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Date : 20181221


Dossier : IMM‑2459‑18

Référence : 2018 CF 1300

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

CLARETHA KAUHONINA

demanderesse

et

MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre de la décision rejetant une demande d’asile. Dans sa demande, la demanderesse soulève des questions difficiles découlant de la violence familiale. Elle conteste les deux questions déterminantes du rejet, qui ont trait à la protection de l’État et à la possibilité de refuge intérieur (PRI). En raison de vices dans l’analyse des deux questions, sa demande sera renvoyée pour nouvelle décision.

I.  Le contexte

[2]  La demanderesse est une citoyenne de la Namibie, pays dans lequel elle affirme craindre avec raison d’être persécutée à la suite de plusieurs années de violence physique et sexuelle infligée par son ancien petit ami. Dans sa demande d’asile, elle a mis en évidence les deux incidents suivants d’abus particulièrement graves qui l’ont amenée à quitter la Namibie.

[3]  En décembre 2010, l’ancien petit ami de la demanderesse l’a gravement battue lorsqu’elle avait décidé de le quitter parce qu’il lui avait été infidèle. La demanderesse a signalé cet incident à la police après avoir reçu un traitement médical. Il semblerait que les policiers n’aient pris aucune mesure, parce qu’ils ne voulaient pas intervenir dans une affaire familiale, et qu’ils aient dit à la demanderesse qu’il était acceptable pour un homme d’agresser sexuellement sa conjointe et qu’un époux ne pouvait pas violer sa propre épouse.

[4]  Après avoir quitté le poste de police, la demanderesse est allée vivre avec sa tante dans une autre partie de la ville où elle résidait, mais son ancien petit ami a continué de la harceler. Un jour, en mars 2011, il l’a agressée par‑derrière alors qu’elle attendait à un arrêt d’autobus, mais, cette fois‑ci, il avait cinq complices. Elle a été sévèrement battue. La demanderesse soutient que, pendant cet incident, son ancien petit ami a menacé de la tuer si elle ne revenait pas habiter avec lui ou si elle le dénonçait à nouveau à la police.

[5]  Le mois suivant, la demanderesse a quitté la Namibie pour se rendre au Canada. Depuis, elle n’a eu aucune communication avec son ancien petit ami.

[6]  Depuis son arrivée au Canada, la demanderesse s’est engagée dans une autre relation abusive, a obtenu des soins psychiatriques pour des problèmes de santé mentale, a obtenu l’aide d’une maison de refuge pour femmes battues et a donné naissance à deux enfants, qui sont tous deux âgés de moins de cinq ans.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[7]  Dans une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), la Commission a conclu que la demanderesse était crédible, mais elle a rejeté sa demande au motif de deux conclusions concernant (i) la protection de l’État et (ii) la PRI.

[8]  En ce qui concerne la première question, la Commission a fait remarquer qu’il incombait à la demanderesse d’établir le caractère inadéquat de la protection de l’État en Namibie. Afin de s’acquitter de ce fardeau, la demanderesse devait présenter une preuve « claire et convaincante » que la protection de l’État était inadéquate. La Commission a fait remarquer que ce fardeau augmentait proportionnellement au développement démocratique d’un pays. La demanderesse devait épuiser toutes les voies de protection ou démontrer pourquoi elle ne devrait pas être tenue de le faire dans les circonstances.

[9]  La Commission a reconnu qu’il y avait des résultats mitigés quant à l’obtention d’ordonnances de protection au moyen de la loi, mais elle a décidé que le niveau de protection de l’État en Namibie était adéquat en raison des efforts déployés par le gouvernement pour protéger les victimes de violence familiale, y compris au moyen de la règle de droit et des recours qu’elle prévoit, comme la loi récemment adoptée portant sur la violence familiale.

[10]  La Commission a également conclu que, malgré sa capacité de le faire, la demanderesse n’avait pas pris les mesures adéquates pour solliciter la protection de l’État. Pour parvenir à cette conclusion, la Commission a fait remarquer que la demanderesse n’avait pas assuré le suivi de sa déclaration à la police, parce qu’elle ne croyait pas que sa plainte allait être prise au sérieux.

[11]  Dans son analyse relative à la PRI, la Commission a énoncé le critère pour établir s’il existait une PRI viable et elle a tranché en déclarant qu’il en existait effectivement une à Walvis Bay. La Commission a conclu qu’il n’existait aucune preuve convaincante selon laquelle l’ancien petit ami de la demanderesse avait les moyens de la rechercher dans toute la Namibie après sept années de séparation, ou qu’il avait un intérêt à cet égard.

[12]  La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, une possibilité sérieuse de persécution à Walvis Bay et qu’il ne serait pas déraisonnable qu’elle y déménage, étant donné son profil, sa connaissance des normes culturelles à cet endroit, sa connaissance des langues employées à Walvis Bay ainsi que sa capacité d’adaptation.

III.  La norme de contrôle

[13]  Bien que la norme de la décision correcte s’applique au contrôle du critère juridique pour à la fois la protection de l’État et la PRI (Kapuuo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1107), la demanderesse ne conteste pas le critère juridique même. Elle conteste plutôt les conclusions de la Commission selon lesquelles il existe une protection de l’État adéquate et une PRI viable. Ces deux décisions concernent des questions mixtes de fait et de droit et, par conséquent, elles sont assujetties à la norme de la décision raisonnable (Valencia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1013, au paragraphe 16).

IV.  Analyse

  i.  La protection de l’État

[14]  La demanderesse fait valoir que la conclusion de la Commission quant à la protection de l’État adéquate ne tenait pas compte de la preuve contradictoire relative aux conditions dans le pays indiquant la prévalence de la violence fondée sur le sexe, malgré les efforts déployés par le gouvernement pour la réprimer (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF), au paragraphe 17 [Cepeda]).

