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Date : 20190108


Dossier : T‑1728‑17

Référence : 2019 CF 16

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

ROOTS CORPORATION

demanderesse

et

YM INC. (VENTES)

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.  Le contexte

[1]  Il s’agit d’une demande présentée par Roots Corporation (Roots), la demanderesse, au titre du paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 (la Loi) en vue de faire radier du registre des marques de commerce (le registre) le numéro d’enregistrement de la marque de commerce canadienne TMA961,583. La marque de commerce enregistrée en question appartient à la défenderesse, YM Inc. (Ventes) (YM), et concerne la marque CABIN FEVER et son dessin que voici :

[2]  La marque CABIN FEVER et son dessin ont été enregistrés le 1er février 2017, en liaison avec les produits suivants :

Vêtements tout‑aller, habillés, de ville et de sport pour hommes, femmes et enfants; accessoires de mode, à savoir bagues, boucles d’oreilles, colliers, bracelets, foulards, ceintures, chaussettes, sacs à main, lunettes de soleil; accessoires pour temps froid, à savoir mitaines, gants, foulards, chapeaux, tuques; articles chaussants, à savoir chaussures, bottes, pantoufles et sandales.

[3]  Les deux parties sont des détaillants canadiens prospères qui se concentrent sur les vêtements et les produits connexes. Roots a été fondée en 1973 et exploite des magasins sous son propre nom au Canada, aux États‑Unis et en Asie. YM a été fondée en 1975 et exploite des magasins au Canada sous un certain nombre de marques, y compris « Stitches », « Bluenotes », « Sirens », « Suzy Shier » et « Urban Planet », sa bannière principale. YM exploite également des magasins aux États‑Unis et en Israël.

II.  Les motifs invoqués par Roots

[4]  Le paragraphe 57(1) de la Loi est ainsi libellé :

Juridiction exclusive de la Cour fédérale

Exclusive jurisdiction of Federal Court

57 (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

57 (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the mark.

[5]  Le fait que Roots est une personne intéressée n’est pas contesté.

[6]  L’article 18 de la Loi prévoit les situations dans lesquelles l’enregistrement d’une marque de commerce est réputé invalide :

Quand l’enregistrement est invalide

When registration invalid

18 (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

18 (1) The registration of a trade‑mark is invalid if

a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement;

(a) the trade‑mark was not registrable at the date of registration;

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;

(b) the trade‑mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced;

c) la marque de commerce a été abandonnée;

(c) the trade‑mark has been abandoned; or

d) sous réserve de l’article 17, l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement.

(d) subject to section 17, the applicant for registration was not the person entitled to secure the registration.

Exception

Exception

(2) Nul enregistrement d’une marque de commerce qui était employée au Canada par l’inscrivant ou son prédécesseur en titre, au point d’être devenue distinctive à la date d’enregistrement, ne peut être considéré comme invalide pour la seule raison que la preuve de ce caractère distinctif n’a pas été soumise à l’autorité ou au tribunal compétent avant l’octroi de cet enregistrement.

(2) No registration of a trade‑mark that had been so used in Canada by the registrant or his predecessor in title as to have become distinctive at the date of registration shall be held invalid merely on the ground that evidence of the distinctiveness was not submitted to the competent authority or tribunal before the grant of the registration.

[7]  Une marque de commerce enregistrée bénéficie d’une présomption de validité. Par conséquent, il incombe à Roots de prouver le bien‑fondé de sa cause.

[8]  Roots invoque les trois motifs suivants en faveur de l’invalidation de l’enregistrement de CABIN FEVER et de son dessin :

  • a) au titre de l’alinéa 18(1)d) de la Loi, YM n’était pas la personne ayant le droit d’obtenir l’enregistrement puisque, à la date où elle a présenté la demande (13 janvier 2016), la marque créait de la confusion avec un certain nombre des marques de commerce que Roots avait antérieurement employées et révélées au Canada, et cette confusion contrevenait à l’alinéa 16(3)a) de la Loi;

  • b) au titre de l’alinéa 18(1)b) de la Loi, la marque de commerce n’était pas distinctive à l’époque où avaient été entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement (le 10 novembre 2017);

  • c) La déclaration d’emploi qui a été présentée par YM dans le but d’obtenir l’enregistrement contient des inexactitudes importantes; plus précisément, elle énonce que l’emploi de la marque par YM avait commencé au Canada en liaison avec tous les produits mentionnés dans l’enregistrement, alors qu’en fait, elle n’avait commencé à l’employer qu’en liaison avec certains de ces produits.

[9]  YM conteste les trois motifs invoqués par Roots. Chacun de ces motifs sera abordé tour à tour, plus loin dans la décision.

III.  La preuve

[10]  Chaque partie a soumis deux affidavits. Roots a soumis ceux de James Connell (l’affidavit Connell) et de Meghan Rourke (l’affidavit Rourke). YM a soumis les affidavits d’Eric Grundy (l’affidavit Grundy) et de Joshua Suttner (l’affidavit Suttner).

[11]  M. Connell est le vice‑président, Commerce électronique et marketing, de Roots. Il a fait mention d’un certain nombre de marques de commerce de Roots et présenté de l’information concernant l’histoire et l’évolution de leur emploi, ainsi que les ventes et les activités de marketing qui s’y rattachent. Il a également présenté le contexte général de la société en tant que telle.

