Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Dossier : T‑78‑18

Référence : 2018 CF 1290

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ontario (Ottawa), le 19 décembre 2018

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

DÉMOCRATIE EN SURVEILLANCE

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la nomination de Mario Dion à titre de commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique. Le gouverneur en conseil a procédé à la nomination le 14 décembre 2017, conformément au paragraphe 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada, LRC 1985, c P‑1.

[2]  Démocratie en surveillance, la demanderesse, conteste la nomination, au motif qu’elle a été faite en violation de l’exigence de consultation énoncée au paragraphe 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada et en contravention de l’article 4 et du paragraphe 6(1) de la Loi sur les conflits d’intérêts, LC 2006, c 9, art 2, de même qu’au motif que le processus de nomination était inéquitable sur le plan de la procédure.

[3]  La présente affaire a été entendue consécutivement à une demande de contrôle judiciaire connexe présentée par la demanderesse dans Démocratie en surveillance c Procureur général du Canada, dossier no T‑80‑18.

Le contexte

[4]  Le poste de commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique (le commissaire à l’éthique ou le commissaire) a été créé en 2006, sous le régime de la Loi fédérale sur la responsabilité, LC 2006, c 9. Le commissaire à l’éthique est un agent du Parlement qui relève du Parlement par l’entremise des présidents de la Chambre des communes et du Sénat. Le mandat du commissaire est énoncé dans la Loi sur le Parlement du Canada. Le commissaire est également tenu d’exercer les fonctions que lui confère la Loi sur les conflits d’intérêts.

[5]  Selon le paragraphe 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada, le gouverneur en conseil nomme un commissaire à l’éthique, après consultation du chef de chacun des partis reconnus à la Chambre des communes et approbation par résolution de cette chambre. Le commissaire à l’éthique exerce ses fonctions à titre inamovible pour un mandat de sept ans (paragraphe 82(1)) renouvelable pour une ou plusieurs périodes maximales de sept ans chacune (paragraphe 81(3)).

[6]  Mary Dawson a été nommée à titre de première commissaire à l’éthique du Canada le 9 juillet 2007 pour un mandat initial de sept ans. Elle a été reconduite dans ses fonctions pour un mandat de deux ans à compter du 9 juillet 2014. Son mandat a ensuite été renouvelé à titre intérimaire pour trois mandats successifs de six mois prenant effet, respectivement, à compter du 9 juillet 2016, du 9 janvier 2017 et du 9 juillet 2017.

[7]  Aux termes de la Loi sur les conflits d’intérêts, tout parlementaire qui a des motifs raisonnables de croire qu’un titulaire ou ex‑titulaire de charge publique a contrevenu à cette loi peut demander par écrit au commissaire à l’éthique d’étudier la question décrite dans la demande (paragraphe 44(1)). Le commissaire à l’éthique peut aussi étudier la question de son propre chef (paragraphe 45(1)). Dans chaque cas, le commissaire produit un rapport énonçant les faits, son analyse de la question et ses conclusions (paragraphes 44(7), 44(8), 45(3), 45(4)).

[8]  En janvier 2016, la Société Radio‑Canada (la SRC) a rapporté que la commissaire à l’éthique de l’époque, Mary Dawson, avait entrepris une étude en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi sur les conflits d’intérêts pour déterminer si le premier ministre Trudeau avait enfreint les articles 11 et 12 de cette loi relativement au séjour de vacances après Noël de sa famille sur l’île privée de l’Aga Khan aux Bahamas. La commissaire examinait également si le premier ministre avait pu contrevenir à ses obligations qui lui étaient imposées par les articles 6 et 21 de cette loi.

[9]  Le 15 mai 2017, la SRC a rapporté que le directeur des communications du premier ministre avait fait une déclaration indiquant que, compte tenu de l’enquête en cours du commissaire de l’époque sur les vacances de Noël de la famille du premier ministre, le premier ministre s’était retiré de toutes les questions relatives à la nomination du nouveau commissaire à l’éthique. Le premier ministre a désigné le leader du gouvernement à la Chambre des communes, la ministre Bardish Chagger, pour qu’elle s’acquitte de toutes les obligations pertinentes liées à ce processus de nomination.

[10]  En juillet 2017, la ministre Chagger a écrit à M. Andrew Scheer, député, chef du Parti conservateur du Canada/chef de l’opposition, et à M. Thomas Mulcair, c.p., député, chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), au sujet du processus gouvernemental en cours en vue de nommer un nouveau commissaire à l’éthique. Dans ces lettres, la ministre Chagger a mentionné que l’avis de possibilité de nomination pour le poste était accessible sur le site Web du gouvernement du Canada et qu’elle espérait que M. Scheer et M. Mulcair envisagent de le communiquer aux Canadiens qui pourraient être intéressés par cette possibilité. De plus, si M. Scheer et M. Mulcair croyaient que des intervenants particuliers devaient être consultés au sujet du poste, la ministre Chagger a demandé qu’ils soient portés à l’attention du gouvernement.

[11]  Le 10 novembre 2017, la SRC a signalé que la commissaire à l’éthique de l’époque, Mary Dawson, avait confirmé qu’elle procédait à une étude fondée sur le paragraphe 44(1) de la Loi sur les conflits d’intérêts concernant le parrainage, par le ministre des Finances Bill Morneau, du projet de loi C‑27, Loi modifiant la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, alors qu’il détenait des actions dans la société Morneau Shepell Inc., qui administre des régimes de retraite privés. Il ne ressort pas du dossier dont je suis saisie à quel moment la demande d’examen a été faite ni quel député l’a faite. Cependant, et de façon qui semble connexe à cette question, le 25 octobre 2017, la demanderesse a écrit à la commissaire Dawson pour lui demander de se récuser de tout examen des actions détenues par le ministre Morneau au motif qu’elle l’avait, dans l’exercice de ses fonctions, conseillé sur la mise en place d’un filtre anti‑conflit d’intérêts pour l’administration des actions et que son mandat avait été prolongé pour six mois par le gouvernement actuel, donnant lieu à une crainte de partialité. La demanderesse a également demandé la tenue d’un examen indépendant pour établir si le ministre Morneau avait enfreint le paragraphe 25(1) de la Loi sur les conflits d’intérêts.  

