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Date : 20190107


Dossier : IMM‑1522‑18

Référence : 2019 CF 13

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

NEELA PARIKH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Mme Neela Parikh sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) a conclu qu’elle ne pouvait pas obtenir le statut de résidente permanente parce qu’elle n’avait pas satisfait à l’obligation de résidence, et que les motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas de lui accorder une mesure exceptionnelle.

[2]  La SAI a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle avait vécu avec son mari aux États‑Unis pendant un nombre suffisant de jours durant la période de référence, de nombreuses omissions et contradictions rendant peu crédible la preuve qu’elle a présentée. La SAI a également estimé que l’argument selon lequel elle devait rester au Canada pour s’occuper de son époux n’était pas étayé au vu des éléments de preuve, et que ni son établissement au Canada ni les difficultés auxquelles elle serait confrontée en cas de retour en Inde ne justifiaient d’accorder des mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire.

[3]  La demanderesse allègue que la SAI a commis plusieurs erreurs, qu’elle a fait fi d’éléments de preuve importants et qu’elle a tiré une conclusion déraisonnable quant à la question de la résidence et à celle des motifs d’ordre humanitaire. Elle affirme que la preuve confirme qu’elle a accompagné, comme elle le prétend, son époux pendant un nombre de jours suffisants pour satisfaire à l’obligation de résidence énoncée dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Elle ajoute que la preuve établit que son époux souffre de graves problèmes de santé qui doivent être traités au Canada et que son retour forcé en Inde causera d’importantes difficultés.

[4]  Je ne suis pas convaincu que les erreurs contenues dans la décision de la SAI soient fatales ou que celle‑ci ait fait fi d’éléments importants. Par conséquent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

I.  Le contexte

[5]  La demanderesse a obtenu le droit d’établissement au Canada en 1997 avec ses deux enfants. Son époux avait obtenu le sien l’année précédente. Elle est retournée en Inde avec ses deux enfants pendant deux ans à cause de la maladie d’un membre de la famille et elle est revenue au Canada en 1999 pour une période de deux ans.

[6]  La demanderesse et son époux voulaient que leurs enfants deviennent médecins. La demanderesse affirme qu’elle a déménagé en 2001 avec ses enfants aux États‑Unis parce qu’il est plus facile d’être admis dans une faculté de médecine dans ce pays. Elle ajoute que son époux est revenu au Canada quelques semaines plus tard et qu’il est resté ici pour satisfaire à l’obligation de résidence pour les besoins de l’obtention de la citoyenneté canadienne, qu’il a acquise en 2003. Son époux a continué de travailler et de vivre au Canada jusqu’au courant de l’année 2005, date à laquelle il a déménagé aux États‑Unis pour des raisons de travail, semble‑t‑il.

[7]  La preuve établit que l’époux de la demanderesse a conservé diverses adresses résidentielles au Canada, qu’il a traversé la frontière canado‑américaine à plusieurs reprises et qu’il s’est rendu dans d’autres pays durant la période pertinente. La demanderesse a produit des éléments de preuve attestant qu’elle a vécu aux États‑Unis avec son époux et ses enfants pendant que ces derniers faisaient leurs études; cependant, sa déclaration suivant laquelle son époux a vécu avec elle durant cette période a été mise en doute pour les motifs que j’expliquerai ci‑après.

[8]  La demanderesse est revenue au Canada en novembre 2012, après que son fils eut obtenu son diplôme de médecine. Le 11 avril 2013, un rapport a été établi en vertu de l’article 44 de la LIPR pour cause de manquement à l’obligation de résidence, et la demanderesse a été frappée d’une mesure d’interdiction de séjour le 17 juin 2013. La SAI a confirmé cette mesure et rejeté l’appel de la demanderesse en septembre 2015. La demande de contrôle judiciaire visant cette mesure a été accueillie sur consentement et l’affaire a été renvoyée à la SAI pour réexamen. La SAI a rendu une seconde décision confirmant la mesure d’interdiction de séjour, décision qui a elle‑même fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire; cette demande a été accueillie en mai 2017. L’affaire a été renvoyée à la SAI pour réexamen et la nouvelle décision a donné lieu à la présente demande.