[12]  Mme Rourke était une stagiaire en droit travaillant chez les avocats de Roots. À l’aide de la Wayback Machine d’Internet Archive (la Wayback Machine), elle a présenté de l’information concernant l’historique de l’emploi des mots CABIN FEVER sur le site Web d’Urban Planet entre le mois de janvier 2016 et le 17 janvier 2017.

[13]  M. Grundy est le président‑directeur général de YM. Il a présenté un historique de la société et a parlé de l’élaboration de sa gamme de produits CABIN FEVER et de l’emploi de la marque CABIN FEVER et de son dessin.

[14]  M. Suttner était un stagiaire en droit travaillant chez les avocats de YM. Il a présenté les résultats de diverses recherches sur Google concernant la vente de vêtements en ligne au moyen du mot « cabin ». Les mots précis employés dans ses recherches comprenaient les suivants : « cabin socks », « cabin sweater » et « cabin wear ». Il a également fait mention de livres qui emploient certains de ces mots. Les recherches ont été effectuées vers le 28 décembre 2017.

[15]  Roots s’oppose à l’affidavit Suttner et affirme qu’il s’agit d’un élément de preuve irrecevable parce qu’il constitue un opinion d’avocat sur une question litigieuse. Comme je le mentionnerai plus tard dans la présente décision, j’estime que l’affidavit Suttner ne contient pas d’opinion et qu’il est recevable.

IV.  Alinéas 18(1)d) et 16(3)a) – Confusion avec les marques de commerce de Roots le 13 janvier 2016

[16]  Roots se fonde sur l’emploi des marques de commerce suivantes :

  • a) le mot servant de marque CABIN;

  • b) les mots servants de marque CABIN COLLECTION;

  • c) les mots servant de marque ROOTS CABIN (cette marque est visée par la demande de marque de commerce canadienne no 1,665,629 qui a été présentée le 27 février 2014, annoncée le 26 novembre 2014 et acceptée le 13 mars 2015, mais elle n’est pas encore enregistrée);

  • d) les mots servant de marque ROOTS CABIN COLLECTION;

  • e) le premier dessin de la marque CABIN, comme celui du logo figurant sur l’emballage de chaussettes suivant :

  • f) le dernier dessin de la marque CABIN, tel qu’illustré ci‑dessous, seul et utilisé dans le logo figurant sur un emballage de chaussettes :

 

[17]  Le dernier dessin de la marque CABIN a également été utilisé dans les logos suivants pour les étiquettes volantes et les étiquettes de vêtement :

[18]  Ces dessins comprennent les mots servant de marque ROOTS CABIN et ROOTS CABIN COLLECTION.

[19]  Je suis convaincu que l’affidavit Connell établit l’utilisation répandue du premier et du dernier dessin de la marque CABIN depuis environ 2011 en liaison avec des vêtements et d’autres produits. Au départ, le premier dessin de la marque CABIN était employé en liaison avec des chaussettes seulement. Cet emploi s’est poursuivi et a été étendu à d’autres produits, vers 2014, au moyen du dernier dessin de la marque CABIN. Je suis également convaincu que Roots emploie les mots servant de marque ROOTS CABIN et ROOTS CABIN COLLECTION depuis environ 2014.

[20]  J’arrive à une autre conclusion en ce qui concerne les mots servant de marque CABIN et CABIN COLLECTION. À la lumière des éléments de preuve dont je dispose, il semble que, lorsqu’il est employé en tant que marque de commerce, les mots CABIN COLLECTION font toujours partie des mots servant de marque ROOTS CABIN COLLECTION. Je ne suis pas convaincu que le segment CABIN COLLECTION ait été employé en tant que marque de commerce en soit.

[21]  En ce qui concerne le mot « CABIN », lorsqu’il est employé dans le logo figurant sur l’emballage de chaussettes avec le dernier dessin de la marque CABIN, il fait partie des mots servant de marque « ROOTS CABIN ». Encore une fois, je ne suis pas convaincu que le mot « CABIN » ait été utilisé à lui seul en tant que marque de commerce.

[22]  Pour ce qui est du mot « cabin » utilisé dans le logo figurant sur l’emballage de chaussettes avec le premier dessin de la marque CABIN, il est employé avec le mot « sock » (en français, « chaussette ») et semble simplement préciser la nature du produit à vendre. L’idée selon laquelle le mot « cabin » sert à désigner un type de chaussette ou d’autres vêtements est appuyée par les résultats de recherche fournis par l’affidavit Suttner. Les paragraphes 6 et 11 de cet affidavit font mention d’un certain nombre de détaillants tiers qui, vers le 28 décembre 2017, du moins, offraient des produits désignés par les mots « cabin socks » ou « cabin sweaters ». Les paragraphes 7 et 14 de l’affidavit Suttner font mention des livres dans lesquels les mots « cabin socks » ou « cabin wear » sont utilisés de façon générique.