[12]  Le 5 décembre 2017, la ministre Chagger a écrit à M. Scheer et à M. Mulcair, en leur mentionnant, conformément à la Loi sur le Parlement du Canada, que la lettre avait trait à l’obligation de consultation prévue par la loi relativement à la nomination d’un commissaire à l’éthique. Il était mentionné dans cette lettre que, comme ses destinataires le savaient déjà, le premier ministre et certains hauts fonctionnaires de son cabinet s’étaient récusés de toutes les questions liées à la nomination et n’avaient délibérément participé à aucune des questions liées à cette nomination. À cet égard, la ministre Chagger écrivait en sa qualité de ministre déléguée par le premier ministre comme responsable de la nomination. La ministre Chagger a proposé la candidature de Mario Dion, joint sa biographie et décrit certains des antécédents professionnels de M. Dion. La lettre concluait en disant que, comme les destinataires le savaient, il s’agissait d’un rôle essentiel et qu’il était important qu’un commissaire à l’éthique permanent soit en place. La ministre Chagger a affirmé vouloir connaître l’opinion des destinataires sur la nomination proposée au plus tard le 11 décembre 2017 à 12 h. En haut de cette lettre figurait l’annotation [traduction« PROTÉGÉ B – RENSEIGNEMENTS PERSONNELS CONFIDENTIELS ASSUJETTIS À UNE PROCÉDURE DE RÉCUSATION PAR LE PREMIER MINISTRE ».

[13]  Le 11 décembre 2017, le certificat de nomination de Mario Dion au poste de commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique a été déposé à la Chambre des communes et la ministre Chagger a annoncé publiquement sa nomination.

[14]  Le même jour, M. Guy Caron, leader parlementaire du NPD, a écrit à la ministre Chagger en réponse à sa lettre du 5 décembre 2017. Dans la lettre, il faisait état d’un conflit d’intérêts apparent malgré la récusation du premier ministre, demandait une liste des candidats présélectionnés et de leurs qualifications ainsi qu’une liste des membres du comité de sélection, et exprimait des préoccupations quant au processus de consultation.

[15]  Le 12 décembre 2017, M. Dion a comparu devant le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes (le Comité ETHI) afin de présenter ses qualifications pour le poste de commissaire à l’éthique et de répondre aux questions du Comité, dont les membres représentaient les trois partis reconnus de la Chambre des communes.  

[16]  Le 13 décembre 2017, le Comité ETHI a déposé son rapport à la Chambre des communes. Le Comité ETHI a indiqué avoir examiné le certificat de nomination de Mario Dion au poste de commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique déposé le 11 décembre 2017, et il a recommandé que M. Dion soit confirmé dans ce poste par la Chambre des communes. Le jour même, la Chambre des communes a adopté une motion par laquelle elle approuvait, conformément à l’article 81 de la Loi sur le Parlement du Canada, la nomination de M. Dion au poste de commissaire à l’éthique pour un mandat de sept ans.

[17]  Par le décret C.P. 2017‑1557 daté du 14 décembre 2017, Mario Dion a été nommé commissaire à l’éthique. Le décret stipule qu’après consultation avec le chef de chaque parti reconnu à la Chambre des communes et par résolution de la Chambre des communes datée du 13 décembre 2017, la Chambre des communes a approuvé la nomination de M. Dion au poste de commissaire à l’éthique; par conséquent, le Comité du Conseil privé, sur recommandation du leader du gouvernement à la Chambre des communes, conformément aux paragraphes 81(1) et 82(1) de la Loi sur le Parlement du Canada, a procédé à la nomination.

[18]  Par la suite, dans une lettre du 21 décembre 2017, la ministre Chagger a répondu à la lettre de M. Caron du 11 décembre 2017. La ministre Chagger a décrit le processus de sélection suivi et a fourni les noms des membres du comité de sélection, mais elle a refusé de fournir les noms des candidats présélectionnés, en invoquant des considérations liées à la protection des renseignements personnels.

Les dispositions législatives applicables

[19]  Deux lois forment le cadre législatif applicable à cette demande : la Loi sur le Parlement du Canada et la Loi sur les conflits d’intérêts. Les aspects les plus pertinents de ces lois sont décrits ci‑dessous.

La Loi sur le Parlement du Canada

[20]  En vertu du paragraphe 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada, le gouverneur en conseil, avant de nommer un commissaire à l’éthique, consulte le chef de chacun des partis reconnus à la Chambre des communes et obtient l’approbation par résolution de la Chambre des communes.

81 (1) Le gouverneur en conseil nomme un commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique par commission sous le grand sceau, après consultation du chef de chacun des partis reconnus à la Chambre des communes et approbation par résolution de cette chambre.

[21]  Le paragraphe 81(2) énonce les qualifications requises pour une telle nomination :  

(2) Pour être nommée en vertu du paragraphe (1), une personne doit :

a) soit être un ancien juge d’une cour supérieure du Canada ou d’une cour dont les juges sont nommés en application d’une loi provinciale;

b) soit être un ancien membre d’un conseil, d’une commission ou d’un tribunal fédéral ou provincial qui, de l’avis du gouverneur en conseil, a démontré une expertise dans au moins l’un des domaines suivants :

(i) les conflits d’intérêts,

(ii) les arrangements financiers,

(iii) la réglementation professionnelle ou la discipline professionnelle,

(iv) l’éthique;

c) soit être un ancien conseiller sénatorial en éthique ou un ancien commissaire à l’éthique.

[22]  Le mandat du commissaire à l’éthique est renouvelable pour une ou plusieurs périodes maximales de sept ans (paragraphe 81(3)). En ce qui concerne l’exercice des fonctions :

 (1) Sauf révocation motivée par le gouverneur en conseil sur adresse de la Chambre des communes, le commissaire exerce ses fonctions à titre inamovible pour un mandat de sept ans.

(2) En cas d’absence ou d’empêchement du commissaire ou de vacance de son poste, le gouverneur en conseil peut confier l’intérim à toute personne compétente pour un mandat maximal de six mois et fixer la rémunération et les indemnités auxquelles cette personne aura droit.

[23]  Le commissaire à l’éthique a rang d’administrateur général de ministère du gouvernement du Canada; il est, à ce titre, responsable de la gestion de son bureau (article 84). 

