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Date : 20190108


Dossier : IMM‑1649‑18

Référence : 2019 CF 18

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

AIMIN FENG

QUIHONG NIU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs, M. Aimin Feng et Mme Quihong Niu, qui sont mari et femme, sont des citoyens de la Chine qui déclarent être des adeptes du Falun Gong. Ils ont demandé l’asile au Canada parce qu’ils craignent d’être persécutés en Chine.

[2]  La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté leur demande d’asile. En mars 2018, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté leur appel. Ils sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Les demandeurs soutiennent que la SAR a manqué à l’équité procédurale en ne les avisant pas de son intention d’appliquer un nouveau guide jurisprudentiel [le Guide]. Ils soutiennent en outre que la SAR a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en appliquant le Guide et en écartant des éléments de preuve de façon déraisonnable dans son évaluation de la demande d’asile présentée sur place par les demandeurs. Le défendeur soutient que la décision était raisonnable et que le processus était équitable.

[3]  Je ne suis pas convaincu que le renvoi de la SAR au guide jurisprudentiel ait violé les droits à l’équité procédurale des demandeurs, ni qu’en appliquant le Guide, la SAR ait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Cependant, je suis persuadé que la conclusion de la SAR selon laquelle les demandeurs ont présenté des documents frauduleux à l’appui de leur demande d’asile, ainsi que son traitement des éléments de preuve à l’appui de la demande d’asile présentée sur place par les demandeurs, étaient déraisonnables. La demande est accueillie pour les motifs qui suivent.

II.  Contexte

[4]  Les demandeurs déclarent qu’ils ont adhéré à la pratique du Falun Gong en 2014. En mars 2015, leur groupe de pratique du Falun Gong a fait l’objet d’une descente du Bureau de la sécurité publique [le BSP]. Ils se sont évadés. Ils ont appris par la suite que deux autres adeptes avaient été arrêtés et qu’ils étaient recherchés par le BSP. Avec l’aide d’un passeur, ils ont quitté la Chine à destination des États‑Unis, au moyen de leurs propres passeports. Ils sont entrés au Canada depuis les États‑Unis et ont présenté une demande d’asile en avril 2015.

[5]  Lors de l’examen de la demande d’asile des demandeurs, la SPR a jugé que la crédibilité constituait l’aspect déterminant. La SPR a tiré de nombreuses inférences défavorables quant à la crédibilité en ce qui avait trait à des aspects essentiels de la demande d’asile, puis a conclu que les conclusions et inférences défavorables minaient la crédibilité générale des demandeurs. La SPR a aussi conclu que les demandeurs n’avaient pas établi le bien‑fondé de leur demande d’asile sur place.

[6]  Les demandeurs ont interjeté appel de la conclusion de la SPR auprès de la SAR. Ils ont mis en état leur appel en juillet 2017. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a publié, après la mise en état de leur appel, le Guide jurisprudentiel – Décision TB6‑11632, qui traite de la sortie de la Chine.

III.  La décision faisant l’objet du présent contrôle

[7]  La SAR a confirmé diverses conclusions non contestées de la SPR.

[8]  La SAR a ensuite consulté un document que la SPR avait qualifié de sommation. Les demandeurs s’étaient fondés sur la sommation pour démontrer qu’ils étaient recherchés par le BSP. La SPR a accordé peu de poids à cette sommation. Elle a conclu qu’il était peu probable que les demandeurs aient pu quitter la Chine au moyen de leurs propres passeports si une sommation avait été délivrée. La SPR a aussi souligné qu’il était facile de se procurer des documents frauduleux en Chine et que la sommation aurait facilement pu être une fabrication.

[9]  La SAR a conclu que le document était en réalité une assignation à comparaître, plutôt qu’une sommation. Elle a conclu que le document était incompatible avec l’allégation des demandeurs selon laquelle le BSP avait arrêté d’autres adeptes du Falun Gong ainsi qu’avec leur crainte d’être arrêtés. La SAR a ensuite souligné qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que le BSP ait pris d’autres mesures pour appréhender les demandeurs, compte tenu de leur défaut de répondre à l’assignation à comparaître et des questions pressantes du BSP dont ils avaient fait part dans leur déclaration. La SAR a accordé peu de poids à l’assignation à comparaître, en concluant qu’elle était frauduleuse, puis a conclu que la situation jetait un doute sur la crédibilité des demandeurs.