[23]  Roots conteste l’affidavit Suttner pour un certain nombre de motifs. Premièrement, comme il a été mentionné plus haut, Roots fait valoir que ce document présente des éléments de preuve sous la forme d’opinion d’avocat sur une question litigieuse et qu’il est donc irrecevable. Roots mentionne le fait que M. Suttner a exclu les mentions de Roots dans les résultats de sa recherche, même celles qui figuraient en première page des résultats. À mon avis, il ne s’agissait pas d’une indication du fait que M. Suttner exerçait un jugement ou agissait de façon discrétionnaire dans sa recherche. D’après les arguments formulés par YM, il est clair que l’affidavit Suttner a pour but de montrer que d’autres parties que Roots et YM utilisaient les mots « cabin socks ». « cabin sweater » et « cabin wear » de façon générique. L’exclusion des résultats de recherche concernant Roots correspondait à ce but. Je suis convaincu que les résultats de recherche présentés dans l’affidavit Suttner sont objectifs et fiables. De mon point de vue, les éléments de preuve présentés dans cet affidavit sont recevables.

[24]  Le fait que l’affidavit Suttner présente des informations datées du 28 décembre 2017 environ est un autre élément contesté par Roots; le document ne fournit pas de renseignements concernant l’état des choses le 13 janvier 2016 (date qui est pertinente quant  à la première question concernant l’alinéa 18(1)d) de la Loi) ou le 10 novembre 2017 (date qui, comme il sera expliqué plus bas, est pertinente quant à la deuxième question concernant l’alinéa 18(1)b) de la Loi). Roots souligne qu’en contre‑interrogatoire, M. Suttner a reconnu avoir utilisé la Wayback Machine durant son enquête, mais qu’il ne donnait aucune explication concernant le fait de n’avoir fourni aucune information obtenue de cette façon qui aurait pu procurer des renseignements au sujet de l’état du marché à une date se rapprochant davantage des dates pertinentes.

[25]  Je conviens que des éléments de preuve liés à une date plus rapprochée des dates pertinentes auraient pu être préférables. Toutefois, je n’ai rien entendu qui me convainque que l’état du marché, y compris l’emploi des mots « cabin socks », « cabin sweater » et « cabin wear », ait changé de façon importante entre les dates pertinentes et la fin du mois de décembre 2017. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne la date pertinente du 10 novembre 2017 pour la deuxième question en litige, date qui n’était antérieure que de quelques semaines.

[26]  Le fait que l’affidavit Suttner ne fournit aucune confirmation du fait que les produits mentionnés étaient offerts en vente au Canada est encore un autre élément contesté par Roots. En contre‑interrogatoire, M. Suttner a reconnu n’avoir effectué aucune vérification à cet égard et n’avoir tenté d’acheter aucun des produits recensés dans ses recherches.

[27]  Malgré l’absence de preuve d’une vente au Canada, je suis convaincu que l’affidavit Suttner établit le fait que le mot « cabin » était utilisé par d’autres parties de façon générique afin de décrire un type (ou style, mode ou tendance) de vêtement. De surcroît, au moins certains des détaillants recensés par M. Suttner semblent avoir leur siège social au Canada. À mon avis, il est plus probable que le contraire qu’au moins un certain nombre des produits mentionnés dans l’affidavit Suttner étaient effectivement offerts à la vente au Canada. Comme dans le cas de la question des dates, des éléments de preuve concernant des ventes réelles (ou, du moins, l’offre à la vente) au Canada auraient peut‑être été préférables, mais je n’ai rien entendu qui me fasse douter du fait que le mot « cabin » était utilisé de façon générique, même aussi tôt que le 13 janvier 2016.

A.  Cadre juridique pour l’analyse de la confusion

[28]  Après avoir examiné un certain nombre des éléments de preuve, je me penche maintenant sur la question de droit à trancher, c’est‑à‑dire si, le 13 janvier 2016, la marque CABIN FEVER et son dessin créaient de la confusion avec l’une des marques de commerce invoquées par Roots.

[29]  Les parties s’entendent sur le critère juridique relatif à la confusion. Le point de départ est l’article 6 de la Loi :

Quand une marque ou un nom crée de la confusion

When mark or name confusing

6 (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

6 (1) For the purposes of this Act, a trade‑mark or trade‑name is confusing with another trade‑mark or trade‑name if the use of the first mentioned trade‑mark or trade‑name would cause confusion with the last mentioned trade‑mark or trade‑name in the manner and circumstances described in this section.

Idem

Idem

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

(2) The use of a trade‑mark causes confusion with another trade‑mark if the use of both trade‑marks in the same area would be likely to lead to the inference that the goods or services associated with those trade‑marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the goods or services are of the same general class.

Idem

Idem

(3) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec un nom commercial, lorsque l’emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à cette marque et les produits liés à l’entreprise poursuivie sous ce nom sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à cette marque et les services liés à l’entreprise poursuivie sous ce nom sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou services soient ou non de la même catégorie générale.

(3) The use of a trade‑mark causes confusion with a trade‑name if the use of both the trade‑mark and trade‑name in the same area would be likely to lead to the inference that the goods or services associated with the trade‑mark and those associated with the business carried on under the trade‑name are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the goods or services are of the same general class.

Idem

Idem

(4) L’emploi d’un nom commercial crée de la confusion avec une marque de commerce, lorsque l’emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à l’entreprise poursuivie sous ce nom et les produits liés à cette marque sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à l’entreprise poursuivie sous ce nom et les services liés à cette marque sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou services soient ou non de la même catégorie générale.