[15]  Je ne suis pas d’accord. La Commission a tenu compte de la prévalence de la violence infligée aux femmes en Namibie, du défaut de mettre complètement en œuvre des lois protégeant les femmes et de la difficulté à obtenir des ordonnances de protection, et elle a apprécié les éléments de preuve contradictoires avant de parvenir à sa conclusion sur le caractère adéquat de la protection de l’État. De plus, la Commission n’est pas tenue de mentionner expressément chaque élément de preuve figurant au dossier (Cepeda, au paragraphe 16). En effet, la Commission est censée avoir examiné tous les éléments de preuve figurant au dossier (Kahumba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 551, aux paragraphes 41 à 45).

[16]  La demanderesse fait également valoir que la Commission a décidé de manière déraisonnable que la demanderesse n’avait pas pris des mesures suffisantes pour solliciter la protection de l’État. Plus particulièrement, la demanderesse fait valoir que la Commission n’a pas abordé sa vaine tentative de demander la protection de l’État par l’intermédiaire de la police. La demanderesse renvoie à la décision récente rendue dans AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 237, à l’appui de son argument.

[17]  Je suis d’accord avec la demanderesse sur ce point. La Commission n’a pas expliqué de quelle façon la protection de l’État était efficace lorsque la demanderesse a tenté de la solliciter : lorsqu’elle a demandé de l’aide après avoir été battue, la police l’a renvoyée en lui disant que son affaire était une [traduction« affaire familiale ». La demanderesse a été battue à nouveau, plus sévèrement, par le même homme, lequel avait cette fois‑ci cinq complices avec lui.

[18]  Ayant conclu que la demanderesse était crédible, la Commission n’a pas abordé cet ensemble troublant d’exactions lorsqu’elle a conclu que la protection de l’État était efficace. La Commission n’a pas non plus abordé les éléments de preuve concernant le traitement que les policiers avaient réservé à la demanderesse lorsqu’elle a conclu qu’il était déraisonnable que la demanderesse ne prenne pas d’autres mesures pour obtenir la protection de l’État, y compris la déclaration concernant les affaires familiales et le viol. À mon avis, la Commission devait aborder à la fois la réaction de la police et l’incident subséquent dans ses motifs avant de conclure que la protection de l’État était adéquate. Le défaut de les aborder était déraisonnable.

  ii.  La PRI

[19]  La demanderesse prétend que la Commission a apprécié de manière déraisonnable le deuxième volet du critère relatif à la PRI, déclarant que la Commission a tiré des conclusions relatives au niveau d’études, à l’emploi et au logement à Walvis Bay, sans fournir des références particulières à la preuve contradictoire ou au profil de la demanderesse en tant que mère célibataire et victime de violences. Ce faisant, la Commission n’a pas respecté les exigences établies dans Cepeda.

[20]  En outre, la demanderesse souligne le traitement qu’elle reçoit depuis 2017 au sujet de ses problèmes de santé mentale. Elle fait valoir que la décision était déraisonnable, parce que la Commission n’a pas tenu compte de ces circonstances particulières ayant trait à la santé mentale durant son analyse du deuxième volet du critère relatif à la PRI.

[21]  Je suis une fois de plus convaincu par les arguments de la demanderesse. La Commission a déclaré qu’elle avait examiné le profil actuel de la demanderesse, mais elle n’a pas reconnu son profil en tant que mère célibataire de deux jeunes enfants. La Commission n’a pas non plus abordé le rapport psychiatrique et, de ce fait, il se peut qu’elle ait écarté ou oublié de prendre en compte les éléments de preuve concernant la santé mentale de la demanderesse et le traitement qu’elle avait reçu pendant plus de deux ans dans un grand hôpital de Toronto. La Commission n’a pas mentionné le diagnostic ni le pronostic, du personnel psychiatrique, au sujet des divers problèmes de santé mentale touchant la demanderesse et de ce qui, selon le médecin, l’attendrait en Namibie si elle y retournait. Évidemment, il se peut que la Commission ait eu des réserves quant au rapport psychiatrique et à ses conclusions, mais personne ne le saurait, compte tenu du silence dans les motifs sur ces éléments de preuve.

[22]  Deux exemples d’erreurs semblables concernant des situations de PRI ont eu lieu dans le passé dans (i) Cartagena c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 289 (Cartagena), au paragraphe 11, où le juge Mosley a conclu que « [l]a preuve psychologique est capitale lorsqu’il s’agit de déterminer si la PRI est raisonnable; on ne peut en faire fi », et (ii) dans Okafor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1002 (Okafor), où le juge Beaudry a adopté la décision Cartagena concernant la même erreur.

[23]  En l’espèce, tout comme dans Cartagena et Okafor, la Commission n’a pas tenu compte de la situation personnelle et des problèmes de santé mentale de la demanderesse dans le cadre du deuxième volet du critère relatif à la PRI, ce qui a rendu sa décision déraisonnable.

V.  Conclusion

[24]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2459‑18

LA COUR STATUE :

  1. que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. que la décision de la Section de la protection des réfugiés est annulée et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision;

  3. qu’aucune question n’a été soumise en vue de la certification et que l’affaire n’en soulève aucune;

  4. qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de janvier 2019

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2459‑18

 

 

INTITULÉ :

CLARETHA KAUHONINA c MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 NOVEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 21 DÉCEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

SWATHI VISALAKSHI SEKHAR

POUR LA DEMANDERESSE

LORNE McCLENAGHAN

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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