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Date : 20190102


Dossier : IMM-5275-17

Référence : 2019 CF 3

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

GRANT ALEXANDER SKINNER,

DIANNE SANDRA SKINNER,

BRITTANY-PAIGE SKINNER,

CHESNEY-JANE SKINNER et

MIELO-TRENT SKINNER, représenté par sa tutrice à l’instance DIANNE SANDRA SKINNER

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs sont des citoyens de l’Afrique du Sud. Le demandeur principal, Grant Alexander Skinner, est âgé de 53 ans. Son épouse, Dianne Sandra Skinner, âgée de 48 ans, et son petit‑fils âgé de neuf ans, Mielo-Trent Skinner, sont les codemandeurs. Ils ont présenté des demandes de visa de résident permanent de l’intérieur du Canada en invoquant des motifs d’ordre humanitaire. Les filles adultes de M. et Mme Skinner, Brittany-Paige Skinner, âgée de 25 ans, et Chesney-Jane Skinner, âgée de 23 ans, ont également présenté des demandes distinctes de visa de résident permanent de l’intérieur du Canada en invoquant des motifs d’ordre humanitaire au même moment que leurs parents. Citoyenneté et Immigration Canada a reçu en décembre 2016 les demandes présentées par les demandeurs.

[2]  Dans trois demandes distinctes, toutes trois datées du 9 novembre 2017, le même agent principal de ce qui était alors Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] a décidé que des dispenses ne seraient pas accordées aux demandeurs et a refusé leurs demandes de résidence permanente présentées de l’intérieur du Canada. Les demandeurs ont présenté une demande de contrôle judiciaire des trois décisions de l’agent en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Ils demandent à la Cour d’annuler les décisions et de renvoyer leurs demandes à un autre agent d’immigration pour qu’il rende une nouvelle décision.

I.  Contexte

[3]  M. et Mme Skinner et leurs deux filles vivent au Canada depuis décembre 2007. Mielo-Trent a habité avec sa mère en Afrique du Sud jusqu’à ce que cette dernière perde la vie dans un accident d’automobile en décembre 2012. Mielo-Trent se trouvait dans l’automobile au moment de l’accident; il a survécu, mais a été blessé à la jambe droite, et huit vis et une plaque en métal ont dû être installées dans sa jambe. Mme Skinner s’est rendue en Afrique du Sud pour s’occuper de l’enterrement de sa fille (ce qui, selon elle, a été difficile émotionnellement non seulement parce qu’elle a perdu son enfant, mais aussi parce qu’elle a dû verser des pots‑de‑vin aux directeurs de funérailles de l’État pour que sa fille soit enterrée correctement) et pour s’occuper de Mielo-Trent puisque le père de ce dernier ne pouvait pas ou ne voulait pas s’occuper de lui. La North Gauteng High Court de Pretoria a accordé à Mme Skinner la garde de Mielo-Trent, qui habite avec sa famille au Canada depuis janvier 2013.

[4]  Lorsqu’il est arrivé au Canada, M. Skinner était titulaire d’un permis de travail délivré en décembre 2007 qui lui permettait de travailler pour Axentia Solutions Corporation; ce permis était valide jusqu’en décembre 2011. Mme Skinner a obtenu un permis de travail ouvert, et Brittany-Paige et Chesney-Jane ont obtenu des permis d’études en décembre 2007; ces permis étaient également valides jusqu’en décembre 2011. Leurs demandes de prolongation de ces permis ont été refusées en février 2012 tout comme leurs demandes de rétablissement en juin 2012. En septembre 2012, M. Skinner a obtenu un permis de travail pour Axentia/Accenture Canada, et son épouse a obtenu un permis de travail ouvert; ces permis étaient valides jusqu’en septembre 2014.

[5]  Une demande de résidence permanente au titre de l’expérience canadienne, fondée sur l’expérience de travail de M. Skinner au Canada, a été envoyée à CIC en novembre 2012. Cette demande, qui englobait l’ensemble de la famille Skinner, a été refusée en avril 2014 parce que l’ancien conseil des demandeurs avait fourni des documents incorrects; leur conseil à l’époque avait fourni une lettre pour soutenir un avis relatif au marché du travail plutôt qu’une lettre pour confirmer que M. Skinner avait travaillé au Canada dans une profession admissible pendant plusieurs années. Une autre demande sur la même base a été rejetée parce que les demandeurs avaient atteint le nombre maximal de demandes de cette nature qu’ils pouvaient soumettre au moment du nouveau dépôt de la demande.

[6]  En novembre 2014, M. et Mme Skinner ont soumis des demandes de fiche du visiteur. Ces demandes ont été approuvées en mars 2015. Toutefois, leurs demandes de prolongation soumises avant l’expiration de leur statut de résident temporaire ont été refusées en septembre 2015. Après avoir perdu leur statut au Canada, les demandeurs ont tenté de régulariser leur situation en déposant des demandes de visas de résident permanent de l’intérieur du Canada, en invoquant des motifs d’ordre humanitaire.