[24]  La mission du commissaire est décrite aux articles 85 à 87 : 

85 Le commissaire a pour mission :

a) d’exercer les fonctions prévues aux articles 86 et 87;

b) de donner, à titre confidentiel, des avis au premier ministre à l’égard des politiques sur toute question en matière de conflits d’intérêts et d’éthique en général et de lui donner le soutien nécessaire.

86 (1) Le commissaire s’acquitte des fonctions qui lui sont conférées par la Chambre des communes en vue de régir la conduite des députés lorsqu’ils exercent la charge de député.

(2) Lorsqu’il s’acquitte de ces fonctions, il agit dans le cadre de l’institution de la Chambre des communes et possède les privilèges et immunités de cette chambre et des députés.

(3) Lorsqu’il s’acquitte de ces fonctions, il est placé sous l’autorité générale du comité de la Chambre des communes que celle‑ci constitue ou désigne à cette fin.

(4) Il est entendu que l’autorité générale du comité prévu au paragraphe (3) ne vise pas l’application de la Loi sur les conflits d’intérêts aux ministres, ministres d’État et secrétaires parlementaires agissant à titre de ministres, de ministres d’État ou de secrétaires parlementaires.

(5) Il est entendu que le présent article n’a pas pour effet de restreindre de quelque façon les pouvoirs, droits, privilèges et immunités de la Chambre des communes et des députés.

87 Le commissaire s’acquitte des fonctions qui lui sont conférées par la Loi sur les conflits d’intérêts en ce qui touche les titulaires de charge publique.

[25]  Le commissaire peut, dans les limites qu’il fixe, déléguer les pouvoirs et fonctions que lui confèrent la Loi sur le Parlement du Canada ou la Loi sur les conflits d’intérêts, sauf le pouvoir de déléguer (article 89).

[26]  Le commissaire fait rapport annuellement sur ses activités au titre de l’article 86 au président de la Chambre des communes, qui le dépose devant la Chambre. De même, le commissaire fait rapport sur ses activités au titre de l’article 87 au président de chaque chambre, qui le dépose devant la chambre qu’il préside (paragraphe 90(1)).

La Loi sur les conflits d’intérêts

[27]  L’objet de la Loi sur les conflits d’intérêts est énoncé à l’article 3 de la Loi :

 La présente loi a pour objet :

a) d’établir à l’intention des titulaires de charge publique des règles de conduite claires au sujet des conflits d’intérêts et de l’après‑mandat;

b) de réduire au minimum les possibilités de conflit entre les intérêts personnels des titulaires de charge publique et leurs fonctions officielles, et de prévoir les moyens de régler de tels conflits, le cas échéant, dans l’intérêt public;

c) de donner au commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique le mandat de déterminer les mesures nécessaires à prendre pour éviter les conflits d’intérêts et de décider s’il y a eu contravention à la présente loi;

d) d’encourager les personnes qui possèdent l’expérience et les compétences requises à solliciter et à accepter une charge publique;

e) de faciliter les échanges entre les secteurs privé et public.

[28]  La partie 1 traite des règles régissant les conflits d’intérêts (articles 4 à 19). Pour les besoins de la présente demande, je souligne que l’article 4 définit un conflit d’intérêts relativement à un intérêt personnel :

4 Pour l’application de la présente loi, un titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d’intérêts lorsqu’il exerce un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui lui fournit la possibilité de favoriser son intérêt personnel ou celui d’un parent ou d’un ami ou de favoriser de façon irrégulière celui de toute autre personne.

[29]  Un intérêt personnel est défini au paragraphe 2(1) en fonction de ce qu’il n’est pas :

intérêt personnel N’est pas visé l’intérêt dans une décision ou une affaire :

a) de portée générale;

b) touchant le titulaire de charge publique faisant partie d’une vaste catégorie de personnes;

c) touchant la rémunération ou les avantages sociaux d’un titulaire de charge publique. (private interest)

[30]  L’article 5 impose aux titulaires de charge publique une obligation générale de gérer ses affaires personnelles de manière à éviter de se trouver en situation de conflit d’intérêts.

[31]  Le paragraphe 6(1) interdit au titulaire d’une charge publique de participer à la prise d’une décision qui le placerait en situation de conflit d’intérêts :

6 (1) Il est interdit à tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d’une décision dans l’exercice de sa charge s’il sait ou devait raisonnablement savoir que, en prenant cette décision, il pourrait se trouver en situation de conflit d’intérêts.

[32]  Les articles 7 à 17 définissent des conflits d’intérêts bien précis, comme le traitement de faveur et les renseignements d’initiés.

[33]  La partie 2 traite des mesures d’observation (articles 20 à 32) et comprend, notamment, le paragraphe 21, qui prévoit que le titulaire d’une charge publique doit se récuser à l’égard de toute question qui pourrait le placer en situation de conflit d’intérêts :

21 Le titulaire de charge publique doit se récuser concernant une discussion, une décision, un débat ou un vote, à l’égard de toute question qui pourrait le placer en situation de conflit d’intérêts.

[34]  Selon la définition qui en est donnée au paragraphe 2(1), les titulaires de charge publique comprennent les ministres et les personnes nommées par le gouverneur en conseil, sauf celles faisant partie des exceptions mentionnées. Le titulaire de charge publique principal y est également défini et comprend les ministres et les personnes nommées par le gouverneur en conseil, comme le prévoit la définition.

[35]  Si un titulaire de charge publique principal se récuse, il lui incombe de faire une déclaration publique à cet égard. 

25 (1) Si un titulaire de charge publique principal se récuse pour éviter un conflit d’intérêts, il lui incombe de faire, dans les soixante jours suivant la récusation, une déclaration publique dans laquelle il fournit des détails suffisants pour exposer le conflit d’intérêts évité.

[36]  Des déclarations semblables sont requises à l’égard de certains biens, des dettes et d’autres questions prévues à l’article 25. Le dessaisissement des biens contrôlés suivant une nomination est abordé à l’article 27. Les fonctions du commissaire à cet égard sont énoncées aux articles 28 à 30 :  

28 Le commissaire et le titulaire de charge publique principal examinent chaque année les renseignements contenus dans les rapports confidentiels ainsi que les mesures prises par le titulaire pour satisfaire les obligations qui incombent à ce dernier en vertu de la présente loi.

29 Le commissaire détermine, avant qu’elle ne soit définitive, la mesure à appliquer pour que le titulaire de charge publique se conforme aux mesures énoncées dans la présente loi, et tente d’en arriver à un accord avec le titulaire de charge publique à ce sujet.

