel et, partant, remplaçable, il faut établir que (i), suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l’inventeur n’a manifestement pas voulu qu’il soit essentiel, ou que (ii), à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention, c.‑à‑d. que, si le travailleur versé dans l’art avait alors été informé de l’élément décrit dans la revendication et de la variante et [traduction] « qu’on lui avait demandé de déterminer si la variante pouvait manifestement fonctionner de la même manière », sa réponse aurait été affirmative : Improver Corp. c. Remington, précité, à la p. 192. Dans ce contexte, je crois qu’il faut entendre par « fonctionner de la même manière » que la variante (ou le composant) accomplirait essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat.

Free World Trust, au paragraphe 55

[217]  Evolution soutient qu’il n’existe aucun terme non essentiel et que les experts n’en ont relevé aucun. Elle ajoute que même si les experts s’entendent sur la plupart des éléments essentiels, il y en a sept qui sont en litige, dont un qui a été ajouté :

  1. le dispositif formant barre de tension;

  2. la barre de tension « connecte structurellement » les supports;

  3. la poignée passe au travers du siège / premier support;

  4. la poignée est reliée à la barre de tension ou agit directement sur elle;

  5. les croisillons;

  6. la connexion par pivotement entre les supports et les montants du châssis;

  7. le premier support et le second support.

[218]  Human Care indique que les sujets de désaccord entre les parties comprennent les supports, le dispositif formant barre tension, les croisillons et la poignée. La liste fournie par Evolution ne suscite aucun désaccord. Comme nous le verrons, trois des éléments sont considérés de deux façons différentes.

(1)  Les éléments essentiels convenus

[219]  M. Brienza et M. Schuch s’entendent sur l’interprétation que ferait la personne moyennement versée dans l’art de tous les termes et de toutes les limites du brevet 392, à l’exception des sept qui ont été relevés.

(2)  Les éléments essentiels non convenus

[220]  Parce qu’ils ont été interprétés de manière trop large par M. Brienza, M. Schuch n’est pas d’accord avec la manière dont ce dernier interprète les termes suivants :

« support »,

« connecte structurellement »,

« poignée […] de façon à faire pivoter ladite barre de tension en position de déverouillage »

[221]  De plus, comme il en a été question dans l’analyse relative à la contrefaçon, M. Schuch ne souscrit pas à la manière dont M. Brienza applique au déambulateur Xpresso son interprétation des revendications du brevet 392. Cela s’applique particulièrement aux éléments « poignée », « dispositif formant barre de tension » et « croisillons ».

(3)  La manière d’interpréter téléologiquement les termes essentiels qui sont en litige

[222]  Pour interpréter de manière téléologique les termes des revendications qui sont en litige, il est nécessaire de garder à l’esprit les principes d’interprétation que nous avons vus plus tôt. Il faut également comprendre à la fois l’objet de l’invention et le problème que cette dernière visait à régler : Wenzel Downhole Tools Ltd. c National‑Oilwell Canada Ltd., 2011 CF 1323, au paragraphe 61. De plus, je garde à l’esprit qu’il ne faut pas interpréter les revendications en se reportant aux réalisations antérieures : arrêt Whirlpool, à l’alinéa 49a).

[223]  Les sections « Technical Field » (Domaine technique) et « Background of the Invention » (Contexte de l’invention) du brevet 392 relèvent deux problèmes à régler. Le premier est la capacité de plier un dispositif d’aide au déplacement en position de rangement. Le second est le fait de remplacer les sièges souples ou de type hamac par un siège rigide qui permettrait de plier facilement le dispositif d’aide au déplacement en position de rangement.

[224]  L’autre problème que relève le brevet 392 est que les surfaces d’assise des dispositifs existants munis de sièges en deux parties étaient dotées de surfaces de butée extra larges entre les panneaux d’assise pivotants, ce qui n’offrait pas toujours une résistance suffisante pour un usage à long terme. Les surfaces de butée pouvaient coincer des parties du corps ou des objets placés entre ces surfaces. Il était prévu de régler ces problèmes en offrant une [traduction« assise plus confortable et une surface de soutien pouvant servir à d’autres objets ».

[225]  Compte tenu de ces problèmes, l’objet déclaré du brevet 392 était de remédier aux lacunes des dispositifs existants en créant un dispositif d’aide au déplacement [traduction« muni d’une plate-forme d’assise solide formée de deux sections connectées par pivotement, avec des renforts structurels, se repliant aisément en position de rangement ».

[226]  L’étape suivante consiste à déterminer le sens des termes en litige, de manière à pouvoir interpréter les revendications.

(4)  Le dispositif formant barre de tension

[227]  Au procès, les parties ont passé un temps considérable à parler du dispositif formant barre de tension.

[228]  La revendication 1 inclut ce dispositif. Les revendications 2 à 9 sont des revendications dépendantes de la revendication 1, et, de ce fait, elles l’incluent aussi. Dans la revendication 1, les premiers mots qui le concernent sont les suivants :

[traduction]

Un dispositif formant barre de tension reliant le bas du premier support et le bas du second support de façon à répartir le poids […]

[229]  Les revendications 16 et 18 contiennent une description du dispositif formant barre de tension qui est légèrement différente du texte de la revendication 1, en ce sens que les premiers mots « reliant le bas du premier support et le bas du second support » ont été supprimés :

un dispositif formant barre de tension et permettant de répartir le poids entre les premier et second supports, ledit dispositif étant ajustable entre une position déployée, dans laquelle ladite barre de tension est connectée structurellement auxdits premier et second supports lorsque le dispositif est en position d’utilisation, et une position déverrouillée permettant de mettre le dispositif en position de rangement;

[Les mots soulignés sont en litige.]

[230]  Ici, le principal point de désaccord entre M. Brienza et M. Schuch est le fait de savoir si la personne moyennement versée dans l’art, qui a une connaissance et une compréhension modérées de la conception de structures portantes et de composants mécaniques, aurait compris qu’un [traduction« dispositif formant barre de tension », en plus de résister à une charge de traction, pourrait aussi être soumis à d’autres forces, comme une charge transversale ou de compression, quand le déambulateur se trouve en position déployée ou d’utilisation.

[231]  Une charge de traction survient lorsqu’on applique une force le long (axe longitudinal) d’un élément. Cette force essaie de séparer l’élément en l’étirant ou en l’étalant. La charge transversale est l’inverse. Elle survient lorsqu’on applique une force à angle droit (perpendiculairement) par rapport à l’axe longitudinal d’un élément structurel. Sous l’effet d’une charge transversale, un élément structurel a tendance à se cisailler ou à se plier et, à ce stade, cette charge introduit une contrainte de traction et de compression dans l’élément structurel : Déclaration d’expert de Jonathan Schuch, au paragraphe 24.

[232]  M. Schuch définit une « barre de tension » comme suit : [traduction« une mince barre droite qui relie des parties opposées afin d’éviter qu’elles s’écartent et qui est donc sous tension ». Il reconnaît que, dans le brevet 392, ce dispositif est illustré sous la forme d’une plaque à charnière en deux sections, qui se plie et se déplie quand on plie ou déplie le dispositif.

[233]  M. Brienza a fait remarquer que le brevet 392 revendique un [traduction« dispositif formant barre de tension » et que la personne moyennement versée dans l’art comprendrait que le mot [traduction« dispositif » indique qu’il existe plusieurs façons différentes de créer la barre de tension, y compris avec des composants uniques ou multiples. Il a indiqué que la personne moyennement versée dans l’art comprendrait que la référence qui est faite à un dispositif formant barre de tension n’est qu’un seul exemple d’un tel dispositif. Il a ajouté que ce dispositif pourrait aussi être de tailles différentes. Il a toutefois fait remarquer que le mot [traduction« barre » serait considéré comme limitant le dispositif, en ce sens que ce dernier ne pourrait pas inclure un câble souple ou quelque chose de semblable.

[234]  Le paragraphe 37 de la divulgation décrit les éléments de la barre de tension :

[traduction]

[37]  Comme l’illustre le mieux la figure 7, la barre de tension 36 est formée d’un premier lien solide 51 connecté par pivotement aux surfaces inférieures de bras en J 43a, et d’un second lien solide 52 connecté par pivotement aux surfaces inférieures de bras en J 43b. Les premier et second liens solides 51 et 52 sont connectés entre eux par pivotement à l’aide d’une charnière 53, laquelle est située directement sous la première charnière 33 et parallèlement à celle‑ci.

[235]  La figure 7 du brevet 392 illustre la barre de tension 36 vue de dessous, sous la plate‑forme d’assise :

[236]  M. Schuch dit que le dispositif formant barre de tension résiste à une charge de tension exercée précisément à ses extrémités parce qu’il est connecté par ses extrémités extérieures à la structure générale. Son opinion repose sur le fait qu’aucun élément structurel ne traverse l’intérieur de la barre de tension pour exercer une charge transversale.

[237]  Compte tenu de l’usage que l’on pourrait faire d’un déambulateur, comme marcher sur un sol inégal, M. Brienza est d’avis qu’il y a d’autres forces qui pourraient également s’exercer. Par exemple, un choc entre l’une des roulettes et un objet pourrait avoir pour effet qu’une force s’exerce à un certain angle. À cause de cet angle, des forces à la fois verticales et horizontales pourraient s’exercer sur le dispositif formant barre de tension.

[238]  En contre-interrogatoire M. Schuch a déclaré qu’il s’exerce une force verticale sur le dispositif formant barre de tension, mais il a nuancé ses propos en disant que cette force ne s’exerce qu’aux extrémités extérieures des liens solides 51 et 52, là où il est connecté aux jambes de force 56 et 57, comme l’illustre la figure 6 du brevet 392 :

[239]  Quand on a insisté pour qu’il accepte qu’il s’exerçait, à ce point de connexion, une charge transversale, M. Schuch a répondu que même s’il y avait effectivement là une charge verticale, il ne s’agissait pas d’une charge transversale qui s’exerçait le long de la barre de tension. Il a convenu par la suite qu’il s’exerçait une certaine charge transversale au point de connexion. Il a nié qu’il s’agissait d’une charge transversale qui s’appliquait à la barre de tension, car il y avait, à cet endroit‑là, ce qu’il appelait une [traduction« autre structure » pour la supporter.

[240]  Dans son rapport d’expert, M. Schuch dit que le brevet 392 enseigne un dessin et un mécanisme de charge particuliers pour la barre de tension, comme nous l’avons vu plus tôt à la figure 6. Quand on exerce sur le siège une pression vers le bas, la charge traverse les jambes de force 56 et 57 et atteint les extrémités extérieures des liens 51 et 52, lesquels sont fixés aux bras en J ainsi qu’aux croisillons. Il dit que la force ainsi transférée donne lieu à une charge de traction pure sur la barre de tension.

[241]  M. Brienza a déclaré que la barre de tension, en position déployée ou d’utilisation, est principalement sous tension. M. Schuch croit que la barre de tension du dispositif décrit dans le brevet 392 n’est soumise à aucune force transversale; elle résiste à des charges de traction pures. Les deux experts reconnaissent qu’avec un montant il s’exerce une compression sur la surface supérieure et une tension en dessous.

[242]  En fin de compte, la différence qu’il y a entre les deux experts à propos de cet aspect du dispositif formant barre de tension est un désaccord au sujet du degré de tension que supporte ce dispositif et s’il résiste à des forces de compression quelconque.

[243]  Je suis persuadée qu’en raison de l’environnement dans lequel fonctionne un déambulateur, celui‑ci sera soumis à des forces diverses, dont des forces de traction et des forces transversales. Un dispositif d’aide au déplacement, qu’on s’en serve à l’intérieur ou à l’extérieur, est confronté à la possibilité distincte qu’il butte contre des murs, des portes, des pierres ou d’autres obstacles en se déplaçant dans des espaces étroits, autour d’objets ou même sur un sol inégal. De tels impacts feraient en sorte que des forces s’appliquent à des angles divers, autres que purement verticaux ou horizontaux.

(5)  « La barre de tension connecte structurellement »

[244]  Les experts ne s’entendent pas sur le sens des mots [traduction] « connecte structurellement », tels qu’ils sont employés en lien avec le dispositif formant barre de tension dont il est question dans les revendications 1 à 9 et 16 à 18.

[245]  M. Brienza a déclaré que la personne moyennement versée dans l’art aurait compris que le dispositif formant barre de tension [traduction] « connecte structurellement » les supports en résistant à une force de traction lorsque le dispositif se trouve en position d’utilisation. À son avis, on aurait compris que le dispositif formant barre de tension est connecté aux supports d’une manière structurellement logique quand il se trouve en position d’utilisation. À ce moment‑là, il est pleinement déployé et [traduction] « à sa longueur maximale », même si les forces qui s’exercent sur lui tentent de l’étirer. Comme la barre de tension est rigide, elle ne peut pas s’étirer davantage et elle retient effectivement ensemble les supports. M. Brienza a expliqué au procès que [traduction] « par retenir ensemble, je veux dire empêcher de s’affaisser davantage ».

[246]  Lors du contre-interrogatoire, on a soumis à M. Brienza qu’il n’y a [traduction] « aucune limite structurelle à ce que le dispositif formant barre de tension pourrait être ou non ». En réponse, il a indiqué que la revendication indique que le dispositif formant barre de tension a pour fonction de répartir le poids entre les premier et second supports et qu’il n’y a qu’une seule limite. La revendication ne parle que de faire une seule chose : retenir ensemble la partie inférieure des supports et empêcher le siège de s’affaisser quand une personne s’assied dessus.

[247]  M. Brienza déclare que dans les revendications 16 et 18 les mots « connecte structurellement » décrivent ce que fait aux supports le dispositif formant barre de tension. Ces mots ne décrivent pas l’endroit où le dispositif est situé ou de quelle manière il est connecté aux supports. M. Brienza compare cela à la revendication 1, où l’on dit que le dispositif formant barre de tension [traduction] « s’étend entre la partie inférieure du premier support et la partie inférieure du second support ».

[248]  M. Brienza conclut qu’étant donné que le type de connexion entre le dispositif formant barre de tension et les supports n’est pas précisé dans les revendications, la connexion structurelle peut être soit directe soit indirecte et elle pourrait comporter une ou plusieurs pièces – tant qu’elle exerce la fonction de répartition du poids et qu’elle est soumise à la limite consistant à retenir ensemble les parties inférieures des supports afin d’éviter que le siège s’affaisse si l’on y dépose un poids.

[249]  M. Schuch convient avec M. Brienza que, dans les mots [traduction] « connecte structurellement », le mot [traduction] « connecte » veut dire [traduction] « joint ensemble ». Il convient qu’étant donné que la revendication 16 est différente de la revendication 1, le dispositif formant barre de tension pourrait s’étendre entre les deux supports à un endroit autre que leurs parties inférieures. Cependant, étant donné que la limite est que le dispositif de tension répartit le poids entre les deux supports et les connecte structurellement, M. Schuch considère que cela veut dire que le dispositif est directement connecté aux deux supports et qu’il s’étend entre eux.

[250]  Comme nous le verrons à la section suivante, M. Schuch interprète le support comme étant les bras en J et les manchons auxquels il se rattache. M. Brienza l’interprète différemment. Comme la barre de tension connecte structurellement les supports, cette différence importante a une incidence sur leurs interprétations respectives de l’élément [traduction] « la barre de tension connecte structurellement ».

[251]  Dans son rapport de réfutation, M. Schuch met en doute l’interprétation que fait M. Brienza parce que l’inclusion d’une connexion directe ou indirecte, susceptible de comporter une ou plusieurs pièces, est quasi illimitée et d’une portée excessive. Comme le dit M. Schuch :

[traduction]

[…] le brevet 392 […] décrit et illustre un dispositif muni de deux supports directement connectés par un dispositif formant barre de tension. Aucune autre réalisation n’est décrite ou suggérée et le brevet 392 ne contient rien qui donne à penser que la connexion des deux supports par le dispositif formant barre de tension pourrait être indirecte.

Rapport de réfutation de M. Schuch, au paragraphe 13.

[252]  Evolution soutient que c’est l’interprétation de M. Schuch qu’il convient de privilégier, parce que le brevet 392 décrit et illustre un seul élément structurel, qui est une barre de tension directement connectée à deux supports et qui s’étend de l’un à l’autre.

[253]  Au procès, M. Brienza a expliqué que pour pouvoir déterminer si l’un des deux composants se [traduction] « connecte structurellement » de manière indirecte entre eux au sens des revendications 16 et 18, il lui faudrait d’abord savoir ce que la connexion avait pour but d’éviter ou d’accomplir, comme [traduction] « pour répartir le poids » dans les revendications 16 et 18. De l’avis de M. Brienza, ce sont les renseignements additionnels que l’on trouve dans la revendication qui ajoutent la clarté nécessaire aux mots [traduction] « connecte  structurellement ». Il a également confirmé que ces mots ne sont liés qu’au [traduction] « dispositif formant barre de tension ».

