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Date : 20190108


Dossier : T-328-18

Référence : 2019 CF 17

Ottawa (Ontario), le 8 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

LES GESTIONS BUSSEY INC.

partie demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Les Gestions Bussey Inc. (Gestions Bussey) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par le Ministre du Revenu national (le Ministre) par le biais de Mme Christine Lacerte (la Déléguée) le 17 janvier 2018. Dans cette décision (la Décision), le Ministre a refusé d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), c 1 (5e suppl) [la LIR], d’exempter le demandeur des intérêts.

I.  Faits

[2]  En 2007, à la suite d’une vérification de la planification fiscale de Gestions Bussey en 2003, le Ministre a considéré qu’elle allait à l’encontre de la règle générale anti-évitement. Le Ministre a donc émis un avis de cotisation en impôt corporatif à l’encontre de Gestions Bussey montrant un solde. Cette dernière s’est opposée à cet avis de cotisation.

[3]  Puisque le dossier de Gestions Bussey était semblable à plusieurs autres, le Ministre a proposé qu’il soit suspendu en attente de l’audition des autres dossiers semblables. Dans l’alternative, le Ministre aurait maintenu l’avis de cotisation et laissé Gestions Bussey présenter son dossier devant la Cour canadienne de l’impôt (CCI). Gestions Bussey a accepté que son dossier soit suspendu. Dans une lettre confirmant la suspension, le Ministre a indiqué à Gestions Bussey qu’elle n’avait pas à payer le montant en litige immédiatement, mais que les intérêts continueraient à s’accumuler sur le solde impayé. La lettre indiquait que les frais d’intérêts pourraient être réduits en faisant un versement au compte. Dans le cas ou Gestions Bussey aurait eu gain de cause, tout montant contesté aurait été remboursé avec intérêts.

[4]  La suspension a duré jusqu’en 2013, après que la décision dans Triad Gestco Ltd c Canada, 2012 CAF 258, eut affirmé la position du Ministre. Gestions Bussey a interjeté un appel à la CCI mais, en 2016, s’est désistée de cet appel et s’est acquittée du solde impayé.

[5]  Gestions Bussey a aussi soumis au Ministre une demande d’allègement des intérêts en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR qui se lit comme suit :

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

Waiver of penalty or interest

(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

[6]  Cette demande a été refusée, et Gestions Bussey en a ensuite soumis une deuxième demande d’allègement. Cette deuxième demande a été approuvée en partie, mais le Ministre a refusé de renoncer totalement à tous les intérêts qui se sont accumulés pendant la période de suspension de 2007 à 2013. La deuxième décision a noté que Gestions Bussey avait accepté que son dossier soit suspendu, et qu’au début de ladite suspension Gestions Bussey avait été avisée que les intérêts continueraient à s’accumuler et que les frais d’intérêts pourraient être réduits en faisant un versement à son compte. Le Ministre n’acceptait pas que Gestions Bussey fût empêché de faire de tel versement.

[7]  Gestions Bussey a ensuite soumis une troisième demande d’allègement. C’est la décision relative à cette troisième demande qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Cette Décision a accordé une renonciation à quelques autres frais d’intérêts, mais a maintenu le refus d’une renonciation totale à tous les intérêts qui s’étaient accumulés pendant la période de suspension de 2007 à 2013. La Déléguée du Ministre a répété que Gestions Bussey avait été avisée que les intérêts continueraient de s’accumuler pendant la suspension, et que cette dernière avait choisi de ne pas faire de versement pendant ce temps. La Déléguée a aussi noté que Gestions Bussey avait accepté de plein gré que son dossier soit suspendu, et qu’à l’époque elle avait l’alternative de faire appel directement à la CCI.

II.  Questions en litige et la norme de contrôle

[8]  Gestions Bussey souligne les questions suivantes :

  • a) Le Ministre a-t-il entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en l’espèce?

  • b) La décision du Ministre était-elle raisonnable?

