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Date : 20190109


Dossier : IMM‑574‑18

Référence : 2019 CF 25

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

SAJMON MESALI BRZEZINSKI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Sajmon Mesali Brzezinski, est un citoyen polonais d’origine ethnique rom. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) (la décision). La demande de contrôle judiciaire est fondée sur le paragraphe 72(1) de la LIPR.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.  Le contexte

[3]  Le demandeur, un citoyen polonais de 18 ans, est arrivé au Canada en juin 2012 alors qu’il était enfant. Sa famille (le père, demandeur d’asile principal, la mère, sa sœur mineure et lui-même) a présenté des demandes d’asile alléguant des mauvais traitements et une crainte de persécution en Pologne en raison de leur origine ethnique rom. Le demandeur est marié à une citoyenne canadienne et a un enfant né au Canada. Lui et son épouse attendent un deuxième enfant.

[4]  Les demandes d’asile des trois membres de la famille du demandeur ont été retirées. Son père est retourné en Pologne en 2014 ou en 2015. Le demandeur a perdu contact en 2016 avec sa mère qui est également retournée en Pologne. Sa sœur a retiré sa demande d’asile, mais se trouve encore au Canada. Elle a épousé un citoyen canadien et est à présent résidente permanente.

[5]  Le demandeur a décidé de donner suite à sa demande d’asile de manière indépendante. Il a modifié son formulaire de renseignements personnels, adoptant des éléments de la demande d’asile de son père et fournissant un exposé circonstancié à jour. Il craint de retourner en Pologne parce qu’il sera reconnu comme Rom et, de ce fait, persécuté. S’agissant de ce qu’il a lui-même vécu durant son enfance en Pologne, il affirme qu’il se faisait battre sur le chemin de l’école et à l’école même parce qu’il était Rom, et qu’il a presque été violé dans les toilettes de l’école par d’autres garçons, mais qu’il a réussi à s’échapper. Le demandeur n’a pas signalé les passages à tabac à ses parents ni à ses professeurs parce qu’il craignait les représailles des autres enfants.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[6]  La décision est datée du 17 janvier 2018. Il n’est pas contesté que le demandeur est un citoyen polonais d’origine ethnique rom. La SPR a conclu qu’il n’était pas un réfugié au sens de la Convention, car sa crainte de persécution en Pologne n’était pas fondée, et qu’il n’était pas non plus une personne à protéger, attendu que son renvoi en Pologne ne l’exposerait pas personnellement au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[7]  La question déterminante pour la SPR concernait la protection de l’État. Elle a refusé la demande d’asile du demandeur au motif qu’il pouvait compter sur la protection de l’État polonais en cas de retour en Pologne et demander l’aide de la police.

[8]  La SPR a d’abord souligné le fait que le demandeur ne pouvait pas se contenter d’affirmer que tous les Roms en Pologne étaient victimes de discrimination dans tous les aspects de leur vie. Chaque affaire doit plutôt être tranchée selon ses faits particuliers et les circonstances personnelles du demandeur d’asile. Même si les Roms de Pologne font indubitablement face à une discrimination sociale, le tribunal a conclu qu’ils ne sont pas tous victimes de persécution. La SPR a formulé en ces termes la question que soulevait la demande d’asile du demandeur :

Le tribunal note qu’il dispose d’éléments de preuve, tant dans les cartables nationaux de documentation au dossier que dans les documents du conseil, qu’en Pologne, les Roms sont exposés à de la discrimination et à de hauts taux de chômage, et que certains subissent la violence de factions anti-Roms et racistes dans la population. Le tribunal doit trancher la question de savoir si une protection de l’État adéquate est et sera offerte au demandeur d’asile mineur en Pologne.

[9]  La SPR a examiné les principes applicables à une évaluation de la protection de l’État. En l’absence d’un effondrement systémique, il faut partir de l’idée que les États sont en mesure de protéger leurs citoyens, ce qui met en relief le principe selon lequel la protection internationale des réfugiés est une protection auxiliaire qui n’est offerte que lorsque les demandeurs d’asile ne peuvent se prévaloir d’aucune autre. Pour réfuter la présomption, les demandeurs d’asile doivent soumettre des éléments de preuve probants et dignes de foi établissant, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est inadéquate. Plus l’État en question est démocratique, plus lourd sera le fardeau de preuve incombant aux demandeurs d’asile.