II.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[9]  Deux questions doivent être tranchées en l’espèce :

  1. La décision concernant l’obligation de résidence est‑elle raisonnable?
  2. La décision concernant les motifs d’ordre humanitaire est‑elle raisonnable?

[10]  La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, comme il est expliqué dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 58. Cette norme s’applique aux questions concernant les critères de résidence et aux décisions quant aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire : Bello c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 745, aux paragraphes 22 à 26; Samad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 30 [Samad].

[11]  La Cour, lorsqu’elle examine si la décision est raisonnable, s’intéresse à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, et se demande si la décision appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47). Ces conclusions appellent une certaine retenue, et il ne revient pas à la Cour de pondérer à nouveau la preuve dont disposait le décideur (Ali Gilani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 243, au paragraphe 35; Samad, au paragraphe 30).

[12]  L’avocat de la demanderesse a fait valoir à l’audience qu’il y avait manquement à l’équité procédurale en ce qui concerne les motifs, car la SAI n’a pas tenu compte d’un grand nombre d’éléments de preuve importants. Il a soutenu que l’insuffisance des motifs – le défaut d’aborder un si grand nombre d’éléments de preuve – rendait l’audience inéquitable.

[13]  Je rejette cet argument, car il ne s’inscrit pas dans la démarche convenue lorsqu’il s’agit d’examiner les motifs d’un décideur. Le caractère inadéquat des motifs ne justifie pas à lui seul la révision de la décision, et il n’existe aucun autre fondement pour établir un manquement à l’équité procédurale : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

III.  Analyse

A.  La décision concernant l’obligation de résidence est‑elle raisonnable?

[14]  Aux termes de l’alinéa 28(1)a) de la LIPR, les demandeurs doivent établir qu’ils ont résidé au Canada 730 jours pendant une période quinquennale. La demanderesse était à l’extérieur du Canada pendant une partie importante de la période pertinente qui allait du 11 avril 2008 au 11 avril 2013. La décision de la SAI contient une erreur quant à la désignation de cette période de cinq ans, mais j’estime que celle‑ci est sans conséquence, car la transcription de l’audience montre que le commissaire connaissait la bonne période.

[15]  La demanderesse se fonde sur le sous‑alinéa 28(2)a)(ii) pour appuyer sa prétention selon laquelle elle satisfait à l’obligation de résidence :

(2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :

(2) The following provisions govern the residency obligation under subsection (1) :

a) le résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, selon le cas :

(a) a permanent resident complies with the residency obligation with respect to a five‑year period if, on each of a total of at least 730 days in that five‑year period, they are

[…]

(ii) il accompagne, hors du Canada, un citoyen canadien qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents,

(ii) outside Canada accompanying a Canadian citizen who is their spouse or common‑law partner or, in the case of a child, their parent,

[16]  La demanderesse prétend qu’elle « accompagn[ait] » son époux aux États‑Unis, au sens du paragraphe 61(4) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR] :

Accompagnement hors du Canada

Accompanying outside Canada

61 (4) Pour l’application des sous‑alinéas 28(2)a)(ii) et (iv) de la Loi et du présent article, le résident permanent accompagne hors du Canada un citoyen canadien ou un résident permanent – qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents – chaque jour où il réside habituellement avec lui.

61 (4) For the purposes of subparagraphs 28(2)(a)(ii) and (iv) of the Act and this section, a permanent resident is accompanying outside Canada a Canadian citizen or another permanent resident – who is their spouse or common‑law partner or, in the case of a child, their parent – on each day that the permanent resident is ordinarily residing with the Canadian citizen or the other permanent resident.