II.  Décisions de l’agent

[7]  Dans des décisions distinctes datées du 9 novembre 2017, l’agent a refusé la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire concernant M. et Mme Skinner et leur petit‑fils ainsi que les demandes de Brittany-Paige et de Chesney-Jane. L’agent a indiqué que les motifs d’ordre humanitaire des demandeurs étaient l’intérêt supérieur de Mielo-Trent, les difficultés liées aux conditions défavorables en Afrique du Sud et leur degré d’établissement au Canada.

A.  Intérêt supérieur de Mielo-Trent

[8]  L’agent a reconnu que Mielo-Trent avait créé des liens limités au Canada, estimant peu probable qu’il ait établi des relations profondes et significatives à l’extérieur de sa famille qui seraient rompues s’il devait habiter en Afrique du Sud. Après avoir souligné que les demandeurs semblent former une unité familiale soudée et solidaire, l’agent a conclu qu’il était dans l’intérêt supérieur de Mielo-Trent de demeurer avec des grands‑parents qui l’aiment. L’agent a alors déclaré : [traduction] « Je souscris en quelque sorte à l’opinion des demandeurs selon laquelle il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant de rester au Canada. […] Néanmoins, je ne suis pas convaincu qu’il soit si intégré à la société canadienne ni que les conditions en Afrique du Sud soient si défavorables que le fait d’accompagner ses grands‑parents en Afrique du Sud compromettrait considérablement son bien‑être. »

[9]  En ce qui concerne les radiographies et les photographies des blessures que Mielo-Trent a subies lors de l’accident d’automobile, l’agent a conclu que ces éléments de preuve n’ont pas une force probante suffisante pour établir qu’il n’a pas été traité adéquatement en Afrique du Sud. L’agent a fait remarquer que les services de santé canadiens sont supérieurs aux services généralement offerts en Afrique du Sud et que les demandeurs sont peut-être insatisfaits des installations publiques de soins de santé en Afrique du Sud, mais que l’information fournie sur ces questions ne lui permettait pas de conclure qu’ils n’avaient pas les moyens d’obtenir des soins de santé privés.

[10]  L’agent a reconnu que, bien que le Canada possède un système d’éducation de qualité, les demandeurs ont communiqué peu d’éléments de preuve objectifs permettant de comparer le système d’éducation du Canada et celui de l’Afrique du Sud. L’agent a retenu que les grands‑parents de Mielo-Trent n’ont pas mentionné que l’un ou l’autre de leurs enfants adultes avaient été freinés dans leur cheminement en entrant dans le système scolaire canadien. Selon l’agent, il s’agit d’une indication que la qualité de l’éducation dans les deux pays est comparable. L’agent a ajouté que Mielo‑Trent commençait son apprentissage et qu’il allait avoir accès à des membres de sa famille dont la langue maternelle est l’afrikaans. Selon l’agent, peu d’éléments de preuve permettent de croire que les demandeurs n’auraient pas les moyens d’obtenir des ressources supplémentaires comme un tuteur pour faciliter le retour de Mielo-Trent.

[11]  L’agent a conclu que Mielo-Trent avait probablement tissé des liens d’amitié, qu’il est proche de sa famille et qu’il participe à des activités communautaires, facteurs auxquels l’agent accorde un certain poids favorable. Toutefois, l’agent a conclu que la séparation de Mielo-Trent de son père, qui deviendrait permanente si la résidence permanente était accordée, irait en quelque sorte à l’encontre de son intérêt supérieur. Mielo-Trent a également des membres de sa parenté en Afrique du Sud qui ont environ le même âge que lui et qui pourraient lui venir en aide lors de son retour.

[12]  En ce qui concerne les craintes de M. et Mme Skinner quant à la violence faite aux enfants, l’agent a considéré que leurs déclarations ne sont pas convaincantes puisque l’Afrique du Sud applique des politiques contre la violence faite aux enfants et que Mielo-Trent peut compter sur la présence d’adultes de confiance, soit ses grands‑parents. L’agent a également conclu que bien que la criminalité et la violence puissent être des sources d’angoisse et que Mielo-Trent ne serait pas aussi libre de jouer à l’extérieur qu’il le serait au Canada, il existe des moyens de remédier à ce problème, et les demandeurs n’ont pas démontré pour quelle raison il serait touché personnellement.

[13]  L’agent a reconnu que Mielo-Trent devrait vivre une période d’adaptation à son retour en Afrique du Sud parce qu’il devra s’y faire de nouveaux amis et s’habituer à la langue et à la culture. L’agent a également reconnu que l’adaptation de Mielo-Trent pourrait être plus difficile que celle d’autres enfants en raison des blessures qu’il a subies dans l’accident d’automobile, du décès de sa mère et des problèmes de santé mentale possibles de sa grand‑mère. L’agent a néanmoins conclu que Mielo-Trent aurait l’aide de son grand‑père, de ses tantes et, au besoin, d’une jeune personne au pair.

B.  Difficultés associées à la situation défavorable dans le pays

[14]  Après avoir examiné les expériences personnelles de M. et de Mme Skinner en Afrique du Sud et la situation générale du pays, l’agent a conclu que bien que l’Afrique du Sud soit aux prises avec un taux de criminalité général élevé et un taux élevé de harcèlement fondé sur le sexe, l’information révèle que le risque d’être victime d’un crime, notamment d’un crime fondé sur le sexe, était faible pour les personnes qui sont dans une situation semblable à celle des demandeurs. L’agent a ensuite examiné les circonstances entourant le décès de la mère de Mielo-Trent et a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que des pots‑de‑vin ont été exigés pour l’inhumation.