[254]  Evolution a avancé la thèse que Human Care [traduction] « convenait » que la terminologie employée par M. Brienza en lien avec les mots [traduction] « connecte directement » était [traduction] « vague ou ambiguë »; ce qui minait donc l’utilité de M. Brienza en tant qu’expert.

[255]  Cette allégation d’Evolution est inexacte. L’« entente » sur laquelle Evolution se fondait était une réponse de Human Care à plusieurs questions qu’Evolution avait posées, avant le procès, dans sa demande d’admission. Evolution souhaitait que Human Care souscrive à la thèse selon laquelle le brevet 392 décrit [traduction] « une plaque de tension qui connecte directement les surfaces inférieures des ‘premier support’ et ‘second support’ du déambulateur ». Plusieurs variantes de la question ont été posées.

[256]  À aucun moment Human Care a‑t‑elle souscrit à la thèse ou à une variante quelconque de celle-ci. Il ressort d’un examen des réponses à la demande d’admission que les réponses de Human Care selon lesquelles la terminologie était [traduction] « vague ou ambiguë » ne se rapportaient à aucune déclaration ou aucune terminologie liée à l’interprétation du brevet 392. Human Care faisait référence à la question qui était posée. Les réponses disaient aussi qu’elle était soumise à une opinion d’expert.

[257]  Je suis convaincue, d’après le libellé de la question et la réponse, que Human Care n’a souscrit à rien. De plus, la réponse fournie est exacte, car les mots [traduction] « connecte directement » dont il est question dans la demande n’existent pas dans le brevet 392.

[258]  Après avoir examiné les rapports d’expert et la preuve fournie au procès, de même que le texte des revendications du brevet 392, c’est l’interprétation de M. Brienza que je privilégie. Le texte des revendications 16 et 18 n’exige pas que la barre de tension soit directement connectée aux supports. Tirer une conclusion contraire reviendrait à faire abstraction des termes utilisés par les revendications 16 et 18.

[259]  M. Schuch n’a pas pris en compte le terme précis qui est employé dans les revendications, lequel n’est pas [traduction] « barre de tension », mais plutôt [traduction] « dispositif formant barre de tension ». Même s’il fait référence au terme [traduction] « dispositif formant barre de tension », rien n’indique que M. Schuch a distingué ce terme de sa propre définition d’une barre de tension, c’est-à-dire une mince barre droite. Il n’a pas traité de la manière dont la personne moyennement versée dans l’art aurait compris l’emploi du mot [traduction] « dispositif », pas plus qu’il n’a réfuté l’interprétation que fait M. Brienza de ce mot, à savoir qu’il y a plusieurs moyens différents de créer cette barre de tension.

[260]  En fait, M. Schuch a exclu le mot « means » (dispositif) au moment de justifier sa critique de la manière dont M. Brienza a interprété une connexion directe ou indirecte qui comporte une ou plusieurs pièces en disant : [traduction] « aucune autre réalisation n’est décrite ou suggérée ». Dans le cas présent, l’emploi du mot « dispositif » dénote précisément qu’il y a d’autres réalisations possibles.

[261]  Dans l’arrêt Whirlpool, aux paragraphes 52 et 53, le juge Binnie a fait part de ses doutes quant au fait de procéder à une interprétation téléologique en recourant de manière stricte à ce qu’il appelle la méthode du grammairien ou celle du dictionnaire. Il a perçu deux difficultés :

(1)  plutôt que de consulter les dictionnaires pour déterminer ce qu’un terme ou un élément signifie, il est nécessaire d’examiner le mémoire descriptif pour voir le sens dans lequel les brevetés l’ont utilisé, afin de déterminer la nature de l’invention, mais sans permettre que le breveté élargisse la portée de son monopole, décrit dans les revendications, en puisant dans le mémoire descriptif;

(2)  une approche fondée sur les dictionnaires incite à examiner les mots du point de vue grammairien ou de l’étymologiste plutôt que du point de vue du travailleur moyennement versé dans le domaine, qui possède les connaissances générales courantes d’une telle personne.

[262]  Pour ce qui est de l’aptitude du travailleur versé dans l’art, le juge Binnie a ajouté que ce dernier est une personne « suffisamment versé[e] dans l’art dont relève le brevet pour être en mesure, techniquement parlant, de comprendre la nature et la description de l’invention […] ». Le travailleur versé dans l’art, en recourant à ses connaissances courantes, donne un sens et un but aux mots employés dans la revendication : arrêt Whirlpool, au paragraphe 53.

[263]  Compte tenu de ces principes et de la preuve, c’est l’interprétation de M. Brienza que je privilégie. Non seulement préserve‑t‑elle la teneur des revendications, mais elle respecte aussi le principe de la différenciation des revendications. Dans les revendications 16 et 18, l’emplacement du [traduction] « dispositif formant barre de tension » n’est pas précisé mais, dans les revendications 1 à 9, ce dispositif s’étend [traduction] « entre la partie inférieure du premier support et la partie inférieure du second support ». M. Brienza a avancé une interprétation qui respecte ces termes différents et qui leur donne un sens.

[264]  Quant à l’argument selon lequel l’interprétation de M. Brienza donne lieu à une série quasi illimitée de connexions possibles entre la barre de tension et une multitude de pièces intermédiaires qui se rattachent par la suite aux supports, le même problème d’interprétation se pose. Je ne suis pas d’accord pour dire que l’interprétation de M. Brienza englobe un nombre quasi illimité de connexions et de pièces. Le mémoire descriptif précise comme limite que le [traduction] « dispositif formant barre de tension » a pour but de répartir le poids entre les deux supports et qu’il doit pouvoir s’ajuster lors de l’utilisation du dispositif en position de rangement.

[265]  M. Schuch soutient une fois de plus qu’il n’y a pas d’autres réalisations qui dénotent l’existence d’une connexion indirecte. Il donne comme exemple la présence d’une barre de tension dans le toit intérieur d’une maison et dans la suspension avant d’une Chrysler 300C pour illustrer que ces dispositifs ne se connectent pas structurellement à d’autres pièces. Ces exemples qui, je l’admets, contiennent des barres de tension n’aident pas à interpréter les revendications du brevet 392. Ce dernier est le principal outil d’interprétation dont on dispose pour interpréter ces revendications. Les contextes de ces exemples sont si différents de celui dans lequel s’inscrit le brevet 392 qu’ils ont peu de valeur interprétative. De toute façon, ces exemples ne feraient pas partie des CGC de la personne moyennement versée dans l’art.

[266]  Evolution a aussi fait valoir que M. Brienza a exclu la limite structurelle claire et non ambiguë en faveur d’une interprétation purement fonctionnelle en disant que les mots [traduction] « connecte structurellement » décrivent l’action du dispositif formant barre de tension plutôt que l’endroit où il est situé ou la manière dont il est connecté aux supports. Evolution a raison de dire que les mots [traduction] « connecte structurellement », qui figurent dans les revendications 16 et 18, décrivent bel et bien la fonction du dispositif de tension plutôt que son emplacement. Cependant, cette interprétation respecte l’intention du rédacteur, conformément aux principes de l’interprétation téléologique des revendications. La revendication 1 précise l’emplacement de ce dispositif, et pas les revendications 16 et 18. Il s’ensuit que les mots [traduction] « dispositif formant barre de tension » sont interprétés correctement come un emplacement indépendant dans les revendications 16 et 18.

(6)  Les premier et second supports

[267]  La description détaillée et les revendications du mémoire descriptif du brevet 392 font plusieurs fois référence à un premier support et/ou un second support. Toutes les revendications indépendantes, soit les revendications 1, 10, 12 et 14 à 18, emploient les mêmes termes et revendiquent les mêmes supports :

[traduction]

un premier support connecté par pivotement au premier montant de châssis;

un second support connecté par pivotement au second montant de châssis et connecté par pivotement au premier support, les premier et second supports étant destinés à supporter un poids au‑dessus du sol dans la position d’utilisation;

[268]  Les experts ne s’entendent pas sur les composants qui sont inclus dans ces deux supports. Ils ont également un point de vue différent sur la manière d’interpréter le [traduction] « dispositif formant charnière » par rapport aux supports, et plus précisément par rapport à la question de savoir si le couvre-siège fait partie des supports.

[269]  L’interprétation du [traduction] « dispositif formant charnière » fait partie intégrante du désaccord entourant les composants qui, ensemble, forment les [traduction] « premier et second supports ». Cette charnière est décrite de trois façons différentes:

[traduction]

Dans la revendication 1, le dispositif formant charnière « connecte par pivotement la partie supérieure du premier support à la partie supérieure du second support »;

Dans les revendications 10, 12, 14 et 15, un « premier dispositif formant charnière » « connecte par pivotement les parties supérieures des premier et second supports »;

Dans les revendications 16 à 18, il y a un « dispositif formant charnière qui connecte par pivotement le premier support au second support ».

[Non souligné dans l’original.]

[270]  M. Brienza est d’avis que le dispositif formant charnière est celui qui permet de tenir ensemble les supports de façon à ce qu’ils puissent pivoter (plier) l’un par rapport à l’autre. En raison du mot [traduction] « dispositif », la personne moyennement versée dans l’art comprendrait qu’il peut y avoir des moyens différents de créer la charnière. La limite est que ce dispositif doit permettre aux deux supports de pivoter l’un par rapport à l’autre, de façon à pouvoir passer d’une position d’utilisation à une position de pliage.

[271]  Dans son rapport d’expert, M. Schuch exprime son désaccord quant à la manière dont M. Brienza interprète le mot [traduction] « support », disant croire que cette interprétation est d’une portée trop large parce que M. Brienza a inclus les deux moitiés de la plateforme d’assise plate (44a et 44b) ainsi que le couvre-siège en mousse (46a et 46b). L’interprétation que fait M. Schuch du mot [traduction] « support » s’arrêterait à la structure qui est située en dessous du siège – les manchons (42a et 44b) et les bras en J (43a et 43b), c’est‑à‑dire la structure qui supporte le siège.

[272]  Par la suite, dans son rapport de réfutation, M. Schuch a décidé que l’interprétation de M. Brienza se situait [traduction] « dans les limites de l’interprétation raisonnable que la personne moyennement versée dans l’art pourrait adopter ». Il est arrivé à cette conclusion parce qu’il a trouvé que le brevet était ambigu et qu’il [traduction] « ne décrit pas clairement si les deux éléments plats de la plate-forme d’assise (44a, 44b) ou le couvre-siège distinct sont destinés à être considérés aussi comme faisant partie des premier et second supports ».

[273]  En contre-interrogatoire, M. Schuch a toutefois déclaré qu’il convenait de privilégier sa propre interprétation parce qu’elle fonctionnait avec le brevet tout entier. Il a jugé que l’interprétation de M. Brienza invaliderait [traduction] « les neuf premières revendications, ou fort probablement les 15 premières » parce qu’elles indiquent que le premier dispositif formant charnière connecte par pivotement les parties supérieures des premier et second supports. Étant donné que l’interprétation de M. Brienza place un couvre-siège par-dessus la charnière, M. Schuch en a déduit qu’une fois que le couvre-siège se trouve par-dessus la charnière, il n’y a pas de charnière à l’extrémité supérieure des supports.

[274]  Human Care croit que l’interprétation de M. Schuch repose sur une seule phrase faisant partie du paragraphe 36 de la description du brevet :

[traduction]

Le support du côté droit 31 inclut un manchon 42a qui entoure la partie horizontale de la barre en L 9a, et une partie des bras en J 43a qui s’étendent de là pour supporter une plate-forme d’assise plate 44a.

[275]  Human Care fait remarquer que l’interprétation de M. Schuch ne tient pas compte de la phrase suivante de la description :

[traduction]

De la même façon, le support du côté gauche 32 inclut un manchon 42b qui entoure la partie horizontale de la barre en L 9b, et une partie des bras en J 43b s’étendent de là pour supporter une plate‑forme d’assise plate 44b. Un couvre-siège en mousse est placé sur les deux éléments de la plate-forme d’assise plate 44a et 44b qui recouvrent la charnière 33.

[276]  M. Schuch a confirmé en contre-interrogatoire que son interprétation ne concordait pas avec les schémas du brevet 392 parce que [traduction] « ce qui est illustré dans les schémas entre dans ce cas en conflit aussi avec les neuf premières revendications, avec une charnière située sous le cousin du siège et sous certaines de ces autres structures, compte tenu de l’interprétation de M. Brienza ». Il a également confirmé que certains des dessins illustrent une poignée passant au travers d’autres pièces qui, selon interprétation, ne constitueraient pas le support.

[277]  M. Schuch a fait valoir qu’étant donné que les premières revendications disent que le [traduction] « dispositif formant charnière » connecte [traduction] « la partie supérieure [des] supports », ces revendications seraient invalidées d’après l’interprétation de M. Brienza parce qu’elles ne fonctionneraient pas si la charnière était placée sur le couvre-siège en mousse.

[278]  L’interprétation de M. Brienza, à savoir que le couvre-siège fait partie des supports – inclut sa perception que la personne moyennement versée dans l’art, ayant une connaissance et une compréhension modérées du choix des matériaux permettant de réaliser les objectifs de conception, comprendrait que l’on ne peut pas placer une charnière sur un couvre-siège en mousse. Je conclus que la réponse à la préoccupation de M. Schuch selon laquelle le couvre‑siège empêcherait le dispositif de fonctionner est située au paragraphe 36, qui envisage expressément qu’un couvre-siège en mousse serait placé sur la charnière afin d’éviter tout pincement :

[traduction]

Un couvre-siège en mousse est placé sur les éléments de la plate‑forme d’assise plate 44a et 44b qui couvre la charnière 33. Le couvre-siège peut être fait de deux pièces distinctes, 46a et 46b, ou d’une seule pièce faite d’un matériau de type mousse dont une section particulièrement souple couvre la charnière 33. La partie souple comporterait plusieurs rainures s’étendant sur toute sa longueur afin d’offrir la souplesse requise. Étant donné que les éléments du couvre-siège 45a et 46b sont faits de mousse, tout pincement accidentel entre les deux ne causerait aucune douleur.

[279]  Le paragraphe 36 indique qu’une section souple du couvre-siège couvrirait la charnière. Un exemple de cette section souple est donné, en ce sens que celle‑ci pourrait comporter plusieurs rainures en vue d’obtenir la souplesse requise. Compte tenu de cette interprétation du couvre-siège, le dispositif peut quand même être aisément plié en position de rangement s’il est placé par-dessus la charnière.

[280]  Compte tenu de la preuve qui m’est soumise et de la mention précise concernant la mise en place d’un couvre-siège par-dessus la charnière, le libellé du brevet 392 n’étaye pas l’analyse de M. Schuch.

[281]  L’interprétation de M. Brienza concorde avec le libellé du brevet 392. Je conclus que les premier et second supports incluent les manchons 42a et 42b, les bras en J 43a et 43b, les éléments de la plate-forme d’assise plate 44a et 44b, de même que le couvre-siège en mousse 46a et 46b.

(7)  La poignée

[282]  La seule différence entre les revendications 16 et 18 est que la revendication 18 n’inclut pas de croisillons entre les supports et les montants du châssis et qu’elle ajoute un élément formant poignée :

[traduction]

une poignée passant au travers du premier support de façon à faire pivoter ladite barre de tension en position de déverrouillage, et à faire pivoter les premier et second supports en position de rangement.

[283]  Le désaccord entre M. Brienza et M. Schuch porte principalement sur la question de savoir si la poignée doit directement amener les supports à pivoter l’un vers l’autre.

[284]  M. Brienza a déclaré que la poignée remplit deux fonctions : 1) faire pivoter la barre de tension en position de déverrouillage, et 2) faire pivoter les premier et second supports en position de rangement.

[285]  Quelques détails sont inclus dans le mémoire descriptif au sujet de la nature de la poignée, en ce sens que celle‑ci passe au travers du premier support. M. Brienza a déclaré que la personne moyennement versée dans l’art comprendrait que les mots [traduction]
 « passe au travers du support » signifie que la poignée se trouve au‑dessus du support et en dessous de ce dernier et qu’elle passe du niveau « dessus » au niveau « dessous » en traversant le support. Il a toutefois jugé plus pertinent d’examiner pourquoi il faut que la poignée se trouve au‑dessus du premier support, et la raison en est que c’est à cet endroit que se trouve la personne qui doit actionner la poignée. Cette personne ne voudrait pas avoir à se pencher sous le siège, où elle pourrait avoir des problèmes, comme se pincer.

[286]  M. Schuch a contesté l’interprétation de M. Brienza en disant qu’elle était d’une portée excessive, car elle engloberait n’importe quelle poignée qui pourrait atteindre le résultat souhaité sans se limiter aux mécanismes et aux dispositifs précis qui sont décrits dans le brevet 392.