[10]  Le tribunal a souligné qu’il n’est pas nécessaire que la protection offerte au demandeur d’asile soit parfaite. Habituellement, ce dernier doit démontrer les mesures qu’il a prises pour obtenir en vain une protection. En l’espèce, comme le demandeur avait douze ans lorsqu’il est arrivé au Canada, la SPR a reconnu que l’on ne pouvait s’attendre à ce qu’il ait recherché indépendamment la protection de la police lorsqu’il vivait en Pologne. Le tribunal a donc apprécié sa preuve suivant laquelle il avait été victime d’intimidation à l’école ainsi que ses souvenirs du traitement réservé à sa famille en Pologne à la lumière du caractère adéquat de la protection de l’État dont il pourrait se prévaloir s’il décidait de demander l’aide de la police à son retour en Pologne.

[11]  La SPR a examiné l’appareil de sécurité et les processus judiciaires en place en Pologne, qui est une démocratie fonctionnelle. Citant le Country Report on Human Rights Practices [rapport national sur les pratiques des droits de l’homme] pour 2016 (Pologne) (rapport américain) du Département d’État américain, le tribunal a souligné que les forces de sécurité polonaises rendent compte aux autorités civiles et n’agissent pas avec impunité. Comme je l’ai déclaré plus tôt, la SPR a reconnu que les minorités ethniques, surtout d’origine rom, étaient victimes de discrimination en Pologne. Cependant, elle a conclu, en s’appuyant sur la preuve documentaire, que le gouvernement polonais « fait de sérieux efforts en matière de politique, ainsi qu’au niveau opérationnel, pour lutter contre la violence et la discrimination à l’endroit de la population rom ».

[12]  La SPR a évalué les observations et la preuve du demandeur, estimant que sa crainte de ne pas bénéficier de protection policière en Pologne trouvait son origine dans des reportages télévisés généraux. Le tribunal a déclaré qu’il ne disposait d’aucune preuve établissant que le demandeur se verrait personnellement refuser une protection en Pologne. Par ailleurs, la preuve documentaire concernant la Pologne examinée par le tribunal n’appuyait pas la position du demandeur voulant que la police ne soit pas disposée à aider les citoyens roms en général.

[13]  La SPR a longuement cité, entre autres rapports, le rapport américain, le rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) sur la Pologne (2015), le document intitulé Council of Europe Contribution for the 27th UPR Session (April-May 2017) regarding Poland [contribution du Conseil de l’Europe à la 27e séance du Groupe de travail sur l’examen périodique universel (avril-mai 2017) concernant la Pologne], et la résolution 16/21 du Conseil des droits de l’homme : Pologne (rapport des Nations Unies), du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Ces rapports décrivent : les mesures prises par la police et le système de justice polonais pour enquêter sur les crimes haineux et poursuivre leurs auteurs; les mesures mises en place par les autorités polonaises pour protéger la population rom; les initiatives visant à améliorer les opportunités en matière d’éducation pour les citoyens roms et la protection policière contre les crimes haineux et le racisme; et la mise en œuvre de programmes de formation des policiers pour lutter contre la discrimination et les crimes haineux. Le tribunal a conclu, en s’appuyant sur le rapport américain, que la police polonaise effectue des arrestations dans les affaires où des Roms sont agressés et que le procureur public poursuit activement ceux qui fomentent et commettent des crimes, aussi bien que les policiers qui faillissent à leur devoir de protection ou d’intervention. La SPR s’est aussi longuement penchée sur les mécanismes de plainte en vigueur qui permettent de dénoncer les officiers de police qui n’enquêtent pas sur des crimes. Après avoir examiné l’ensemble de la preuve documentaire, la SPR a conclu que le demandeur pouvait s’adresser à la police en Pologne, qu’il avait des recours contre elle et qu’il pouvait obtenir de l’assistance à cette fin. Ses craintes de ne pouvoir obtenir une protection de l’État étaient conjecturales.

[14]  Même si la question déterminante posée par la demande d’asile du demandeur tenait à l’existence d’une protection de l’État adéquate, le tribunal a également examiné des questions générales concernant le traitement et la situation économique de la population rom en Pologne. La SPR a décrit les mesures importantes prises par le gouvernement polonais pour atténuer la discrimination dont sont victimes les Roms et pour financer les initiatives en matière d’éducation, de soins de santé, d’emploi et de logement à l’intention des citoyens roms. La SPR a relevé une preuve convaincante établissant des mesures concrètes prises par le gouvernement polonais pour améliorer les conditions de logement des Roms ainsi que pour combattre la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui les accompagne.