(4) The use of a trade‑name causes confusion with a trade‑mark if the use of both the trade‑name and trade‑mark in the same area would be likely to lead to the inference that the goods or services associated with the business carried on under the trade‑name and those associated with the trade‑mark are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the goods or services are of the same general class.

Éléments d’appréciation

What to be considered

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

(5) In determining whether trade‑marks or trade‑names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade‑marks or trade‑names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade‑marks or trade‑names have been in use;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade‑marks or trade‑names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[30]  Au paragraphe 49 de l’arrêt Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27 (Masterpiece), la Cour suprême du Canada a fourni certaines indications quant à l’application du paragraphe 6(5) de la Loi :

En analysant la question de savoir si les marques de commerce en cause créaient de la confusion, le juge a appliqué dans l’ordre les facteurs énoncés au par. 6(5) de la Loi avant d’examiner si ces marques se ressemblaient. Bien que l’adoption d’une telle démarche ne constitue pas une erreur de droit, il arrive souvent que le degré de ressemblance soit le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion, et ce même s’il est mentionné en dernier lieu au par. 6(5) (K. Gill et R. S. Jolliffe, Fox on Canadian Law of Trade‑marks and Unfair Competition (4éd. (feuilles mobiles)), p. 8‑54; R. T. Hughes et T. P. Ashton, Hughes on Trade Marks (2e éd. (feuilles mobiles)), §74, p. 939). Comme le souligne le professeur Vaver, si les marques ou les noms ne se ressemblent pas, il est peu probable que l’analyse amène à conclure à la probabilité de confusion même si les autres facteurs tendent fortement à indiquer le contraire. En effet, ces autres facteurs ne deviennent importants que si les marques sont jugées identiques ou très similaires (Vaver, p. 532). En conséquence, certains prétendent que, dans la plupart des cas, l’étude de la ressemblance devrait constituer le point de départ de l’analyse relative à la confusion (ibid.).

[31]  Conformément à ces indications, je commencerai mon analyse de la confusion en examinant le degré de ressemblance des marques en cause.

[32]  Au paragraphe 40 de l’arrêt Masterpiece, la Cour suprême du Canada citait également les indications suivantes tirées du paragraphe 20 de l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 concernant l’analyse de la confusion :

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue [de la marque] sur la devanture des boutiques des intimées ou sur une de leurs factures, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des [anciennes marques de commerce] et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.

[33]  Dans l’arrêt Ultravite Laboratories Ltd c Whitehall Laboratories Ltd, [1965] RCS 734, au paragraphe 737, la Cour suprême du Canada a adopté le passage suivant de la décision Sealy Sleep Products Ltd c Simpson’s‑Sears Ltd (1960), 33 CPR 129, au paragraphe 136 (C. de l’É.) :

[traduction]

[…] La séparation des éléments des marques de commerce et le fait de concentrer son attention sur ceux qui sont semblables pour conclure qu’en raison de l’existence de similitudes dans les marques de commerce, celles‑ci dans leur ensemble peuvent être confondues l’une avec l’autre, ne constituent pas une approche appropriée pour évaluer si l’une des marques de commerce crée de la confusion avec l’autre. Les marques de commerce peuvent être distinctes l’une de l’autre et, par conséquent, ne pas créer de confusion avec l’autre si on les examine dans leur ensemble, même s’il existe des similitudes dans certains des éléments lorsqu’ils sont examinés séparément. C’est la combinaison des éléments qui constitue la marque de commerce, et c’est l’effet de la marque de commerce dans son ensemble, plutôt que celui de l’une ou l’autre de ses parties en particulier, qui doit être pris en considération.

B.  Alinéa 6(5)e) : degré de ressemblance

[34]  Avant de me pencher sur la question du degré de ressemblance, il est nécessaire de rappeler lesquelles des marques invoquées par Roots sont en litige. Conformément à l’analyse faite plus haut, je reconnais ROOTS CABIN et ROOTS CABIN COLLECTION, ainsi que le premier et le dernier dessin de la marque CABIN, comme étant des marques de commerce que Roots a employées et révélées. Ces marques de commerce seront désignées ci‑après par les mots « marques de Roots CABIN ». Toutefois, ni l’un ni l’autre des mots CABIN ou CABIN COLLECTION ne devraient être pris en compte au moment de déterminer le degré de ressemblance, car je ne suis pas convaincu qu’ils ont été utilisés en tant que marques de commerce.

[35]  Il existe des similitudes et des différences entre les marques CABIN de Roots et la marque CABIN FEVER de YM et son dessin. Toutefois, les similitudes tiennent principalement à l’emploi du mot « cabin » et de l’image d’une cabane entourée d’arbres. De fait, l’image de la cabane, en soi, qui est utilisée dans la marque CABIN FEVER de YM et son dessin ne ressemble pas particulièrement à l’une ou l’autre des images de cabane employées par Roots. Le choix de l’emploi d’une image de cabane n’est pas plus distinctif que celui de l’emploi du mot « cabin ». J’ai le même point de vue en ce qui concerne les arbres entourant la cabane. Le mot « cabin » désigne une petite cabane dans les bois, et les arbres sont inhérents à un tel environnement. Il n’est pas distinctif que d’intégrer des arbres dans une image de cabane.