 Outre les mesures d’observation prévues dans la présente partie, le commissaire peut ordonner au titulaire de charge publique de prendre, à l’égard de toute affaire, toute autre mesure qu’il estime nécessaire pour assurer l’observation de la présente loi, y compris le dessaisissement ou la récusation.

[37]  La partie 4 traite de l’administration et de l’application. À la réception d’une demande écrite d’un parlementaire, le commissaire examine la contravention potentielle à la Loi qui a été alléguée. Il peut aussi le faire de sa propre initiative (paragraphes 44(1) et 45(1)). Dans le cadre de l’étude, le commissaire peut tenir compte des renseignements provenant du public qui lui sont communiqués par tout parlementaire (paragraphe 44(4)) :

 (1) Tout parlementaire qui a des motifs raisonnables de croire qu’un titulaire ou ex‑titulaire de charge publique a contrevenu à la présente loi peut demander par écrit au commissaire d’étudier la question.

(2) La demande énonce les dispositions de la présente loi qui auraient été enfreintes et les motifs raisonnables sur lesquels elle est fondée.

(3) S’il juge la demande futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, le commissaire peut refuser d’examiner la question. Sinon, il est tenu de procéder à l’étude de la question qu’elle soulève et peut, compte tenu des circonstances, mettre fin à l’étude.

(4) Dans le cadre de l’étude, le commissaire peut tenir compte des renseignements provenant du public qui lui sont communiqués par tout parlementaire et qui portent à croire que l’intéressé a contrevenu à la présente loi. Le parlementaire doit préciser la contravention présumée ainsi que les motifs raisonnables qui le portent à croire qu’une contravention a été commise.

[...]

 (1) Le commissaire peut étudier la question de son propre chef s’il a des motifs de croire qu’un titulaire ou ex‑titulaire de charge publique a contrevenu à la présente loi.

[38]  S’il procède à l’étude en réponse à une demande d’un député, le commissaire remet au premier ministre un rapport énonçant les faits, son analyse de la question et ses conclusions, et en fournit un double à l’auteur de la demande et à l’intéressé et le rend accessible au public (paragraphes 44(7) et 44(8)). De même, s’il procède à l’étude de son propre chef, le commissaire remet un rapport au premier ministre, en fournit un double à l’intéressé et le rend accessible au public, à moins que l’étude n’ait été interrompue (paragraphes 45(2) à 45(4)). Les conclusions du commissaire sont définitives, mais elles ne sont pas décisives lorsqu’il s’agit de déterminer les mesures à prendre pour donner suite au rapport (article 47).

[39]  Le titulaire de charge publique qui contrevient à l’une des dispositions visées de la Loi commet une violation pour laquelle il s’expose à une pénalité d’au plus 500 $ (article 52). Le défaut de déposer une déclaration publique de récusation, comme l’exige le paragraphe 25(1), constitue une telle violation. 

[40]  La partie 5, Généralités, comporte une disposition prévoyant que les ordonnances et décisions du commissaire ne peuvent faire l’objet d’un contrôle que pour les motifs énoncés aux alinéas 18.1(4)a), b) ou e) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Plus précisément, l’article 66 de la Loi énonce ce qui suit :

66 Les ordonnances et décisions du commissaire sont définitives et ne peuvent être attaquées que conformément à la Loi sur les Cours fédérales pour les motifs énoncés aux alinéas 18.1(4)a), b) ou e) de cette loi.

[41]  En outre, l’article 67 traite d’un examen quinquennal de la Loi :

 (1) Dans les cinq ans qui suivent l’entrée en vigueur du présent article, un examen approfondi des dispositions et de l’application de la présente loi doit être fait par le comité soit du Sénat, soit de la Chambre des communes, soit mixte, que le Parlement ou la chambre en question, selon le cas, désigne ou constitue à cette fin.

(2) Dans l’année qui suit le début de son examen ou dans le délai supérieur que le Parlement ou la chambre en question, selon le cas, lui accorde, le comité visé au paragraphe (1) remet son rapport au Parlement, accompagné des modifications qu’il recommande.

Les codes et lignes directrices

[42]  En plus des dispositions législatives susmentionnées, il existe un code et des lignes directrices qui s’appliquent à la présente affaire.

Le Code régissant les conflits d’intérêts des députés

[43]  Le Code régissant les conflits d’intérêts des députés (le Code des députés) figure en annexe du Règlement de la Chambre des communes et s’applique à tous les députés élus. Une fiche d’information publiée par le Commissariat au conflit d’intérêts et à l’éthique précise que le Commissariat applique la Loi sur les conflits d’intérêts et le Code des députés, et que ces deux régimes ont pour but de prévenir les conflits entre les intérêts personnels et les fonctions publiques des représentants nommés et élus. Le Code des députés interdit à ces derniers d’utiliser leur charge publique pour favoriser leurs intérêts personnels ou ceux d’un membre de leur famille, ou pour favoriser de manière indue les intérêts personnels de toute autre personne ou entité.

Les Lignes directrices en matière d’éthique et d’activités politiques à l’intention des titulaires de charge publique 

[44]  Un document intitulé Pour un gouvernement ouvert et responsable 2015 a été publié sur la page Web du premier ministre, de même que par le Bureau du Conseil privé. Ce document porte sur la responsabilité ministérielle et l’obligation de rendre compte, les responsabilités de portefeuille et l’appui, les relations des ministres avec le Parlement et les normes de conduite, et traite, aux annexes A à J, de sujets connexes. L’annexe A contient les Lignes directrices en matière d’éthique et d’activités politiques à l’intention des titulaires de charge publique (les Lignes directrices en matière d’éthique et d’activités politiques). La partie I de l’annexe A, intitulée Lignes directives en matière d’éthique et normes de conduite prévues par la loi, s’applique à tous les titulaires de charge publique, au sens de la Loi sur les conflits d’intérêts, et précise, relativement aux normes en matière d’éthique, que le titulaire d’une charge publique agira avec honnêteté ainsi que selon des normes supérieures en matière d’éthique de façon à préserver et à faire croître la confiance du public dans l’intégrité, l’objectivité et l’impartialité du gouvernement. En ce qui concerne l’examen public, la partie I précise que le titulaire d’une charge publique doit exercer ses fonctions officielles et organiser ses affaires personnelles d’une manière si irréprochable qu’elle puisse résister à l’examen public le plus minutieux. En outre, pour ce qui est de la prise de décision, le titulaire d’une charge publique doit, dans l’exercice de ses fonctions officielles, prendre toute décision dans l’intérêt public tout en considérant le bien‑fondé de chaque cas. Il est également indiqué à la partie I que les titulaires de charge publique sont assujettis aux exigences de la Loi sur les conflits d’intérêts et qu’avant leur nomination, ils doivent s’engager à respecter les Lignes directrices en matière d’éthique et d’activités politiques, qui constituent une modalité de nomination.