[15]  L’agent a également examiné une évaluation psychologique menée par M. Day sur le trouble de stress post‑traumatique [TSPT] de Mme Skinner. L’agent a cité le rapport du psychologue :

[traduction]

[…] il est presque certain qu’un retour dans ce pays [l’Afrique du Sud] entraînera une exacerbation immédiate et profonde de ses symptômes déjà évidents de TSPT. Dans ces circonstances, elle est susceptible d’être submergée par la peur et d’adopter un comportement d’évitement qui la rendra presque invalide. En plus de subir une profonde exacerbation prévisible de ses symptômes de TSPT, il est également probable qu’elle sombre dans un épisode dépressif caractérisé. [...] Il ne fait guère de doute qu’un retour en Afrique du Sud entraînera l’apparition de symptômes psychologiques d’une telle intensité qu’ils la rendront incapable de s’acquitter même de ses responsabilités minimales, ce qui soulève des craintes particulièrement graves concernant sa capacité de s’occuper efficacement de son petit‑fils handicapé, dont elle est la principale responsable.

[…]

[…] il est peu probable qu’elle arrive à réaliser des progrès significatifs dans le traitement de ses symptômes de TSPT tant qu’elle se sentira menacée d’être renvoyée dans un environnement qui l’expose à la poursuite des abus et des traumatismes qu’elle a déjà vécus.

[16]  En évaluant le rapport de M. Day, l’agent a remarqué que peu d’indices laissent croire que Mme Skinner a tenté d’obtenir un traitement puisque son évaluation a été effectuée plus d’un an avant le dépôt de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agent a admis le diagnostic de M. Day et a reconnu ce dernier comme un expert dans son domaine, mais il est néanmoins demeuré

[traduction]

[…] conscient [que M. Day] a passé une durée indéterminée et consacré un nombre de séances qui n’a pas été précisé à interroger la demanderesse secondaire pour les besoins d’un dossier d’immigration. De plus, il n’explique pas pour quelle raison il n’existe qu’une seule méthode pour traiter les problèmes de santé mentale de Mme Skinner. De plus, je constate que M. Day n’indique pas dans son rapport qu’il a été témoin de la série d’événements survenus au Zimbabwe, en Afrique du Sud et au Canada. Par conséquent, je conclus que l’information qui figure dans le rapport de M. Day concernant les circonstances de vie des demandeurs n’est pas objective puisqu’elle a vraisemblablement été communiquée à M. Day uniquement par la demanderesse secondaire. Dans le même ordre d’idée, je dispose de peu d’éléments de preuve selon lesquels M. Day a consulté les documents sur les conditions dans le pays de retour des demandeurs. Par conséquent, les ressources dont disposerait Mme Skinner en Afrique du Sud ne sont pas prises en compte dans la conclusion. Je n’accorde qu’une certaine valeur aux autres conclusions de l’évaluation, en l’absence d’autres éléments de preuve documentaire qui soutiennent les énoncés […]

[17]  Après avoir consulté les éléments de preuve documentaire sur les services de santé mentale offerts en Afrique du Sud, l’agent a conclu que Mme Skinner aurait accès à des services de santé mentale en Afrique du Sud au besoin.

[18]  L’agent a accordé peu de poids à la crainte de la criminalité exprimée par M. et Mme Skinner. Il a accepté que quiconque quitte le Canada pour retourner dans un pays où le taux de criminalité est plus élevé et où les organismes d’application de la loi sont plus faibles peut craindre pour sa sécurité personnelle, mais il a conclu, compte tenu de la documentation objective sur la situation dans le pays, qu’il serait hypothétique de conclure que les demandeurs seraient victimes de crimes.

[19]  En ce qui concerne les autres conditions défavorables en Afrique du Sud, l’agent a reconnu que le fait d’avoir été absents du pays pendant plusieurs années a causé certaines difficultés à M. et à Mme Skinner. L’agent a toutefois conclu qu’ils n’auraient pas à surmonter en plus la barrière de la langue, qu’ils semblent être en mesure de trouver des emplois peu importe la conjoncture économique et qu’ils ont passé la plus grande partie de leur vie en Afrique du Sud. L’agent a également souligné que bien que M. Skinner ait démontré pendant une longue période en Afrique du Sud et au Canada qu’il est une personne entreprenante, il n’a pas expliqué pour quelle raison il serait incapable d’exploiter son entreprise actuelle à distance en Afrique du Sud ni pourquoi son entreprise ne serait pas viable dans l’économie de l’Afrique du Sud.

[20]  L’agent a reconnu que les demandeurs s’ennuieraient de leurs parents et amis qui vivent au Canada s’ils retournaient dans leur pays d’origine, mais que leur départ du Canada ne les empêcherait pas d’entretenir ces relations. Les médias sociaux comme Facebook, Twitter et Skype permettent d’entretenir des relations à distance de façon instantanée, simple et peu coûteuse. Selon l’agent, cette accessibilité serait également essentielle à leur retour en Afrique du Sud parce qu’ils pourraient ainsi bénéficier du soutien d’un réseau social.