[17]  La demanderesse a soumis les éléments de preuve suivants à l’appui de son allégation selon laquelle :

  • Son témoignage, ainsi que celui de son époux, selon lesquels ils ont traversé la frontière en voiture en 2001 et elle vit aux États‑Unis depuis.
  • Le témoignage de son époux, étayé par les timbres figurant sur son passeport et les renseignements provenant de fonctionnaires américains, selon lequel il a traversé la frontière canado‑américaine en 2005.
  • Des lettres de parents, ainsi qu’une lettre de son fils, d’après lesquelles la demanderesse vivait avec son époux et ses enfants près de Chicago durant la période pertinente.

[18]  La décision de la SAI a mis en doute des éléments de preuve déterminants. En particulier, la SAI a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que la demanderesse avait vécu avec son mari durant cette période. Voici ses principales conclusions :

  • Aucune preuve indépendante ne corroborait le témoignage selon lequel la demanderesse avait passé la frontière américaine avec son époux en 2001. Ces derniers ont déclaré qu’ils avaient traversé la frontière en voiture, mais n’ont fourni aucune preuve documentaire à l’appui de leur témoignage.
  • La demanderesse a déclaré que, pendant la majeure partie de la période où elle vivait aux États‑Unis, elle ne jouissait d’aucun statut juridique. Son époux n’a pu produire aucun élément de preuve établissant qu’il détenait un permis de travail valide ou une autre autorisation de travailler aux États‑Unis.
  • Rien n’indique que la demanderesse ait accompagné son époux lors des différents voyages qu’il a faits durant cette période dans d’autres pays ni qu’elle en ait été empêchée. La SAI a noté que des éléments de preuve corroborante démontrant qu’elle avait accompagné son époux lors de ses voyages auraient permis à la demanderesse d’établir qu’elle l’accompagnait au sens des critères du sous‑alinéa 28(2)a)(ii).
  • La demanderesse et son fils ont présenté une demande de citoyenneté canadienne en mars 2010, dans laquelle elle a déclaré avoir vécu à diverses adresses canadiennes durant la période allant de mars 2008 à mars 2013. Elle a déclaré que ces adresses étaient celles de logements que son époux avait loués durant cette période pour maintenir son lien avec le Canada, et que, dans sa culture, son lieu de résidence est celui de son époux. La SAI a rejeté cette explication, car elle n’était pas étayée par la preuve, et a noté qu’elle devait indiquer dans la demande de citoyenneté « les périodes où vous avez été effectivement présent[e] au Canada ».
  • La demanderesse a soumis à l’appui de sa demande de citoyenneté des lettres de voisins dans lesquelles ces derniers affirment qu’ils l’ont vue aux adresses canadiennes, alors qu’elle prétend qu’elle accompagnait son époux aux États‑Unis.
  • La demanderesse a également soumis à l’appui de sa demande de citoyenneté une lettre de son fils. Cette lettre n’était pas crédible, la SAI ayant estimé qu’il avait fait de fausses déclarations dans sa propre demande de citoyenneté et qu’il était visé par une mesure de renvoi distincte.

[19]  La demanderesse prétend que la SAI a ignoré les éléments de preuve pertinents et qu’elle a tiré des conclusions déraisonnables quant à la question essentielle de savoir si elle avait vécu avec son époux aux États‑Unis durant la période allant de 2005 à 2012. Si tel était le cas, elle l’« accompagn[ait] » donc et remplissait dès lors l’obligation de résidence. La demanderesse affirme que les dates de voyage de son époux ont été répertoriées dans un tableau détaillé fourni à la SAI, mais que celle‑ci n’en a pas tenu compte. Elle soutient que le commissaire de la SAI a commis une erreur en corrigeant le tableau durant l’audience, ce qui indique qu’il n’y a pas porté suffisamment d’attention.

[20]  La demanderesse fait également valoir que la SAI a indûment fait fi de son témoignage, de celui de son époux et de la lettre de son fils. Selon ces éléments de preuve, ils avaient vécu ensemble aux États‑Unis. Elle affirme en outre que l’interprétation du sous‑alinéa 28(2)a)(ii) retenue par la SAI était erronée en droit, ce qui rend la décision déraisonnable.

