Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190107


Dossier : IMM-1598-18

Référence : 2019 CF 15

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

NZIDEE YEMISI ROSSY

NZIDEE SOPHIA WAAKO

NZIDEE TAMBARI EMMANUEL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs, Mme Yemisi Rossy Nzidee et ses deux enfants mineurs, sont des citoyens du Nigéria qui craignent d’être persécutés par le groupe extrémiste islamiste Boko Haram (BH), au Nigéria. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté leur demande d’asile au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) au motif qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État au Nigéria.

[2]  La Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la SPR, concluant que les demandeurs n’ont ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger. Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR au motif que la conclusion de la SAR relative à la protection de l’État était déraisonnable. Le défendeur soutient que les demandeurs prient essentiellement la Cour de soupeser à nouveau la preuve.

[3]  Bien que les demandeurs soient en désaccord avec la conclusion de la SAR relative à la protection de l’État, cette conclusion est étayée par les éléments de preuve. Il n’appartient pas à la Cour d’examiner ou de soupeser à nouveau la preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire. La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Contexte

[4]  Mme Nzidee signale que son mari est un officier supérieur de l’armée nigériane. Ses fonctions comprennent la prestation de services de renseignements aux autorités du Nigéria au sujet de l’EIIS, qui a des liens avec BH.

[5]  Les demandeurs craignent d’être persécutés par BH en raison du travail du mari et de leur foi chrétienne. Mme Nzidee a appris qu’ils étaient recherchés par BH alors qu’elle et ses enfants étaient au Canada : un ami l’a informée qu’une lettre menaçante avait été laissée à sa résidence à Lagos. Elle signale qu’elle a demandé la protection de la police nigérienne par son ami et que son mari a demandé l’aide de l’armée nigériane. Aucune n’était prête à aider ou à fournir une assurance de protection.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[6]  Dans sa décision, la SAR a tout d’abord examiné les nouveaux éléments de preuve proposés par les demandeurs. Hormis une lettre du mari de Mme Nzidee, la SAR a conclu que les éléments de preuve étaient inadmissibles, puisque les critères énoncés au paragraphe 110(4) de la LIPR n’ont pas été satisfaits.

[7]  Dans le cadre de son examen de la question de la protection de l’État, la SAR s’est penchée sur la conclusion de la SPR selon laquelle BH présentait un risque dans le nord du Nigéria, mais qu’il y avait peu d’éléments de preuve d’activités de BH dans le sud, y compris à Lagos.

[8]  La SAR a souligné le manque d’éléments de preuve relatifs aux activités de BH à Lagos et dans le sud. Elle a également souligné que les éléments de preuve indiquaient que les efforts du Nigéria visant à freiner les activités du groupe et à éradiquer l’organisation dans le sud ont été très efficaces. Elle a conclu que la SPR n’a pas eu tort lorsqu’elle a conclu que le Nigéria prenait des mesures efficaces pour contrer la menace de BH.

[9]  En évaluant les efforts des demandeurs visant à obtenir la protection de l’État, la SAR a examiné la preuve. La SAR a souligné que la réception de la lettre de menace a été déclarée à la police civile par un voisin et qu’un rapport a également été fait à la police militaire. La SAR a également souligné que l’on n’a pas donné suite à ces rapports initiaux, ce à quoi l’on pourrait s’attendre, selon elle, compte tenu de la gravité de la menace. Elle a conclu que les demandeurs « n’ont présenté guère d’éléments de preuve démontrant qu’ils ont fait un effort considérable pour donner suite aux signalements faits aux autorités ou pour obtenir une protection contre la menace ».

[10]  La SAR a tenu compte de la preuve par affidavit de la mère de Mme Nzidee et d’un voisin, mais y a accordé peu de poids. Elle a noté qu’elle préférait la preuve documentaire relative à la protection de l’État contre BH aux « opinions de deux individus qui n’ont aucune expertise connue dans l’évaluation de la protection de l’État ». La SAR a également tenu compte d’une lettre du mari de Mme Nzidee, le nouvel élément de preuve qu’elle a jugé admissible. La SAR a souligné que la lettre précisait que le mari a effectué un suivi concernant l’enquête militaire. Elle a également souligné que la lettre signalait que l’enquête n’était pas concluante et que la sécurité n’était pas disponible pour sa famille.