[36]  Par conséquent, j’estime que le degré de ressemblance entre les marques CABIN de Roots et la marque CABIN FEVER de YM et son dessin est peu élevé, ce qui milite fortement en faveur d’une conclusion selon laquelle la marque CABIN FEVER et son dessin ne créaient pas de confusion avec les marques CABIN de Roots le 13 janvier 2016.

C.  Alinéa 6(5)a) : caractère distinctif inhérent et mesure dans laquelle les marques de commerce sont devenues connues

[37]  Plus haut, j’ai traité de l’affidavit Suttner, qui présente la preuve d’une utilisation générique du mot « cabin » en liaison avec certains types d’articles vestimentaires. Il en découle que le mot CABIN a peu de caractère distinctif inhérent en tant que marque de commerce. Puisque le mot « collection » ajoute peu de caractère distinctif, les mots CABIN COLLECTION ont également peu de caractère distinctif inhérent en tant que marque de commerce.

[38]  J’admets que les mots ROOTS CABIN et ROOTS CABIN COLLECTION ont un caractère distinctif inhérent dû à l’ajout du mot « Roots ». Il en va de même des dessins de cabane particuliers figurant dans le premier et le dernier logos de la marque CABIN et sur divers emballages et étiquettes.

[39]  J’admets également que ces marques intrinsèquement distinctives (les marques CABIN de Roots) sont devenues connues grâce à une utilisation intensive par Roots.

[40]  La marque CABIN FEVER de YM et son dessin comprennent également des éléments qui ont un caractère distinctif inhérent. Comme dans le cas des marques CABIN de Roots, le mot « cabin » et le choix d’employer l’image d’une cabane et d’arbres ne sont pas intrinsèquement distinctifs. Toutefois, le dessin de cabane particulier utilisé par YM a un caractère passablement distinctif, tout comme les mots « cabin fever ». Je reconnais que Roots a présenté des éléments de preuve concernant l’emploi des mots « cabin fever » dans le cadre de la promotion d’une vente à la fin de 2011 et au début de 2012. Toutefois, il n’est pas clair que les mots en question ont été utilisés en tant que marque de commerce. En outre, aucun élément de preuve ne montre que Roots a utilisé les mots en question depuis cet événement.

[41]  Les éléments de preuve présentés par YM concernant la mesure dans laquelle sa marque CABIN FEVER et son dessin sont devenus connus sont faibles et imprécis. Au lieu de présenter des preuves directes de ventes effectuées au Canada en liaison avec cette marque, YM s’est contentée de fournir comme éléments de preuve des fiches signalétiques, des photographies et des commandes d’articles à vendre en liaison avec la marque, ainsi que les déclarations figurant dans l’affidavit Grundy selon lesquelles [traduction« YM est habituellement en mesure de vendre tout ou pratiquement tout l’inventaire qu’elle commande » et qu’un « pourcentage important de ces ventes était destiné à des clients situés au Canada ». En contre‑interrogatoire, M. Grundy n’a pas pu donner la date à laquelle YM a utilisé pour la première fois sa marque CABIN FEVER et son dessin par un énoncé plus précis que le suivant : [traduction« soit à l’automne 2015 ou à l’hiver 2016, soit plus tard en 2016 ». Le fait que la demande d’enregistrement de la marque CABIN FEVER et de son dessin a été présentée par YM le 13 janvier 2016, d’après l’emploi projeté, donne à penser que la société n’avait pas encore commencé à l’utiliser à cette date.

[42]  À mon avis, le meilleur élément de preuve concernant les ventes réellement effectuées par YM en liaison avec la marque CABIN FEVER et son dessin figure dans l’affidavit Rourke. Les recherches effectuées par Mme Rourke à l’aide de la Wayback Machine ne révèlent aucun emploi des mots « cabin fever » sur le site web d’Urban Planet avant le 29 septembre 2016. La Wayback Machine révèle l’emploi de la marque CABIN FEVER et de son dessin sur le site web d’Urban Planet à partir de cette date. Je suis d’avis qu’il est raisonnable d’en déduire que la vente de produits portant cette marque a commencé vers cette date. Je souligne que c’est plusieurs mois après la date pertinente du 13 janvier 2016.

[43]  J’en conclus que le facteur du caractère distinctif inhérent et de la mesure dans laquelle les marques de commerce sont devenues connues milite en faveur de Roots.

D.  Alinéa 6(5)b) : période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[44]  Même si le premier dessin de la marque CABIN a été utilisé à partir d’environ 2011, il n’a été utilisé qu’en liaison avec des chaussettes et n’est plus en usage, car il a été remplacé par le dernier dessin de la marque CABIN. L’emploi de ce dernier dessin n’a commencé que vers 2014. YM fait valoir que le premier dessin devrait être considéré comme ayant été abandonné et que, par conséquent, 2014 devrait être l’année où a commencé l’emploi des marques de commerce de Roots en cause.

[45]  Roots fait valoir que le dernier dessin de la marque CABIN n’est qu’une évolution du premier dessin et que, par conséquent, il devrait être conclu que les dessins de la marque CABIN ont été en usage dès 2011.