C.  Degré d’établissement au Canada

[21]  Avant d’évaluer le degré d’établissement de M. et Mme Skinner et de leur petit‑fils, l’agent a souligné qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’a pas pour objet de réévaluer si M. Skinner aurait satisfait aux exigences relatives à la résidence permanente dans la catégorie de l’expérience canadienne. L’agent a également retenu que M. et Mme Skinner ont habité au Canada pendant neuf ans, alors que Mielo-Trent a habité au Canada pendant presque quatre ans. L’agent a fait remarquer que bien que M. et Mme Skinner aient été titulaires de permis de travail valides pendant environ six ans et aient eu le statut de visiteur pendant près de six mois, ils n’avaient aucun statut au Canada depuis environ 40 mois en tout au moment où ils ont soumis leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[22]  L’agent a également fait remarquer que Mielo-Trent a eu le statut de visiteur pendant tout juste moins de six mois sur les trois années et demie qu’il a passées au Canada. Bien qu’il ait conclu que peu d’information avait été communiquée sur le degré d’établissement de Mielo‑Trent au Canada, l’agent a reconnu qu’il s’était probablement fait des amis, qu’il était proche de sa famille et qu’il avait pris part à des activités dans sa collectivité. L’agent a accordé un certain poids favorable à ce facteur et a déclaré qu’il considérait que la période pendant laquelle Mielo‑Trent a séjourné ou étudié au Canada sans autorisation ne constituait pas un facteur négatif parce qu’il était mineur.

[23]  L’agent a conclu que M. et Mme Skinner ont noué plusieurs amitiés, principalement avec des collègues, mais a conclu que peu d’information avait été fournie sur la profondeur ou l’ampleur de ces amitiés. L’agent a reconnu que M. et Mme Skinner ont noué des amitiés au Canada, malgré les problèmes de santé mentale de Mme Skinner, et a accordé un léger poids favorable à ce facteur. L’agent a également reconnu qu’ils avaient vraisemblablement participé à des activités dans la collectivité et a accordé un léger poids à ce facteur.

[24]  L’agent a accepté que bien que M. Skinner ait payé des impôts de 2010 à 2013 et que Mme Skinner en ait payé en 2014, M. Skinner a donné peu d’explications quant à savoir pourquoi lui et son épouse n’ont fourni aucun renseignement sur les autres années d’imposition. L’agent a conclu que l’absence de preuve sur le paiement d’impôts diminue le poids favorable accordé aux années pendant lesquelles ils ont payé des impôts puisqu’ils ont présenté un portrait incomplet de leur situation. L’agent a ensuite fait remarquer que M. et Mme Skinner n’ont pas de casier judiciaire, maîtrisent bien l’anglais, possèdent de bonnes capacités de gestion financière et des économies et que rien dans la preuve n’indique qu’ils ont demandé de l’aide sociale. L’agent a conclu que l’étendue du bénévolat effectué par M. et Mme Skinner était incertaine parce que ce travail a été décrit en termes qui le rendent impossible à quantifier.

[25]  Bien que l’agent ait accepté que M. et Mme Skinner aient travaillé au Canada, les renseignements qu’ils ont fournis sur les dates et les endroits ne sont pas cohérents. L’agent a conclu que le travail effectué par M. Skinner à l’extérieur d’Axentia a été effectué sans autorisation, et bien que l’agent ait accordé un certain poids à son emploi autorisé, un poids défavorable considérable a été attribué à l’emploi qu’il a occupé sans autorisation. L’agent a accordé un certain poids favorable à l’emploi autorisé que Mme Skinner a occupé, et un certain poids défavorable a été attribué à l’emploi qu’elle a occupé sans autorisation.

[26]  L’agent a conclu l’évaluation du degré d’établissement des demandeurs en examinant leurs actifs et la vente de la maison qu’ils ont achetée peu après leur arrivée au Canada. L’agent n’a pas pu déterminer clairement le prix de vente de la maison et a déclaré que l’information sur les actifs des demandeurs au Canada ou à l’extérieur du Canada était incomplète. L’agent a noté que M. et Mme Skinner avaient un compte bancaire conjoint dont le solde était de 11 322,85 $ et a indiqué qu’il croyait qu’il était plus probable que non qu’ils possèdent d’importantes économies supplémentaires.

D.  Demande de Brittany-Page

[27]  L’agent a fait remarquer que Brittany-Page est arrivée au Canada en compagnie de sa sœur et de sa mère en décembre 2007 et qu’elle a perdu son statut de résidente temporaire au Canada lorsque le permis de travail de son père a été refusé en février 2012.

[28]  L’agent a remarqué que Brittany-Page a été titulaire d’un permis d’études valide pendant environ 50 mois et qu’elle n’a pas eu de statut valide de résidente temporaire pendant environ 58 mois. L’agent a reconnu qu’elle n’avait pas décidé d’arriver au Canada alors qu’elle était enfant et n’a pas attribué de poids défavorable à la période pendant laquelle elle a séjourné ou travaillé au Canada sans autorisation alors qu’elle était mineure. L’agent a également reconnu que Brittany-Page n’a pas de casier judiciaire, n’a jamais demandé d’aide sociale, a une bonne situation financière, et un léger poids favorable a été accordé à ce facteur.

