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Date : 20181219


Dossier : IMM‑2334‑18

Référence : 2018 CF 1278

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

SANTHAKUMAR AIYATHURAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Elle vise une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [SPR] en date du 24 avril 2018, par laquelle la demande d’asile du demandeur a été rejetée [décision].

II.  Faits

[2]  Citoyen tamoul du Sri Lanka né le 23 mai 1969, le demandeur affirme être né et avoir grandi dans la péninsule de Jaffna, ancien bastion des Tigres de libération de l’Eelam tamoul [TLET]. Il dit avoir fui le Sri Lanka en avril 2012 avec l’aide d’un agent/passeur et s’est rendu aux États‑Unis le 11 avril 2012 avant d’arriver au Canada le 6 juin 2012 pour demander l’asile.

[3]  Le demandeur a déposé son formulaire sur les renseignements personnels [FRP] le 5 juillet 2012. À cette époque, il était représenté par un parajuriste titulaire d’un permis. Environ six ans après avoir déposé son FRP et n’ayant reçu aucune nouvelle pendant cette période, il a été convoqué à une audience devant la SPR le 23 mars 2018 dans le cadre de laquelle un pasteur l’a représenté.  

[4]  À l’audience, la SPR a rendu une décision de vive voix rejetant la demande d’asile, concluant que le témoignage du demandeur a donné lieu à « plusieurs préoccupations importantes quant à la crédibilité ». Cela dit, la SPR a jugé crédible la preuve relative à son identité, à sa nationalité, à son origine ethnique et à son groupe social.

[5]  Le pasteur n’a déposé aucune pièce écrite à l’appui de la demande du demandeur, y compris en ce qui concerne la situation au Sri Lanka. Le pasteur n’a posé aucune question à la suite de celles posées par la SPR (ce qu’on appelle en termes techniques un réinterrogatoire). Il n’a pas non plus présenté de véritables observations finales ni déposé de telles observations par écrit.

III.  Question en litige

[6]  À mon avis, le demandeur soulève une seule question déterminante, à savoir si son droit à une audience équitable a été violé en raison du fait que la représentation par le pasteur dont le demandeur a bénéficié était manifestement déficiente dans les circonstances de la présente affaire. 

IV.  Norme de contrôle

[7]  Le droit à une audience équitable est une question d’équité procédurale. Les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43. Cela dit, je note que dans l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, au paragraphe 69, la Cour d’appel fédérale a indiqué qu’il peut être opportun de procéder selon la norme de la décision correcte « “en se montrant respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” : Ré:Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 NR 87, au paragraphe 42 »; pour une décision plus récente à cet égard, voir l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69.

[8]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50, la Cour suprême du Canada explique comment doit procéder une cour de justice qui applique la norme de la décision correcte :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

V.  Analyse

[9]  En l’espèce, la question en litige est de savoir si le droit du demandeur à une audience équitable a été violé en raison de la représentation du demandeur par le pasteur dans les circonstances de la présente affaire. Le demandeur soutient, et j’en conviens, que bien qu’il n’existe pas de droit absolu à un avocat, il existe un droit à un procès équitable. Le demandeur soulève donc la question de savoir si l’audience était équitable : Costeniuc c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1495, le juge O’Reilly [Costeniuc]; Austria c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 423, la juge Tremblay‑Lamer; Mervilus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1206 [Mervilus].   

[10]  Plus particulièrement, dans la décision Costeniuc, le juge O’Reilly a fait la remarque suivante, qui s’applique en l’espèce :

[16]  Par conséquent, M. Costeniuc a droit à une nouvelle audience. S’il n’avait pas un droit absolu à la présence d’un conseil, il avait le droit indéniable à une audience équitable. Vu l’ensemble de l’instance, j’estime que ce droit lui a été refusé.

[11]  À mon humble avis, la présente affaire n’a pas fait l’objet d’une audience équitable.

[12]  Bien que le demandeur fût représenté par un pasteur, un examen du dossier me convainc que la « représentation » par le pasteur correspond de fait à une absence de représentation. On propose que la Cour traite le demandeur comme un plaideur non représenté, et j’étais enclin à accepter cette proposition, mais en l’espèce, la situation était pire (si tant est que cela soit possible) puisque le demandeur croyait avoir un représentant, alors qu’en fait, il n’en avait pas.

[13]  Comme susmentionné, le pasteur n’a déposé aucune pièce écrite à l’appui de la demande d’asile du demandeur. Le « représentant » n’a déposé aucun élément de preuve relatif à la situation au Sri Lanka, le pays où serait renvoyé le demandeur si la SPR rejetait sa demande d’asile. Le pasteur n’a posé aucune question à la suite de celles posées par la SPR; en termes techniques, le demandeur n’a mené aucun réinterrogatoire. Toutes ces mesures s’offraient de toute évidence au demandeur, mais le pasteur n’a eu recours à aucune d’entre elles. 

[14]  Une lecture de la transcription de l’audience révèle que le pasteur, lorsqu’on lui a demandé s’il avait des observations finales à présenter, s’est plutôt lancé dans un exposé de sa propre histoire d’immigration au Canada en provenance du Sri Lanka, ce qui était inapproprié. Le « représentant » a ensuite commencé à témoigner de sa propre expérience à l’égard de la situation au Sri Lanka, avant que le tribunal ne mette fin à ces observations tout aussi inappropriées. Par conséquent, selon moi, le demandeur a été privé de toutes les mesures visant à garantir la tenue d’une audience équitable qui s’offrent aux personnes qui demandent l’asile.

[15]  On a fait valoir que la SPR était également fautive. Je n’ai pas besoin de me prononcer sur ce point compte tenu de ma conclusion selon laquelle la présente affaire ne mettait pas en cause le caractère adéquat de la stratégie, des conseils ou des choix de la part du représentant, mais plutôt sur l’absence totale de représentation. 

[16]  Je remarque que, dans la décision Costeniuc, le demandeur n’a pas eu droit à une audience équitable du fait qu’il n’avait pas parlé à son avocate, qu’il n’avait pas vu le dossier de 300 pages, qu’il croyait que son avocate serait présente pour le représenter et qu’il n’avait pas été avisé de son absence. Le demandeur n’avait pas de représentant. De plus, dans la décision Mervilus, il y a eu atteinte à l’équité procédurale lorsque le demandeur a appris, la veille de l’audience, qu’il ne serait pas représenté, qu’il ne pouvait s’exprimer correctement ni organiser sa présentation et qu’il n’avait pas en main les éléments de preuve qu’il avait remis à son avocate. Encore une fois, le demandeur n’avait pas de représentant. Selon moi, la présente affaire s’inscrit dans le même genre d’affaires que Costeniuc et Mervilus. Pour des raisons indépendantes de sa volonté, et à toutes fins utiles, de fait, le demandeur, même s’il a pu penser le contraire, n’était pas représenté.

VI.  Conclusion

[17]  En toute déférence, il y a eu atteinte à l’équité procédurale. Le demandeur n’a pas eu l’audience équitable à laquelle il avait droit. Par conséquent, la décision doit être annulée.

VII.  Question certifiée

[18]  Aucune partie n’a proposé de question de portée générale, et aucune n’est soulevée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2334‑18

LA COUR STATUE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée, l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvel examen, aucune décision n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de janvier 2019.

Sophie Reid‑Triantafyllos, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2334‑18

 

INTITULÉ :

SANTHAKUMAR AIYATHURAI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 décembre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 DÉCEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Robert I Blanshay

 

pOUR LE DEMANDEUR

 

Christopher Crighton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Blanshay Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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