[287]  Pour ce qui est de la manière dont la poignée serait connectée au dispositif formant barre de tension ou aux supports, M. Brienza a émis l’avis qu’étant donné que la poignée passe au travers du premier support, elle est connectée à quelque chose ou, peut-être, qu’elle entoure quelque chose, de façon à résister à une force ascendante.

[288]  Dans la réalisation illustrée à la figure 7 du brevet 392, la poignée passe au travers de chacun des supports, des entretoises et des orifices dans le « dispositif formant barre de tension », de manière à former une boucle. Une traction sur la poignée amènerait la boucle à entrer en contact avec la partie centrale du dispositif formant barre de tension, qui, sous l’effet de la force ascendante, l’amènerait à pivoter au niveau de la charnière, entre les deux éléments du dispositif formant barre de tension. Ensuite, à cause des interconnexions avec le cadre, la poignée amènerait le cadre tout entier à entrer dans la configuration de pliage.

[289]  M. Brienza a déclaré que la poignée pouvait traverser le premier support de diverses façons, comme un orifice ou un nœud ou la suppression de matériau du premier support. Tant qu’elle était accessible au‑dessus du premier support et qu’elle pouvait servir à amener le dispositif formant barre de tension, situé sous les supports, à se transformer, elle pouvait aussi passer au travers d’autres parties du dispositif.

[290]  M. Brienza a fait remarquer que les premier et second supports n’interagissent pas directement avec la poignée, à part le fait de frotter contre les rebords des orifices présents dans chaque support pendant qu’elle les traverse. Les premier et second supports se déplacent en même temps que se déplie le dispositif formant barre de tension à cause de leur relation avec le reste du châssis du déambulateur. Quand l’un des supports se déplace, l’autre se déplace lui aussi, vu la manière dont le châssis est configuré.

[291]  M. Schuch s’est dit en désaccord avec la manière dont M. Brienza interprétait les premier et second supports, mais il a convenu, en contre-interrogatoire, que si les deux couvre-sièges faisaient partie des supports (conformément à l’interprétation de M. Brienza) il n’aurait rien à redire au sujet de la manière dont la poignée traverse les supports. Il aurait toutefois un problème avec ce que fait la poignée quand elle passe au travers des supports.

[292]  Comme j’ai conclu que les couvre-sièges font partie des supports, le seul problème à régler au sujet de la poignée est de savoir si les revendications du brevet 392 décrivent ce que fait la poignée. Cela oblige à examiner : 1) comment la poignée amène le dispositif formant barre de tension à pivoter en position de relâchement, et 2) comment la poignée fait pivoter les premier et second supports en position de rangement.

[293]  Pour ce qui est de la manière dont la poignée agit sur la barre de tension, M. Schuch explique dans sa déclaration d’expert la raison pour laquelle il croit qu’il doit y avoir entre eux une connexion directe :

[traduction]

Le seul moyen divulgué dans le mémoire descriptif et les dessins d’arriver à ces fins est d’actionner la barre de tension et de la déverrouiller (c.‑à‑d., faire en sorte que les liens inférieurs de la barre de tension se plient au milieu, vers le haut). Dans la revendication 18, la poignée agirait donc sur une partie de la barre de tension (soit les deux liens, soit la charnière qui les unit) et la tirerait vers le haut en position déverrouillée, ce qui permettrait de plier le dispositif.

Déclaration d’expert de Jonathon Schuch, à la page 42.

[294]  M. Schuch a expliqué en contre-interrogatoire qu’il imposait la limite d’une connexion directe à l’élément « poignée » parce que le paragraphe 39 du mémoire descriptif indique que la poignée [traduction] « sert à tirer manuellement la barre de tension vers le haut » et que [traduction] « la force initiale que l’on exerce en tirant sur la sangle déverrouille le système et fait pivoter la barre de tension, ce qui permet aux supports droit et gauche de pivoter l’un vers l’autre ».

[295]  M. Schuch a ensuite expliqué qu’en raison du libellé du paragraphe 39 du mémoire descriptif, son interprétation était que [traduction] « la poignée sert à tirer vers le haut la plaque de tension et il faut donc le faire manuellement, parce que c’est ce qui est décrit. Il s’agit là du mécanisme par lequel le brevet m’enseigne à faire plier la barre de tension ». J’ai souligné les mots que M. Schuch a ajoutés au texte du paragraphe 39.

[296]  M. Schuch reconnaît toutefois que, selon son interprétation, la question de savoir à quel endroit ou de quelle manière la poignée est connectée à la barre de tension importe peu, tant que l’on s’en sert pour tirer manuellement vers le haut la plaque de tension afin de la faire pivoter. Il s’est dit convaincu que si la poignée ne formait pas une boucle sous la barre de tension, il ne fallait pas non plus qu’elle ait la même orientation ou configuration que celle qui est illustrée dans la réalisation privilégiée. La poignée pourrait être fixée à la charnière qui se trouve au milieu des deux éléments ou à la partie supérieure de ces derniers.

[297]  La revendication 18 dit simplement que la poignée sert à faire pivoter la barre de tension en position de relâchement. M. Schuch se préoccupe du fait que l’objet de la poignée est décrit, mais pas le moyen par lequel elle atteint cet objectif. Selon lui, ce manque de détails donnait lieu à un vaste éventail de moyens de réaliser la fin visée, depuis un levier jusqu’à un ressort et même, comme il l’a indiqué, un dispositif Rube Goldberg, ce qui, a‑t‑il signalé était une exagération.

[298]  M. Schuch a déclaré qu’en raison de la manière dont la revendication est rédigée, il ne pouvait pas comprendre ce qu’elle lui enseignait. Sa conclusion était qu’il n’y avait rien d’enseigné sauf si l’on considérait que la poignée tirait manuellement vers le haut la plaque de tension.

[299]  En contre-interrogatoire, M. Schuch a convenu que le fait de tirer sur la poignée n’amenait pas directement les premier et second supports à pivoter l’un vers l’autre. La poignée amenant le « dispositif faisant barre de tension » à plier était le résultat que l’on obtenait en faisant pivoter les supports.

[300]  M. Schuch a convenu que, pour pouvoir rompre la tension et faire pivoter la barre de tension vers le haut, la poignée aurait pu être indirectement connectée par, par exemple, un levier, mais cela n’est pas décrit dans le brevet. Il a émis l’opinion qu’une telle interprétation ouvrirait la voie à [traduction] « n’importe quel dispositif structurel » pour atteindre la fin visée; diverses options structurelles ou mécaniques répondraient aux exigences du texte.

[301]  Je conclus que la manière dont M. Schuch interprète la poignée ne tient pas compte de la description de cette dernière que l’on trouve à la revendication 8 :

[traduction]

[…] ladite poignée s’étend dudit premier lien audit second lien, en passant par ledit premier support et ledit second support; le fait de tirer sur ladite poignée fait pivoter lesdits premier et second liens et lesdits premier et second supports les uns vers les autres et les amène en position de rangement.

[302]  À la revendication 8, [traduction] « tirer sur ladite poignée » décrit une action directe visant à faire pivoter les premiers et seconds liens, qui sont l’équivalent du dispositif faisant barre de tension. Pour respecter le principe de la différenciation des revendications, les mots [traduction] « pour faire pivoter ladite barre de tension » que l’on trouve à la revendication 18 doivent être mis en contraste avec les mots « le fait de tirer ainsi sur ladite poignée fait pivoter […] » que l’on trouve à la revendication 8.

[303]  Comme la référence faite au mot « poignée » est différente dans chacune des revendications 8 et 18, il est nécessaire d’y attribuer un sens différent dans chacune. M. Schuch ne l’a pas fait. M. Brienza a reconnu le principe et l’a appliqué de manière appropriée au moment d’examiner les différences de texte entre les deux revendications. La mention [traduction] « pour pivoter » pourrait être un lien direct ou indirect, tandis que « tirer sur ladite poignée » ne peut être qu’un lien direct.

[304]  Il est important aussi de garder à l’esprit que l’objet de l’invention est un dispositif d’aide au déplacement, muni d’une plateforme de sécurité rigide formée de deux sections reliées par pivotement, ainsi que de renforts structurels, qui se plient facilement en position de rangement. Le fait de pouvoir plier facilement le dispositif est l’un des principaux obstacles relevés dans les réalisations antérieures que l’invention dit régler.

[305]  M. Brienza a déclaré que la personne moyennement versée dans l’art comprendrait qu’une traction sur la poignée ferait passer la barre de tension à la position déverrouillée en la faisant pivoter au niveau du joint articulé. Il a fait remarquer que l’on ne précisait pas comment la poignée interagissait avec les supports, mais que, peu importe la façon dont cela se produisait, cela les amenait aussi à commencer à se placer en position de rangement. Il a déclaré que la personne moyennement versée dans l’art comprend la mécanique de base et saurait de quelle façon la poignée interagirait avec des composants tels que la barre de tension ou les supports pour permettre au dispositif de plier. Il a indiqué à tire d’exemple que la personne pouvait juste tirer directement la barre de tension vers le haut et ne pas se servir de la poignée.

[306]  Evolution soutient, comme M. Schuch, qu’en lisant la totalité du brevet la personne moyennement versée dans l’art comprendrait qu’il y a un mécanisme de décrit pour faire pivoter la barre de tension et faire pivoter les supports : tirer sur la poignée. La poignée fait pivoter la barre de tension, la barre de tension est fixée aux supports, et la poignée les tire ensemble. Evolution soutient qu’il s’agit là du seul mécanisme divulgué.

[307]  M. Schuch déclare que M. Brienza a interprété les mots « passe au travers desdits […] supports » sans tenir compte de l’objet de l’élément de la revendication, lequel, dit-il, consiste à permettre à la poignée d’être connectée aux composants situés sous le siège, ce qui veut dire agir précisément sur l’un des liens, ou les deux, du dispositif formant barre de tension.

[308]  Je conclus que l’objet de la poignée, à la revendication 18, est de passer au travers du premier support pour faire en sorte que le dispositif se plie et se mette en position de rangement. La personne moyennement versée dans l’art, possédant les CGC, notamment la connaissance d’autres dispositifs d’aide au déplacement pliables, comprendrait que la poignée, qu’elle accomplisse cette fonction directement ou indirectement, interagit avec les composants situés sous le siège de façon à faire pivoter la barre de tension en position de déverrouillage et à faire pivoter les premier et second supports en position de rangement, ce qui fait plier le dispositif. La référence au pivotement, c’est‑à‑dire au pliage, offre une limite structurelle qui aide la personne moyennement versée dans l’art à comprendre les diverses façons dont la poignée peut interagir avec les composants en vue d’accomplir la fin visée. Une autre limite imposée à la poignée est qu’on y accède à partir du dessus du siège.

(8)  Les premier et second croisillons

[309]  Les revendications 3, 15 et 16 font référence à des croisillons. La revendication 16, dont le texte suit, présente les éléments dans des clauses distinctes, tandis que les revendications 3 et 15 les ont combinés en une seule clause. Le texte est identique dans les trois revendications :

[traduction]

un premier croisillon s’étendant entre le premier support et le second montant du châssis pour transférer au moins une partie du poids au second montant du châssis;

un second croisillon s’étendant entre le second support et le premier montant du châssis pour transférer au moins une partie du poids au premier montant du châssis.

[310]  La source du litige entre les deux experts est le sens des mots « s’étendant entre » et la question de savoir si les deux croisillons ont chacun besoin d’une connexion directe entre un support et le montant de châssis opposé.

[311]  Les croisillons sont décrits à la fin du paragraphe 35 du brevet 392 :

[traduction]

Un support additionnel pour la structure du siège 10 est assuré par un premier croisillon 37 s’étendant depuis la surface inférieure de la plateforme de soutien du côté droit 31 jusqu’à une première ferrure d’attache 38 fixée au croisillon11b, et par un second croisillon 39 s’étendant depuis la surface inférieure de la plateforme de soutien du côté gauche 32 jusqu’à une seconde ferrure d’attache 40 fixée au croisillon 11a. Les deux extrémités des premier et second croisillons 37 et 39 sont connectées par pivotement à leurs points de montage respectifs.

[312]  M. Schuch considère que les croisillons sont directement connectés aux supports. Il signale qu’ils renferment [traduction] « une partie transversale qui transmet, détourne ou résiste à une force/charge » émanant d’un premier ou second supports [traduction] « afin de détourner une partie ou la totalité du poids » vers le second ou le premier montant du châssis.

[313]  Pour ce qui est de la façon dont fonctionnent les croisillons, l’interprétation de M. Brienza est essentiellement la même. Il ajoute que le poids dont il est question serait celui de l’utilisateur ainsi que celui du dispositif. Il ajoute également que les mots [traduction] « au moins » désignent la totalité du poids ou une fraction de ce dernier.

[314]  Là où l’opinion de M. Brienza diffère de celle de M. Schuch est que, comme la revendication ne précise pas que les croisillons sont connectés aux supports et aux montants du châssis, ils pourraient être connectés directement ou indirectement. Il serait également possible d’obtenir ce résultat par divers moyens, comme par l’entremise d’un ou plusieurs composants.

[315]  Le désaccord entre M. Schuch et M. Brienza n’a pas réellement trait aux croisillons. Les deux s’entendent sur ce que sont ces éléments et ce qu’ils font. Le différend a plutôt trait au fait de savoir si les croisillons, qui sont fixés chacun à une ferrure d’attache qui est elle-même rattachée à un croisillon, constituent une connexion directe ou indirecte. Le désaccord général concerne le sens des mots « s’étendant entre ».

[316]  Dans ses deux rapports, M. Schuch n’a pas indiqué que les ferrures d’attache faisaient partie du montant du châssis, mais il l’a fait au procès parce que ces ferrures sont fixées solidement au châssis et que la fonction des croisillons est de transférer au moins une partie du poids vers le montant du châssis.

[317]  Human Care soutient qu’en adoptant cette position, M. Schuch a contredit son interprétation antérieure selon laquelle la plateforme d’assise ne faisait pas partie des supports, même si ces derniers étaient solidement fixés aux bras en J.

[318]  En contre-interrogatoire, M. Schuch a souscrit à la thèse selon laquelle ce n’est pas parce qu’une telle pièce est solidement fixée qu’elle devient pour autant un élément d’un composant :

[traduction]

Q. J’en déduis de votre réponse que vous seriez d’accord pour dire, dans ce cas, que le simple fait d’être solidement fixé à quelque chose n’a pas automatiquement pour effet que cette partie devient un élément d’un composant de ce brevet?

R. Il me semble qu’avant qu’on puisse dire qu’une chose solidement fixée devient une partie de quelque chose, il faudrait examiner plus – examiner les choses en détail au‑delà de ce lien et examiner le texte décrivant le lien et les pièces.

Q. Il est donc juste de dire que le contexte est important? C’est‑à‑dire qu’en règle générale, on ne peut pas dire simplement que parce qu’une chose est solidement fixée, elle fait ou ne fait pas partie de l’élément – c’est le contexte plus large qui importe?

R. Oui, je pense qu’en général le contexte et l’objet ainsi que la description générale sont importants.

Transcription du procès, vol. 7, p. 1254, l. 18‑18; p. 1255, l. 1 à 4.

[319]  Evolution a fait valoir que quand on a montré à M. Macmillan au procès des dessins des montants latéraux du châssis faits à l’ordinateur, celui-ci a convenu que la ferrure d’attache faisait partie du montant latéral du châssis. Je ne suis pas disposée à accorder beaucoup de poids à cette partie du témoignage de M. Macmillan. Ce dernier a dit en général au sujet de ses compétences : [traduction] « Je ne suis pas un ingénieur de formation, je ne suis pas un concepteur, je ne suis qu’un simple spécialiste de la vente et du marketing ».

[320]  Il n’est pas réaliste de demander à M. Macmillan d’interpréter un dessin fait par ordinateur et de fournir ou de confirmer une conclusion à laquelle la Cour peut se fier. Et plus encore si l’on considère que les deux ingénieurs experts en l’espèce ne peuvent s’entendre sur la réponse. Je suis sûre que M. Macmillan ne sera pas offensé si je dis qu’il n’est pas qualifié pour départager les deux.

[321]  M. Brienza signale que, comme l’indique la revendication 16, les croisillons ont pour fonction de transférer [traduction] « au moins une partie du poids » depuis les premier ou second supports vers les second ou premier montants du châssis, selon le cas.

[322]  Evolution soutient qu’au cours du contre-interrogatoire, M. Brienza a admis qu’il ignorait si la personne moyennement versée dans l’art déciderait que la ferrure d’attache fait partie ou non du montant du châssis. J’ai passé en revue la transcription, et la conversation a été assez brève. M. Brienza a précisément dit que la personne moyennement versée dans l’art aurait dit que l’attache de fixation ne faisait pas partie du montant latéral : transcription du procès, vol. 3, p. 549, l. 3 à 22.

[323]  En parlant du dispositif formant barre de tension et des bras en J avec l’avocate de Human Care, M. Schuch a déclaré :

[traduction]

Q. Donc, juste pour être sûre d’avoir bien compris, vous êtes d’avis que s’il est solidement fixé, ou pour reprendre les termes que nous avons employés dans le présent litige, s’il est directement connecté,  par opposition à indirectement connecté?