[29]  L’agent a fait remarquer que Brittany-Page a habité avec son conjoint de fait à compter de septembre 2015 et que cette relation est confirmée par des photos ainsi que par des lettres de son conjoint, de collègues, d’amis et de membres de sa famille. Selon l’agent, elle était elle aussi proche de ses parents, de sa sœur et de son neveu, et ils se voyaient souvent et passaient les fêtes ensemble. L’agent a remarqué que la famille naturelle de sa mère se trouve en Colombie‑Britannique. L’agent a accordé un poids favorable modéré au fait que son conjoint et des membres de sa famille ont un statut au Canada et a accordé un certain poids favorable au fait qu’elle s’est créé un réseau diversifié d’amis et de collègues qui ont parlé d’elle en exprimant beaucoup d’estime à son égard.

[30]  L’agent a ensuite examiné les études de Brittany-Page en n’attribuant aucun poids défavorable au fait qu’elle a étudié sans permis, puisqu’il s’agissait d’études secondaires, et a attribué un certain poids défavorable aux études qu’elle a effectuées sans autorisation dans un établissement postsecondaire. En ce qui concerne son historique d’emploi, l’agent a accepté qu’elle a vraisemblablement payé des impôts à tout le moins en 2010, en 2014 et en 2015 puisque des feuillets T4 ont été soumis. L’agent a remarqué que Brittany-Page a fourni peu d’explications sur le fait qu’elle n’a pas soumis d’éléments de preuve concernant les autres années d’imposition, et l’absence d’éléments de preuve à ce sujet a diminué le poids favorable accordé aux années pour lesquelles elle a payé des impôts puisqu’elle a présenté un portrait incomplet de sa situation. L’agent a attribué un poids défavorable considérable aux périodes pendant lesquelles elle a travaillé sans autorisation.

[31]  Après avoir examiné les antécédents scolaires et professionnels de Brittany‑Page, l’agent a mené une analyse du risque et des conditions défavorables en Afrique du Sud identique à l’analyse qui a été effectuée dans le cadre de la décision portant sur M. et Mme Skinner et leur petit‑fils. L’agent a réitéré son analyse et ses conclusions concernant le rapport de M. Day sur la santé mentale de la mère de Brittany-Page. L’agent a déclaré que puisque le neveu de Brittany‑Page, Mielo‑Trent, devait retourner en Afrique du Sud avec ses grands‑parents, il était dans son intérêt supérieur qu’elle l’accompagne en Afrique du Sud pour continuer à lui offrir en personne du soutien émotionnel.

[32]  L’agent a conclu qu’il était plus probable que le contraire que Brittany‑Page retourne en Afrique du Sud avec ses parents, sa sœur et son neveu. L’agent a reconnu qu’elle allait s’ennuyer de ses amis et des membres de sa famille qui vivent au Canada, y compris de son conjoint de fait, si elle retournait dans son pays d’origine, mais qu’elle allait pouvoir entretenir ces relations par les médias sociaux, comme les autres membres de sa famille.

[33]  L’agent a reconnu que le fait de s’absenter de l’Afrique du Sud pendant plusieurs années a causé certaines difficultés à Brittany-Page et qu’elle allait devoir s’adapter considérablement puisqu’elle a passé la deuxième moitié de son adolescence au Canada. Néanmoins, l’agent a noté qu’elle n’allait pas devoir surmonter l’obstacle supplémentaire de la langue, qu’il était plus probable que le contraire que son expérience de travail soit transférable dans l’économie d’Afrique du Sud et qu’elle allait vraisemblablement continuer de bénéficier du soutien en personne de ses parents, de sa sœur et de son neveu. En ce qui concerne les conditions générales dans le pays, l’agent a conclu qu’elles ne représentaient pas de contraintes exceptionnelles pour Brittany‑Page compte tenu du risque minime qu’elle soit touchée personnellement et de l’existence de mécanismes de recours.

[34]  L’agent a conclu les motifs de sa décision en soulignant que Brittany‑Page pourrait présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada au titre de la catégorie du regroupement familial (catégorie des époux) en raison de son union de fait avec un Canadien.

E.  Demande de Chesney‑Jane

[35]  L’agent a souligné que Chesney‑Jane est arrivée au Canada en compagnie de sa sœur et de sa mère le 17 décembre 2007 et qu’elle a perdu son statut de résidente temporaire au Canada lorsque le permis de travail de son père a été refusé en février 2012.

[36]  L’agent a fait remarquer que Chesney‑Jane a été titulaire d’un permis d’études valide pendant environ 50 mois et qu’elle n’a pas eu de statut valide de résidente temporaire pendant environ 58 mois. L’agent a reconnu qu’elle n’avait pas décidé d’arriver au Canada alors qu’elle était enfant et n’a pas attribué de poids défavorable à la période pendant laquelle elle a séjourné ou travaillé au Canada sans autorisation alors qu’elle était mineure.