[46]  De mon point de vue, il n’est pas nécessaire d’établir la date effective de la première utilisation des dessins de la marque CABIN. Premièrement, j’ai déjà mentionné que je suis d’avis que le choix d’utiliser l’image d’une cabane n’est pas plus distinctif que celui d’employer le mot « cabin ». Deuxièmement, les années 2011 et 2014 sont toutes deux antérieures à toute utilisation démontrée de la marque CABIN FEVER et de son dessin. J’ai conclu que le mois de septembre 2016 est fort probablement le moment de la première utilisation de la marque CABIN FEVER et de son dessin, c’est‑à‑dire plus tard que la date pertinente pour la création de la confusion faisant l’objet d’un litige en l’espèce.

[47]  À mon avis, la durée de la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage milite en faveur de Roots.

E.  Alinéa 6(5)c) : genre de produits; alinéa 6(5)d) : nature du commerce

[48]  Un grand nombre des produits en cause sont les mêmes chez les deux parties, et la nature du commerce est aussi équivalente. YM souligne que Roots se concentre sur les [traduction« vêtements de grande qualité », alors qu’elle se concentre sur les [traduction« vêtements offrant le meilleur rapport qualité‑prix », mais je suis d’avis que, malgré cette différence, les facteurs que sont le genre de produits et la nature du commerce militent en faveur d’une conclusion de confusion.

F.  Autres circonstances de l’espèce

[49]  Roots fait valoir que YM a délibérément copié les marques de Roots CABIN et qu’il s’agit d’une circonstance de l’espèce qui milite en sa faveur. Entre autres, Roots souligne qu’une feuille de travail interne de YM mentionne qu’un de ses produits Cabin Fever est [traduction« inspiré par Roots ». YM réplique que l’intention de copier n’est pas pertinente par rapport à la question de la confusion : Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, au paragraphe 90.

[50]  Dans sa plaidoirie, l’avocat de Roots a reconnu que le fait de copier n’est pas, en soi, directement pertinent par rapport à la question de la confusion. Toutefois, Roots fait valoir que l’intention de YM de copier est pertinente quant à l’importance des marques CABIN de Roots sur le marché et que cette importance sur le marché est un indice de la mesure dans laquelle les marques CABIN de Roots sont devenues connues, ce qui doit être pris en considération au moment de décider s’il y a eu confusion au sens de l’alinéa 6(5)a) de la Loi.

[51]  Comme j’ai déjà reconnu que les marques CABIN de Roots sont devenues connues grâce à une utilisation intensive, la question de la copie délibérée ne peut que confirmer cette conclusion. Elle n’est pas pertinente en tant que circonstance de l’espèce.

[52]  Pour sa part, YM fait valoir que l’absence de tout élément de preuve concernant l’existence d’une confusion réelle durant la période où les marques des deux parties ont été sur le marché est une circonstance de l’espèce qui indique une absence de confusion. Je n’accorde aucun poids à cette circonstance au moment de trancher la question de la confusion au titre de l’alinéa 16(3)a) de la Loi parce que, comme il a été mentionné plus haut, je suis d’avis que les ventes effectuées par YM au moyen de sa marque CABIN FEVER et de son dessin n’ont probablement commencé que vers le 29 septembre 2016, soit après la date pertinente.

G.  Conclusion sur la confusion avec les marques de commerce de Roots le 13 janvier 2016

[53]  Malgré les similitudes sur les plans du genre de produits en cause et de la nature du commerce, et malgré la présence de Roots et des marques CABIN de Roots sur le marché avant la date pertinente, je suis d’avis que le faible degré de ressemblance de la marque CABIN FEVER et son dessin avec les marques CABIN de Roots l’emporte sur ces autres facteurs.

[54]  Je conclus que la marque CABIN FEVER et son dessin ne créaient de confusion avec aucune des marques CABIN de Roots à la date où la demande d’enregistrement de l’ancienne marque a été présentée et que, ainsi, l’enregistrement est valide au titre de l’alinéa 18(1)d) de la Loi.

V.  Alinéa 18(1)b) – caractère distinctif le 10 novembre 2017

[55]  L’alinéa 18(1)b) de la Loi prévoit que l’enregistrement d’une marque de commerce est invalide si celle‑ci n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement (en l’espèce, le 10 novembre 2017). Le terme « distinctive » est défini ainsi à l’article 2 de la Loi :

distinctive Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des produits ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi. (distinctive)

distinctive, in relation to a trade‑mark, means a trade‑mark that actually distinguishes the goods or services in association with which it is used by its owner from the goods or services of others or is adapted so to distinguish them; (distinctive)

[56]  Les parties s’entendent sur l’existence de trois conditions relatives au caractère distinctif :

  • a) la marque et les produits doivent être liés;

  • b) le propriétaire de la marque doit utiliser cette liaison dans la fabrication et la vente des produits;

  • c) cette liaison doit permettre au propriétaire de la marque de distinguer son produit de celui d’autres (Philip Morris Incorporated c Imperial Tobacco Ltd (1985), 7 CPR (3e) 254, au par. 270 (CF 1re inst.); Nature’s Path Foods Inc c Quaker Oats Co of Canada, 2001 CFPI 366, au par. 40; Bodum USA, Inc c Meyer Housewares Canada Inc, 2012 CF 1450, au par. 14).