[9]  Les parties s’entendent que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. L’application de cette norme est bien étayée par la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale : Canada Agence du revenu c Telfer, 2009 CAF 23 aux paras 24-28 [Telfer]. Au paragraphe 25 de cet arrêt, le juge Evans expose :

Lors d’un contrôle judiciaire suivant la norme de la raisonnabilité, le juge doit examiner le processus décisionnel (y compris les raisons avancées pour justifier la décision) afin de s’assurer qu’il offre une « justification » rationnelle de la décision, qu’il est transparent et qu’il est intelligible. De plus, le tribunal d’appel doit déterminer si la décision en soi appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir au paragraphe 47).

[10]  Pendant l’audition de la présente demande, le procureur de Gestions Bussey a clarifié que cette dernière conteste les frais d’intérêts accumulés pendant les six ans de la suspension de son dossier qui n’avaient pas déjà fait l’objet d’un allègement.

III.  Analyse

A.  Le Ministre a-t-il entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en l’espèce?

[11]  Gestions Bussey fait référence aux décisions de la Cour d’appel fédérale dans Canada c Guindon, 2013 CAF 153 aux paras 57 à 59, et de la Cour fédérale dans Gordon c Canada (Procureur Général), 2016 CF 643 au para 29 [Gordon], pour appuyer son argument que le Ministre ne doit pas entraver ou restreindre le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 220(3.1) de la LIR à travers l’application stricte de lignes directrices établies par des énoncés politiques tels que la circulaire d’information 07-1 (la Circulaire) qui traite des demandes d’allègements. De tels énoncés politiques n’ont pas force de loi, et le Ministre doit considérer toutes les circonstances pertinentes.

[12]  J’accepte que le Ministre ne doit pas se limiter aux directives dans la Circulaire, mais je note aussi que le Ministre n’a pas commis une erreur faisant référence à la Circulaire : Gordon au para 40.

[13]  Gestions Bussey soumet que la Déléguée du Ministre a erré en exigeant des circonstances extraordinaires pour la renonciation des intérêts. Gestions Bussey soumet que les circonstances extraordinaires ne sont pas nécessaires, faisant référence à la décision de la Cour fédérale dans 3500772 Canada Inc c Canada (Revenu national), 2008 CF 554. Au para 39 [sic] de cette décision, la Cour indique ce qui suit :

[…] Je n’interprète pas les Lignes directrices comme exigeant qu’il s’agisse de situations qui soient à la fois « indépendantes de la volonté du contribuable ou de l’employeur » et « extraordinaires ». Dit autrement, les situations qui justifient une dispense peuvent très bien être décrites comme des situations « extraordinaires »; cependant, c’est parce qu’il s’agit de situations indépendantes de la volonté du contribuable que la dispense peut être accordée suivant les Lignes directrices. La situation ne doit pas nécessairement être « extraordinaire ».

[14]  J’accepte que, pour obtenir un allègement des intérêts, il ne fût pas nécessaire que Gestions Bussey établisse des circonstances extraordinaires à part des « circonstances indépendantes de la volonté » de cette dernière. Gestions Bussey ne fait référence à aucune déclaration dans la Décision qui indique le contraire. Il est aussi intéressant d’observer que la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Telfer au paragraphe 34 a établi que le pouvoir discrétionnaire du Ministre de renoncer aux intérêts est « extraordinaire ». De plus, la preuve n’indique pas que non-paiement du solde pendant la période de suspension du dossier de Gestions Bussey était indépendant de sa volonté.

[15]  Gestions Bussey soumet que le Ministre a erré en omettant de reconnaitre (i) le manque de clarté des règles et de la jurisprudence au moment de la préparation et de l’exécution de sa planification fiscale, et (ii) le fait que la suspension a duré six ans. Gestions Bussey maintient que ces deux éléments constituent des situations hors de son contrôle.

[16]  À mon avis, bien que ces éléments aient pu être hors du contrôle de Gestions Bussey, ils n’ont néanmoins pas empêché cette dernière de payer le solde pendant la période de suspension de manière à éviter l’accumulation des frais d’intérêts. Gestions Bussey a choisi de ne pas effectuer de paiements tout au long de la suspension de son dossier. Il s’ensuit que le non-paiement n’était pas attribuable à une situation hors du contrôle de Gestions Bussey.