[10]  Dans l’examen qu’elle a effectué au sujet de la sortie de la Chine des demandeurs, la SAR a souligné le recours à un passeur et l’existence de corruption systématique en Chine. Cependant, la SAR a conclu que la preuve portant sur le fait que les demandeurs avaient eu recours à un passeur était très générale et que la prépondérance de la preuve documentaire indiquait qu’il n’était pas possible que des personnes recherchées par les autorités en Chine aient pu sortir du pays. La SAR a souligné que le Guide publié récemment corroborait sa conclusion à cet égard.

[11]  La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’avaient pas une connaissance suffisante du Falun Gong pour démontrer qu’ils étaient d’authentiques adeptes.

[12]  Dans son analyse du fait que les demandeurs avaient présenté leur demande d’asile sur place, la SAR a conclu que la preuve photographique montrait seulement la présence des demandeurs à un endroit particulier et que la preuve ne permettait pas de conclure à leur adhésion au Falun Gong. Dans son examen des lettres d’autres adeptes, la SAR a souligné que les auteurs n’avaient pas énoncé les qualifications qui leur permettaient de conclure que les demandeurs étaient des adeptes et qu’ils n’avaient pas abordé la question de ce qui faisait d’eux des adeptes du Falun Gong. La SAR a accordé peu de poids aux photographies et aux lettres. Par conséquent, et comme elle avait souligné l’absence de preuve convaincante selon laquelle les activités des demandeurs au Canada avaient été portées à l’attention des autorités en Chine, la SAR a conclu que la preuve était insuffisante pour établir le bien‑fondé de la demande d’asile présentée sur place.

[13]  La SAR a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

IV.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[14]  Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

  1. L’application du Guide par la SAR sans leur en avoir donné avis porte‑t‑elle atteinte à leurs droits en matière d’équité procédurale?

  2. En appliquant le Guide, la SAR a‑t‑elle entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et omis d’apprécier les faits propres à leur demande d’asile?

[15]  En ce qui concerne l’examen des atteintes alléguées en matière d’équité procédurale, dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée], la Cour d’appel fédérale a récemment analysé ce qu’un tribunal est prié d’évaluer. La Cour d’appel a statué que dans les cas où il est question d’équité, une cour de révision est priée d’examiner si la procédure était « équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » et si « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre ». La Cour d’appel a reconnu qu’il est maladroit d’utiliser la terminologie de la norme de contrôle lorsqu’il s’agit d’examiner des questions d’équité et a jugé qu’« à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée », mais a conclu que c’est la norme de la décision correcte qui reflète le mieux le rôle de la cour (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, aux paragraphes 52 à 56).

[16]  Les parties conviennent que les questions relatives à l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire et aux conclusions de fait ou aux conclusions mixtes de fait et de droit doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 388, aux paragraphes 17 et 18; Stemijon Investments Ltd. c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, aux paragraphes 20 à 24).

V.  Analyse

A.  L’application du Guide par la SAR sans en avoir donné avis aux demandeurs porte‑t‑elle atteinte à leurs droits à l’équité procédurale?

[17]  Les demandeurs prétendent qu’en tenant compte du Guide qui est entré en vigueur après le dépôt de leur appel sans les en aviser, la SAR a violé leur droit de connaître la preuve à réfuter et d’y répondre. Je ne souscris pas à leur prétention.

[18]  Le Guide en question a été désigné comme guide jurisprudentiel le 18 juillet 2017. Il est fondé sur une décision de la SAR qui traite de la possibilité pour un particulier de quitter la Chine au moyen de son propre passeport lorsqu’il est recherché par les autorités chinoises, notamment au moyen du système du Bouclier d’or du gouvernement chinois (SAR, TB6‑11632, Leonard Favreau, le 30 novembre 2016).