[57]  Les parties s’entendent également sur le fait qu’il incombe à Roots de prouver qu’au moins une de ces conditions n’est pas respectée.

[58]  Je suis convaincu que les deux premières conditions relatives au caractère distinctif sont respectées. La marque CABIN FEVER et son dessin sont clairement liés aux produits de YM, et cette liaison est utilisée dans la fabrication et la vente de ces produits. Plus haut, j’ai conclu que les ventes de ces produits ont probablement commencé vers le 29 septembre 2016.

[59]  Le vrai litige concerne la troisième condition. Roots fait valoir que la marque CABIN FEVER et son dessin n’avaient pas de caractère distinctif le 10 novembre 2017 parce qu’ils créaient de la confusion avec les marques CABIN de Roots, lesquelles étaient des marques distinctives de Roots.

[60]  L’analyse de la confusion à mener en l’espèce est semblable à celle qui a été effectuée dans le contexte de l’alinéa 18(1)d) de la Loi, sauf que la date pertinente est à peu près 22 mois plus tard. Au lieu de répéter toute l’analyse de la confusion, je me pencherai sur les éléments de preuve concernant des facteurs qui pourraient avoir changé 22 mois plus tard.

[61]  Roots n’affirme pas que des facteurs indiquaient de la confusion le 10 novembre 2017, pas plus que le 13 janvier 2016.

[62]  Par contre, je suis d’avis que la présence de YM sur le marché depuis près de 13 mois le 10 novembre 2017 est un fait qui appuie davantage ma conclusion selon laquelle il n’existe aucune confusion. Tout d’abord, le facteur du caractère distinctif inhérent et de la mesure dans laquelle les marques de commerce sont devenues connues ne milite plus en faveur de Roots, puisque les marques des deux parties présentent un certain caractère distinctif inhérent et qu’à cette date ultérieure, ces marques coexistaient sur le marché depuis un certain temps. En outre, cette période de coexistence sans aucune preuve de confusion donne à penser qu’il n’en existait aucune.

[63]  Je conclus que la marque CABIN FEVER et son dessin ne créaient pas de confusion avec les marques CABIN de Roots le 10 novembre 2017 et que cette marque et ce dessin présentaient bel et bien un caractère distinctif à la date où ont été entamées les présentes procédures.

VI.  Inexactitude importante

[64]  La demande d’enregistrement de la marque CABIN FEVER et de son dessin était fondée sur l’emploi projeté. Par conséquent, pour obtenir l’enregistrement, YM a présenté une déclaration indiquant que l’utilisation de la marque avait commencé en liaison avec l’ensemble des produits énoncés dans la demande de marque de commerce. YM reconnaît maintenant que cette déclaration était fausse. Il semble que la marque n’ait jamais été utilisée en liaison avec la plupart des produits énoncés. Voici la liste qui figurait dans la déclaration d’emploi ainsi que dans l’enregistrement :

Vêtements tout‑aller, habillés, de ville et de sport pour hommes, femmes et enfants; accessoires de mode, à savoir bagues, boucles d’oreilles, colliers, bracelets, foulards, ceintures, chaussettes, sacs à main, lunettes de soleil; accessoires pour temps froid, à savoir mitaines, gants, foulards, chapeaux, tuques; articles chaussants, à savoir chaussures, bottes, pantoufles et sandales.

[65]  YM affirme maintenant utiliser la marque uniquement en liaison avec les produits suivants :

  • a) Vêtements tout‑aller et de sport pour hommes, femmes et enfants

  • b) Foulards

  • c) Chaussettes

  • d) Mitaines, gants

  • e) Foulards

  • f) Chapeaux, tuques

[66]  Roots fait valoir que la fausse déclaration faite par YM équivaut à une importante déclaration trompeuse (déclaration inexacte) qui rend l’enregistrement nul depuis le début. Roots se fonde principalement sur la décision Unitel Communications Inc c Bell Canada (1995), 61 CPR (3e) 12, [1995] ACF no 613 (QL) (CF 1re inst.) (Unitel) pour appuyer sa position. À la page 54 (au par. 130 sur QL), la Cour a déclaré ce qui suit :

Je conclus que ni la fraude ni l’intention de tromper ne constituent un élément nécessaire lorsqu’une demande d’enregistrement de marque de commerce et une déclaration d’emploi de marque au Canada renferment toutes les deux des déclarations fausses relativement à des éléments importants. Les déclarations d’intention d’employer une marque contenues dans les demandes d’enregistrement des marques de commerce visées en l’espèce et les déclarations d’emploi de marque étaient simplement fausses, peu importe l’intention et la compréhension de l’auteur de la demande d’enregistrement. En outre, la déclaration d’intention quant à l’emploi contenue dans la demande et la déclaration d’emploi de la marque étaient toutes les deux essentielles à l’enregistrement des marques de commerce. Comme dans l’affaire T‑FAL précitée, je conclus que les enregistrements des marques CARTE D’APPEL et CALLING CARD étaient nuls depuis le début.