R. Oui. D’un point de vue structurel, c’est essentiellement mon avis, une connexion directe.

Transcription du procès, vol. 7, p. 1252, l. 9 à 14.

[324]  Quand Human Care a fait remarquer à M. Schuch qu’il n’avait pas inclus auparavant la surface d’assise en tant qu’élément des supports, même si ces derniers étaient solidement fixés aux bras en J, il a défendu sa réponse en expliquant que ce n’était pas tout à fait la même chose que de décrire une ferrure, parce qu’il y avait d’autres termes. Il a ensuite convenu que juste parce qu’une chose est solidement fixée, on ne peut pas dire que cette chose fait partie ou non d’un élément, car [traduction] « en général le contexte ainsi que l’objet et la description générale sont importants ».

[325]  Je ne suis pas convaincue dans ce cas‑ci ou dans d’autres qui se survenus au cours de la présente affaire, que des déclarations comme, par exemple : [traduction] « adopter une interprétation qui permet que des connexions soient indirectes rend la limite structurelle ‘s’étendant entre’ vide de sens, car cela permettrait de mettre les croisillons en place n’importe où dans la structure ». C’est faire là abstraction des deux autres limites de la revendication, dont la limite importante que les croisillons doivent permettre de transférer au moins une partie du poids du support vers le montant du châssis. Cela ne tient pas compte non plus du fait que les revendications doivent être interprétées à la lumière du brevet dans son ensemble, en se reportant, quand il le faut, au mémoire descriptif pour confirmer ce que l’on a compris. M. Schuch a bel et bien admis lors du contre-interrogatoire que le contexte est important et qu’il est nécessaire d’étudier les détails qui sous-tendent une connexion ainsi que d’examiner les termes utilisés.

[326]  Compte tenu :

  • - des termes généraux employés dans la revendication 16, laquelle n’exige pas une connexion, mais emploie plutôt les mots précis « s’étendant entre »;

  • - que M. Schuch n’a pas inclus au départ la ferrure d’attache en tant qu’élément du châssis dans ses deux rapports;

  • - qu’il a reconnu que les ferrures d’attache ne se trouvent pas sur le même plan que le châssis, pas plus qu’il n’est revendiqué dans le brevet 392 qu’elles font partie du montant du châssis;

  • - de l’analyse de M. Brienza dans laquelle, contrairement à ce qu’Evolution a laissé entendre, il a clairement déclaré que la personne moyennement versée dans l’art ne considérerait pas que la ferrure d’attache fait partie du montant du châssis.

Je n’hésite pas à conclure que les croisillons ne se fixent pas directement au montant du châssis. Ils y sont indirectement fixés, ce qui, dans la réalisation privilégiée, est fait au moyen des ferrures d’attache.

[327]  Après avoir interprété les éléments des revendications, je conviens avec les parties que ces éléments sont essentiels. Compte tenu des CGC, il aurait été évident aux yeux de la personne moyennement versée dans l’art que le fait de modifier ces éléments changerait la façon dont l’invention fonctionne. Ces éléments sont donc essentiels : Halford c Seed Hawk Inc., 2006 CAF 275, au paragraphe 13 [Halford].

VIII.  La contrefaçon

A.  Le droit applicable

[328]  Le droit d’intenter une action contre une partie qui a contrefait un brevet censément valide figure dans la Loi sur les brevets. L’article 42 confère au breveté et à ses représentants légaux le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres l’objet de l’invention. Le paragraphe 55(1) prévoit ensuite qu’une personne qui contrefait un brevet est responsable de tous les dommages que cette contrefaçon a fait subir au breveté.

[329]  Le fardeau de prouver la contrefaçon incombe à la partie qui l’allègue – en l’occurrence, il s’agit de Human Care : Monsanto Canada Inc. c Schmeiser, 2004 CSC 34, au paragraphe 29 [Schmeiser].

[330]  La question de savoir s’il y a eu contrefaçon oblige à déterminer si « l’appareil en cause reprend tous les éléments essentiels de l’invention » : arrêt Free World Trust, au paragraphe 68.

[331]  Le fait de déterminer s’il y a eu contrefaçon est une question mixte de fait et de droit. Une fois que les revendications ont été interprétées, l’étape suivante consiste à déterminer si, au vu des faits, l’une quelconque des revendications a été contrefaite : ABB Technology AG c Hyundai Heavy Industries Co., Ltd., 2015 CAF 181, au paragraphe 30, ainsi que les décisions qui y sont mentionnées.

[332]  La contrefaçon est définie par renvoi aux revendications, et non à l’invention. S’il est conclu que le déambulateur Xpresso contrefait la revendication 16 ou la revendication 18, cela signifie que tous les déambulateurs Xpresso contreferont le brevet, car Evolution convient qu’ils sont tous les mêmes, et que leur seul élément de différence est leur taille.

B.  Commentaires généraux sur les questions de contrefaçon qui opposent les parties

[333]  On trouve dans l’arrêt Free Word Trust une longue analyse au sujet de la différence qui existe entre la « contrefaçon de la substance » et la « contrefaçon littérale ». La conclusion est la suivante : ce qui était naguère un processus d’examen à deux volets a été remplacé par l’étape unique de l’interprétation téléologique. Même là, le juge Binnie a admis que l’issue, après une analyse téléologique des revendications, est peut-être la même que celle à laquelle on serait arrivé dans le cadre de la démarche à deux volets :

50  Je ne prétends pas que la démarche à deux volets mène nécessairement à un résultat différent par rapport à la démarche à un seul volet ni qu’elle a donné lieu à des abus. Je crois cependant qu’il faut désormais reconnaître que plus grand est le pouvoir discrétionnaire accordé au tribunal de rechercher « l’esprit de l’invention » au‑delà du libellé des revendications, moins les revendications peuvent jouer leur rôle d’information du public et plus l’incertitude et l’imprévisibilité qui en résultent malheureusement sont grandes. L’« interprétation téléologique » supprime le premier volet correspondant à une interprétation purement textuelle, mais elle resserre l’interprétation de ce qui constitue l’« essentiel » ou la « substance » de l’invention, et ce, afin qu’un traitement équitable soit accordé à la fois au breveté et au public. […]

[334]  Dans le cadre d’une analyse téléologique, le tribunal relève dans les revendications les phrases ou les mots particuliers qui décrivent les éléments essentiels de l’invention sous l’angle de la personne moyennement versée dans l’art.

[335]  Pour qu’il soit conclu qu’un élément n’est pas essentiel, une interprétation téléologique doit montrer qu’il n’était manifestement pas prévu que cet élément soit essentiel, ou il peut être conclu qu’une personne moyennement versée dans l’art qui lirait la revendication à la date de publication aurait compris que l’élément en question aurait pu être remplacé par un autre sans que cela ait une incidence sur le fonctionnement de l’invention. Autrement dit, si l’élément remplacé « accompli[t] essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat », cet élément peut être, dans ce cas, considéré comme non essentiel.

(1)  La réalisation privilégiée

[336]  Un thème qu’Evolution a souvent évoqué est que le brevet 392 enseigne une seule manière, décrit une seule méthode ou représente une seule réalisation. Cela veut dire, selon moi, que les termes utilisés dans les revendications sont à la fois clairs et non équivoques, de même qu’assez étroits. Ils ne permettent aucune autre interprétation. Si le dispositif censément contrefaisant n’est pas la [traduction] « seule chose », alors il ne contrefait pas le brevet.

[337]  La fausseté de cet argument est qu’il ressort d’un examen du brevet 392 que le breveté voulait que le dispositif puisse être modifié d’un certain nombre de façons. C’est ce que démontre le paragraphe 38 du mémoire descriptif :

[traduction]

[38] Dans la réalisation illustrée, la fonction de verrouillage 61 comporte une pince à ressort qui s’étend depuis le premier lien solide 51 et la jambe de force 56; cependant, d’autres fonctions de verrouillage sont possibles, dont une charnière spécialement conçue, qui empêche toute rotation une fois passée la position d’ouverture complète (illustrée à la figure 6).

[338]  Les revendications décrivent un large éventail de configurations possibles. Il y a d’autres configurations de poignée, ainsi qu’aucune poignée du tout. Le dispositif formant plaque de tension peut être remplacé par un premier et un second dispositif formant lien, ou il peut plutôt contenir soit une charnière, soit une pince à ressort. Dans une revendication, il peut y avoir un ou deux dispositifs à charnière. La revendication 16 comporte des croisillons, mais pas la revendication 18. Autrement dit, il est évident que le brevet 392 n’envisage aucune configuration ou réalisation particulière. Cela concorde avec le texte des revendications, qui contient le mot « dispositif », ce qui dénote qu’il peut y avoir plusieurs façons d’atteindre le résultat souhaité.

[339]  Dans la décision Eli Lilly Canada Inc. c Apotex Inc., 2008 CF 142, le juge Hughes a rejeté un argument qui lui avait été soumis, à savoir que certaines des revendications en litige devraient être limitées à un seul type de traitement en particulier. Il a cité l’arrêt Dableh c Ontario Hydro, [1996] 3 CF 751 (CAF), qui met expressément en garde contre le fait de limiter des mots clairs et non équivoques à une réalisation privilégiée.

C.  Le déambulateur Xpresso contrefait le brevet 392

[340]  Le déambulateur Xpresso englobe tous les éléments essentiels des revendications 16 et 18 du brevet 392 et, de ce fait, Evolution a contrefait le brevet 392 en fabriquant et en vendant le déambulateur Xpresso.

[341]  Le point le plus litigieux entre les parties est celui de savoir si le montant renforcé que comporte l’Xpresso fonctionne essentiellement de la même façon que le dispositif formant barre de tension du brevet 392 en vue d’obtenir essentiellement le même résultat.

[342]  L’explication la plus simple du désaccord de M. Schuch avec la manière dont M. Brienza interprète le « montant » horizontal de l’Xpresso figure dans sa déclaration de réfutation :

[traduction]

Comme il a été indiqué plus tôt dans le présent rapport, on ne peut pas faire abstraction des pièces intermédiaires. Plus précisément, il est nécessaire de prendre en compte l’effet du « montant » horizontal inférieur intermédiaire au moment d’analyser l’Xpresso. Dans ce cas‑ci, les croisillons s’étendent depuis le siège jusqu’au « montant » horizontal inférieur du déambulateur Xpresso. Les croisillons ne s’étendent pas aux montants du châssis. De plus, les caractéristiques structurelles et fonctionnelles du montant doivent être prises en compte au moment d’analyser le transfert de forces depuis le siège. Lorsqu’un poids est placé sur le siège du déambulateur Xpresso, la force exercée a pour effet de faire affaisser le siège vers le bas. Cependant, les croisillons s’étendent depuis le siège jusqu’au montant, qui est muni de la butée renforcée précédemment décrite et représentée. Le poids est transféré par les croisillons vers le montant, qui subit une charge transversale. Le montant est mis en compression le long de sa moitié supérieure et en tension le long de sa moitié inférieure. La rigidité des éléments du montant, l’efficacité de la butée renforcée et la connexion des éléments du montant aux montants latéraux empêchent tous les montants de s’affaisser. Même si des forces s’exercent là où les éléments du montant se raccordent aux montants latéraux du déambulateur Xpresso, il ne s’agit pas simplement de croisillons qui s’étendent entre les supports et les montants du châssis pour transférer au moins une partie du poids vers les montants du châssis.

Déclaration de réfutation de Jonathon Schuch, au paragraphe 57

[343]  M. Brienza a expliqué de manière simple comment il interprétait la façon dont l’Xpresso contrefaisait la revendication 16 le troisième jour du procès, lors de son contre-interrogatoire, au moment de décrire l’importance de l’emplacement des croisillons du déambulateur :

[traduction]

Ma position au sujet de l’Xpresso est que, vous savez, si l’Xpresso avait un élément vertical qui entrait en contact avec ce croisillon au centre, il n’y aurait aucune tension, il n’y aurait aucune force de tension, et cela ne tomberait pas sous le coup du brevet.

Mais aussitôt que les points de connexion de ces croisillons s’éloignent du centre, cela devient  une force de tension et cela tombe donc sous le coup de la revendication, indépendamment de ce que ce croisillon fait d’autre.

Transcription du procès, vol. 3, p. 531, l. 4 à 12.

[344]  Un peu plus tard, lors de l’échange suivant, M. Brienza a explicité sa réponse antérieure :

[traduction]

Q.  Un montant résistant à une force dirigée vers le bas avec une butée renforcée au milieu pour l’empêcher de s’effondrer, et c’est ce qui empêche le siège de s’effondrer, ce que le fait que le siège soit situé dans un même plan, de la même façon qu’une barre de tension, signifie en fait que les parties inférieures des supports s’interconnectent?

R.  La différence selon moi est que cet élément le fait de deux façons par rapport à un dispositif n’agissant pas comme une barre de tension et non soumis à une force transversale… si la connexion était au milieu, ce serait tout à fait transversal et manifestement, cela ne tomberait pas sous le coup de la revendication. Et si c’était tout à fait au bord, ce serait – il n’y aurait aucune force transversale exercée par le siège et, dans ce cas, cela tomberait manifestement sous le coup de la revendication. Alors, ici, nous sommes au milieu. Donc, cela fait les deux. Et est‑ce que cela tombe ou non? Mais, si l’on regarde seulement la revendication, on ne dit pas ce que cela fait d’autre. On y dit seulement que cela fait cette chose‑là uniquement, pour aider à tenir ensemble les parties inférieures des supports par tension.

Q.  Par tension?

R.  Et c’est ce qui guide donc mon opinion, que cela tombe sous le coup de la revendication, même si je reconnais volontiers que cette pièce agit aussi comme montant.

Transcription du procès, vol. 3, p. 533, l. 22 à 28; p. 534, l. 1 à 17.

(1)  Les connexions structurelles du dispositif formant barre de tension

[345]  Je conclus que l’expression « dispositif formant barre de tension » dans les revendications 16 et 18 du brevet 392 décrit le montant horizontal de l’Xpresso. M. Brienza et M. Schuch conviennent tous deux que de multiples forces agissent sur le dispositif formant barre de tension du brevet 392 et sur le « montant » de l’Xpresso. Le brevet 392 et l’Xpresso emploient chacun deux liens réunis par une charnière pour répartir ces forces.

[346]  Compte tenu de la preuve, je suis convaincue que le montant horizontal de l’Xpresso est soumis à des forces de tension, en plus de forces transversales. De plus, même s’il n’est pas directement connecté aux supports, le montant horizontal est bel et bien connecté indirectement à eux. C’est donc dire que le dispositif formant barre de tension dont il est question dans les revendications 16 et 18 est présent dans le déambulateur Xpresso.

(2)  Les premier et second supports

[347]  La question de savoir si les premier et second supports sont connectés par pivotement à leurs montants de châssis respectifs et l’un à l’autre constitue principalement un point de discorde quant au fait de savoir si la surface d’assise (le siège) et le couvre-siège font partie des supports.

[348]  Evolution a fait valoir que le siège ne fait pas partie des supports, et donc que ces derniers, dans l’Xpresso, ne sont ni connectés par pivotement aux montants du châssis, ni connectés l’un à l’autre. Human Care a affirmé que le siège fait partie des supports, et donc que ces derniers, dans l’Xpresso, sont connectés par pivotement aux montants du châssis ainsi que l’un à l’autre.

[349]  Je suis d’accord avec Human Care que le siège fait partie des supports. Je conclus que les supports, connectés par pivotement, des revendications 16 et 18 sont présents dans le déambulateur Xpresso.

(3)  La poignée

[350]  La revendication18 inclut une poignée qui passe au travers du premier support et qui fait pivoter à la fois le dispositif formant barre de tension et les deux supports. La revendication 16 ne contient pas cet élément.

[351]  Evolution soutient que, dans l’Xpresso, la poignée ne passe pas au travers du support ni ne fait pivoter les autres composants.

[352]  L’argument d’Evolution selon lequel la poignée de l’Xpresso ne passe pas au travers du support est fondé sur une interprétation du mot « support » qui n’inclut pas le siège. J’ai admis que le siège et le coussin du siège font partie des supports. À cet égard, la poignée de l’Xpresso passe bel et bien au travers du premier support.

[353]  Pour ce qui est de la question de savoir si la poignée fait pivoter d’autres composants, Evolution insiste pour dire que la poignée doit agir directement sur les composants qui pivotent pour correspondre au sens de la poignée dont il est question dans la revendication 18. J’ai rejeté cette interprétation de cet élément et j’ai conclu que la poignée peut interagir indirectement avec les composants qui pivotent et tomber quand même sous le coup de la revendication 18. Si l’on applique une force extrinsèque à la poignée de l’Xpresso, les supports pivotent l’un vers l’autre, tout comme le montant. C’est donc dire que la poignée dont il est question dans la revendication 18 est présente dans le déambulateur Xpresso.