[21]  Je ne souscris pas à cette prétention. La décision montre que la preuve pertinente a été prise en compte. L’appréciation de la crédibilité des témoins et de la preuve documentaire est amplement étayée par le dossier. Bien que le critère prévu par la loi et le règlement n’ait pas été cité, je conclus que le commissaire a appliqué le critère requis.

[22]  Le problème fondamental pour la demanderesse est qu’elle a fourni deux versions complètement contradictoires en ce qui concerne son lieu de résidence durant la période pertinente. Elle a initialement déclaré qu’elle avait été effectivement présente au Canada aux diverses adresses indiquées, et a affirmé ultérieurement qu’elle avait accompagné son époux et résidé aux États‑Unis durant cette période. Confrontée à cette contradiction, la demanderesse a nié avoir menti dans sa demande de citoyenneté : sa réponse était conforme aux normes de sa culture suivant lesquelles son adresse devait être celle de son époux.

[23]  Cette explication pose problème, et ce, à au moins trois égards : i) la question précise à laquelle elle répondait était de savoir si elle avait été effectivement présente au Canada, et non quelle était son adresse ou celle de son époux; ii) la demanderesse n’a produit aucune preuve concernant cette norme culturelle, et iii) d’après son témoignage, son époux n’habitait pas vraiment aux adresses canadiennes indiquées durant cette période, mais les conservait simplement pour recevoir son courrier et avoir un lien avec le Canada. Elle a déclaré durant son témoignage qu’il vivait avec elle aux États‑Unis. S’il faut appliquer la norme culturelle telle qu’elle l’a présentée, son adresse aurait donc dû être aux États‑Unis. La SAI n’a pas commis d’erreur en concluant que cette contradiction minait sa crédibilité.

[24]  La demanderesse soutient que la SAI a mal interprété le sous‑alinéa 28(2)a)(ii) de la LIPR lorsqu’elle a déclaré : « La signification du mot ‘accompagner’ est simple, il s’agit de voyager avec une personne ou d’être en compagnie de celle‑ci, en l’espèce l’époux de l’appelante ». Cela ne correspond pas à la définition du terme figurant au paragraphe 61(4) du RIPR, et il s’agit d’une erreur de droit. Le défendeur fait valoir que la définition formulée par le commissaire n’était pas erronée, qu’elle reprend en substance celle qui se trouve au paragraphe 61(4) et que, de toute façon, la décision montre que le commissaire a appliqué le critère requis pour évaluer la preuve.

[25]  Le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable ne doit pas être une « chasse au trésor […] à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & papier Irving Ltée, 2013 CSC 34, au par. 54). Cependant, l’argument avancé en l’espèce est qu’il est déraisonnable de ne mentionner nulle part la définition d’un terme juridique précis concernant une question essentielle, lorsque son sens est précisé dans un règlement et que le décideur doit citer la définition réglementaire pertinente. En l’occurrence, il ne l’a pas fait – le paragraphe 61(4) du RIPR n’est pas mentionné. Est‑ce une erreur fatale? Je ne suis pas de cet avis, et ce, pour les motifs qui suivent.

[26]  Tout d’abord, durant l’audience de la SAI, le commissaire a défini l’enjeu factuel et juridique précis relatif à cette question, dans des termes qui indiquent qu’il comprenait l’essence du critère juridique. D’après la transcription, le commissaire a déclaré ce qui suit assez rapidement au début de l’audience :

[traduction]

Très bien, donc monsieur le conseil, j’essaie juste de faciliter la tâche à tout le monde; si l’appelante peut me fournir des éléments de preuve suffisants pour établir qu’elle accompagnait son époux aux États‑Unis en juin 2001 et qu’il est prouvé qu’il s’y trouvait […] et qu’ils vivaient ensemble, elle satisfait alors aux éléments prévus au [sous‑al. 28(2)a)(ii) de la LIPR].