Les questions en litige

[45]  La demanderesse soutient que la principale question dont la Cour est saisie est celle de l’équité procédurale dans le cadre du processus de nomination et elle soulève, dans sa demande, cinq questions.

[46]  À mon avis, les questions à trancher dans le cadre de la présente demande peuvent être ainsi formulées :

La norme de contrôle

[47]  Dans l’arrêt Tsleil‑Waututh Nation c Canada, 2018 CAF 153 (Tsleil­Waututh), la Cour d’appel fédérale a attiré l’attention sur l’arrêt Nation Gitxaala c Canada, 2016 CAF 187, qu’elle avait rendu précédemment et dans lequel elle concluait que, pour déterminer la norme de contrôle qui s’applique, il faut tenir compte des dispositions législatives pertinentes, de la structure de la loi et des objectifs généraux visés par la loi (Tsleil‑Waututh, au paragraphe 204). Dans Tsleil‑Waututh, dans son analyse du volet relevant du droit administratif d’une décision du gouverneur en conseil, la Cour d’appel fédérale a appliqué la norme de la décision raisonnable, en concluant que la Cour doit être convaincue que la décision du gouverneur en conseil était conforme à la loi, raisonnable et constitutionnelle. La décision conforme à la loi et raisonnable respecte le cadre et la logique du régime législatif (voir aussi Globalive Wireless Management Corp c Public Mobile Inc, 2011 CAF 194, au paragraphe 31). 

[48]  À mon avis, cela s’apparente également à la situation où un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie. Il y est présumé que les questions d’interprétation législative commandent la déférence lors du contrôle judiciaire (Alberta Teachers, 2011 CSC 61, au paragraphe 30; Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd, 2016 CSC 47, au paragraphe 22). En l’espèce, le gouverneur en conseil interprète le paragraphe 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada, les exigences procédurales prescrites nécessaires à la nomination d’un agent du Parlement qui s’occupe des affaires internes de l’Assemblée législative. Selon la même analyse, cela commande l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[49]  La question de savoir si le gouverneur en conseil a correctement appliqué la loi est en fait une question d’interprétation législative (Globalive, au paragraphe 34). Bien que la Cour d’appel fédérale ait conclu dans l’arrêt Globalive qu’il y a lieu de s’interroger sur la question de savoir si une telle question commande la norme de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte (Globalive, paragraphe 35), à mon avis, dans le contexte du régime législatif en l’espèce, dont il est question ci‑dessous, et en appliquant les facteurs énoncés dans Dunsmuir, la norme de la décision raisonnable s’applique à l’interprétation de l’article 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada par le gouverneur en conseil.

[50]  Dans la mesure où les arguments de la demanderesse sont fondés sur l’existence d’un manquement à l’obligation d’équité procédurale, il est bien établi que les questions relatives à l’équité procédurale peuvent être examinées selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43). Question en litige no 1 : La demanderesse a‑t‑elle qualité pour présenter la demande?


La première question en litige : la demanderesse a‑t‑elle qualité pour présenter la demande?

[51]  La demanderesse n’est pas directement touchée par les questions qu’elle soulève dans la présente demande. Par conséquent, elle ne peut présenter la demande que si la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de lui accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public.

[52]  Le critère concernant la qualité pour agir dans l’intérêt public n’est pas contesté. Les parties ont convenu que le critère est celui énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45 (Downtown Eastside).

[53]  Dans cet arrêt, la Cour suprême a déclaré que, selon l’approche traditionnellement retenue par les cours de justice, la qualité pour agir était limitée aux personnes dont les intérêts privés étaient en jeu ou pour qui l’issue des procédures avait des incidences particulières. Dans les causes de droit public, comme celle dont la Cour était saisie, les tribunaux canadiens ont toutefois tempéré ces limites et adopté une approche souple et discrétionnaire quant à la question de la qualité pour agir dans l’intérêt public, guidés en cela par les objectifs qui étaient sous‑jacents aux limites traditionnelles.  

[54]  La Cour a reconnu certaines des préoccupations qui, traditionnellement, ont servi à expliquer les restrictions en matière de qualité pour agir, notamment l’affectation appropriée des ressources judiciaires limitées et la nécessité d’écarter les trouble‑fête; l’assurance que les tribunaux entendront les principaux intéressés faire valoir contradictoirement leurs points de vue; et la sauvegarde du rôle propre aux tribunaux et de leur relation constitutionnelle avec les autres pouvoirs du gouvernement : l’instance doit soulever une question justiciable, c’est‑à‑dire une question dont les tribunaux peuvent être saisis (Downtown Eastside, aux paragraphes 27 à 30). Le principe de la légalité, selon lequel les actes de l’État doivent être conformes à la Constitution et au pouvoir conféré par la loi, et qu’il doit exister des manières pratiques et efficaces de contester la légalité des actions de l’État, éclaire également la question de la qualité pour agir (Downtown Eastside, aux paragraphes 31 et 33).

[55]  Lorsqu’ils exercent le pouvoir discrétionnaire de reconnaître ou non la qualité pour agir dans l’intérêt public, les tribunaux doivent prendre en compte trois facteurs :

(i) une question justiciable sérieuse est‑elle soulevée? 

(ii) le demandeur a‑t‑il un intérêt réel ou véritable dans l’issue de cette question?

(iii) compte tenu de toutes les circonstances, la poursuite proposée constitue‑t‑elle une manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux?

[56]  Le demandeur qui souhaite se voir reconnaître la qualité pour agir doit convaincre la cour que ces facteurs, appliqués d’une manière souple et téléologique, militent en faveur de la reconnaissance de cette qualité. Toutes les autres considérations étant égales par ailleurs, un demandeur qui possède de plein droit la qualité pour agir sera généralement préféré (Downtown Eastside, au paragraphe 37).