[15]  Enfin, ayant examiné la question de savoir s’il existait des difficultés ou des obstacles au renvoi du demandeur en Pologne, la SPR a conclu :

Le tribunal n’est pas convaincu qu’il y a des difficultés ou des obstacles particuliers au renvoi de ce demandeur d’asile mineur en Pologne. Aucun élément de preuve convaincant n’a été présenté pour étayer l’observation du conseil selon laquelle le demandeur d’asile mineur, à titre de Rom, pourrait être [traduction] « perçu comme un migrant et exposé à une possible animosité accrue ». Même si cette observation hypothétique se concrétisait, le tribunal a exploré de manière exhaustive les diverses mesures de protection à la disposition du demandeur d’asile mineur s’il devait en avoir besoin.

III.  Les questions à trancher

[16]  Le demandeur soulève en l’espèce deux questions à trancher :

  1. La SPR a‑t‑elle mal compris ou mal appliqué le critère permettant de déterminer si la protection de l’État est adéquate?

  2. La conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur pourrait se prévaloir d’une protection de l’État adéquate en Pologne est-elle raisonnable?

IV.  La norme de contrôle applicable

[17]  La Cour doit déterminer si la SPR a mal compris le critère relatif à l’existence d’une protection étatique adéquate suivant la norme de la décision correcte, et apprécier son application de ce critère aux faits de l’espèce selon la norme de la raisonnabilité (Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, au par. 38; Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 943, au par. 16). Le juge O’Keefe, qui siège à la Cour, a résumé en ces termes l’état du droit (Dawidowicz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 115, au par. 23 (Dawidowicz) :

[23]  Les parties prétendent que la norme de contrôle applicable à l’ensemble des questions est la raisonnabilité, mais je ne suis pas d’accord avec elles. Le juge en chef Paul Crampton a récemment expliqué la norme de contrôle applicable aux décisions relatives à la persécution et à la protection de l’État dans Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004, aux paragraphes 20 à 22, [2013] ACF no 1099 (QL) [Ruszo]. Essentiellement, étant donné que la jurisprudence a mis au point des critères clairs pour les deux éléments, une commission ne peut pas y déroger. Par conséquent, lorsque les demandeurs allèguent qu’une commission a mal compris le critère, la norme applicable est celle de la décision correcte, et aucune retenue ne s’impose à l’égard de la compréhension par la Commission des critères qui s’appliquent. Toutefois, lorsque les demandeurs contestent la façon dont les critères ont été appliqués à l’égard des faits, il s’agit de questions mixtes de droit et de fait, et la norme applicable est celle de la raisonnabilité (Ruszo, aux paragraphes 20 à 22; Gur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 992, au paragraphe 17, [2012] ACF no 1082 (QL); Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 38, 282 DLR (4e) 413 [Hinzman]). En l’espèce, les demandeurs allèguent que la Commission a commis les deux types d’erreurs, de sorte que j’examinerai le premier type en fonction de la norme de la décision correcte et le dernier, en fonction de la raisonnabilité.

[18]  La norme de la raisonnabilité m’oblige à faire preuve de déférence à l’égard de la SPR et de ses compétences particulières. La Cour n’interviendra que si la conclusion de la SPR concernant la possibilité pour le demandeur d’obtenir une protection de l’État adéquate en Pologne manque de justification, de transparence ou d’intelligibilité et qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

V.  Analyse

1.  La SPR a‑t‑elle mal compris ou mal appliqué le critère permettant de déterminer si la protection de l’État est adéquate?

[19]  Le demandeur fait valoir que la SPR a commis une erreur de droit parce qu’elle a mal compris ou mal appliqué le critère relatif à la protection de l’État. Il soutient que le tribunal a correctement formulé le critère, mais qu’il a erronément axé son analyse sur les efforts déployés par le gouvernement polonais pour protéger les individus d’origine ethnique rom et non sur l’efficacité opérationnelle de la protection étatique dont il bénéficierait en Pologne. Entre autres décisions de la Cour, le demandeur cite la décision Dawidowicz à l’appui de ses arguments. Dans cette décision, le juge O’Keefe insistait sur le fait que les décideurs doivent se concentrer sur l’effet réel de la protection dans un pays donné et non sur les efforts consentis par l’État pour offrir cette protection.