[27]  Deuxièmement, je conclus que les motifs démontrent que le commissaire cherchait des indices de cohabitation des époux durant la période pertinente. Bien que la décision n’emploie pas l’expression « réside habituellement avec », c’est en substance la question que le commissaire a examinée dans la décision.

[28]  Le défendeur a soutenu à l’audience que l’expression effectivement employée dans la décision, « voyager avec une personne ou […] être en compagnie de celle‑ci », équivaut sur le plan pratique à celle qui figure au paragraphe 61(4). Même si l’expression « être en compagnie de » peut être interprétée comme « résider normalement avec » quelqu’un, elle peut aussi être comprise comme s’appliquant à une série de périodes plus courtes ou occasionnelles durant lesquelles deux personnes étaient ensemble. Les deux sens ne sont pas identiques.

[29]  Cependant, je ne pense pas que cette décision devrait être infirmée parce que le commissaire n’a pas cité une phrase de manière exacte. La question qui importe est de savoir s’il a appliqué le critère voulu à la preuve, et non la forme particulière de l’expression choisie. J’estime que le commissaire a appliqué le critère requis aux faits.

[30]  Par exemple, la décision met en contraste la preuve concernant les voyages de l’époux, notamment celui qu’il a effectué aux États‑Unis, avec l’absence d’éléments ayant trait au lieu de résidence de la demanderesse. Aucune preuve émanant du gouvernement ou de quelque autorité indépendante n’est venue étayer sa preuve selon laquelle elle avait vécu aux États‑Unis.

[31]  Quelques photographies de la demanderesse et de son époux ensemble ont été produites; ces derniers ont déclaré qu’elles ont été prises au mariage de leur fille aux États‑Unis. Cependant, ces photographies ne montrent pas de point de repère ou autre détail susceptible de confirmer l’endroit où ces photos ont été prises. En outre, je conviens avec le défendeur que ces photographies montrent tout au plus que les époux étaient ensemble à un moment donné. En dehors des lettres rédigées par les parents, aucun document ne vient corroborer leur témoignage selon lequel ils ont vécu ensemble pendant sept ans aux États‑Unis. La SAI a conclu que l’authenticité et la fiabilité de ces lettres étaient douteuses, pour les motifs qu’elle a expliqués et qui sont amplement étayés par les éléments versés au dossier.

[32]  La demanderesse fait valoir que le commissaire a mal interprété les éléments de preuve concernant les voyages de son époux. Il a noté que les timbres sur le passeport de l’époux indiquaient qu’il était allé aux États‑Unis, en Inde et dans d’autres pays entre 2008 et 2011 – la période même durant laquelle il prétend avoir résidé avec la demanderesse aux États‑Unis. Le passage suivant est tiré de la décision :

[35] Toutefois, aucune preuve crédible ne permet de conclure que l’appelante voyageait avec son époux canadien ou l’accompagnait lors de ces courts voyages. Il n’y a également aucune preuve crédible pour expliquer pourquoi l’appelante ne pouvait pas accompagner son époux à ces endroits après qu’il eût obtenu la citoyenneté canadienne. Si l’appelante l’avait fait et qu’elle avait présenté des éléments de preuve crédibles à l’appui de ses voyages en compagnie de son époux, qui était citoyen canadien au moment de ces voyages, il est possible qu’elle ait pu être en mesure de se conformer à l’obligation de résidence permanente, conformément au sous‑alinéa 28(2)a)(ii) de la LIPR. Cependant, ce n’est pas le cas.

[33]  La demanderesse soutient que ce passage démontre que le commissaire a commis une erreur de fait, puisque la durée combinée de ces voyages ne lui aurait pas permis de remplir l’obligation de résidence. Elle soutient également qu’il s’agit d’une erreur de droit, puisqu’il appert que le commissaire a interprété le terme « accompagner » figurant au sous‑alinéa 28(2)a)(ii) comme s’il signifiait [traduction] « voyager ensemble ».