[57]  Ces facteurs ne doivent pas être perçus comme des éléments d’une liste de contrôle rigide; ils doivent plutôt être vus comme des considérations connexes devant être appréciées et soupesées de façon cumulative, plutôt que séparément, à la lumière des objectifs qui sous‑tendent les restrictions à la qualité pour agir (Downtown Eastside, au paragraphe 20). Ils doivent être appliqués d’une manière souple et libérale de façon à favoriser la mise en œuvre de ces objectifs sous‑jacents (Downtown Eastside, aux paragraphes 20, 35 et 36). Lorsqu’il s’agit de décider s’il est justifié de reconnaître cette qualité dans les affaires de droit public, les tribunaux doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire et mettre en balance, d’une part, le raisonnement qui sous‑tend les restrictions à cette reconnaissance et, d’autre part, le rôle important qu’ils jouent lorsqu’ils se prononcent sur la validité des mesures prises par le gouvernement. « En somme, les règles de droit relatives à la qualité pour agir tirent leur origine de la nécessité d’établir un équilibre “entre l’accès aux tribunaux et la nécessité d’économiser les ressources judiciaires” : Conseil canadien des Églises, [1992] 1 RCS 236, p. 252 » (Downtown Eastside, au paragraphe 23).

[58]  Pour être considérée comme une question justiciable sérieuse, la question soulevée doit constituer un point constitutionnel important ou une question importante, et l’action doit être loin d’être futile, bien que les tribunaux ne doivent pas examiner le bien‑fondé d’une affaire autrement que de façon préliminaire (Downtown Eastside, au paragraphe 42). En insistant sur l’existence d’une question justiciable, les tribunaux s’assurent d’exercer leur pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir d’une façon qui est cohérente avec l’objectif de demeurer dans les limites du rôle constitutionnel qui leur est propre. Lorsqu’est en cause un litige que les tribunaux peuvent trancher, ceux‑ci ne devraient pas refuser de statuer au motif qu’à cause de ses incidences ou de son contexte politiques, il vaudrait mieux en laisser l’examen et le règlement au législatif ou à l’exécutif (Downtown Eastside, au paragraphe 40). En outre, dès qu’il devient évident qu’une déclaration fait état d’au moins une question sérieuse, il ne sera généralement pas nécessaire d’examiner minutieusement chacun des arguments plaidés pour trancher la question de la qualité pour agir (Downtown Eastside, au paragraphe 42).

[59]  Le deuxième facteur consiste à se demander si le demandeur a un intérêt réel dans les procédures ou est engagé quant aux questions qu’elles soulèvent. La Cour a conclu qu’un intérêt véritable avait été établi vu que le demandeur jouissait de la meilleure réputation possible et qu’il avait démontré un intérêt réel et constant dans les questions soulevées (Downtown Eastside, au paragraphe 43, citant Conseil canadien des Églises, à la page 254).

[60]  Enfin, à la troisième étape, en abordant la question sous l’angle téléologique, les tribunaux doivent se demander « si l’action envisagée constitue une utilisation efficiente des ressources judiciaires, si les questions sont justiciables dans un contexte accusatoire, et si le fait d’autoriser la poursuite de l’action envisagée favorise le respect du principe de la légalité ». Une approche souple et discrétionnaire est de mise pour juger de l’effet de ces considérations, et une analyse dichotomique répondant par un oui ou par un non à la question à l’étude n’est pas envisageable. Les questions visant à déterminer si une façon de procéder est raisonnable, si elle est efficace et si elle favorise le renforcement du principe de la légalité sont des questions de degré et elles doivent être analysées en fonction de solutions de rechange pratiques, compte tenu de toutes les circonstances (Downtown Eastside, au paragraphe 50). La Cour suprême du Canada a ensuite présenté une liste d’exemples, non exhaustive, pour illustrer les questions à prendre en compte au moment de se pencher sur le troisième facteur discrétionnaire : la capacité du demandeur d’engager une poursuite, la question de savoir si la cause est d’intérêt public, la question de savoir s’il y a d’autres manières réalistes de trancher la question qui favoriseraient une utilisation plus efficace et efficiente des ressources judiciaires, et l’incidence éventuelle de l’octroi de la qualité pour agir dans l’intérêt public sur les droits d’autres personnes dont les intérêts sont aussi, sinon plus touchés (Downtown Eastside, au paragraphe 51). Bref, il s’agit de déterminer si la poursuite proposée constitue, compte tenu de toutes les circonstances, une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour (Downtown Eastside, au paragraphe 52).

[61]  En l’espèce, la demanderesse soutient qu’elle satisfait aux trois volets du critère de la qualité pour agir en matière d’intérêt public. Plus précisément, elle fait valoir que la demande soulève des questions justiciables sérieuses concernant le respect, par les principaux fonctionnaires, des lois qui régissent la conduite éthique des membres de l’exécutif (mémoire des faits et du droit, au paragraphe 28). Ces questions se rapportent à l’omission de consulter véritablement les chefs de chaque parti reconnu à la Chambre des communes au sujet du choix du commissaire à l’éthique, en contravention avec la Loi sur les conflits d’intérêts, et au défaut des membres nommés par le gouverneur en conseil de se récuser du processus décisionnel, ce qui contrevient aux exigences énoncées dans la Loi sur les conflits d’intérêts et la common law. Ces éléments soulèvent des questions quant à la confiance du public envers l’intégrité du gouvernement.  

[62]  En outre, la demanderesse a un intérêt véritable dans l’instance, étant donné son mandat de promouvoir la réforme démocratique, la participation citoyenne et le comportement éthique au sein du gouvernement; sa participation active à l’élaboration des politiques publiques et aux processus législatifs en matière de responsabilité gouvernementale; sa participation substantielle à l’élaboration et à l’exécution des obligations éthiques parlementaires, et ses efforts soutenus en vue d’assurer la responsabilité du gouvernement devant les tribunaux. 

[63]  Quant au troisième facteur, la demanderesse soutient qu’elle est probablement la seule partie intéressée ayant l’expérience et la capacité nécessaires pour présenter la contestation. Il n’y a pas d’autre partie directement touchée qui pourrait présenter une demande de contrôle judiciaire, et il n’existe aucun autre moyen raisonnable et efficace de porter cette affaire devant la Cour.