[67]  YM soutient que la fausse déclaration en cause n’équivaut pas à une importante déclaration inexacte et qu’elle ne rend pas l’enregistrement nul. La société fait valoir que, comme la marque a été utilisée en liaison avec certains des produits énoncés, on ne peut affirmer que l’inexactitude était « essentielle à l’enregistrement, dans le sens où celui‑ci n’aurait pas pu être obtenu sans la fausse déclaration » (voir Coors Brewing Company c Anheuser‑Busch, LLC, 2014 CF 716, au par. 38). YM aurait pu obtenir son enregistrement sans la déclaration inexacte. La société établit une distinction entre son cas et celui d’Unitel en soulignant que, dans cette affaire, il n’y avait aucune preuve d’un quelconque usage des marques en cause. YM se fonde sur la décision Parfums de Cœur Ltd c Asta, 2009 CF 21 (Parfums de Cœur), dans laquelle il a été conclu que l’enregistrement en question n’était pas nul, malgré une déclaration erronée semblable concernant la mesure dans laquelle la marque avait été utilisée en liaison avec les produits énoncés.

[68]  À mon avis, une déclaration inexacte comme celle qui a été reconnue en l’espèce doit être considérée comme étant importante. Elle était clairement essentielle à l’obtention par YM de l’enregistrement de la marque CABIN FEVER et de son dessin à l’égard d’un certain nombre de produits qui n’avaient jamais été liés à cette marque. Sans cette déclaration inexacte, la marque n’aurait pas été enregistrée. Si cette déclaration inexacte n’est pas considérée comme étant importante et qu’aucun élément de preuve ne montre l’existence d’un acte frauduleux ou d’une intention de tromper, la Cour reste sans moyens de corriger l’inexactitude reconnue dans le registre. À mon avis, l’affaire Parfums de Cœur se distingue de l’espèce parce que le propriétaire de l’enregistrement, dans cette affaire, avait modifié l’enregistrement en question avant le début de l’instance judiciaire. Dans cette affaire, le problème lié à l’état du registre avait déjà été réglé. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[69]  En l’espèce, la Cour doit au moins être en mesure de corriger les inexactitudes figurant dans le registre. Les deux parties reconnaissent que, si je ne souscris pas à leur position initiale à l’égard de cette question (que l’enregistrement devrait être annulé entièrement ou qu’il devrait demeurer inchangé), je devrais modifier l’enregistrement de CABIN FEVER et de son dessin de manière à retirer les produits qui ne sont pas utilisés. J’estime avoir le pouvoir discrétionnaire de le faire en vertu de paragraphe 57(1) de la Loi, qui prévoit qu’une inscription dans le registre qui « n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque » doit être biffée ou modifiée.

[70]  Comme il est clair que l’enregistrement de CABIN FEVER et de son dessin ne définit pas exactement les droits existants de YM (parce qu’il englobe des produits que YM n’a jamais vendus en liaison avec la marque), je ne souhaite pas laisser le registre inchangé. En outre, comme je suis convaincu que YM a effectivement utilisé la marque en liaison avec plusieurs des produits énoncés dans l’enregistrement, je ne suis pas enclin à biffer l’enregistrement en entier.

[71]  Je conclus que la déclaration d’emploi contenait effectivement une inexactitude importante, et j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire afin de modifier le registre de manière à retirer tous les produits qui n’ont pas été vendus en liaison avec la marque CABIN FEVER et son dessin.

VII.  Conclusion

[72]  L’enregistrement de la marque CABIN FEVER et de son dessin n’est pas invalide au titre de l’alinéa 18(1)d) ou 18(1)b) de la Loi. Toutefois, il dresse une liste de produits qui ne devraient pas être inclus parce que la marque n’a pas été utilisée en liaison avec eux.

[73]  La demande d’invalidation de l’enregistrement de CABIN FEVER et de son dessin sera rejetée, mais il sera ordonné que le registre soit modifié de manière à corriger l’inexactitude.

[74]  Comme aucune des deux parties n’a entièrement gain de cause en l’espèce, aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T‑1728‑17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande d’invalidation de l’enregistrement de la marque de commerce canadienne no TMA961,583 figurant au registre des marques de commerce est rejetée.

  2. La liste des produits mentionnés dans l’enregistrement de la marque de commerce canadienne no TMA961,583 doit être modifiée ainsi :

Vêtements tout‑aller, habillés, de ville et de sport pour hommes, femmes et enfants; accessoires de mode, à savoir bagues, boucles d’oreilles, colliers, bracelets, foulards, ceintures, chaussettes, sacs à main, lunettes de soleil; accessoires pour temps froid, à savoir mitaines, gants, foulards, chapeaux, tuques; articles chaussants, nommément chaussures, bottes, pantoufles et sandales.

  1. Chaque partie devra assumer ses propres dépens.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de février 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1728‑17

INTITULÉ :

ROOTS CORPORATION c YM INC. (VENTES)

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 10 DÉCEMBRE 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE.

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 8 JANVIER 2019

COMPARUTIONS :

Shane Hardy

Peter J. Henein

Noelle Engle‑Hardy

POUR LA DEMANDERESSE

Ted A. Kalnins

Eric D. Lavers

POUR LA DÉFENDRESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cassels Brock & Blackwell LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Dickinson Wright LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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