(4)  Les premier et second croisillons

[354]  La revendication 16 inclut les croisillons qui s’étendent entre le premier support et le second montant du châssis et entre le second support et le premier montant du châssis, de façon à transférer au moins une partie du poids vers les montants du châssis.

[355]  Evolution nie que des croisillons s’étendent entre le support et le châssis de l’Xpresso.

[356]  Evolution soutient que les croisillons exigent chacun une connexion directe entre un support et le montant du châssis opposé. Elle dit que les croisillons de l’Xpresso s’étendent du support du siège jusqu’au montant horizontal et non jusqu’au montant du châssis. Elle dit aussi que les deux moitiés du montant horizontal sont fixées par pivotement, et non de façon rigide, aux montants latéraux du châssis.

[357]  Selon mon interprétation de cet élément de la revendication 16, il n’est pas exigé que les croisillons soient fixés de manière rigide et directe aux montants du châssis. En étant directement connectés au montant horizontal, les croisillons de l’Xpresso distribuent indirectement le poids depuis les supports jusqu’aux montants du châssis. Par conséquent, les croisillons dont il est question dans les revendications 16 et 18 sont présents dans le déambulateur Xpresso.

[358]  Tous les éléments essentiels des revendications 16 et 18 du brevet 392 sont présents dans le déambulateur Xpresso. En fabriquant et en vendant l’Xpresso, Evolution a contrefait le brevet de Human Care.

IX.  La validité

[359]  Une fois que l’on a interprété une revendication, l’interprétation est la même à tous égards; elle ne diffère pas entre la contrefaçon et la validité.

[360]  La présomption de validité, dit-on, est faible, car il est prescrit que « […] une fois délivré, le brevet est, sauf preuve contraire, valide » : Abbott Laboratories c Canada (Santé), 2007 CAF 153, au paragraphe 9. Il s’agit néanmoins d’une présomption.

[361]  Le juge Hughes a énoncé en ses termes le fardeau de preuve que les parties supportent :

Il incombe à la partie qui allègue l’invalidité de produire des éléments de preuve qui tendent à prouver ses allégations; dans ce cas, la Cour tranchera l’affaire selon le fardeau de preuve habituel en matière civile (par exemple, Tye-Sil Corp. Ltd c Diversified Products Corp. (1991), 35 CPR (3d) 350, aux pages 357 à 359 (CAF)). Une fois produits certains éléments de preuve, la présomption disparaît (par exemple, Rubbermaid (Canada) Ltd c Tucker Plastic Products Ltd. (1972), 8 CPR (2nd) 6, à la page 14 (CF)).

Abbvie Corporation c Janssen Inc., 2014 CF 55, au paragraphe 108.

[362]  Pour évaluer si l’invention a été antériorisée dans l’art antérieur, la Cour se doit d’examiner si un document quelconque l’a divulguée et mise en œuvre. Par contraste, il est possible que l’on conclue qu’une revendication est évidente en se basant sur une mosaïque de réalisations antérieures que la personne moyennement versée dans l’art aurait assemblée. Pour qu’une invention soit évidente, il faut montrer que la personne moyennement versée dans l’art aurait été guidée depuis la mosaïque jusqu’à l’invention, sans la moindre parcelle d’ingéniosité.

A.  Les objections relatives à la validité

[363]  Le 30 octobre 2017, l’avocate de Human Care a écrit à la Cour pour faire part de ses préoccupations quant au fait qu’Evolution, dans ses observations finales écrites, se fondait sur le brevet Rideout [Rideout] pour ce qui était des arguments fondés sur l’antériorité. Human Care a soutenu qu’au cours du procès Evolution avait assuré à la Cour qu’elle ne souhaitait pas soulever de points au sujet du Rideout, relativement à l’antériorité; cela étant, la Cour devrait radier certains paragraphes des conclusions finales d’Evolution.

[364]  Evolution a affirmé qu’elle avait soulevé des questions au sujet du Rideout uniquement parce que M. Brienza avait modifié son témoignage au cours de l’audience. C’est‑à‑dire qu’Evolution soutient que, dans son rapport d’expert, M. Brienza a prétendu que le Rideout enseigne chacun des éléments essentiels de la revendication 16, à l’exception d’un « dispositif formant barre de tension ». Selon Evolution, M. Brienza a contredit son rapport d’expert de réponse lors du contre-interrogatoire en admettant que le Rideout n’enseignait pas qu’il y avait un « dispositif formant charnière » qui était connecté aux supports du siège.

[365]  Après avoir passé en revue les documents et les passages pertinents de la transcription, je conclus qu’il est interdit à Evolution d’invoquer des arguments liés au fait que le brevet Rideout antériorise le brevet 392, et ce, pour deux raisons.

[366]  Premièrement, l’avocat d’Evolution a expressément assuré à la Cour qu’il n’invoquerait pas d’arguments fondés sur le brevet Rideout après que l’avocate de Human Care eut fait valoir que, d’après les mots de la question formulée, on était sur le point de suggérer que [traduction] « Rideout est un renvoi à une antériorité » : Transcription du procès, vol. 9, p. 1639, l. 13 à 19.

[367]  En réponse à cette préoccupation, l’avocat d’Evolution a simplement dit [traduction] « non », comme dans : non ce n’était pas leur intention. L’avocate de Human Care a revérifié et s’est heurtée à un autre « non » d’Evolution, après quoi j’ai conclu l’affaire en disant :

[traduction]

Eh bien, je crois qu’ils ont dit que ce n’était pas le cas, et je pense donc que nous en sommes tous convaincus.

Transcription du procès, vol. 9, p. 640, l. 1 à 2.

[368]  Bien qu’Evolution ait fourni la garantie qui précède avant que M. Brienza ait censément modifié son témoignage lors du contre-interrogatoire, cela a néanmoins indiqué à la Cour et à l’avocate de la partie adverse la mesure dans laquelle Evolution se fondait sur le brevet Rideout. Il serait donc préjudiciable d’autoriser Evolution à invoquer des arguments différents au sujet du brevet Rideout sans avoir précisé dans ses observations orales, faites après le témoignage de M. Brienza et un mois avant les observations écrites du 25 octobre 2017, qu’elle entendait revenir sur la position antérieure.

[369]  Deuxièmement, je ne suis pas convaincue que M. Brienza a changé de position au cours du contre-interrogatoire. Malgré un long et vigoureux contre-interrogatoire, après plus d’une heure d’échanges entre l’avocate et lui, la discussion qui suit me convainc que ce dernier n’a pas changé son témoignage lors de l’audience :

[traduction]

Q.  Rangée 40 de l’annexe F de votre rapport de réfutation, cette dernière colonne, « Comparaison avec les revendications du brevet 392 pour Rideout ». Le dispositif formant barre de tension est le seul élément de la revendication 16 que, avez-vous dit, le renvoi à Rideout n’enseigne pas. Maintenant, aujourd’hui, ce matin, pour la première fois, vous me dites qu’il n’enseigne pas non plus la présence d’un dispositif formant charnière entre les supports; est‑ce exact?

R.  Il ne décrit pas une combinaison de dispositif formant charnière et de dispositif formant barre de tension. Ici, ici littéralement, je dis qu’il n’y a pas de dispositif formant barre de tension. Il y a toutefois une charnière. La charnière – une partie de la compréhension de la charnière et la manière dont elle interagit avec le dispositif formant barre de tension et comment elle – comment ils sont synergiques, mais je suis d’accord avec vous. À la rangée 40, à la dernière colonne, j’indique seulement que le dispositif formant barre de tension est manquant.

Transcription du procès, vol. 9, p. 1641, l. 2 à 16.

[370]  Plus tard, à la page 1644, aux lignes 22 à 28, l’échange suivant a lieu :

[traduction]

Q.  Très bien. C’est ce que j’essaie de savoir. Quels sont les éléments essentiels du dispositif formant charnière des revendications 16 et 18 qui ne sont pas présents dans la charnière 23 du Rideout?

R.  Je crois avoir dit, il y a à peine une minute de cela, que je suis d’accord avec vous qu’il s’agit d’un dispositif formant charnière; nous pouvons donc passer à autre chose.

[371]  De très nombreux autres échanges ont eu lieu; cette partie du contre-interrogatoire a essentiellement tourné en rond.

[372]  Vers la fin, l’avocate a tenté de nouveau d’amener M. Brienza à convenir qu’au procès il avait changé de position par rapport à ce qu’il avait écrit au départ dans ses rapports :

[traduction]

Q.  […] Donc, tout d’abord, vous convenez que la charnière 23 du Rideout fait exactement cela?

R.  C’est avec cela que je ne suis pas d’accord.

Q.  Elle ne résiste pas à une force de traction?

R.  Qu’elle n’est pas interconnectée structurellement de la manière dont le comprendrait le lecteur du brevet 392.

Transcription du procès, vol. 9, p. 1652, l. 28; p. 1653, l. 1 à 6.

[373]  Peu après cet échange, j’ai conclu et dit à l’avocate qu’il était temps de passer à autre chose, car après une heure d’essais, elle n’allait pas obtenir que M. Brienza soit d’accord avec lui. À ce stade, l’avocate a posé d’autres questions au sujet du Rideout et de son fonctionnement, mais la question de la charnière n’est pas revenue sur le tapis, sinon pour soumettre des propositions hypothétiques à M. Brienza, en prenant pour base que la charnière du brevet Rideout tombait sous le coup de son interprétation.

B.  L’antériorité

(1)  Le droit applicable

[374]  L’article 28.2 de la Loi sur les brevets offre le fondement législatif qui permet de contester un brevet en se fondant sur une allégation d’antériorité. Les passages pertinents de l’article 28.2 sont les suivants :

28.2 (1) L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas :

 

28.2 (1) The subject‑matter defined by a claim in an application for a patent in Canada (the “pending application”) must not have been disclosed

 

a) plus d’un an avant la date de dépôt de celle‑ci, avoir fait, de la part du demandeur ou d’un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

(a) more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant, in such a manner that the subject‑matter became available to the public in Canada or elsewhere;

 

b) avant la date de la revendication, avoir fait, de la part d’une autre personne, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

(b) before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the subject‑matter became available to the public in Canada or elsewhere;

 

[375]  Le juge Binnie énonce comme suit, dans l’arrêt Free World Trust, le critère applicable en matière d’antériorité, au paragraphe 26 :

Il est donc difficile de satisfaire au critère applicable en matière d’antériorité :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.

(Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), le juge Hugessen, à la p. 297)

[376]  Le moyen de déterminer si une allégation d’antériorité a été établie requiert deux étapes distinctes : divulgation et caractère réalisable : Apotex Inc. c Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, aux paragraphes 24 à 26 [Sanofi].

[377]  Premièrement, le brevet antérieur doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet en litige, et ce, sans essai ou sans expérimentation de la part de la personne moyennement versée dans l’art, laquelle doit se contenter de lire le brevet antérieur pour en comprendre la teneur : Sanofi, au paragraphe 25.

[378]  Deuxièmement, si le brevet antérieur divulgue l’objet du brevet en litige, il faut dans ce cas déterminer si ce brevet antérieur permet à la personne moyennement versée dans l’art de réaliser l’invention du brevet en litige. À ce stade, la personne moyennement versée dans l’art peut procéder à des essais successifs pour faire fonctionner l’invention : Sanofi, aux paragraphes 26 et 27.

[379]  Dans l’arrêt Sanofi, au paragraphe 37, une liste non exhaustive de facteurs dont il faut normalement tenir compte pour déterminer si le caractère réalisable existe a été dressée :

[37]  Au vu de cette jurisprudence, j’estime que les facteurs suivants — dont l’énumération n’est pas exhaustive et l’applicabilité dépend de la preuve — doivent normalement être considérés.

1.  Le caractère réalisable est apprécié au regard du brevet antérieur dans son ensemble, mémoire descriptif et revendications compris. Il n’y a aucune raison de limiter les éléments du brevet antérieur dont tient compte la personne versée dans l’art pour découvrir comment exécuter ou réaliser l’invention que vise le brevet subséquent. L’art antérieur est constitué de la totalité du brevet antérieur.

2.  La personne versée dans l’art peut faire appel à ses connaissances générales courantes pour compléter les données du brevet antérieur. Les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art en cause au moment considéré.

3.  Le brevet antérieur doit renfermer suffisamment de renseignements pour permettre l’exécution du brevet subséquent sans trop de difficultés. Le caractère excessif des difficultés dépend de la nature de l’invention. Par exemple, lorsque celle‑ci relève d’un domaine technique où les essais sont monnaie courante, le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive tend à être plus élevé que lorsque des efforts moindres sont la norme. Lorsqu’il est nécessaire de franchir une étape inventive, la divulgation antérieure ne satisfait pas au critère du caractère réalisable. Les essais courants sont toutefois admis et il n’en résulte pas de difficultés excessives. L’expérimentation ou les essais successifs ne doivent cependant pas se prolonger, et ce, même dans un domaine technique où ils sont monnaie courante. Aucune limite n’est fixée quant à la durée des efforts consacrés; toutefois, les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants.

4.  Les erreurs ou omissions manifestes du brevet antérieur ne font pas obstacle au caractère réalisable lorsque des habiletés et des connaissances raisonnables permettaient d’y remédier.

(Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), le juge adjoint Hugessen, à la p. 297)

(2)  Le brevet 392 n’était pas antériorisé

[380]  Evolution allègue que le brevet 392 était antériorisé par le brevet Fernie. Elle ajoute que ce dernier divulguerait l’invention du brevet 392 au lecteur versé dans l’art et que celui‑ci serait en mesure de réaliser cette invention à partir de cette lecture.

[381]  Evolution allègue également que M. Brienza a admis que la totalité des éléments essentiels des revendications 16 et 18 sont présents dans le brevet Fernie. Human Care soutient qu’il s’agit là d’une affirmation erronée et que M. Brienza a plutôt clairement indiqué que le brevet 392 n’était pas antériorisé par le brevet Fernie. Je suis d’accord avec Human Care, M. Brienza n’a rien admis de la sorte.

[382]  Human Care fait remarquer que le dispositif formant barre de tension dans le brevet 392 est absent du brevet Fernie. Son équivalent, dans ce dernier, deux bras oscillants, ne subit aucune charge de tension et il ne s’agit donc pas d’un dispositif formant barre de tension au sens des revendications 16 et 18.

[383]  Je suis convaincue que le brevet Fernie n’antériorise pas le brevet 392. La personne moyennement versée dans l’art ne pourrait pas réaliser sans trop de difficultés l’invention du brevet 392 à partir d’une lecture du brevet Fernie.

C.  L’évidence

(1)  Le droit applicable

[384]  La Loi sur les brevets prévoit à l’article 28.3 qu’une invention ne doit pas être évidente :

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

 

28.3 The subject‑matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject‑matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

(a) information disclosed more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or else‑where; and

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

 

[385]  En l’espèce, l’évidence doit être appréciée à la date de priorité antérieure du 26 mars 2004.

[386]  Pour examiner l’évidence, les CGC de la personne moyennement versée dans l’art se limitent aux connaissances que détiennent généralement les personnes applicables au moment considéré : arrêt Sanofi, au paragraphe 37(2).

[387]  Dans l’arrêt Novopharm ltd c Janssen-Ortho inc., 2007 CAF 217, au paragraphe 25(3), la Cour d’appel fédérale a adopté la description suivante des CGC en se fondant sur le jugement de première instance que le juge Hughes avait rendu dans la même affaire :

La somme des connaissances courantes que possède la personne hypothétique normalement versée dans l’art comprend ce qu’on peut légitimement s’attendre à ce qu’elle sache et soit capable de trouver. On suppose que cette personne est raisonnablement diligente dans ses efforts pour se tenir au courant des progrès réalisés dans le domaine dont relève le brevet (Whirlpool, au paragraphe 74). Les connaissances présumées de la personne du métier hypothétique évoluent et s’accroissent constamment. Les connaissances ne sont pas toutes consignées dans des publications. Inversement, toutes les connaissances ainsi consignées ne font pas partie des connaissances que la personne du métier moyenne est censée posséder ou pouvoir trouver.

[388]  En l’espèce, les CGC de la personne moyennement versée dans l’art incluent les principes de base de la conception et de la construction des dispositifs d’aide au déplacement, dont ceux que l’on plie pour les ranger, ainsi qu’une connaissance et une compréhension modérées de la conception des structures porteuses.

[389]  Dans la décision Dimplex North America Ltd c CFM Corporation, 2006 CF 586, le juge Mosley énonce le critère tiré de l’arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, à savoir que la personne moyennement versée dans l’art n’aurait « aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; ». Le critère de l’évidence étant celui de savoir si une personne « compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, […] serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet ».