[34]  Cet argument de me convainc pas. J’estime que le fait que le commissaire ait cherché à savoir si la demanderesse avait voyagé avec son époux montre qu’il aurait accepté les timbres de passeport ou d’autres éléments établissant qu’ils avaient voyagé ensemble comme des indices qu’ils résidaient probablement ensemble durant cette période. Le commissaire fait remarquer que les voyages de l’époux de la demanderesse étaient très courts. Même si la demanderesse l’avait accompagné tous les jours qu’ont duré tous ces voyages, cela n’aurait pas allongé de beaucoup le temps qu’ils ont passé ensemble.

[35]  En l’absence de preuve établissant qu’ils ont voyagé ensemble, aucun autre élément de preuve documentaire indépendant ne venait confirmer l’affirmation selon laquelle la demanderesse et son époux ont vécu ensemble aux États‑Unis.

[36]  Enfin, le commissaire avait de bonnes raisons de conclure que, dans l’ensemble, la preuve était insuffisante, compte tenu des contradictions dans le récit de la demanderesse, et de son empressement manifeste à modifier son récit, à signer des documents officiels attestant différentes versions des événements, et à soumettre des éléments de preuve de tierces parties à l’appui des deux versions.

[37]  Compte tenu de l’ensemble de la preuve, je conclus que la décision selon laquelle la demanderesse n’avait pas respecté l’obligation de résidence appartient aux issues raisonnables au regard du droit et de la preuve.

B.  La décision concernant les motifs d’ordre humanitaire est‑elle raisonnable?

[38]  Une demande ne sera pas nécessairement rejetée parce que le nombre de jours passés au Canada est insuffisant pour satisfaire à l’obligation de résidence. L’alinéa 28(2)c) de la LIPR autorise l’agent à déterminer si des circonstances d’ordre humanitaire justifient le maintien du statut de résident permanent. La LIPR permet ainsi de surmonter l’inobservation de l’obligation de résidence – mais cette mesure est exceptionnelle et discrétionnaire : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Nizami, 2016 CF 1177, au paragraphe 16. La SAI est expressément autorisée à examiner les motifs d’ordre humanitaire au moment de trancher un appel : voir l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. Les facteurs à prendre en compte pour évaluer une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire regardant l’obligation de résidence ont été décrits par le juge LeBlanc dans l’affaire Samad :

[18]  Pour déterminer s’il existe des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales, la SAI, en plus du facteur lié à l’intérêt supérieur de l’enfant prévu par les alinéas 28(2)c) et 67(1)c) de la Loi, peut prendre en considération divers facteurs comme la période de séjour des demandeurs au Canada et leur degré d’établissement au Canada avant de quitter le pays, les raisons pour lesquelles ils ont quitté le pays, leurs contacts réguliers avec les membres de leur famille au Canada, les difficultés que les membres de la famille au Canada connaîtraient s’ils devaient perdre leur statut de résident permanent et déménager, leur situation alors qu’ils vivaient à l’extérieur du Canada et les tentatives de retour au Canada, les difficultés qu’ils connaîtraient s’ils devaient perdre leur résidence permanente et retourner dans leur pays d’origine, et l’existence d’autres circonstances spéciales ou particulières justifiant la prise de mesures spéciales (Ambat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 292, 386 FTR 35; Nekoie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 363, 407 FTR 63aux par. 32 et 33; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sidhu, 2011 CF 1056, 397 FTR 29, au par. 44).

[39]  La demanderesse prétend que la SAI a déraisonnablement omis d’examiner la preuve concernant la santé de son époux, son établissement au Canada et les difficultés auxquelles elle se heurtera si elle est renvoyée en Inde. L’époux de la demanderesse a eu une crise cardiaque en 2016, et une équipe médicale lui prodigue des soins de suivi. La demanderesse prétend que le commissaire n’a pas tenu compte de la lettre du médecin traitant de son époux qui déconseille d’apporter des changements à son traitement ou à son équipe de soins et qui recommande lui recommande d’éviter le stress.