[64]  Inversement, le défendeur soutient que la demanderesse ne satisfait pas au critère à trois volets concernant la qualité pour agir dans l’intérêt public. Je constate que le défendeur traite de la justiciabilité tant dans le contexte de la qualité pour agir qu’en tant que question indépendante. Il fait valoir que cette affaire soulève des questions qui ne sont ni justiciables ni sérieuses. Elles ne sont pas justiciables, parce que toute préoccupation relative au processus de nomination de M. Dion relève du domaine du Parlement et non des tribunaux. Quant aux allégations de situation de conflit d’intérêts des ministres, il incombe au commissaire d’y donner suite à titre de responsable de l’application et de l’exécution de la Loi sur les conflits d’intérêts. Aux termes de cette loi, le législateur s’est réservé la compétence exclusive en matière de conflits d’intérêts des titulaires de charge publique (Canada (Vérificateur général) c Canada (Ministre de l’énergie, des mines et des ressources), [1989] 2 RCS 49 (Vérificateur général). Les questions soulevées ne sont pas non plus sérieuses, car elles ne sont pas fondées (mémoire de faits et du droit du défendeur, paragraphes 19 et 20). De plus, la Cour devrait tenir compte de l’intention du législateur, énoncée à l’article 66 de la Loi sur les conflits d’intérêts, de limiter l’examen par les tribunaux des questions d’interprétation législative par le commissaire. La Cour ne devrait pas miner l’intention du législateur en faisant généreusement droit à la demande de contrôle judiciaire.

[65]  La demanderesse n’a pas non plus d’intérêt véritable, parce qu’elle n’a pas d’intérêt réel dans les procédures et n’est pas engagée quant aux questions qu’elle soulève. Le commissaire a le droit d’ouvrir une enquête, mais aucun député n’a déposé de plainte concernant la nomination de M. Dion et le commissaire n’a pas ouvert d’enquête de son propre chef. Le régime régissant les conflits d’intérêts constitue un autre moyen d’aborder les préoccupations soulevées par la demanderesse, lequel n’a jamais été invoqué et ne peut être ignoré au moment de décider s’il est justifié de reconnaître la qualité pour agir. La demanderesse ne peut invoquer la Loi sur les conflits d’intérêts pour entreprendre un examen indépendant d’une question qui relève de la compétence exclusive du commissaire. 

[66]  Enfin, le défendeur soutient que la présente demande ne constitue pas un moyen raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour, parce qu’il existe d’autres procédures parlementaires pour résoudre les questions soulevées par cette demande. Essentiellement, la demanderesse demande à la Cour d’imposer un processus différent pour la nomination d’un agent du Parlement, une nomination pour laquelle le Parlement a déjà créé un processus. La Loi sur les conflits d’intérêts et la Loi sur le Parlement du Canada comportent des mesures de responsabilisation qui ne prévoient pas le recours aux tribunaux et qui doivent être prises en compte dans l’appréciation de la qualité pour agir.

Analyse

[67]  En ce qui concerne le premier facteur du critère relatif à la qualité pour agir dans l’intérêt public, je suis convaincue que les questions soulevées par la demanderesse sont sérieuses. Elle allègue le non‑respect de l’exigence prévue au paragraphe 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada de consulter les chefs de chacun des partis reconnus à la Chambre des communes avant la nomination du commissaire à l’éthique. Elle soutient en outre que le premier ministre et le ministre des Finances faisaient tous deux l’objet d’un examen mené par l’ancien commissaire à l’éthique au moment où le processus de nomination d’un nouveau commissaire était en cours, et qu’ils n’ont pas déposé de déclaration de récusation comme l’exige le paragraphe 25(1) de la Loi sur les conflits d’intérêts. De plus, en participant au processus décisionnel au cours duquel il a eu l’occasion de favoriser son intérêt personnel, le ministre Morneau a également violé l’article 4 et le paragraphe 6(1) de la Loi sur les conflits d’intérêts. La demanderesse affirme également que, parce que les autres personnes nommées par le gouverneur en conseil ont eu l’occasion de favoriser leur intérêt personnel réel à conserver leur poste de ministre en protégeant l’intérêt privé du premier ministre qui les nomme à titre amovible, grâce à leur contrôle sur le processus de sélection, ils violaient eux aussi les articles 4 et 6(1) de la Loi sur les conflits d’intérêts. Cela étant, et compte tenu de l’importance de la confiance du public envers l’intégrité du gouvernement, ces allégations soulèvent à mon avis des questions sérieuses.

[68]  Le défendeur affirme que, puisque les allégations ne sont pas fondées, elles ne sont pas sérieuses. Toutefois, comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Downtown Eastside, au moment de trancher la question de la qualité pour agir, les tribunaux ne doivent pas examiner le bien‑fondé d’une affaire autrement que de façon préliminaire. En l’espèce, si la prétention de la demanderesse, qui affirme que le gouverneur en conseil ne s’est pas acquitté de son obligation de consultation, est fondée, ce non‑respect de l’exigence préalable à la nomination prévue au paragraphe 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada pourrait potentiellement remettre en question la validité de la nomination de M. Dion au poste de commissaire à l’éthique. Une telle déclaration suffit à soulever une question sérieuse, sans qu’il soit nécessaire d’examiner minutieusement chacune des autres allégations (Downtown Eastside, au paragraphe 42).

[69]  Plus difficile est la question de savoir si les questions soulevées sont justiciables. J’ai examiné plus en détail ci‑dessous, lors de l’examen de cette question sur le fond, la question de savoir si certaines des questions soulevées par la demanderesse sont justiciables. En ce qui concerne la qualité pour agir, je constate que, dans son avis de demande, la demanderesse affirme demander l’annulation de la décision, parce que le Cabinet a omis de consulter le chef de chacun des partis reconnus à la Chambre des communes, comme l’exige le paragraphe 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada, avant que le gouverneur en conseil nomme le commissaire Dion. Il semble évident que le défaut du gouverneur en conseil de se conformer à une exigence législative serait justiciable. Toutefois, dans ses observations écrites, la demanderesse fait valoir que, même si la Loi sur le Parlement du Canada n’énonce pas de critères en matière de consultation, en appliquant une interprétation large et téléologique de la Loi qui donne effet à son objet, la Cour devrait conclure qu’un certain degré de consultation n’était pas suffisant pour satisfaire au paragraphe 81(1); il doit plutôt y avoir consultation véritable. En se fondant sur ce point de vue, la demanderesse affirme qu’au regard de la Loi, le degré de consultation était insuffisant. À mon avis, cela soulève une question d’interprétation des lois, laquelle est également justiciable. Toutefois, la question de la suffisance du processus de sélection au‑delà de la condition préalable de consultation prévue par la loi au sujet du candidat à la nomination et, parallèlement, la question de savoir s’il y a eu violation de la Loi sur les conflits d’intérêts, ne sont peut‑être pas justiciables. J’ai abordé cette préoccupation ci‑dessous dans l’analyse de l’affaire sur le fond.