[11]  La SAR a jugé qu’il n’était pas crédible que le mari attende le rejet des demandes des demandeurs avant d’effectuer un suivi auprès des autorités. Elle a réitéré que la preuve documentaire démontrait que la protection de l’État dans le sud du Nigéria était efficace et elle a indiqué qu’une protection de l’État adéquate ne nécessitait pas un service de sécurité personnelle, comme le suggérait le mari. La SAR a souligné que la preuve indiquait que la protection de l’État était efficace et elle a accordé peu de poids à la lettre.

[12]  La SAR a conclu que la SPR n’a pas commis d’erreur dans son analyse de la protection de l’État et que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

IV.  Analyse

[13]  Les demandeurs contestent l’appréciation de la preuve faite par la SAR et les conclusions qu’elle a tirées. Ces questions sont assujetties à la norme de la décision raisonnable (Murugesu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 819, au paragraphe 15, citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35).

[14]  Les demandeurs affirment que la SAR a commis les erreurs suivantes :

  1. Dans son évaluation de la protection de l’État, elle a ignoré ou omis d’examiner les éléments de preuve du cartable national de documentation (CND) :

  1. indiquant que les personnes en vue, y compris les officiers supérieurs de l’armée et de la police, peuvent être ciblées par BH ou de reconnaître que les demandeurs correspondent à ce profil;

  2. décrivant de nombreuses attaques par BH dans le sud du Nigéria et à Lagos en particulier, et la propagation de la violence à Lagos;

  3. indiquant une absence générale de protection de l’État en lien avec BH.

  1. Lorsqu’elle a affirmé que les demandeurs auraient vraisemblablement un accès accru à la protection de l’État, la SAR a imposé une norme trop élevée pour réfuter la protection de l’État; les demandeurs devaient uniquement démontrer qu’ils ont fait tout ce qui était raisonnable dans les circonstances pour obtenir la protection de l’État.

  2. La SAR a adopté un point de vue occidental pour évaluer les efforts du mari pour assurer un suivi concernant l’enquête de la police nigériane.

[15]  J’ai soigneusement examiné les motifs de la SAR et il est évident que la SAR n’a pas fait abstraction d’éléments de preuve. La SAR a abordé le profil des demandeurs et a expressément souligné que BH cible les chrétiens et les officiers supérieurs de l’armée et de la police. Toutefois, elle a également souligné l’absence d’éléments de preuve indiquant que BH cible régulièrement des personnes dans le sud. La SAR a également reconnu l’existence de certains éléments de preuve d’activité de BH dans le sud, relevant une attaque de BH contre un dépôt de carburant à Lagos en 2014 et de nombreux reportages relatifs aux arrestations de membres de BH, y compris un reportage portant sur l’arrestation de six membres à Lagos en 2016. Elle a souligné que les six personnes arrêtées fuyaient des agents de l’État dans le nord – elles ne planifiaient ni n’effectuaient d’opérations ou d’attaques à Lagos. La SAR a également conclu que cet élément de preuve démontrait l’efficacité des efforts du Nigéria visant à freiner les activités de BH et à éradiquer l’organisation.

[16]  Les demandeurs affirment que la SAR a ignoré des éléments de preuve contradictoires précis. Cependant, la preuve documentaire invoquée par les demandeurs ne contredit pas la conclusion de la SAR selon laquelle BH n’était pas actif dans une mesure importante dans le sud du Nigéria ou la protection de l’État n’était pas disponible.

[17]  Il ressort clairement d’un examen de la décision que la SAR avait connaissance des rapports invoqués par les demandeurs à l’appui de leur position et qu’elle a en fait cité du contenu de plusieurs de ces rapports. À titre d’exemple, les demandeurs invoquent une Réponse à la demande d’information intitulée NGA105451.EF, Nigéria : information sur la capacité de Boko Haram de pourchasser des personnes qui se réinstallent dans une autre région ou une autre ville, notamment Lagos. Bien que ce rapport suggère que BH pourrait cibler des personnes en dehors du nord du Nigéria, il indique également qu’il n’y a pas eu d’attaques ciblées contre des personnes dans le sud du Nigéria et qu’il y a très peu d’attaques en général. Il indique explicitement que BH est presque entièrement inactif à Lagos et que les mesures de sécurité compliquent les activités de BH à cet endroit. La SAR a tenu compte de ce rapport et elle a conclu de façon raisonnable qu’il indiquait que BH était essentiellement inactif dans le sud du Nigéria.