[19]  L’alinéa 159(1)h) de la LIPR prévoit que le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] peut préciser les décisions de la Commission qui serviront de guide jurisprudentiel. La partie 9 de la Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels de la CISR traite de l’effet de la désignation d’une décision comme guide jurisprudentiel, en précisant ce qui suit :

Les décisions qui servent de guide jurisprudentiel seront communiquées au public. La décision choisie et les motifs seront publiés en français et en anglais et, s’il y a lieu, les renseignements signalétiques seront supprimés pour protéger la vie privée de l’intéressé. On s’attend à ce que les parties et leur conseil soient au courant des décisions qui servent de guide jurisprudentiel.

Dès que le président décide de préciser une décision qui servira de guide jurisprudentiel, il doit également diffuser un avis pour énoncer la portée du guide jurisprudentiel.

On s’attend des commissaires à ce qu’ils suivent le raisonnement exposé dans une décision qui sert de guide jurisprudentiel, conformément au texte d’accompagnement, à moins qu’il n’existe une raison de ne pas le faire, lorsque les faits sous‑jacents ressemblent suffisamment à l’affaire qui doit être tranchée pour justifier l’application du raisonnement du guide jurisprudentiel.

Un commissaire doit expliquer pourquoi il ne souscrit pas au raisonnement formulé dans un guide jurisprudentiel lorsque, compte tenu des circonstances de l’affaire, on s’attendrait à ce qu’il observe le guide jurisprudentiel. [Souligné dans l’original.]

[20]  Le juge Sébastien Grammond a récemment examiné les sources et la justification des guides jurisprudentiels dans Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 561 [Singh]. Le juge Grammond a souligné que la LIPR prévoit un système pour trancher un grand nombre de demandes d’asile. La capacité du président à établir des directives, conjuguée aux attentes que les commissaires suivent ces directives conformément à la politique, ou expliquent pourquoi ils s’en écartent, vise à atteindre l’objectif important de traiter les cas semblables de façon uniforme. L’utilisation des guides jurisprudentiels est analogue à l’application d’un précédent par les tribunaux (Singh, aux paragraphes 4 à 6).

[21]  La politique de la CISR prévoit qu’un guide jurisprudentiel « ser[a] communiqué au public » et qu’« [o]n s’attend à ce que les parties et leur conseil soient au courant des décisions qui servent de guide jurisprudentiel ». Les demandeurs ne laissent pas entendre que le Guide n’a pas été communiqué conformément à la politique de la CISR; cependant, ils font valoir qu’en l’absence d’une disposition législative précise, l’obligation d’agir équitablement nécessite qu’un avis leur soit néanmoins donné. Les demandeurs s’appuient sur l’arrêt Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9 [Charkaoui], de la Cour suprême du Canada pour faire valoir qu’une audience équitable comprend le droit de l’intéressé à être informé des allégations formulées contre lui.

[22]  L’arrêt Charkaoui traitait de la délivrance de certificats d’interdiction de territoire sur la foi de documents secrets. Il est facile de distinguer cette situation de la présente affaire. En l’espèce, il ressort du dossier que le Guide a été rendu public et que les demandeurs et leur avocat y ont eu accès avant la rédaction définitive de leurs observations à la SAR.

[23]  Les demandeurs font en outre valoir que la prise en compte du Guide par la SAR soulevait une nouvelle question ou constituait un cas où elle avait agi de sa propre initiative sans préavis. Les questions véritablement nouvelles sont « différentes, sur les plans juridique et factuel, des moyens d’appel soulevés par les parties » (R. c Mian, 2014 CSC 54, au paragraphe 30, [2014] 2 RCS 689). Il m’est impossible de conclure qu’une nouvelle question a fait surface ou que la SAR a agi de sa propre initiative. Les questions soulevées et abordées dans le Guide n’étaient ni nouvelles ni inconnues des demandeurs. Il a plutôt été établi que la possibilité de sortir de la Chine pour les demandeurs, alors qu’ils étaient recherchés par le BSP, était en litige dans l’appel devant la SAR. La SAR n’agissait pas non plus de sa propre initiative lorsqu’elle a tenu compte du guide. Elle mettait plutôt en œuvre la politique énoncée de la CISR, soit de tenir compte de l’orientation jurisprudentielle visant à favoriser l’uniformité du traitement des cas semblables devant la CISR.