[37]  L’agent a fait remarquer que Chesney‑Jane était proche de ses parents et de son neveu ainsi que de sa sœur, qui habite près de chez elle avec son conjoint de fait et qu’ils se voyaient souvent et passaient les fêtes ensemble. L’agent a remarqué que la famille naturelle de sa mère se trouve en Colombie‑Britannique. L’agent a accordé un certain poids favorable au fait que des membres de sa famille ont un statut au Canada et un certain poids favorable au fait qu’elle avait créé un réseau diversifié d’amis et de collègues qui ont parlé d’elle en exprimant beaucoup d’estime à son égard.

[38]  L’agent a ensuite examiné le parcours scolaire de Chesney-Jane en n’attribuant aucun poids défavorable aux études qu’elle a faites sans avoir de permis, puisqu’il s’agissait d’études secondaires, et en accordant un certain poids favorable aux études qu’elle a poursuivies au Canada. L’agent a reconnu que Chesney-Jane n’avait pas de casier judiciaire, n’a jamais demandé d’aide sociale et a accordé un très léger poids favorable à ces faits. L’agent a observé qu’elle n’a pas indiqué si elle paie un loyer, que le dossier ne contenait aucune facture à son nom et que selon les documents financiers qu’elle a soumis, son compte était fréquemment à découvert. L’agent a conclu que la preuve est insuffisante pour démontrer qu’elle serait en mesure de subvenir elle‑même à ses besoins quotidiens, et un certain poids défavorable a été attribué à la gestion de ses finances.

[39]  L’agent a ensuite examiné l’historique professionnel de Chesney‑Jane, en soulignant qu’elle a probablement payé des impôts en 2014 puisqu’un feuillet T4 a été soumis. L’agent a fait remarquer qu’elle a donné peu d’explications sur la raison pour laquelle elle n’a pas fourni d’élément de preuve concernant les autres années d’imposition, et l’absence de preuve à ce sujet a diminué le poids favorable accordé à l’année pour laquelle elle a payé des impôts puisqu’elle a présenté un portrait incomplet de sa situation. Bien qu’aucun poids défavorable n’ait été attribué à l’emploi qu’elle a occupé pendant qu’elle était mineure, l’agent n’a pas pu accorder de poids favorable à son travail puisque ce travail n’était pas autorisé et a conclu qu’un poids défavorable considérable devait être attribué à l’emploi qu’elle a occupé sans autorisation.

[40]  Après avoir examiné les antécédents scolaires et professionnels de Chesney‑Jane, l’agent a mené une analyse du risque et des conditions défavorables en Afrique du Sud identique à l’analyse qui a été effectuée dans le cadre de la décision portant sur M. et Mme Skinner et leur petit‑fils. L’agent a réitéré son analyse et ses conclusions concernant le rapport de M. Day sur la santé mentale de la mère de Chesney‑Jane. L’agent a déclaré que puisque le neveu de cette dernière, Mielo‑Trent, devait retourner en Afrique du Sud avec ses grands‑parents, il était dans l’intérêt supérieur de Mielo‑Trent qu’elle l’accompagne en Afrique du Sud pour continuer à lui offrir en personne du soutien émotionnel.

[41]  L’agent a conclu qu’il était plus probable que le contraire que Chesney‑Jane retourne en Afrique du Sud avec ses parents, sa sœur et son neveu. L’agent a reconnu qu’elle allait s’ennuyer de ses amis et des membres de sa famille qui vivent au Canada si elle retournait dans son pays d’origine, mais qu’elle allait pouvoir entretenir ces relations par les médias sociaux, comme le feraient sa sœur et les autres membres de sa famille.

[42]  L’agent a reconnu que le fait de s’absenter de l’Afrique du Sud pendant plusieurs années a causé certaines difficultés à Chesney-Jane et qu’elle allait devoir s’adapter considérablement puisqu’elle a passé la deuxième moitié de son adolescence au Canada. Néanmoins, l’agent a noté qu’elle n’allait pas devoir surmonter l’obstacle supplémentaire de la langue, qu’il était plus probable que le contraire que son expérience de travail soit transférable dans l’économie d’Afrique du Sud et qu’elle allait vraisemblablement continuer de bénéficier du soutien en personne de ses parents, de sa sœur et de son neveu. En ce qui concerne les conditions générales dans le pays, l’agent a conclu qu’elles ne représentaient pas de contraintes exceptionnelles pour Chesney-Jane compte tenu du risque minime qu’elle soit touchée personnellement et de l’existence de mécanismes de recours.

III.  Analyse

[43]  Bien que les parties aient soulevé plusieurs questions distinctes concernant les décisions de l’agent, à mon avis, la question générale soulevée par le présent contrôle judiciaire consiste à déterminer si les décisions de l’agent étaient raisonnables.

A.  La norme de contrôle

[44]  La décision d’un agent d’immigration de refuser une dispense en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR comprend l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et est examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy]). La décision d’un agent aux termes du paragraphe 25(1) est hautement discrétionnaire puisque cette disposition « prévoit un mécanisme en cas de circonstances exceptionnelles » et que la cour doit faire preuve « d’une très grande retenue » envers l’agent (Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1303, au paragraphe 4, [2016] ACF no 1305; Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 15, [2002] 4 CF 358).