[20]  Le critère permettant de déterminer l’existence d’une protection étatique adéquate dans un pays donné est bien établi et se rapporte à l’efficacité opérationnelle de cette protection. Les efforts mis en avant par l’État, aussi étendus ou bien intentionnés soient‑ils, n’autorisent pas en soi à conclure que la protection est adéquate (Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 367, au par. 21 (Lakatos); Koky c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 388, au par. 3 (Koky); Dawidowicz, aux par. 29‑30). Comme le déclarait le juge Diner (Lakatos, au par. 21) :

[21]  Pour déterminer si la protection de l’État est adéquate, un décideur doit se concentrer sur le caractère adéquat et réel, plutôt que sur les « efforts » mis de l’avant par le pays pour protéger ses citoyens (Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 20, au paragraphe 12 [Lakatos]). Les efforts mis de l’avant doivent engendrer une protection véritablement adéquate à l’heure actuelle (voir l’affaire Hercegi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 250 au paragraphe 5). Autrement dit, on ne peut se fier uniquement à la parole de l’État. La protection doit être réelle et adéquate.

[21]  Dans la décision, la SPR a reconnu la persistance d’une discrimination sociale et de violences raciales contre les Roms en Pologne, et déclaré :

En s’appuyant sur les rapports de l’an dernier qui ont été susmentionnés, le tribunal conclut que les Roms vivant en Pologne peuvent faire l’objet de discrimination et qu’ils font effectivement l’objet de discrimination. Toutefois, l’information contenue dans la preuve documentaire montre également que le gouvernement de la Pologne fait de sérieux efforts en matière de politique, ainsi qu’au niveau opérationnel, pour lutter contre la violence et la discrimination à l’endroit de la population rom.

[22]  La SPR a ensuite examiné les mesures réelles prises par les autorités pour combattre la violence ciblant les citoyens roms ainsi que les modifications législatives mises en œuvre en Pologne pour réduire la discrimination en général. Le tribunal a d’abord cité le rapport américain à l’appui de sa conclusion portant que la police polonaise arrête les auteurs de crimes commis contre des Roms et que le procureur public poursuit activement les instigateurs de la violence. Le tribunal a relevé à plusieurs reprises la différence entre les efforts et les résultats ou les actes concrets, et s’est attardé sur les seconds dans son examen des réponses apportées par la police et le procureur. Le tribunal a mentionné un certain nombre de mesures concrètes prises par le ministère de l’Intérieur et de l’Administration en ce qui touche la surveillance de la perpétration des crimes haineux, la transmission à la police des données pertinentes à ce problème, et les programmes spécifiques de formation des policiers mis en œuvre en 2015 et 2016. La SPR a également décrit les mécanismes de rapport mis en place en cas de crimes ou de défaut par des policiers d’agir après qu’un crime leur a été signalé.

[23]  La SPR a examiné les mesures et les efforts déployés par le gouvernement polonais pour améliorer la vie des citoyens roms, en s’attardant sur l’affectation de fonds pour l’éducation, les soins de santé et le logement et a aussi considéré les initiatives législatives gouvernementales destinées à réduire la discrimination dans la vie quotidienne des Roms. C’est surtout dans ces sections de la décision que la SPR s’est attardée sur les efforts déployés par l’État polonais pour combattre la discrimination. Elle a effectué cette analyse parallèlement à celle qui concerne la question de savoir si le demandeur disposait d’une protection étatique opérationnelle.

[24]  J’estime que la SPR a correctement formulé et appliqué le critère permettant de déterminer s’il existe une protection de l’État adéquate et opérationnelle en Pologne. Le tribunal a établi une distinction entre, d’une part, les efforts déployés par le gouvernement polonais pour améliorer la vie des minorités roms en général et, d’autre part, les actions concrètes de la police en matière d’arrestations, le lancement de poursuites, la mise en œuvre de programmes de formation de la police, et l’existence d’un système fonctionnel de signalement des plaintes. L’évaluation par la SPR de l’existence d’une protection étatique assurée par la police et les forces de sécurité polonaises était axée sur la protection réelle dont pourrait se prévaloir le demandeur s’il était pris pour cible en Pologne.

[25]  Dans la décision Dawidowicz, le juge O’Keefe a estimé que la conclusion centrale de la décision dont il était saisi était basée sur les efforts déployés par l’État pour assurer une protection et a cité la décision en question (Dawidowicz, au par. 6) :

La protection de l’État représente la question déterminante, et la Commission a écrit au paragraphe 8 que la question consistait à savoir « s’il est raisonnable de s’attendre à ce que les autorités polonaises déploient de sérieux efforts pour protéger les demandeurs d’asile si ceux‑ci devaient retourner en Pologne, et non de savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce que ces autorités leur offrent une protection de fait efficace ou garantie ». De plus, les demandeurs devaient fournir des éléments de preuve clairs et convaincants étant donné que la Pologne est une démocratie parlementaire.