[17]  Je suis de l’avis que ces éléments ne témoignent pas d’une entrave au pouvoir discrétionnaire, mais plutôt de la considération raisonnable des facteurs pertinents. Je traiterai de ces sujets davantage dans la prochaine section.

[18]  Gestions Bussey argumente également que les notes d’Andréanne Leblanc, qui ont été considérées par la Déléguée pour sa Décision, démontrent que le Ministre a entravé son pouvoir discrétionnaire puisqu’elles indiquent, entre autres, ce qui suit : bien que Gestions Bussey puisse utiliser les services de représentants, elle « demeure responsable dans le cas où les conseils reçus s’avèrent erronés ». Gestions Bussey plaide que cette déclaration est erronée puisqu’elle ne reconnait pas que, dans les circonstances décrites, un contribuable est seulement généralement responsable. Selon Gestions Bussey, le défaut de reconnaitre le mot « généralement » entrave le pouvoir discrétionnaire du Ministre.

[19]  Je suis en désaccord avec cet argument. Je n’accepte pas que la Déléguée ait mal compris le critère applicable ni que cette erreur allégée constitue une entrave du pouvoir discrétionnaire du Ministre. Certes, le mot « généralement » indique qu’il pourrait y avoir des situations exceptionnelles dans lesquelles le Ministre pourrait accorder un allègement là où le contribuable s’est fié sur des conseils erronés. Cependant, rien n’indique qu’il y a de telles circonstances exceptionnelles en l’espèce. En conséquence, l’omission du mot « généralement » n’est pas pertinente : le dossier de Gestions Bussey ne comprend simplement pas le genre de circonstances pouvant permettre une exception à la règle générale.

[20]  Gestions Bussey fait référence au paragraphe 37 de la décision dans Gordon pour argumenter que la responsabilité d’un contribuable qui a suivi les conseils professionnels devrait être limitée. Dans ce paragraphe, la Cour a critiqué le fait que la déléguée du Ministre n’a pas considéré le fait que le contribuable s’était fié aux conseils professionnels qu’il avait reçus. Je distingue cette décision du dossier en l’espèce, parce que les faits sont différents : contrairement à la présente affaire, dans Gordon, le Ministre avait déjà reçu le montant contesté. La Cour n’était pas appelée à déterminer s’il existait une justification valide pour un non-paiement, elle devait plutôt déterminer quel contribuable devait payer le montant en question. Ceci n’est pas les cas ici.

[21]  De plus, la décision contestée en l’espèce aborde l’argument de Gestions Bussey selon lequel cette dernière suivait les conseils de professionnels, et je trouve que l’analyse de la Déléguée à l’égard de cet argument était raisonnable.

[22]  Enfin, Gestions Bussey argumente que le Ministre aurait entravé son pouvoir en tenant compte du fait que Gestions Bussey a choisi de ne pas faire un versement à son compte au début de la période de suspension de son dossier. Selon Gestions Bussey, il est déraisonnable de refuser de renoncer aux frais d’intérêts pour cette raison parce que dans l’alternative Gestions Bussey aurait fait le versement et elle n’aurait aucune responsabilité pour les frais d’intérêts. Gestions Bussey soumet que, si l’allègement n’est pas applicable dans les circonstances en l’espèce, il n’y a aucune circonstance dans laquelle il serait approprié.

[23]  À mon avis, il n’y a rien de déraisonnable dans la considération du défaut de faire un versement. Le paragraphe 220(3.1) de la LIR est une disposition d’application exceptionnelle. Donc, il n’est pas surprenant qu’il s’applique uniquement dans des circonstances restreintes, soit les situations où le contribuable n’a pas fait un versement pour des raisons extraordinaires ou indépendantes de sa volonté.

[24]  Pour les motifs discutés ci-dessus, je conclus que le Ministre n’a pas entravé son pouvoir discrétionnaire.