[24]  Les demandeurs contestent aussi le fait que la SAR a tenu compte de la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 762 [Huang], que la Cour a récemment rendue. Ils font valoir que la décision Huang aurait dû être portée à leur attention, puisqu’elle a été rendue après la présentation de leurs observations à la SAR.

[25]  La SAR a renvoyé à Huang afin de souligner la jurisprudence traitant de la possibilité pour un demandeur d’asile de quitter la Chine. Huang résumait l’argumentation contraire à la conclusion présentée dans le Guide et était donc favorable à l’argument des demandeurs. La SAR s’est appuyée sur Huang uniquement pour énoncer les principaux points relevés dans la jurisprudence antérieure – et non à l’appui de ses conclusions. Dans ces circonstances, il m’est impossible de conclure que le défaut de porter Huang à l’attention des demandeurs équivalait à un manquement à l’équité.

[26]  En résumé, la SPR a expressément traité la question du contrôle des sorties de la Chine et du projet Bouclier d’or, après quoi cette question a été l’une de celles soulevées en appel devant la SAR. Contrairement à la position défendue par les demandeurs, la prise en compte du Guide par la SAR et son renvoi à la décision Huang n’ont pas enfreint les droits des demandeurs à l’équité procédurale.

B.  En appliquant le Guide, la SAR a‑t‑elle entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et omis d’apprécier les faits propres à la demande d’asile des demandeurs?

(1)  Entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire

[27]  Les demandeurs font valoir que les guides jurisprudentiels visent à éclairer les décideurs, mais qu’ils ne dégagent pas ces derniers de l’obligation d’apprécier les circonstances de chaque cas. Ils soutiennent qu’en se fondant sur le Guide, la SAR a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable en ne tenant pas compte des circonstances de l’affaire dont elle était saisie. Je n’en suis pas convaincu.

[28]  L’examen de la décision de la SAR en ce qui a trait à la sortie des demandeurs de la Chine démontre qu’elle a tenu compte de l’ensemble du dossier dont elle disposait et que, ce faisant, elle a pris connaissance de l’enregistrement audio de l’audience devant la SPR. La décision de la SAR traite ensuite des arguments invoqués par les demandeurs lors de l’appel. La SAR souligne que l’exposé circonstancié des demandeurs concernant leur sortie de la Chine ne précisait pas suffisamment le rôle du passeur, et que la preuve relative à l’offre de pots‑de‑vin aux fonctionnaires était « une déclaration très générale ». La SAR conclut ensuite que « la prépondérance des éléments de preuve documentaire versés au dossier établit qu’il est impossible pour une personne qui est recherchée par les autorités de quitter la Chine ».

[29]  Après avoir tiré ses propres conclusions, la SAR aborde ensuite la question du Guide, mais ce faisant elle souligne que sa conclusion est « étayée » par le Guide. Le fait que la SAR se soit appuyée sur le Guide, parce que celui‑ci étayait une conclusion tirée après que la SAR eut effectué son propre examen du dossier, des observations et de la preuve documentaire, n’est tout simplement pas compatible avec l’argument des demandeurs selon lequel la SAR a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en appliquant le Guide. Elle ne l’a pas fait.

(2)  L’appréciation des faits

[30]  Les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur dans son examen et son évaluation de l’assignation à comparaître et que cette erreur mine le caractère raisonnable de la décision de la SAR. Je souscris à leur prétention.