[45]  Aux termes de la norme de la décision raisonnable, la Cour qui procède à la révision d’une décision administrative doit apprécier « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel » et déterminer si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190. Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708.

[46]  De plus, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable », et il n’entre pas « dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339.

B.  Les décisions de l’agent étaient‑elles raisonnables?

[47]  Les demandeurs affirment qu’aucune des décisions de l’agent ne satisfait aux critères établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy. Ils soutiennent que l’agent a effectué une analyse contradictoire de l’intérêt supérieur de Mielo-Trent dans la demande qui se rapporte à M. et Mme Skinner et que cette analyse pose problème : d’un côté, l’agent souscrit en quelque sorte à l’opinion des demandeurs selon laquelle il était dans l’intérêt supérieur de Mielo‑Trent de rester au Canada; or, d’un autre côté, l’agent n’a pas été convaincu que Mielo‑Trent était si intégré à la société canadienne ni que les conditions en Afrique du Sud étaient si défavorables que le fait d’accompagner ses grands‑parents en Afrique du Sud compromettrait considérablement son bien‑être. Selon les demandeurs, l’agent a effectué une analyse des difficultés pour évaluer l’intérêt supérieur de Mielo‑Trent, ce qui va à l’encontre de l’avis de la Cour suprême exposé dans l’arrêt Kanthasamy (au paragraphe 41) selon lequel les enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés et qu’on devrait présumer que la notion de « difficultés inhabituelles et injustifiées » est inapplicable à l’évaluation des difficultés invoquées par un enfant à l’appui de sa demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire.

[48]  Le défendeur affirme quant à lui que l’agent a raisonnablement examiné et évalué l’intérêt supérieur de Mielo‑Trent. Il fait également remarquer que bien que l’agent ait conclu que le Canada offre un mode de vie et des possibilités qui sont généralement considérés comme supérieurs à ce qui est offert en Afrique du Sud et que l’intérêt supérieur de Mielo‑Trent serait mieux servi au Canada, l’intérêt supérieur de l’enfant ne constituait que l’un des facteurs dont il fallait tenir compte et qu’il était loisible à l’agent, en soupesant ce facteur, de conclure qu’il ne s’agissait pas d’un facteur déterminant.

[49]  À mon avis, l’analyse faite par l’agent de l’intérêt supérieur de Mielo‑Trent est confuse au point d’être inintelligible et, par conséquent, déraisonnable. Ayant conclu qu’il était de l’intérêt supérieur de Mielo‑Trent de rester avec ses grands‑parents, et ayant « en quelque sorte » souscrit à l’opinion de M. et Mme Skinner selon laquelle il était dans l’intérêt supérieur de Mielo‑Trent de rester au Canada, il n’était pas raisonnable pour l’agent de tout de même conclure que le bien‑être de Mielo‑Trent n’allait pas être compromis par son retour en Afrique du Sud.

[50]  En s’attachant exclusivement au retour de M. et Mme Skinner en Afrique du Sud, l’agent n’a pas adéquatement ni raisonnablement examiné s’il pouvait être dans l’intérêt supérieur de Mielo‑Trent de rester au Canada avec ses grands‑parents et de maintenir le statu quo. Comme la Cour l’a fait remarquer dans la décision Etienne c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 937 au paragraphe 9, 30 IMM LR (4th) 315 : « Pour qu’on puisse conclure qu’il a été adéquatement “réceptif, attentif et sensibleˮ à l’intérêt supérieur de l’enfant, il faut que l’agent ait tenu compte de la situation de l’enfant en se plaçant du point de vue de l’enfant. » À mon avis, ce point de vue n’a pas été évalué ou abordé de façon raisonnable par l’agent dans la présente affaire.

[51]  Les demandeurs contestent également l’évaluation faite par l’agent du rapport de M. Day, en soutenant que l’agent a rejeté le rapport en lui reprochant un manque d’objectivité parce que, selon l’agent, le rapport a vraisemblablement été fondé sur de l’information communiquée par Mme Skinner.

[52]  Le défendeur défend l’évaluation faite par l’agent du rapport de M. Day. Selon le défendeur, l’agent n’a pas considéré que le rapport était crédible puisque Mme Skinner n’avait pas consulté de psychologue auparavant, que l’évaluation a été effectuée plus d’un an avant la présentation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, que le rapport a été préparé pour son dossier d’immigration et que Mme Skinner n’a pas tenté d’obtenir un traitement après l’évaluation.

[53]  À mon avis, l’agent n’a pas abordé les éléments de preuve concernant la santé mentale de Mme Skinner de façon raisonnable parce que l’approche adoptée contredit les enseignements de l’arrêt Kanthasamy.