[18]  Les demandeurs ont également fait référence au document NGA105320.EF, Nigéria : information sur la situation des chrétiens, y compris ceux qui vivent dans les villes du Nord, à Lagos et à Abuja; la protection offerte par l’État. Même si la SAR ne cite pas ce rapport, elle aborde certains des renseignements qu’il contient. La SAR mentionne des attaques à Lagos et des arrestations de membres de BH à Lagos qui sont mentionnées dans le rapport. Le rapport porte également sur la « situation des chrétiens et les activités de Boko Haram à Lagos », indiquant que « la situation des chrétiens dans l’État de Lagos est “normale” et qu’ils vivent “paisiblement” aux côtés de gens d’autres religions [...] [et] que les autorités de l’État de Lagos et la police nigériane [TRADUCTION] “ont renforcé la sécurité” pour que les gens puissent pratiquer leur religion à Lagos ». La SAR était au courant du rapport et, encore, son contenu n’est pas incohérent avec ses conclusions.

[19]  Au moment d’évaluer le risque que présente BH dans le sud et l’effet de ce risque sur les personnes ayant le profil des demandeurs, la SAR n’avait aucune obligation d’évaluer et de traiter chaque élément de preuve contradictoire. La conclusion de la SAR selon laquelle la preuve n’indiquait pas que BH était actif dans une grande mesure dans le sud est une conclusion conforme à la preuve et que la SAR pouvait raisonnablement tirer.

[20]  Je ne suis pas non plus convaincu que la SAR, lorsqu’elle a conclu que les demandeurs étaient en meilleure position que le citoyen moyen d’accéder à la protection de l’État, a imposé une norme plus élevée aux demandeurs pour réfuter la présomption de protection de l’État. Les commentaires de la SAR à cet égard soulignent ses préoccupations relatives à l’absence d’efforts pour assurer un suivi relativement aux plaintes initiales à la police, compte tenu du poste de haut niveau du mari de Mme Nzidee dans l’appareil de sécurité du Nigéria. La SAR remarque expressément que la protection de l’État a été évaluée en fonction « des mesures que l’État met en place afin d’offrir une protection à ses citoyens et par les résultats concrets obtenus grâce à ces mesures ».

[21]  La SAR a examiné les efforts des demandeurs afin d’obtenir la protection des autorités militaires et civiles, en remarquant l’absence de suivi relativement aux plaintes initiales. Elle a jugé que les efforts étaient insatisfaisants et elle avait le droit de considérer qu’il s’agissait d’un facteur négatif dans son analyse de la protection de l’État. La SAR a également souligné la preuve confirmant les réussites du Nigéria dans la lutte contre la menace présentée par BH, en particulier dans le sud, et il était loisible à la SAR de conclure que cela démontrait l’efficacité opérationnelle des efforts de l’État.

[22]  Même s’il existe, comme l’affirment les demandeurs, des éléments de preuve contradictoires indiquant qu’une protection efficace n’est peut-être pas offerte aux personnes menacées par BH au Nigéria, la preuve a trait aux secteurs où BH est actif ou a de l’influence. Il aurait pu être préférable que la SAR aborde directement ces éléments de preuve contradictoires au moment d’évaluer s’il y a une preuve claire et convaincante réfutant la présomption de protection de l’État. Cependant, cette omission doit être évaluée dans le cadre de la conclusion de la SAR selon laquelle BH n’était pas actif dans une quelconque mesure importante dans le sud.

[23]  Dans mon examen de la décision de la SAR, je suis tenu d’accorder une « attention respectueuse » aux motifs du décideur et de me garder de substituer mes propres opinions à celles de ce dernier en qualifiant de fatales certaines omissions que j’ai relevées dans les motifs (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 17). En examinant la conclusion relative à la protection de l’État, à la lumière du dossier de preuve, je suis incapable de conclure que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle.

V.  Conclusion

[24]  La demande est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier et aucune ne se pose.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1598-18

LA COUR STATUE que :

  1. la demande est rejetée;

  2. aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour de janvier 2019.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1598-18

 

INTITULÉ :

NZIDEE YEMISI ROSSY, NZIDEE SOPHIA WAAKO, NZIDEE TAMBARI EMMANUEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er novembre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 janvier 2019

COMPARUTIONS :

Me Akinwumi Reju

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Me David Joseph

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Topmarke Attorneys

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.