[390]  Une autre amélioration du critère de l’évidence a été reconnue par la juge Snider dans la décision Wenzel Downhole Tools Ltd. c National‑Oilwell Canada Ltd., 2011 CF 1323, au paragraphe 160 :

[L]e critère de l’évidence exige que l’art antérieur soit quelque chose qui retiendrait vraisemblablement l’attention de la personne moyennement versée dans l’art. Il ne peut être présumé que le technicien versé dans son art, mais sans esprit inventif considérerait l’art existant dans d’autres domaines. […] il doit exister une raison, étayée par la preuve, qui justifierait qu’une personne versée dans l’art – et non seulement les experts orientés par les avocats – considère d’autres domaines que le domaine en cause.

[Non souligné dans l’original.]

[391]  Dans la décision Frac Shack Inc. c AFD Petroleum Ltd, 2017 CF 104 [Frac Shack], le juge Manson a décrit récemment le critère à quatre volets énoncé dans l’arrêt Sanofi :

[204]  L’évidence doit être évaluée pour chaque revendication [Zero Spill Systems (International) Inc c Heide, 2015 CAF 115, au paragraphe 85]. Le critère d’évidence à quatre volets exposé dans Windsurfing-Pozzoli a été précisé par la Cour suprême du Canada dans Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi], au paragraphe 67 :

1.  a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

  b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

2.  Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

3.  Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

4.  Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

[205]  L’évidence est un critère difficile à satisfaire, et lorsqu’un expert est engagé pour témoigner devant une cour, il doit se méfier de sa sagesse rétrospective (Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188, au paragraphe 50 [Bridgeview]). Il n’est pas juste vis‑à‑vis la personne revendiquant une invention de combinaison de décomposer la combinaison en ses éléments pour conclure que, chacun de ceux‑ci étant bien connu, la combinaison est nécessairement évidente (Bridgeview, précitée, au paragraphe 51). La question à se poser est si une PVA, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet (Beloit Canada Ltée c Valmet Oy (1986), 8 CPR (3d) 289, au paragraphe 294).

[392]  Le juge Barnes a dressé utilement, dans la décision ABB Technology AG c Hyundai Heavy Industries Co., Ltd., 2013 CF 947, la liste des facteurs établis par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Novopharm ltd c Janssen‑Ortho inc., 2007 CAF 217 (et qu’a énoncés la juge Snider dans la décision Laboratoires Servier c Apotex Inc., 2008 CF 825) qu’il est possible d’utiliser comme cadre pour l’analyse et l’examen factuels qu’il y a lieu d’entreprendre dans le but de déterminer si une invention est évidente ou non :

Principaux facteurs

1.  L’invention

2.  La personne hypothétique versée dans l’art dont parle Beloit.

3.  Les connaissances que possède la personne hypothétique normalement versée dans l’art.

4.  Le climat régnant dans le domaine en question à l’époque où l’invention supposée a été faite.

5.  La motivation qui, à l’époque où l’invention supposée a été faite, incitait à résoudre un problème reconnu.

6.  Le temps et les efforts qu’a exigés l’invention supposée.

Facteurs secondaires

7.  Le succès commercial.

8.  Les prix et autres récompenses.

[393]  La personne hypothétique versée dans l’art et les CGC d’une telle personne ont déjà été indiquées. Je vais donc déterminer quel est le concept inventif – l’idée originale, dit-on aussi – des revendications 16 et 18 du brevet 392, après quoi je le comparerai aux réalisations antérieures citées afin de décider quelles sont les différences, s’il y en a, entre ces réalisations antérieures et ce concept. La dernière étape consistera à examiner les facteurs principaux et secondaires pour décider si les différences sont des aspects qui auraient été évidents aux yeux de la personne moyennement versée dans l’art.

(2)  Le concept inventif

[394]  M. Brienza a fait remarquer que la totalité des revendications du brevet 392 ont trait à des dispositifs d’aide au déplacement comportant chacun des éléments ou des composants précis qui sont énumérés dans la revendication. Il a signalé que la personne moyennement versée dans l’art aurait compris que les éléments de chaque revendication ont pour effet combiné de créer un dispositif doté d’une surface d’assise rigide, formée de deux sections reliées par pivotement,  ainsi que de renforts structurels, qui se plient aisément en position de rangement.

[395]  Au paragraphe 117 de son rapport d’expert de réponse, M. Brienza a écrit :

[traduction]

Autrement dit, je suis d’avis que la personne versée dans l’art aurait compris que le « concept inventif » qui sous-tend chaque revendication est un dispositif d’aide au déplacement constitué des éléments particuliers de cette revendication, lesquels éléments ont pour effet combiné de créer une « surface d’assise rigide formée de deux sections reliées par pivotement, ainsi que de renforts structurels », et que ce dispositif se plie « aisément en position de rangement ».

[396]  Il n’y a rien de plus facile que de dire, a posteriori, que l’objet était évident et ne constituait pas une invention.

[traduction]

Je dois avouer que je considère avec méfiance les arguments voulant qu’une nouvelle combinaison, entraînant avec elle des conséquences nouvelles et importantes quant à la forme de machines, ne saurait être une invention, car une fois qu’elle est établie, il est aisé de montrer comment on pourrait y arriver en partant d’éléments connus apparemment faciles. Cette analyse de l’invention a posteriori est injuste pour l’inventeur et, à mon avis, elle n’est pas admise par la loi anglaise sur les brevets.

The King c Uhlemann Optical Co. (1949), 11 CPR 26, à la page 46 (C. de l’É.)

(3)  L’essence de l’invention

[397]  Evolution est d’avis que la manière dont M. Brienza interprète les revendications sous l’angle de l’évidence est erronée car il a fait référence à plus d’une reprise à l’« essence de l’invention », ce qui, dit‑on, est contraire au droit canadien, ainsi qu’il est indiqué dans l’arrêt Free World Trust.

[398]  Je ne suis pas d’accord pour dire que le fait de se reporter à l’« essence de l’invention », lorsqu’on la considère dans son contexte, est contraire au droit canadien. La brève mention que fait le juge Binnie dans l’arrêt Free World Trust de « l’essence ou la substance de l’invention » au paragraphe 39 s’inscrit dans le cadre de sa conclusion selon laquelle, quand on interprète une revendication, le texte de ce dernier est d’une importance primordiale et qu’on ne peut recourir à l’« essence de l’invention ».

[399]  Le juge Binnie n’a pas banni les mots « essence de l’invention » de l’ensemble du droit des brevets. Ces mots sont encore employés pour décrire le concept inventif : Eli Lilly Canada Inc. c Apotex Inc., 2015 CF 1016, au paragraphe 93; Varco Canada Limited c Pason Systems Corp., 2013 CF 750, au paragraphe 271 [Varco]. Le juge Binnie excluait tout simplement le processus à deux volets de l’interprétation des revendications.

[400]  Après avoir relu les passages des transcriptions où M. Brienza a fait référence à l’[traduction]« essence de l’invention », il est évident qu’à ces occasions‑là il n’interprétait pas les revendications. Je suis convaincue que M. Brienza a interprété les revendications téléologiquement, sans recourir au mémoire descriptif autrement que pour vérifier la manière dont il comprenait les revendications. Je signale qu’il a employé les mots « essence de l’invention » et « concept inventif » de manière interchangeable et uniquement lorsqu’il expliquait son interprétation à l’avocate lors de son contre-interrogatoire. Il ne s’est pas servi de ces mots dans les rapports écrits où il interprétait les revendications.

[401]  L’emploi qu’a fait M. Brienza des mots [traduction « essence de l’invention », lorsqu’on les considère dans leur contexte, n’était par irrégulier. Cela n’a aucun effet sur le poids que j’attribue à son interprétation des revendications sous l’angle de l’évidence.

(4)  Le brevet 392 n’était pas évident

[402]  Evolution allègue que les revendications 16 et 18 sont évidentes en raison d’un portefeuille de réalisations antérieures, qui se compose principalement des brevets Fernie et Rideout.

[403]  M. Schuch a conclu que divers aspects de l’invention découlant du brevet 392 seraient évidents au regard des réalisations antérieures, surtout si l’on interprète les revendications de la manière large que Human Care préconise. Cette dernière soutient que M. Schuch n’a pas abordé comme il faut son analyse de l’évidence. Plutôt que de recourir à la méthode à quatre volets qui est exposée dans l’arrêt Sanofi, et tout en tentant d’éviter les effets déformants de la vision rétrospective, M. Schuch a simplement accumulé un portefeuille de réalisations antérieures avec l’avantage du recul dans une tentative pour invalider le brevet 392.

[404]  Je suis d’accord avec Human Care, M. Schuch a commis une erreur dans sa manière d’aborder l’analyse de l’évidence. Une réalisation antérieure n’est pertinente pour l’évidence que dans la mesure où elle établit l’« état de la technique », tel que la personne moyennement versée dans l’art le connaissait à la date pertinente. De plus, comme l’a déclaré le juge Rothstein au paragraphe 52 de l’arrêt Sanofi, l’évidence est un critère auquel il est difficile de satisfaire, et je ne suis pas convaincue que la preuve de M. Schuch l’a fait.

[405]  D’après le témoignage de M. Pita, Evolution avait tenté par intermittence, depuis 2001 ou 2002 et jusqu’à la fin de 2006 ou au début de 2007, de créer un déambulateur à pliage central, mais sans succès. Les premiers modèles avaient été jugés trop lourds et trop coûteux à fabriquer. Les premières tentatives avaient échoué et, à l’époque, il n’y avait aucune véritable incitation à continuer, car il n’existait pas de produits à pliage central sur le marché.

[406]  Quand le Nexus est arrivé sur le marché, Evolution a refait des tentatives à la fin de 2006 ou au début de 2007, et elle a passé un an à faire faire des travaux de conception. Durant cette période, elle a fait une recherche de brevets pour voir ce qu’il y avait sur le marché. Evolution a dépensé du temps, de l’argent et des efforts à deux occasions différentes, à plusieurs années d’intervalle, à la recherche d’un moyen de fabriquer un déambulateur à pliage central abordable. Cette preuve étaye également une conclusion de non-évidence : arrêt Sanofi, au paragraphe 71.

a)  Le succès commercial

[407]  Les deux parties ont également traité du succès commercial du brevet 392, un facteur qui, lors de l’examen de l’évidence, est de nature secondaire.

[408]  Evolution insiste sur la nature secondaire de ce facteur et fait valoir que, en tout état de cause, le brevet 392 n’a pas eu un succès commercial marqué, en partie parce qu’il n’a pas donné lieu à des ventes élevées aux États-Unis.

[409]  Human Care signale que, malgré qu’il s’agisse d’un facteur secondaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que le succès commercial est un facteur important dans l’analyse de l’évidence, et elle a infirmé la décision de première instance dans l’affaire Beloit parce que le juge avait omis d’en tenir compte. Human Care soutient que son produit Nexus – la réalisation commerciale du brevet 392 selon M. Brienza – jouit d’un vif succès commercial au Canada – un succès supérieur à celui de ses produits précédents.

[410]  Il n’est pas nécessaire que le succès commercial soit mondial pour être pertinent. Au procès, il a été démontré que le marché américain est très différent du marché canadien, et cela inclut les prix. De plus, Human Care soutient qu’Evolution ne commercialiserait pas ses propres déambulateurs à siège rigide et à pliage central si le brevet 392 n’était pas couronné de succès sur le plan commercial.

[411]  Chacun de ces facteurs donne à penser que si le brevet 392 avait été évident, Evolution aurait été à la fois suffisamment motivée et informée pour créer le dispositif elle-même.

D.  La portée excessive

(1)  Le droit applicable

[412]  La date qu’il convient d’utiliser pour déterminer la portée excessive est la date de publication, soit le 25 septembre 2005 – la même date que la date d’interprétation des revendications.

[413]  Les éléments que doit contenir une demande de brevet sont énoncés à l’article 27 de la Loi sur les brevets. Les paragraphes 27(3) et (4) prescrivent ce qui suit :

Mémoire descriptif

(3) Le mémoire descriptif doit :

Specification

(3) The specification of an invention must

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

(a) correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

(b) set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it pertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

 

c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;

(c) in the case of a machine, explain the principle of the machine and the best mode in which the inventor has contemplated the application of that principle; and

d) s’il s’agit d’un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions.

(d) in the case of a process, explain the necessary sequence, if any, of the various steps, so as to distinguish the invention from other inventions.

Revendications

(4) Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.

Claims

(4) The specification must end with a claim or claims defining distinctly and in explicit terms the subject‑matter of the invention for which an exclusive privilege or property is claimed.

[414]  L’article 84 des Règles sur les brevets, DORS/96‑423 impose d’autres exigences quant à la clarté et à la portée des revendications :

84 Les revendications sont claires et concises et se fondent entièrement sur la description, indépendamment des documents mentionnés dans celle‑ci.

 

84 The claims shall be clear and concise and shall be fully supported by the description independently of any document referred to in the description.

 

[415]  La question qu’il convient de trancher lorsqu’on a affaire à un argument selon lequel une revendication est d’une portée excessive consiste à savoir si la revendication en litige dépasse la portée de la divulgation sur laquelle elle repose : Abbott Laboratories c Canada (Ministre de la Santé), 2004 CF 1349.

[416]  L’exposé conjoint des questions en litige que les parties ont présenté comporte, au sujet de la portée excessive, les questions suivantes :

[traduction]

L’objet des revendications 1 à 18 du brevet 392 est‑il d’une portée plus large que l’invention réalisée ou décrite dans le mémoire descriptif du brevet 392?

En particulier :

a) L’élément « une position déployée, dans laquelle ladite barre de tension est connectée structurellement auxdits premier et second supports lorsque le dispositif est en position d’utilisation » englobe‑t‑il autre chose qu’une connexion structurelle proche ou locale entre les premier et second supports de manière à réaliser l’interconnexion structurelle? Dans l’affirmative, les revendications sont-elles invalides parce qu’elles vont au‑delà de l’invention réellement réalisée ou décrite dans le mémoire descriptif du brevet 392?

b) L’élément « poignée » dans les revendications 6 à 8, 11, 12, 13 et/ou 18 englobe‑t‑il un mécanisme quelconque qui atteint le résultat souhaité, lequel consiste à faire pivoter le dispositif formant barre de tension en position de déverrouillage ou de faire pivoter lesdits premier et second supports en position de rangement par un dispositif autre que ceux qui sont décrits et illustrés dans le mémoire descriptif et les dessins du brevet? C’est‑à‑dire :

(i) en étant une poignée fixée directement à la barre de tension et en tirant celle-ci vers le haut quand on tire la poignée vers le haut;

(ii) en passant au travers des premier et second supports plutôt qu’à travers le siège?

Dans l’affirmative, les revendications 6 à 8, 11, 12, 13 et/ou 18 sont-elles invalides parce qu’elles excèdent l’invention réellement réalisée ou décrite dans le mémoire descriptif du brevet 392?

[417]  Les revendications valides ne peuvent pas être d’une portée plus large que 1) l’invention nouvelle et utile que l’inventeur a inventée ou 2) l’invention décrite dans le brevet (arrêt Pfizer, précité, au paragraphe 116). La Cour doit donc se demander si les revendications se lisent bien en fonction de ce qui a été divulgué et illustré dans le mémoire descriptif et les dessins (Pharmascience Inc. c Pfizer Canada Inc., 2011 CAF 102, aux paragraphes 40 et 41) : Frac Shack, au paragraphe 203.

(2)  Les arguments des parties

[418]  Le principal différend entre les parties est que Human Care dit que l’allégation de portée excessive repose sur le fait que le brevet 392 ne précise qu’une seule réalisation. Evolution, qui soutient cet argument, dit qu’il n’y a rien d’autre de précisé et que les revendications sont d’une portée plus large que l’invention. J’ai déjà conclu que l’argument voulant que les revendications doivent se limiter à la réalisation privilégiée est sans fondement.

[419]  Human Care s’oppose également à l’inclusion de preuves extrinsèques concernant l’état d’esprit des inventeurs. Elle affirme que des visées ambitieuses ou une portée excessive sont une forme d’interprétation des revendications et qu’une preuve extrinsèque n’est pas permise. Je suis d’accord. Dans la décision Bayer Healthcare AG c Sandoz Canada Incorporated, 2007 CF 1068, au paragraphe 8, conf. par 2008 CAF 309, le juge Barnes a déclaré : « [l]a question de savoir si une demande de brevet est trop ambitieuse repose sur l’interprétation et pourrait donc être tranchée sans recourir à une preuve extrinsèque ».

[420]  L’état d’esprit des inventeurs n’est pas admissible, mais rien n’empêchait Evolution de produire une preuve d’expert pour aider la Cour à conclure que les revendications, telle qu’elles sont interprétées, sont d’une portée excessive. On ne m’en a pas convaincue. J’ai souscrit à l’interprétation des revendications que M. Brienza a avancée, et ce, pour les raisons déjà données.