[26]  Dans la décision Dawidowicz, le décideur a mentionné plusieurs fois les « sérieux efforts [déployés par l’État] pour protéger […] ». En l’espèce, la SPR a fondé sa conclusion relative à la protection adéquate de l’État sur les modalités réelles de la protection offerte par l’État polonais aux membres de la communauté rom, et le demandeur n’a avancé aucun élément de preuve précis à l’effet contraire.

[27]  Le demandeur invoque par ailleurs une série de décisions rendues par la Cour concernant des demandeurs d’asile d’origine ethnique rom provenant de plusieurs pays européens et remettant en cause des décisions fondées sur les efforts des États en vue d’assurer une protection. Dans chacune de ces affaires, la situation factuelle du (des) demandeur(s) d’asile était différente de celle du demandeur, tout comme la preuve dont disposait le décideur, et les décisions sous‑jacentes étaient clairement fondées sur les efforts déployés pour assurer une protection et non sur la protection opérationnelle. Dans la décision  Koky par exemple, le juge Zinn a cité un certain nombre de conclusions tirées par la SPR quant à la brutalité et au mauvais traitement de citoyens roms par la police slovaque. La SPR n’a tiré aucune conclusion de la sorte en l’espèce.

2.  La conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur pourrait se prévaloir d’une protection de l’État adéquate en Pologne est-elle raisonnable?

[28]  Les observations du demandeur concernant la raisonnabilité de la décision sont succinctement résumées dans son mémoire des arguments :

[traduction]

Subsidiairement, la décision de la SPR est déraisonnable, car elle invoque exclusivement la preuve documentaire étayant sa conclusion, tout en ignorant la preuve à l’effet contraire, y compris des éléments figurant dans le Cartable national de documentation (CND) de la SPR et la preuve soumise par le demandeur. La SPR a en outre commis une erreur en s’appuyant abondamment sur des sections de la preuve documentaire relative aux conditions dans le pays, lesquelles correspondent à des rapports élaborés par l’État polonais lui‑même sur les efforts qu’il déploie pour protéger les Roms. Fondamentalement, la décision de la SPR est déraisonnable parce qu’elle a été prise sans dûment tenir compte de la preuve dont elle disposait.

[29]  Le défendeur soutient que la SPR a estimé avec raison que la demande d’asile du demandeur partait du principe que tous les Roms de Pologne étaient victimes de discrimination, et que puisqu’il était citoyen polonais d’origine ethnique rom, il avait établi qu’il était un réfugié au sens de la Convention. Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas soumis suffisamment d’éléments de preuve établissant qu’il serait persécuté en Pologne ou qu’il ne pourrait pas se prévaloir d’une protection de l’État; il ajoute que le demandeur ne peut se contenter de s’appuyer sur la preuve relative aux conditions dans le pays pour établir sa demande d’asile.

[30]  Le demandeur devait fournir une preuve claire et convaincante pour réfuter la présomption d’une protection de l’État adéquate en Pologne. J’estime qu’il ne l’a pas fait et que la décision était raisonnable. En particulier, l’examen par la SPR du Cartable national de documentation (CND) pour la Pologne en ce qui a trait à la protection de l’État était équilibré et raisonnable. Le demandeur invoque une preuve documentaire générale concernant le traitement et la situation de la population rom en Pologne pour réfuter la présomption de protection de l’État. Au fond, comme l’a affirmé la SPR, les arguments du demandeur reviennent à dire que tous les Roms de Pologne sont victimes de persécution et que les citoyens roms ne peuvent se prévaloir d’une protection étatique adéquate.