B.  La décision du Ministre était-elle raisonnable?

[25]  L’argument de Gestions Bussey selon lequel la décision du Ministre n’était pas raisonnable est lié à la suspension de son dossier. Gestions Bussey effectue cet argument en trois temps :

  • a) Le Ministre n’a pas raisonnablement considéré le fait que la suspension du dossier de Gestions Bussey a duré six ans;

  • b) Le Ministre n’a pas raisonnablement considéré si Gestions Bussey devait supporter le risque du manque de clarté dans la jurisprudence et le besoin de suspendre son dossier en attente des résultats des cas types;

  • c) Le Ministre n’a pas raisonnablement considéré si Gestions Bussey devait supporter tous les risques reliés à la suspension du dossier de Gestions Bussey pour attendre les cas types alors que les cas types étaient principalement au bénéfice du Ministre.

(1)  Six ans de suspension

[26]  Pour appuyer l’argument selon lequel le délai de six ans pour la suspension de son dossier était excessif, Gestions Bussey a fait référence aux décisions suivantes : Succession Dort c Canada (Ministre du Revenu national), 2005 CF 1201 [Dort], et Hillier v Canada (Attorney General), 2001 CAF 197 [Hillier]. La décision du Ministre ne fait pas référence à ces décisions sauf pour indiquer qu’elles ne s’appliquent pas à la situation de Gestions Bussey. Cette dernière soumet donc que cet aspect de l’analyse du Ministre est insuffisant parce qu’elle manque de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[27]  Dans Dort, la Cour fédérale a conclu qu’une décision du Ministre refusant d’annuler des frais d’intérêts était déraisonnable parce que le délai dans le traitement du dossier de la demanderesse allait à l’encontre de ses attentes légitimes et parce que le Ministre n’avait pas suivi ses propres procédures. Dans Hillier, un délai de 31 mois a été jugé excessif parce qu’il y avait aucune communication du Ministre pendant 27 mois de ce délai, et la seule justification offerte par le Ministre était qu’il y avait eu des changements de personnel dans son bureau. La Cour d’appel fédérale a conclu que cette explication était insuffisante.

[28]  À mon avis, la conclusion du Ministre selon laquelle les arrêts Dort et Hillier ne s’appliquaient pas au présent dossier est raisonnable, et le fait de ne pas avoir inclus les détails présentés dans le paragraphe précédent dans les motifs ne change pas cette conclusion. La Décision analyse en détail les raisons expliquant les délais dans le dossier de Gestions Bussey et accorde l’allègement des frais d’intérêts dans la mesure où des délais excessifs ont été causés par le Ministre. Il est clair que la Déléguée a considéré la question du délai excessif, et qu’elle a distingué le dossier en cause des décisions Dort et Hillier sur cette base.

(2)  Support du risque du manque de clarté dans la jurisprudence

[29]  Gestions Bussey soumet que la Déléguée n’a pas reconnu le manque de clarté des règles et de la jurisprudence au moment de la préparation et de l’exécution de la planification fiscale en cause, et le fait que son dossier a été suspendu pendant six ans. Ceci est inexact.

[30]  En ce qui concerne le manque de clarté, la Déléguée a noté l’argument de Gestions Bussey selon lequel au moment où elle aurait effectué sa planification fiscale, la jurisprudence penchait en sa faveur. Cependant, la Déléguée a aussi considéré qu’il n’y avait aucune garantie que cette situation resterait inchangée. De plus, la Déléguée a considéré l’argument de Gestions Bussey selon lequel ses intentions étaient bonnes et qu’une telle situation survient pour la première fois pour cette dernière.

[31]  En ce qui concerne la suspension pendant six ans du dossier de Gestions Bussey, il est clair que la Déléguée a considéré ce fait. Les notes d’Andréanne Leblanc incluent une chronologie et font explicitement référence à la suspension. De plus, la décision contestée offre une chronologie des évènements et fait référence au processus d’opposition intenté par Gestions Bussey.