[421]  J’ai considéré que les mots « dispositif formant barre de tension », « relie structurellement », la poignée, « passant au travers », les croisillons « s’étendant entre » incluent des connexions directes et indirectes ou des limites qui les empêchent d’avoir une portée excessive. La personne moyennement versée dans l’art, possédant les CGC pertinentes, comprendrait que le brevet dans son ensemble, y compris l’intégralité du mémoire descriptif, divulgue les revendications de la manière dont je les ai interprétées. De plus, les revendications, telles qu’interprétées, ne divulguent rien d’une portée plus large que ce que les inventeurs ont réellement inventé.

E.  La simple juxtaposition

(1)  Le droit applicable

[422]  À part l’antériorité et l’évidence, la combinaison des éléments connus qui forment une invention doit mener à un résultat unitaire. Si l’invention mène à une succession de résultats, il s’ensuit qu’elle n’est qu’une simple juxtaposition d’éléments connus et elle n’est donc pas brevetable : The King v American Optical Co, [1950] Ex CR 334, à la page 22.

[423]  Cependant, la majeure partie des inventions modernes sont des combinaisons nouvelles d’éléments connus et elles constituent néanmoins l’objet approprié de brevets : International Pediatric Products Ltd c Lambert (1966), 50 CPR 265, au paragraphe 4. De ce fait, les tribunaux ne concluent pas souvent que les brevets sont invalides parce qu’ils ne sont que de simples juxtapositions.

(2)  Le brevet 392 n’est pas une simple juxtaposition

[424]  Evolution soutient que chacune des revendications 1 à 18 du brevet 392 est invalide parce qu’il s’agit d’une simple juxtaposition qui ne produit pas un résultat unitaire. M. Schuch a conclu dans son rapport que chaque élément particulier de l’invention fonctionne comme s’y attendrait la personne moyennement versée dans l’art. M. Schuch a seulement relevé deux résultats unitaires potentiels : la prévention de tout pincement et l’affermissement de la capacité portante. L’analyse de M. Schuch repose sur son interprétation étroite des revendications, dans laquelle chaque élément particulier a été pris en considération en se servant des définitions qu’il a lui‑même fournies et sans tenir compte du contexte dans lequel se trouvent les revendications dans le brevet 392.

[425]  Evolution allègue également qu’il ne s’agit pas là de résultats unitaires appropriés, car il est possible d’interpréter les revendications 16 à 18 dans une mesure assez large pour vicier ces résultats unitaires.

[426]  Human Care soutient qu’il faudrait suivre une approche plus large au sujet du résultat unitaire du brevet 392. Dans son rapport, M. Brienza considère que le résultat unitaire, à la lumière du brevet dans son ensemble, est un dispositif d’aide au déplacement muni d’une surface d’assise rigide, qui évite les lacunes que présentaient d’autres dispositifs semblables dans les réalisations antérieures.

[427]  Je suis d’accord avec Human Care; le brevet 392 n’est pas une simple juxtaposition de composants. Il ressort de la preuve que le résultat obtenu grâce à la combinaison d’éléments était inventif et couronné de succès. Le simple fait que les éléments particuliers de l’invention fonctionnent comme ils le font habituellement ne veut pas dire que le brevet 392 est une simple juxtaposition. La combinaison ingénieuse d’éléments dans le brevet 392 n’a été ni enseignée ni antériorisée dans les réalisations antérieures.

X.  Les réparations

[428]  Les parties ont soumis à la Cour une liste de questions litigieuses au cas où celle-ci conclurait que le brevet 392 est valide et a été contrefait. Je suivrai donc la liste en question et je la compléterai au besoin à la lumière des questions qui se sont posées lors du procès.

A.  Les dommages subis – Une réparation raisonnable

[429]  Les parties ont convenu dans l’ECF que :

[traduction]

Depuis juillet 2008, Evolution offre en vente, vend, importe au Canada et exporte du Canada des déambulateurs Xpresso, qui comprennent l’Xpresso, l’Xpresso Lite, l’Xpresso Zero, l’Xpresso Tacoma, ainsi que toutes les tailles et toutes les variantes qui en découlent. Depuis juillet 2008, Evolution assemble au Canada des déambulateurs Xpresso Zero.

Depuis juillet 2008, Evolution offre en vente, vend, importe au Canada, exporte du Canada et assemble au Canada des pièces et des accessoires Xpresso.

[430]  Les parties ont également convenu que s’il est conclu que le brevet 392 est valide et qu’Evolution l’a contrefait, la juste mesure des dommages aux termes du paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets est une redevance raisonnable pour l’utilisation qu’Evolution a faite de la technologie brevetée de Human Care depuis le lancement de l’Xpresso, en juillet 2008, jusqu’à la date de délivrance du brevet 392, soit le 30 novembre 2010. Elles conviennent également que la manière la plus appropriée de quantifier une redevance raisonnable est d’examiner les taux de redevance réels qui ont été payés à l’égard des déambulateurs Nexus entre 2006 et 2011.

[431]  Pour les besoins de la présente espèce, avant le 1er juillet 2010, le taux de redevance par déambulateur Nexus était de |||||||||||||| et depuis le 1er juillet 2010, il est de ||||||||||||||.

[432]  Les parties conviennent que le calcul de la redevance raisonnable totale pour la période du 1er juillet 2008 au 30 novembre 2010 s’élève à 241 022 $.

[433]  Les parties ne sont pas revenues sur cette entente. Il n’y a donc rien à discuter.

[434]  Human Care a droit à la somme de 241 022 $ à titre de redevance raisonnable pour la période du 1er juillet 2008 au 30 novembre 2010.

B.  Human Care a‑t‑elle droit aux bénéfices d’Evolution à l’égard de ses produits Xpresso?

[435]  Dans sa déclaration, Human Care a opté pour le droit aux dommages subis ou à une restitution des bénéfices d’Evolution (à sa discrétion) après communication intégrale des deux. En juillet 2016, après avoir achevé les interrogatoires préalables et avant de produire le rapport de Mme Rogers, Human Care a avisé Evolution qu’elle optait pour la restitution des bénéfices.

[436]  Dans sa défense, Evolution a simplement nié que Human Care a droit à la mesure de redressement ou de réparation demandée. Evolution n’a produit, au procès, aucune preuve à l’appui de la simple affirmation que s’il était conclu qu’elle avait contrefait le brevet 392, Human Care n’avait pas droit à la restitution des bénéfices. Ni l’une ni l’autre n’ont invoqué un argument quelconque à cet effet.

[437]  La restitution des bénéfices est une réparation en equity. La question de savoir s’il s’agit d’une mesure de réparation appropriée varie suivant les circonstances de l’affaire et le pouvoir discrétionnaire de la Cour. Les facteurs qu’il convient de prendre en compte pour déterminer si la restitution des bénéfices est une mesure appropriée comprennent le fait de savoir si le breveté a tardé à engager une action, si le contrefacteur a agi sciemment et si le breveté a réalisé l’invention revendiquée par le brevet au Canada : décision Frac Shack, aux paragraphes 282 et 283. Human Care n’a pas tardé à introduire la présente action, qui a débuté en 2012, et elle a mis en pratique l’invention décrite dans le brevet 392.

[438]  Dans ses observations, Evolution ne conteste pas que Human Care a droit à la restitution des bénéfices. Comme nous le verrons, elle conteste toutefois la manière dont il faudrait la calculer.

[439]  La restitution des bénéfices d’Evolution est la mesure de réparation qui convient en l’espèce.

C.  Les faits convenus, relativement à la restitution des bénéfices

[440]  Du 1er décembre2010 au 30 juin 2016, Evolution a vendu |||||||||||||||||| déambulateurs Xpresso :

Période

Unités vendues

1er décembre 2010 ‑ 30 juin 2011

||||||||||||

1er juillet 2011 – 30 juin 2012

||||||||||||||

1er juillet 2012 – 30 juin 2013

||||||||||||||

1er juillet 2013 – 30 juin 2014

||||||||||||||

1er juillet 2014 ‑ 30 juin 2015

||||||||||||||

1er juillet 2015 ‑ 30 juin 2016

||||||||||||||

TOTAL

||||||||||

[441]  Au cours de cette période, les recettes totales qu’Evolution a tirées de la vente des déambulateurs Xpresso ainsi que des pièces et des accessoires Xpresso, lesquels sont définis par les parties dans leur ECF et appelés collectivement les [traduction] « produits Xpresso », a été de ||||||||||||||||||||||||||||.

[442]  Le total des frais de transport qu’Evolution a supportés pour les produits Xpresso entre le 1er décembre 2010 et le 30 juin 2016 était de ||||||||||||||||||||||||||.

D.  Les principes juridiques généraux de la restitution des bénéfices

[443]  La restitution des bénéfices est considérée comme un « outil de dissuasion et [un] mécanisme de justice réparatrice dans le monde commercial » : décision Varco, au paragraphe 398. Compte tenu du caractère discrétionnaire de la restitution des bénéfices, la Cour d’appel fédérale a décrété que « [à] défaut d’une preuve qu’il existe un obstacle à l’obtention d’une mesure de redressement d’equity, un demandeur peut s’attendre à ce que le redressement qu’il sollicite lui soit accordé en conformité avec les principes régissant sa disponibilité » : Apotex Inc. c Bristol-Myers Squibb Co., 2003 CAF 263, au paragraphe 14.

[444]  Dans ses observations écrites, Evolution a énoncé les principes juridiques applicables à la restitution des bénéfices, y compris les passages qui suivent, tous tirés de la décision Dow Chemical Company c Nova Chemicals Corporation, 2017 CF 350 [Dow] où sont cités divers autres jugements :

Un demandeur a seulement droit à la portion des profits réalisés par le contrefacteur qui a un lien de causalité avec l’invention […] : au paragraphe 108;

Le recours à la restitution des profits est une mesure réparatrice et non punitive […]; […] le transgresseur qui se trouve rétabli, par la restitution des profits, dans la situation qui aurait été la sienne s’il n’avait pas commis l’acte illégal » : au paragraphe 109;

[a] Il faut comparer le profit que l’invention a permis au défendeur de réaliser à celui que lui aurait permis de réaliser la meilleure solution non contrefaisante : au paragraphe 164;

La « meilleure solution non contrefaisante » a généralement été interprétée comme un « produit de substitution » ou un « véritable choix » : au paragraphe 164; et

au fond, il faut veiller à ce que le breveté ne reçoive que la portion du profit du contrefacteur directement attribuable à l’invention : au paragraphe 164.

E.  La méthode du profit différentiel d’Evolution

[445]  Evolution a donné instruction à M. Gain de faire part d’une opinion d’expert sur [traduction] « le profit différentiel qu’Evolution a gagné par suite de sa prétendue contrefaçon » du brevet 392 entre le 1er décembre 2010 et le 30 juin 2016, relativement à la fabrication, à la mise en vente, à la vente et à l’exportation de la gamme des déambulateurs Xpresso d’Evolution au Canada.

[446]  Dans ses observations finales, l’avocat d’Evolution a fourni ce qui semble être la raison d’être de ces instructions :

[traduction]

Ce que nous affirmons est que nous aurions réalisé les ventes que nous avons effectivement faites. Il s’agit de ventes réelles à des clients réels de produits non liés à la marchette Xpresso. Il s’agit là du monde hypothétique dans lequel nous travaillons.

Transcription du procès, vol. 12, p. 2080, l. 21 à 27.

[447]  L’explication que M. Gain a donnée au sujet de sa méthode et des présomptions sous‑jacentes est la suivante :

[traduction]

J’ai présumé que tous les acheteurs de déambulateurs Xpresso ont fait leurs achats en se basant sur le fait que ces appareils étaient à pliage central. Je présume que, n’eût été de la présumée contrefaçon, Evolution aurait été incapable de remplacer les ventes de déambulateurs censément contrefaisants par d’autres déambulateurs non contrefaisants.

Rapport d’expert de M. Gain, au paragraphe 84.

[448]  Quand M. Gain a fait son calcul, il est arrivé à un montant de |||||||||||||||||||||||||| ou de |||||||||||||||||||||||||| à titre de « profit différentiel » d’Evolution. Il a également calculé le profit non pas en se fondant sur les non-ventes de déambulateurs Xpresso, mais plutôt en appliquant la méthode du profit différentiel à l’échelle de l’entreprise tout entière. Ce faisant, il a considéré que :

  • une majorité importante des ventes d’Evolution au cours de la période en question étaient des déambulateurs Xpresso;

  • sans les ventes des déambulateurs Xpresso, Evolution aurait nettement réduit l’échelle de ses activités et aurait été une entreprise nettement plus petite;

  • la différence entre les profits réels qu’Evolution a tirés de la vente des déambulateurs Xpresso et les profits qu’elle aurait gagnés sans les ventes de déambulateur Xpresso est catégorisée comme le monde « hypothétique » (un monde dans lequel toutes les ventes de déambulateur Xpresso ont été perdues);

  • sans les déambulateurs Xpresso, Evolution n’aurait vendu que des déambulateurs d’une autre marque et gagné la marge bénéficiaire nette moyenne de l’industrie, soit ||||||||||;

  • subsidiairement, Evolution aurait exploité ses activités en fonction du principe du budget équilibré ou aurait mis carrément fin à ses activités.

[449]  Je n’admets pas que la méthode que M. Gain a suivie calcule bien la restitution des bénéfices. Même selon la méthode du profit différentiel, M. Gain ne calcule pas bien le montant exigible parce que, quand il n’existe aucune solution de rechange non contrefaisante, il n’y a pas de recettes à soustraire.

F.  L’analyse de la méthode du profit différentiel d’Evolution

[450]  Evolution exhorte la Cour à conclure que la part de ses profits qui est directement attribuable aux ventes contrefaisantes de déambulateurs Xpresso doit être déterminée en prenant le profit total d’Evolution et en soustrayant le profit qu’elle aurait réalisé si aucun produit contrefaisant n’avait été vendu. L’argument est le suivant :

[traduction]

[…] l’option non contrefaisante ne consiste pas à remplacer les ventes par une solution de rechange non contrefaisante. L’option non contrefaisante dans ce cas‑ci est simplement la perte de toutes les ventes de déambulateurs Xpresso.

Transcription du procès vol. 12, p. 2079, l. 17 à 20.

[451]  La logique qui sous-tend l’observation d’Evolution est ce qu’elle appelle un point [traduction] « très nuancé » : il y a une différence entre une « option non contrefaisante », mentionnée dans la décision Schmeiser, citée dans Dow, au paragraphe 164, et une « solution de rechange non contrefaisante » dans le sens d’un « véritable produit de substitution » ou d’un  « véritable choix », comme il est dit dans l’arrêt Apotex Inc. c Merck & Co., Inc., 2015 CAF 171.

[452]  Evolution reconnaît qu’il y a [traduction] « au fond, le besoin de veiller à ce que le breveté ne reçoive que la part du profit du contrefacteur qui est directement attribuable à l’invention ». Elle dit ensuite que la question pour laquelle les experts sont censés aider la Cour au moment d’appliquer la méthode du profit différentiel est la suivante : [traduction] « Dans quelle position la défenderesse se serait-elle trouvée si elle n’avait pas commis l’acte illégal? »

[453]  Le problème que pose l’argument d’Evolution est que, en l’espèce, la matrice factuelle est nettement différente de celle à laquelle était confronté M. Schmeiser, dont l’issue dépendait du fait qu’il n’y avait aucun lien de causalité entre les profits qu’il avait tirés de la culture de canola Roundup Ready et ceux qu’il aurait réalisés en vendant du canola non traité au Roundup : arrêt Schmeiser, aux paragraphes 104 et105.

[454]  Evolution a toutefois admis à plusieurs reprises qu’il n’existait en l’espèce aucun véritable produit de substitution non contrefaisant. Par exemple, l’avocat d’Evolution a déclaré :

[traduction]

Dans la présente affaire, il n’existe aucun produit de substitution non contrefaisant. Le monde non contrefaisant signifie qu’aucun déambulateur Xpresso n’a été vendu.

Transcription du procès, vol. 12, p. 2077, l. 8 à 10.

[455]  De plus, Evolution aurait pu seulement vendre ses produits non contrefaisants préexistants; il n’y aurait eu aucune vente d’Xpresso. Sur ce fondement, les scénarios que M. Gain a calculés partent d’une marge bénéficiaire nette de ||||||||||, ce qui représente la moyenne dans l’industrie, à un taux d’équilibre ou au stade où l’on cesse carrément d’exploiter l’entreprise.

[456]  Il me semble que la conclusion inévitable de chacun de ces scénarios est que les profits qu’Evolution a gagnés avaient un lien de causalité avec les ventes contrefaisantes d’Xpresso. S’il n’y avait pas eu de ventes de déambulateurs Xpresso, l’entreprise aurait peut-être fermé ses portes. Je conclus donc qu’au cours de la période de contrefaçon Evolution ne disposait pas d’un produit de substitution non contrefaisant.

[457]  En tout état de cause, comme il est indiqué dans la section qui suit, je préfère adopter l’interprétation du calcul de la restitution des bénéfices que l’on suit habituellement, comme dans les décisions Frac Shack et Varco.

