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Date : 20190107


Dossier : IMM-1459-18

Référence : 2019 CF 10

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie demanderesse

et

N’GORAN GASTON YAO

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le défendeur, Monsieur N’Goran Gaston Yao, cherche à parrainer la demande de résidence permanente de Monsieur Konan Emile F.A. Stéphane Yao (Stéphane) comme membre du regroupement familial. L’agent d’immigration de l’ambassade canadienne à Sénégal (l’Agent) a rejeté 1a demande de Stéphane. L’Agent ne croyait pas que le défendeur est son père biologique suite à une insuffisance de preuve et son refus de se soumettre à un test d’ADN afin de déterminer sa parenté. En appel, la Section d’appel de l’immigration (SAI) a cassé la décision de l’Agent, déterminant que Stéphane est admissible dans la catégorie de regroupement familial en tant qu’enfant à charge du défendeur selon l’article 2 et l’alinéa 117(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR]. Le Ministre demande le contrôle judiciaire de cette décision de la SAI.

[2]  Dans le présent cas, le RIPR exige que Stéphane soit l’enfant biologique du défendeur. Les doutes de l’Agent à cet égard ont été basés sur les faits suivants :

  1. La différence d’âge entre le défendeur et Stéphane est moins de 14 ans (le défendeur est né le 3 novembre 1976, et Stéphane est né 12 avril 1990);
  2. Le certificat de naissance de Stéphane a été émis seulement en 1996, six ans après sa naissance;
  3. La preuve documentaire limitée appuyant la déclaration de filiation entre le défendeur et Stéphane (à part le certificat de naissance, Stéphane et le défendeur se sont fiés sur le passeport de Stéphane, un certificat de fréquentation scolaire, un certificat d’entretien de Stéphane, quelques transferts de fonds du défendeur à son épouse pendant le temps que Stéphane résidât avec elle, et deux bulletins du casier judiciaire concernant l’émission tardive du certificat de naissance); et
  4. Des photographies soumises au soutien de la demande de parrainage semblaient être altérées.

[3]  En ce qui concerne la différence d’âge entre le défendeur et Stéphane, et le retard d’obtenir le certificat de naissance, le défendeur a expliqué ce qui suit. À l’été 1989 (quand le défendeur avait 12 ans) il a eu des relations sexuelles avec une fille de son village de quelques années son ainée, et la fille était tombée enceinte. La fille avait identifié le défendeur comme père de l’enfant (Stéphane) et les parents du défendeur avaient assumé la responsabilité de lui élever. Les parents du défendeur étaient en colère contre le défendeur à cause de cette situation et n’ont donc pas obtenu un certificat de naissance pour Stéphane pendant la période prescrite. Le certificat de naissance a été obtenu seulement plus tard lors de son entrée à l’école. L’arrangement avec les parents du défendeur s’est continué jusqu’en 1998 quand le défendeur avait obtenu un emploi et vivait avec son épouse actuelle, et donc il était capable d’assumer la responsabilité de supporter Stéphane.

[4]  L’Agent n’était pas convaincu que la preuve était suffisante pour établir le lien parent-enfant entre le défendeur et Stéphane. Dans l’absence d’autre preuve documentaire, l’Agent a indiqué que les résultats d’une analyse d’ADN seraient acceptables pour établir la relation parentale.

[5]  Suivant plusieurs refus par le défendeur de faire une analyse d’ADN (ceux-ci pour des raisons culturelles), l’Agent a refusé la demande de parrainage.

[6]  Le défendeur a porté la décision de l’Agent à la SAI. La SAI a conclu que l’Agent avait erré en exigeant les résultats d’une analyse d’ADN et en refusant la demande de parrainage. La SAI était de l’avis que la preuve documentaire soumise à l’Agent et les explications du défendeur ont été suffisantes pour établir que Stéphane soit l’enfant biologique du défendeur, et que l’Agent n’aurait pas dû demander un test d’ADN. La SAI ne voyait aucune raison pour laquelle le défendeur aurait reconnu Stéphane comme son fils en 1996 si ce n’était pas le cas. La SAI a noté aussi que le défendeur a nommé Stéphane parmi ses enfants lors de sa demande de résidence en 2007, et que le témoignage de l’épouse actuelle du défendeur était crédible.

[7]  En ce qui concerne les photographies soumises à l’Agent, la SAI a accepté qu’elles semblent être altérées. Cependant, la SAI a conclu que ce fait ne fut pas pertinent parce que même des photographies authentiques n’auraient pas été suffisantes pour établir un lien biologique.

[8]  Les parties s’entendent, et je suis en accord, que la norme de contrôle de la décision de la SAI est celle de la décision raisonnable : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Martinez-Brito, 2012 CF 438 au para 16. Dans ce même paragraphe, la Cour a indiqué ce qui suit :

Cette norme exige que la Cour établisse si la conclusion de la SAI appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir [c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9], au paragraphe 47); si l’issue cadre bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la Cour ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339).

[9]  Puisque la SAI a reconnu que les photographies soumises à l’Agent semblaient être altérées, il devait suivre que la crédibilité du défendeur était remise en question. La SAI n’a pas adressé cette question. Cependant, la SAI s’est fiée sur les explications fournies par le défendeur pour conclure qu’il est le père biologique de Stéphane. Dans la décision contestée, je ne trouve aucune raison pour laquelle la SAI aurait accepté les explications du défendeur comme étant crédible alors qu’elle reconnait le manque de crédibilité de quelques-uns des documents qu’il a soumis. Ceci demeure le cas même si les photographies en question n’étaient pas nécessaires comme preuve. Il ne s’agit pas vraiment d’une question de la suffisance de la preuve, mais plutôt de la crédibilité de cette preuve.

[10]  C’est possible que la SAI avait des raisons acceptables pour avoir accepté les explications du défendeur comme étant crédible malgré les photographies altérées, mais le défaut d’avoir communiqué des telles raisons dans sa décision démontre un manque des qualités de justification, de transparence et d’intelligibilité. Donc, je conclus que la décision de la SAI n’est pas raisonnable.

[11]  Les parties s’entendent qu’il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM-1459-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision contestée de la Section d’appel de l’immigration est annulée.

  3. L’affaire est renvoyée à la Section d’appel de l’immigration pour être déterminée par un autre agent.

  4. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1459-18

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c N’GORAN GASTON YAO

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 DÉCEMBRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LOCKE J.

DATE DES MOTIFS :

LE 7 JANVIER 2019

COMPARUTIONS :

Me Suzanne Trudel

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Abdou Gaye

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Abdou Gaye

Avocat

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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