[32]  En dépit des arguments de Gestions Bussey, je suis d’avis que la Déléguée a raisonnablement pris en compte le manque de clarté du droit et la durée de la suspension du dossier. Je suis notamment en désaccord avec l’argument selon lequel Gestions Bussey n’avait d’autre choix que d’accepter que son dossier soit suspendu. Selon la preuve, Gestions Bussey aurait pu refuser la suspension et insister que le Ministre traite son dossier sans délai et lui permette de porter un appel à la CCI. Cependant, il semble probable que ce choix n’aurait pas réduit le délai, puisque dans un tel cas, le dossier de Gestions Bussey serait probablement devenu un cas type.

[33]  Gestions Bussey aurait également pu faire un versement du solde impayé au début de la suspension, et demander un remboursement avec intérêts si planification fiscale était permise. La preuve n’indique pas que Gestions Bussey était incapable de faire un tel versement. À ce sujet, le paragraphe 20 de la décision dans Comeau c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 271 [Comeau], est pertinente :

[…] M. Comeau aurait pu payer le montant en souffrance ce qui aurait mis fin à l’accumulation des intérêts, quitte à se faire rembourser si son opposition portait fruit. Autrement dit, un contribuable peut profiter de la suspension des mesures de recouvrement au cours du traitement de son opposition pour miser sur le sort de son opposition en ne payant pas les montants réclamés par l’Agence de sorte que les intérêts s'accumulent. Mais, ayant misé et perdu (lorsque son opposition est rejetée), il ne peut se plaindre que les conditions du jeu lui sont défavorables. La décision de l’Agence sur ce point n’a rien de déraisonnable.

(3)  Considération du bénéfice au Ministre des cas types

[34]  Gestions Bussey plaide que la Cour devrait distinguer ce dossier de l’arrêt Comeau parce que le délai dans le présent dossier était dû à l’attente de causes types, ce qui n’était pas le cas dans Comeau. À mon avis, il n’est pas déraisonnable de refuser l’allègement des frais d’intérêts quand le délai est dû à l’attente de causes types. D’ailleurs, la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale étaie cette conclusion dont notamment l’arrêt Telfer où la cour a souligné :

[35] Ceux qui, comme Mme Telfer, choisissent de ne pas payer une dette fiscale dans l’attente qu’une décision soit rendue dans une cause liée ne peuvent normalement pas prétendre qu’ils n’ont pas d’intérêts à payer. S’ils avaient payé rapidement les sommes réclamées, et qu’ils avaient eu gain de cause plus tard, le ministre aurait été dans l’obligation de rembourser les montants versés en trop avec intérêts (voir Comeau c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 271, 2005 D.T.C. 5489, au paragraphe 20). Le taux d’intérêt relativement élevé imposé aux contribuables vise de toute évidence à les encourager, dans leur propre intérêt, à payer rapidement leurs dettes fiscales.

[35]  Gestions Bussey soumet que c’est le Ministre qui voulait attendre les cas types en l’espèce dans le but de changer la jurisprudence, et que c’est lui qui a bénéficié du délai. Gestions Bussey soumet que puisque c’est le Ministre qui a misé, ce dernier devrait courir le risque de l’accumulation des frais d’intérêts. L’arrêt Comeau fait également référence à l’analogie d’un pari. Mais il faut se rappeler qu’il faut au moins deux joueurs pour miser. En l’espèce, les deux parties ont misé, et ont ainsi assumé un risque : le Ministre a gagné et Gestions Bussey a perdu. Dans ces circonstances, il n’est pas déraisonnable de conclure que la perdante devrait subir les frais d’intérêts.

IV.  Conclusion

[36]  Je conclus que le Ministre n’a pas entravé le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(3.1) de la LIR, et que la décision de la Déléguée est raisonnable. En conséquence, la présente demande doit être rejetée avec dépens.


JUGEMENT au dossier T-328-18

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-328-18

INTITULÉ :

LES GESTIONS BUSSEY INC. c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 DÉCEMBRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LOCKE J.

DATE DES MOTIFS :

LE 8 JANVIER 2019

COMPARUTIONS :

Me Caroline Desrosiers

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Gilles Robert

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CD Legal Inc.

Avocat

Blainville (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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