[31]  Le demandeur soutient que la SPR s’est seulement appuyée sur la preuve étayant sa conclusion portant qu’il pourrait se prévaloir d’une protection de l’État. Je ne suis pas d’accord. Tout au long de la décision, le tribunal a examiné la preuve documentaire dont il disposait et qui établissait la persistance de la discrimination et des crimes haineux contre la population rom en Pologne. La SPR a déclaré :

Le tribunal reconnaît que la discrimination contre les minorités ethniques et les étrangers existe en Pologne, y compris [traduction] « un certain nombre d’incidents xénophobes et racistes ». La discrimination sociale à l’endroit des Roms demeure un problème. Freedom House signale que [traduction] « les minorités ethniques jouissent généralement de protections et de droits généreux prévus par la loi. Certains groupes, en particulier les Roms, subissent de la discrimination en matière d’emploi et de logement, des insultes racistes et occasionnellement des attaques physiques. »

[32]  Citant le rapport américain et le rapport des Nations Unies, le tribunal a reconnu l’existence de discrimination contre les Roms en Pologne, et déclaré : « [e]n s’appuyant sur les rapports de l’an dernier qui ont été susmentionnés, le tribunal conclut que les Roms vivant en Pologne peuvent faire l’objet de discrimination et qu’ils font effectivement l’objet de discrimination ». Le tribunal a également reconnu que des violences et des crimes haineux étaient commis contre des minorités ethniques.

[33]  Le demandeur cite d’autres documents du CND qui évoquent des crimes haineux commis contre les Roms ainsi que la montée de groupes d’autodéfense d’extrême droite et de milices en Europe. Il invoque également les niveaux extrêmement faibles de confiance des citoyens roms à l’égard de la police ainsi que le fait que la vaste majorité des crimes perpétrés contre les Roms ne sont pas signalés.

[34]  J’ai examiné les documents mentionnés par le demandeur dans son mémoire. Ces documents traitent des violences commises contre la population rom en Pologne et d’autres pays européens. Le demandeur y inclut un certain nombre d’extraits du rapport de 2016 du congrès des autorités locales et régionales intitulé The situation of Roma and Travellers in the context of rising extremism, xenophobia and the refugee crisis in Europe [La situation des Roms et des gens du voyage dans le contexte de la montée de l’extrémisme, de la xénophobie et de la crise des réfugiés en Europe]. Les extraits en question expriment des préoccupations devant la montée des groupes d’extrême droite d’autodéfense en Europe et la hausse du nombre de crimes haineux signalés en Pologne entre 2013 et 2015. Les sections du rapport dont proviennent les extraits décrivent les violences et l’extrémisme existant dans un certain nombre de pays européens et donnent des exemples de mauvais traitements et de brutalité commis par la police dans des pays particuliers. Cependant, il n’est pas fait mention que de tels incidents se produisent en Pologne.

[35]  Le demandeur conteste en particulier le fait que la SPR se soit appuyée sur le rapport de l’ECRI. Le tribunal citait ce rapport pour faire valoir que les relations entre la police et la communauté rom en Pologne se sont améliorées. Le demandeur soutient avec justesse que l’extrait invoqué par le tribunal est contenu dans la réponse du gouvernement polonais au rapport et qu’il ne s’agit pas d’une conclusion de l’ECRI. Je suis d’accord avec lui et la SPR aurait dû bien noter ce fait et le prendre en compte. Cependant, compte tenu de l’ensemble de la décision, le fait que la SPR ait invoqué le rapport de l’ECRI ne rend pas sa décision déraisonnable. Le tribunal cite un certain nombre d’autres sources crédibles et indépendantes à l’appui de sa conclusion portant que les forces de sécurité polonaises continuent de prendre des mesures en réponse aux signalements de violences ciblant les citoyens roms.

[36]  En résumé, les arguments du demandeur reposent sur la persistance de la discrimination et des actes de violence ciblant des citoyens roms en Pologne. Ces faits sont clairement reconnus par la SPR dans sa décision. Cependant, le tribunal a estimé que ce ne sont pas tous les citoyens roms qui sont victimes de persécution en Pologne et que le demandeur n’avait pas fourni de preuve crédible et digne de foi établissant, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne serait pas en mesure d’obtenir une protection adéquate de l’État en Pologne. Les conclusions de la SPR à cet égard reposent sur un certain nombre de rapports crédibles contenus dans le CND au sujet de la Pologne et sont raisonnables. Les tendances et les activités d’extrême droite existant en Pologne et invoquées par le demandeur ne suffisent pas à réfuter la présomption de protection de l’État.

VI.  Conclusion

[37]  La demande est rejetée.

[38]  Les parties n'ont proposé aucune question à certifier et la présente affaire n'en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑574‑18

LA COUR STATUE que :

1.  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 31e jour de janvier 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑574‑18

 

INTITULÉ :

SAJMON MESALI BRZEZINSKI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 SEPTEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 9 JANVIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Aleksandar Jeremic

POUR Le demandeur

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aleksandar Jeremic

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR Le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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