[54]  Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a conclu qu’une agente chargée de l’examen des motifs d’ordre humanitaire avait évalué de façon déraisonnable le rapport d’une psychologue sur la santé mentale du demandeur, en déclarant ce qui suit :

[46]  Dans son analyse des conséquences du renvoi de Jeyakannan Kanthasamy sur la santé mentale de ce dernier, par exemple, l’agente déclare qu’elle [traduction] « ne conteste pas le rapport de la psychologue » et qu’elle « admet le diagnostic ». Selon le rapport, le demandeur souffre d’un trouble de stress post‑traumatique, ainsi que d’un trouble d’adaptation avec anxiété et humeur dépressive, en raison de ce qu’il a vécu au Sri Lanka, et son état se détériorerait s’il était renvoyé du Canada. […]

[47]   On comprend mal que, après avoir fait droit au diagnostic psychologique, l’agente exige quand même de Jeyakannan Kanthasamy une preuve supplémentaire quant à savoir s’il a ou non cherché à obtenir des soins ou si de tels soins étaient même offerts, ou quant aux soins qui existaient ou non au Sri Lanka. Une fois reconnu qu’il souffre d’un trouble de stress post‑traumatique, d’un trouble d’adaptation et de dépression en raison de ce qu’il a vécu au Sri Lanka, exiger en sus la preuve de l’existence de soins au Canada ou au Sri Lanka met à mal le diagnostic et a l’effet discutable d’en faire un facteur conditionnel plutôt qu’important.

[48]   De plus, en s’attachant uniquement à la possibilité que Jeyakannan Kanthasamy soit traité au Sri Lanka, l’agente passe sous silence les répercussions de son renvoi du Canada sur sa santé mentale. Comme l’indiquent les Lignes directrices, les facteurs relatifs à la santé, de même que l’impossibilité d’obtenir des soins médicaux dans le pays d’origine, peuvent se révéler pertinents (Traitement des demandes au Canada, section 5.11). Par conséquent, le fait même que Jeyakannan Kanthasamy verrait, selon toute vraisemblance, sa santé mentale se détériorer s’il était renvoyé au Sri Lanka constitue une considération pertinente qui doit être retenue puis soupesée, peu importe la possibilité d’obtenir au Sri Lanka des soins susceptibles d’améliorer son état […]

[Italique dans l’original.]

[55]  En l’espèce, selon les éléments de preuve sur la santé mentale de Mme Skinner, il [traduction] « ne fait guère de doute » qu’un retour en Afrique du Sud [traduction] « entraînera l’apparition de symptômes psychologiques d’une telle intensité qu’ils la rendront incapable de s’acquitter même de ses responsabilités minimales ». Selon M. Day, cette situation soulevait des [traduction] « craintes particulièrement graves concernant sa capacité de s’occuper efficacement de son petit‑fils handicapé, dont elle est la principale responsable. »

[56]  Conformément à l’arrêt Kanthasamy, l’agent en l’espèce a fait droit au diagnostic psychologique et a reconnu que le psychologue est un expert dans son domaine. Néanmoins, en évaluant le rapport de M. Day, l’agent a émis des doutes sur le rapport puisque dans son rapport, M. Day ne précise pas combien de temps il a passé avec Mme Skinner, ni le nombre de séances qu’il a passées avec Mme Skinner, ni la raison pour laquelle il n’existe qu’une seule méthode permettant de traiter ses problèmes de santé mentale. L’agent a souligné qu’il n’y a pas lieu de croire que Mme Skinner ait tenté d’obtenir un traitement depuis que son évaluation a été effectuée, plus d’un an avant le dépôt de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[57]  À mon avis, l’agent dans la présente affaire, comme l’agent dans l’arrêt Kanthasamy, n’a pas tenu compte de l’effet qu’une mesure de renvoi du Canada aurait sur la santé mentale de Mme Skinner. L’agent n’a pas raisonnablement pris en compte ou adéquatement évalué et soupesé les éléments de preuve selon lesquels un retour en Afrique du Sud déclencherait ou causerait davantage de tort psychologique à Mme Skinner. Il n’a pas évalué si cette difficulté était telle qu’elle justifiait une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La manière dont l’agent a traité les éléments de preuve médicale concernant la santé mentale de Mme Skinner, conformément à l’arrêt Kanthasamy, est déraisonnable.

IV.  Conclusion

[58]  Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie.

[59]  L’évaluation déraisonnable de la santé mentale de Mme Skinner figure dans chacune des trois décisions de l’agent. Par conséquent, chacune des trois décisions est annulée pour cette raison. La décision qui porte sur M. et Mme Skinner et leur petit‑fils est également annulée parce que l’évaluation de l’intérêt supérieur de Mielo-Trent effectuée par l’agent était déraisonnable.

[60]  Ni l’une ni l’autre des parties n’a soulevé de question sérieuse de portée générale; par conséquent, aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT dans IMM-5275-17

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est accueillie; chacune des décisions de l’agent d’immigration principal datée du 9 novembre 2017 est annulée; l’affaire est renvoyée à un autre agent ou à d’autres agents d’immigration pour qu’il soit statué à nouveau sur ces affaires conformément aux motifs du présent jugement; aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de février 2019

Sandra de Azevedo, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5275-17

 

INTITULÉ :

GRANT ALEXANDER SKINNER, DIANNE SANDRA SKINNER, BRITTANY-PAIGE SKINNER, CHESNEY-JANE SKINNER et MIELO-TRENT SKINNER, représenté par sa tutrice à l’instance DIANNE SANDRA SKINNER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 SEPTEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 JANVIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Poulton Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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