[40]  La demanderesse a déclaré qu’elle devait être auprès de son époux, parce que l’état de santé faisait en sorte qu’elle devait s’occuper de lui, et ce, constamment. Ils ont déclaré tous les deux qu’il ne recevrait pas de soins adéquats en Inde, et qu’en particulier, l’absence d’un service d’urgence 911 analogue à celui qui existe au Canada lui causerait de graves inquiétudes. Le père de l’époux est mort d’une crise cardiaque en Inde, et ce dernier a déclaré que le retour dans ce pays lui occasionnerait beaucoup de stress et de difficultés.

[41]  La demanderesse fait également valoir que le commissaire a soupesé de manière déraisonnable la preuve concernant son degré d’établissement au Canada : elle invoque son emploi, sa participation à diverses organisations religieuses et à d’autres activités de bénévolat, ainsi que ses attaches familiales au Canada et aux États‑Unis. Elle ajoute que ni elle ni son époux n’ont de la famille immédiate en Inde, qu’ils n’y ont plus de domicile et qu’ils n’ont pas gardé de liens avec ce pays. Son époux n’a plus la citoyenneté indienne. La demanderesse estime qu’il était déraisonnable de conclure que les motifs d’ordre humanitaire ne lui étaient pas favorables en pareilles conditions.

[42]  Le défendeur soutient que la décision est raisonnable et que le commissaire a appliqué le bon critère. L’appréciation des motifs d’ordre humanitaire constitue un exercice discrétionnaire qui dépend largement des faits et qui appelle une grande déférence de la part de la cour siégeant en révision.

[43]  Je ne suis pas convaincu que la décision soit déraisonnable. Il n’appartient pas à la Cour de réexaminer la preuve, de soupeser à nouveau les facteurs pertinents et de substituer son opinion à celle de la SAI. Cette décision relève de l’expertise fondamentale de la SAI. Le commissaire a examiné le critère juridique applicable et les facteurs pertinents, et sa conclusion est étayée par la preuve.

[44]  En ce qui concerne le problème médical de l’époux de la demanderesse, le commissaire a justement relevé que ce dernier avait récemment voyagé tout seul en Inde, alors qu’il était censé avoir besoin de soins et de soutien 24 heures sur 24, sept jours sur sept. J’estime également que le commissaire n’a pas fait fi de la lettre du médecin traitant. Il en parle d’ailleurs spécifiquement au paragraphe 52 de la décision. Le commissaire a également relevé l’absence de preuve crédible établissant que l’époux de la demanderesse ne pourrait pas obtenir des soins de santé adéquats s’il était renvoyé en Inde.

[45]  Le commissaire a également examiné l’établissement limité de la demanderesse au Canada, ainsi que la preuve concernant les difficultés auxquelles elle se heurterait si elle était renvoyée en Inde. Comme il l’a fait remarquer, elle se heurterait à certaines difficultés, mais elle « parle la langue du pays et a vécu la majorité de sa vie en Inde, ce qui faciliterait la transition ».

[46]  J’estime que cet aspect de la décision est raisonnable, étant justifié, transparent et intelligible, ainsi que justifiable au regard des faits et du droit : Dunsmuir, au paragraphe 47; Khosa, au paragraphe 59.

IV.  Conclusion

[47]  Pour ces motifs, je conclus que la décision de la SAI est raisonnable. Le commissaire a correctement examiné la preuve, et ses conclusions en matière de crédibilité sont étayées par les éléments versés au dossier. Bien que la décision ne formule pas exactement le critère tel qu’il est énoncé dans la loi et le règlement, je conclus que le commissaire a appliqué le critère approprié lors de son examen de la preuve. Les conclusions sont pleinement expliquées et étayées par la preuve.

[48]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[49]  Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et les faits de la présente affaire n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1522‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de février 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1522‑18

 

INTITULÉ :

NEELA PARIKH c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 OCTOBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 JANVIER 2019

 

COMPARUTIONS :

John Rokakis

POUR LA DEMANDERESSE

 

David Joseph

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Rokakis Law

Avocat

Windsor (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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