[31]  La SAR a conclu que l’assignation à comparaître était frauduleuse; toutefois, elle n’a pas examiné le document en question. Le décideur doit en faire plus que de simplement mentionner que le document est « simple » ou qu’il pourrait être « produit par quiconque à l’aide de techniques de traitement de texte de base », ou de souligner un énoncé général figurant dans la preuve documentaire selon lequel est possible d’obtenir des documents frauduleux. Cette preuve pourrait étayer une conclusion d’inauthenticité, mais la conclusion elle‑même doit être fondée sur quelque chose de plus. Elle ne l’est pas en l’espèce.

[32]  Le défendeur fait valoir que l’authenticité de l’assignation à comparaître ne permettait pas de trancher la question, la question déterminante étant celle de la crédibilité. Je ne souscris pas à sa prétention. Il ne fait aucun doute que la conclusion de la SAR selon laquelle l’assignation à comparaître était frauduleuse a eu une influence sur l’appréciation globale de la SAR quant à la crédibilité de la demande d’asile des demandeurs.

[33]  Les demandeurs invoquent aussi la conclusion de la SAR selon laquelle le document en question n’était pas une sommation de droit pénal de nature coercitive, mais plutôt une assignation à comparaître en tant que témoin seulement. Ils ne contestent pas la conclusion de la SAR selon laquelle le document est probablement une assignation à comparaître, mais font valoir que, par suite de cette conclusion, la SAR devait examiner si une assignation à comparaître exigeant la comparution était un élément du programme du Bouclier d’or. Les demandeurs attirent l’attention sur la preuve documentaire selon laquelle seules les personnes qui font l’objet d’une sanction pénale ou sont des suspects ou des défendeurs dans des affaires criminelles sont visées.

[34]  Puisque j’ai conclu que c’est de façon déraisonnable que la SAR a jugé que l’assignation à comparaître était frauduleuse, la SAR a aussi commis une erreur en omettant d’examiner si les personnes nommées dans une assignation à comparaître, par opposition à celles nommées dans une sommation à comparaître relativement à des infractions criminelles, auraient été visées par le programme du Bouclier d’or.

[35]  Je suis aussi d’avis que la SAR a commis une erreur dans son appréciation des lettres présentées à l’appui de la demande d’asile sur place.

[36]  La SAR a accordé peu de poids à ces lettres, en évoquant deux préoccupations. Tout d’abord, la SAR a souligné que les auteurs n’avaient pas expliqué ce qui faisait des demandeurs des adeptes du Falun Gong. En fait, la préoccupation de la SAR mettait l’accent sur ce que les lettres ne mentionnaient pas.

[37]  Il ressort clairement de la jurisprudence qu’un décideur doit se pencher sur ce que mentionne la preuve, plutôt que sur ce qu’elle ne mentionne pas (Sitnikova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 464, aux paragraphes 22 à 24). En l’espèce, d’après les lettres, les auteurs sont des adeptes du Falun Gong qui ont observé les rites de cette religion avec les demandeurs et l’un des auteurs avait étudié le Fa avec eux. La SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte de ce qui était dit, puis lorsqu’elle a procédé à l’appréciation de la valeur probante et du poids à accorder aux lettres sur ce motif.

[38]  La SAR a aussi écarté la preuve parce que les auteurs n’avaient pas énoncé leurs qualifications. À cet égard, je souscris aux observations des demandeurs selon lesquelles les lettres n’avaient pas été présentées à titre de preuve d’expert et il est difficile d’établir quel genre de qualifications la SAR recherchait. Si la SAR doutait de l’authenticité des lettres, il lui était loisible d’expliquer pourquoi, ou de prendre des mesures pour en vérifier l’authenticité (Paxi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 905, au paragraphe 52; Downer c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 45, au paragraphe 63). Or, elle ne l’a pas fait. L’appréciation des lettres qu’a faite la SAR était déraisonnable.

VI.  Conclusion

[39]  La demande est accueillie. Les parties n’ont pas relevé de question grave de portée générale aux fins de la certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑1649‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour nouvelle décision.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour de janvier 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1649‑18

 

INTITULÉ :

AIMIN FENG QUIHONG NIU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER NOVEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 JANVIER 2019

 

COMPARUTIONS :

John Gravel

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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