G.  La méthode de restitution qui convient pour déterminer les profits d’Evolution

[458]  Pour établir la méthode de restitution des bénéfices d’Evolution, la Cour, dans la décision Varco (au paragraphe 417), a exposé un cadre en six parties qui permet de quantifier les bénéfices :

  1. Lien de causalité : il doit exister un lien causal entre les profits réalisés et la contrefaçon;

  2. Profit brut de la contrefaçon : montant correspondant à la différence entre les revenus bruts attribuables à la contrefaçon et les coûts différentiels qui y sont associés;

  3. Solution non contrefaisante : existence ou non d’une telle solution;

  4. Restitution : en l’absence d’une solution non contrefaisante, un montant équivalent au profit brut calculé en (2) est versé au titulaire de brevet;

  5. Profit brut de la non‑contrefaçon : ce facteur n’est pertinent que s’il existe une solution non contrefaisante;

  6. Restitution (nette) : ce facteur n’est pertinent que s’il y a un écart entre le profit brut de la contrefaçon et le profit brut de la non‑contrefaçon.

[459]  L’étape 1 exige qu’il y ait un lien causal entre les bénéfices réalisés par le contrefacteur et la contrefaçon. Aucune des deux parties n’a soutenu vigoureusement cette thèse. La causalité n’est pas en litige. L’Xpresso contrefait le brevet 392, de sorte que la totalité des bénéfices tirés de la vente des déambulateurs Xpresso après la délivrance du brevet 392 a un lien causal avec la contrefaçon.

[460]  Les étapes 3 à 6 comportent toutes l’examen d’une option non contrefaisante, sous une forme ou une autre. Evolution a admis qu’elle ne dispose d’aucune option non contrefaisante.

[461]  S’il n’existe pas d’option non contrefaisante, l’étape 4 déclenche l’étape 2. La conséquence qui découle de l’absence d’une option non contrefaisante est que « le contrefacteur doit restituer tous les bénéfices générés par suite de l’acte contrefaisant, moins les dépenses légitimes qu’il a engagées » : Frac Shack, au paragraphe 291; Apotex Inc. c H. Lundbeck A/S, 2013 CF 192, aux paragraphes 282 et 283.

[462]  Autrement dit, s’il n’existe aucun produit de substitution non contrefaisant, la méthode du profit différentiel et la méthode du profit réel sont les mêmes : il n’existe aucun produit de substitution et donc aucun profit à déduire selon l’étape 6. Le calcul du profit brut est simplifié : on prend le profit brut attribuable à la contrefaçon et on soustrait ensuite le profit brut de la non‑contrefaçon, qui est de zéro.

H.  Quels coûts, s’il y en a, peuvent être déduits des recettes qu’Evolution a tirées de l’Xpresso, et dans quelle proportion?

[463]  S’il n’existe aucun produit de substitution non contrefaisant, le contrefacteur est tenu de remettre la totalité des bénéfices qu’il a tirés de l’acte contrefaisant, moins les dépenses légitimes qu’il a engagées : Apotex Inc c H. Lundbeck A/S, 2013 CF 192, aux paragraphes 282 et 283, cité au paragraphe 292 de la décision Frac Shack.

[464]  Il incombe à Evolution de prouver quels sont les coûts à déduire : Dow, au paragraphe 131.

[465]  Dans la décision Rivett, le juge Zinn a résumé, au paragraphe 67, la façon dont un tribunal doit aborder les éléments à déduire dans le cadre d’une analyse relative à la restitution des bénéfices :

[67] […] Je souscris à cet égard à l’avis exprimé par la juge Reed dans la décision Diversified Products Corp. et al. c. Tye‑Sil Corp. Ltd. [1990] A.C.F. n° 952, (1990), 32 C.P.R. (3d) 385 (C.F. 1re inst.), selon lequel tous les doutes relatifs au calcul des dépenses doivent être résolus en faveur des demandeurs.

Pour calculer les bénéfices d’un contrefacteur, le demandeur n’a besoin de prouver que les ventes du défendeur. Le défendeur a alors l’obligation de prouver les éléments de dépenses qui doivent être déduits des ventes pour indiquer le profit. Tous les doutes relatifs au calcul des dépenses ou des profits doivent être résolus en faveur du demandeur. Toutefois, cela n’oblige pas le contrefacteur à prouver de manière détaillée des dépenses telles que les frais généraux et les relations entre celles‑ci et la contrefaçon. Mais le défendeur a l’obligation d’expliquer, au moins de manière générale, comment les frais généraux réclamés ont effectivement contribué à la production de la contrefaçon.

Je n’oublie toutefois pas le fait que la réparation sollicitée par les demanderesses est essentiellement une réparation en equity, et que les deux parties doivent être traitées selon l’equity. Dans son arrêt Schmeiser, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer (au paragraphe 85) que, si l’application mécanique des principes comptables donne un montant qui ne représente pas le profit tiré de la contrefaçon, il est loisible au juge de première instance d’ajuster ce montant, à condition qu’il le fasse de « façon motivée ».

[466]  Dans la décision Teledyne Industries Inc. c Lido Industrial Products Ltd., 68 CPR (2d) 204, [1982] ACF no 1024 [Teledyne], le juge Addy a donné, à la page 213, le conseil suivant au sujet des dépenses déductibles :

En résumé, le contrefacteur a le droit de déduire uniquement les frais, tant variables que fixes, qui ont effectivement contribué aux sommes qu’il a encaissées et dont il doit rendre compte. Il s’ensuit qu’on ne peut considérer comme déductible aucune partie ou fraction d’une dépense qui aurait été engagée si la contrefaçon n’avait pas eu lieu.

[467]  En résumé, la question de savoir si des dépenses sont déductibles est déterminée par (i) les circonstances particulières de chaque affaire et (ii) la preuve produite par le défendeur quant au lien qui existait entre la dépense contestée et le produit contrefaisant.

(1)  Les dépenses déductibles que réclame Evolution

a)  Les frais de vente et d’administration – EVO‑56

[468]  Au procès, Human Care s’est opposée à un document produit par Evolution, appelé EVO‑56. Ce document est censé être une version reformatée d’informations tirées du système comptable d’Evolution [Simply Accounting / Simple Comptable] qui a été établie pour les besoins du litige.

[469]  Evolution a soutenu que le document EVO‑56 était une pièce commerciale. Elle l’a produit au procès en se fondant sur l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC (1985), c C‑5.

[470]  Le document EVO‑56 fournit censément des détails sur les frais de vente et d’administration qui ont été engagés pour diverses catégories de dépenses, comme la publicité, les frais administratifs liés à la vente de l’Xpresso et les frais mensuels d’articles vendus pour tous les produits Evolution vendus.

[471]  Human Care a soutenu qu’il ne s’agissait pas d’une pièce commerciale et que ce document ne pouvait pas être produit car il ne tombait pas sous l’exception de la règle du ouï‑dire pour les pièces commerciales.

[472]  Je n’hésite aucunement à conclure que le document EVO‑56 n’est pas fiable. M. Pita a témoigné qu’Evolution ne produisait pas de rapports financiers dans le cours ordinaire de ses affaires. M. Stephen Liu, qui est apparemment responsable de la supervision financière, n’a pas vérifié ou examiné les documents de base au moment de préparer les documents à communiquer en l’espèce; il a reçu des instructions de son père, M. Julian Liu, qui n’a pas été appelé à témoigner au procès. Plus important encore, M. Gain a nuancé son rapport d’expert en indiquant ce qui suit, au paragraphe 49 :

[traduction]

49. Mon pouvoir de révision a été restreint. On ne m’a pas fourni toutes les informations nécessaires pour procéder à un examen complet. En particulier, les informations qui suivent auraient été utiles :

a) les états financiers annuels d’Evolution pour les exercices terminés entre 2001 et 2016;

b) les états financiers annuels de HCC/Dana Douglas pour les exercices terminés entre 2004 et 2008;

c) les détails du grand livre concernant les éléments « frais comptables et juridiques », « publicité », « honoraires de consultation » et « salaires-directs » qui figurent dans les sommaires de V&A d’Evolution (EVO‑56).

[473]  Les renseignements qui figurent dans le document EVO‑56 ne répondent pas au critère applicable à l’exemption relative aux pièces commerciales, et ils ne pas peuvent être admis.

b)  Les frais comptables et juridiques

[474]  M. Gain a soustrait des bénéfices réels les frais comptables et juridiques. Human Care affirme que cet élément a [traduction] « nettement augmenté » entre 2010, où il s’élevait à ||||||||||||||||||, et 2016, où le montant était de ||||||||||||||||||||.

[475]  En contre-interrogatoire, M. Gain a admis qu’il fallait [traduction] « normaliser » les dépenses relatives aux frais comptables et juridiques. Human Care soutient également que l’augmentation des frais de litige d’Evolution est vraisemblablement liée à ceux de ses litiges qui ne sont pas liés au présent différend, comme l’a laissé entendre M. Pita. Par conséquent, selon Human Care, les frais juridiques et comptables d’Evolution [traduction] « devraient être plafonnés au niveau où ils se situaient en 2010 ».

[476]  Evolution n’adopte pas de position explicite au sujet de ses frais comptables et juridiques, et en particulier au sujet de l’augmentation qui a eu lieu.

[477]  La Cour hésite généralement à souscrire à la déduction des frais juridiques. Par exemple, dans la décision Teledyne, le juge Addy, aux paragraphes 214 à 216, n’a pas autorisé la défenderesse à déduire des dépenses juridiques, parce qu’il a été conclu qu’une telle mesure permettrait à la partie contrefaisante de conserver une partie de son enrichissement sans cause.

[478]  Compte tenu de la jurisprudence et du défaut d’Evolution de fournir une preuve convaincante qui justifierait la hausse de ses frais juridiques et comptables, je ferai droit au montant de |||||||||||||||||| à titre de déduction. Il s’agit là du montant qu’Evolution a dépensé avant le litige en l’espèce, ainsi que dans un litige parallèle.

c)  Les honoraires de consultation

[479]  Evolution souhaite déduire des honoraires de consultation de |||||||||||||||||||||||||| pour les exercices 2013 et 2014. Elle soutient que l’augmentation de ses honoraires est attribuable à des commissions relatives à des services de conception qui datent d’avant l’ouverture de services de recherche et de conception.

[480]  Pour la période du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013, les honoraires de consultation d’Evolution ont bondi de ||||||||||||||||||.14, l’année antérieure à |||||||||||||||||||||||||||| et ensuite à |||||||||||||||||||||||||||| l’année suivante. Le fait que ce soit au cours de cette période que le présent litige a commencé est peut-être bien une coïncidence. Comme Evolution n’a pu fournir à M. Gain aucun document à l’appui des dépenses de consultation, ces dernières ne peuvent pas être admises car Evolution ne s’est pas acquittée de son fardeau de justifier ses déductions. M. Gain a déclaré qu’il les avait acceptées parce qu’il n’avait rien vu d’irrégulier qui aurait donné à penser que les paiements avaient été faits à une autre fin.

[481]  Je suis disposée à faire droit à des honoraires de consultation de ||||||||||||||||||||||||||, ce qui représente les frais de consultation annuels moyens pour les trois années suivantes : du 1er juillet 2009 au 30 juin 2010, du 1er juillet 2011 au 30 juin 2012 et du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015.

d)  Les autres déductions discrétionnaires réclamées

[482]  Evolution a réclamé d’autres déductions – que Human Care a contestées – dont des augmentations de salaire, des dépenses du bureau à Vancouver ainsi que des dépenses de voyage.

[483]  À l’instar des déductions analysées plus tôt, ces déductions souffrent elles aussi d’un manque de preuves objectives qui permettraient à la Cour d’évaluer s’il s’agit de dépenses valables qui peuvent être déduites dans le cadre d’une analyse de restitution des bénéfices. En conséquence, au lieu de me livrer au même exercice, lequel constitue essentiellement une simple conjecture, je suis convaincue que le processus que Mme Rogers a suivi au scénario 4(a), compte tenu de son expertise, est une constatation raisonnable des dépenses qu’Evolution n’a pas pu prouver.

I.  Les conclusions sur la restitution des bénéfices

[484]  Étant donné qu’Evolution est autorisée à effectuer quelques déductions discrétionnaires mais n’a pas fourni de preuves détaillées sur ses dépenses, je souscris à la méthode dite de « justice sommaire » que Mme Rogers a suivie dans son scénario 4(a). J’ordonne donc à Evolution de payer à Human Care un montant total de 12 156 745 $.

J.  Human Care a‑t‑elle droit à une injonction permanente?

[485]  Human Care sollicite une injonction permanente en vertu de l’alinéa 57(1)a) de la Loi sur les brevets. Evolution n’a pas adopté de position explicite à propos de cette mesure de réparation dans ses observations écrites ou orales.

[486]  Je garde à l’esprit la directive qu’a donnée la juge Gauthier au paragraphe 240 de la décision Valence Technology, Inc. c Phostech Lithium Inc., 2011 CF 174 : « la Cour ne devrait refuser d’accorder une injonction permanente lorsque la contrefaçon est établie que dans de très rares circonstances ». De plus, il ressort clairement de la jurisprudence qu’on accorde habituellement une injonction permanente à un demandeur qui a eu gain de cause s’il a été conclu que le brevet est valide et contrefait : Janssen-Ortho Inc. c Novopharm Limited, 2006 CF 1234, au paragraphe 133.

[487]  Au vu de la jurisprudence et du silence d’Evolution sur ce point, je suis convaincue que Human Care a droit à une injonction permanente à l’égard de la fabrication, de l’utilisation, de l’exportation, de la distribution, de la mise en vente et de la vente de l’Xpresso.

K.  Faudrait‑il accorder les « bénéfices réalisés sur les bénéfices »?

[488]  Les « bénéfices réalisés sur les bénéfices » sont une réparation en equity. Human Care a sollicité cette mesure, mais elle n’a pas fourni d’observations détaillées sur la raison pour laquelle elle aurait droit, en l’espèce, à de tels bénéfices. Je ne suis donc pas convaincue qu’il convient d’accorder cette mesure.

XI.  Les dépens

[489]  Le paragraphe 400(1) des Règles confère à la Cour le « pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer ». La Cour d’appel fédérale a dit qu’il s’agit là du « premier principe de l’adjudication des dépens » : Consorzio del prosciutto di Parma c Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417, au paragraphe 9.

[490]  Compte tenu de la contrefaçon, la demanderesse a droit à ses dépens.

[491]  Au cours de l’audience, les deux parties ont laissé entendre qu’elles seraient peut-être en mesure de s’entendre sur les dépens. Je les encourage à le faire.

[492]  Advenant que les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, l’affaire sera renvoyée à un officier taxateur, conformément à la jurisprudence établie de la Cour : Eli Lilly Canada Inc. c Apotex Inc., 2015 CF 1165, au paragraphe 24.

XII.  Les intérêts avant et après jugement

[493]  Human Care a droit aux intérêts avant jugement et après jugement habituels.


JUGEMENT dans le dossier no T‑1556‑12

LA COUR ORDONNE :

[1]  La demanderesse a droit à :

  • a) une déclaration portant que le brevet 392 et chacune de ses revendications sont valides;

  • b) une déclaration portant que la défenderesse a contrefait les revendications 16 et 18 du brevet 392;

  • c) une ordonnance de dédommagement raisonnable d’un montant de 241 022 $;

  • d) une ordonnance de comptabilisation et de restitution des bénéfices, actuellement fixée à 12 156 745 $;

  • e) une injonction permanente interdisant à Evolution et à ses administrateurs, dirigeants, fonctionnaires, préposés, employés ainsi qu’à toutes les personnes agissant pour le compte, par l’intermédiaire ou sous l’autorité et la direction d’Evolution, de contrefaire le brevet 392;

  • f) une ordonnance prescrivant de remettre à la demanderesse ou de détruire sous serment la totalité des produits contrefaisants qui sont en la possession ou sous la garde ou le contrôle de la défenderesse;

  • g) des intérêts avant et après jugement à calculer;

  • h) de plus, les dépens de l’instance suivront l’issue de la cause et les parties sont tenues de faire part à la Cour du montant dont elles auront conjointement convenu dans un délai de 14 jours, conformément à la colonne IV du tarif B de la Cour; à défaut d’une entente, les parties seront renvoyées à un officier taxateur.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de mars 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1556‑12

 

INTITULÉ :

HUMAN CARE CANADA INC. c EVOLUTION TECHNOLOGIES INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 5, 6, 7, 8, 11, 12, 13, 14, 15, 18, 19 ET 25 SEPTEMBRE 2017

 

VERSION PUBLIQUE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 21 DÉcembRe 2018

 

COMPARUTIONS :

Kristin Wall

Amy Grenon

Chelsea Nimmo

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Kenneth D. Hanna

Matthew R. Norwood

Christopher C. Langan

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ridout & Maybee LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.