[70]  Quant au deuxième facteur, bien que je convienne avec le défendeur que le simple fait que Démocratie en surveillance se soit vue octroyé la qualité pour agir dans l’intérêt public par le passé ne suffit pas pour établir qu’elle a l’intérêt réel requis ou un intérêt véritable dans l’affaire qu’elle cherche maintenant à porter devant la Cour, je suis convaincue que la preuve établit que la demanderesse a un intérêt véritable et qu’elle est engagée quant à la question de la nomination et du rôle du commissaire à l’éthique. À l’appui de cette demande, la demanderesse a déposé un affidavit de M. Duff Conacher, coordonnateur de Démocratie en surveillance, souscrit le 1er mars 2018 (l’affidavit de Conacher). Entre autres choses, cet affidavit décrit Démocratie en surveillance comme un organisme sans but lucratif fondé en 1993, qui prône la réforme démocratique, la participation citoyenne dans les affaires publiques, la responsabilité gouvernementale et l’éthique. Il est indiqué que, conformément à son mandat, Démocratie en surveillance a participé à l’élaboration des politiques et aux processus législatifs en matière de responsabilité gouvernementale. Elle a notamment présenté des mémoires et comparu devant des comités parlementaires dans le cadre de travaux législatifs menant à l’adoption ou à la modification de mesures relatives à l’éthique gouvernementale, y compris la création du poste de commissaire à l’éthique et l’adoption de la Loi sur les conflits d’intérêts. Elle a également présenté plus de 50 pétitions en matière d’éthique gouvernementale au commissaire à l’éthique, à la commissaire au lobbying et à leurs prédécesseurs, et a intenté des poursuites contre ces commissaires devant la Cour. Je conclus que le contenu de l’affidavit de Conacher est suffisant pour satisfaire au deuxième volet du critère.  

[71]  Quant à la question de savoir si la demande constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour, la demanderesse dispose des ressources et des connaissances nécessaires pour présenter cette cause. Comme elles sont formulées, les questions qu’elle soulève – conformité à la loi, manquement à l’équité procédurale et conflits d’intérêts – sont des questions d’intérêt public, dans la mesure où elles sont liées à l’intégrité du gouvernement. Toutefois, comme j’en discuterai ci‑dessous, il ne m’apparaît pas évident que la demanderesse soit la seule partie qui puisse présenter cette cause, car je ne vois pas pourquoi les chefs des autres partis reconnus, qui représentent les entités qui doivent être consultées, ne pourraient pas le faire, s’ils sont d’avis que le paragraphe 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada n’a pas été respecté. C’est à leur endroit que s’applique l’obligation d’équité procédurale, si une telle obligation s’impose. Cela dit, il est du moins possible de soutenir que la demanderesse apporte une perspective différente et utile aux questions en litige. Toutefois, il y a également une préoccupation à l’égard des solutions de rechange pratiques disponibles pour résoudre les questions soulevées par la demanderesse (Downtown Eastside, au paragraphe 50). Il s’agit, plus précisément, des processus prévus par la Loi sur les conflits d’intérêts et des mécanismes de responsabilisation parlementaire prévus aux termes de la Loi sur le Parlement du Canada. Le cas échéant, j’ai tenu compte de ces solutions de rechange pour trancher les questions sur le fond.

[72]  Après avoir soupesé et considéré ces facteurs dans leur ensemble, j’ai choisi d’exercer mon pouvoir discrétionnaire et d’accorder à la demanderesse la qualité pour agir dans l’intérêt public. Toutefois, comme il sera démontré ci‑dessous, la question de la justiciabilité de certains aspects de la demande de la demanderesse demeure une question en litige; je l’ai abordée dans le contexte du bien‑fondé des questions soulevées.

La deuxième question en litige : le gouverneur en conseil a‑t‑il omis de consulter le chef de chacun des partis reconnus à la Chambre des communes, comme l’exige le paragraphe 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada?

[73]  Dans son avis de demande, la demanderesse affirme qu’elle cherche à obtenir l’annulation de la décision à l’origine de la nomination du commissaire Dion, parce que le Cabinet a omis de consulter les chefs de chacun des partis reconnus à la Chambre des communes, comme l’exige le paragraphe 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada, avant que le gouverneur en conseil procède à la nomination du commissaire Dion.

[74]  Cependant, à mon avis, il ressort clairement du dossier qu’il y a eu consultation. Les lettres envoyées en juillet par la ministre Chagger au chef du Parti conservateur et à celui du NPD les informaient du processus gouvernemental en cours en vue de nommer un nouveau commissaire à l’éthique et de l’existence de l’avis de possibilité de nomination, et les invitaient à en faire part aux Canadiens intéressés. Il est vrai que l’affidavit de Levente‑Adrian Balint, adjoint juridique au ministère de la Justice, souscrit le 26 mars 2018, décrit les lettres de juillet 2017 comme des lettres d’engagement dans le processus de sélection qui selon lui n’étaient pas requises par la loi. Toutefois, dans sa lettre du 5 décembre 2017, la ministre Chagger indiquait clairement que la lettre était rédigée conformément au paragraphe 81(1); elle proposait la nomination de M. Dion, présentait ses titres professionnels et demandait des commentaires sur les nominations avant le 11 décembre 2017. En outre, M. Dion a comparu le 12 décembre 2017 devant le Comité ETHI, lequel est composé de toutes les parties. Le comité a recommandé sa nomination.

[75]  Dans ses observations écrites, la demanderesse adopte une approche différente et conteste le caractère suffisant de la consultation. Plus précisément, bien que la Loi sur le Parlement du Canada n’énonce pas de critères en matière de consultation, la Cour devrait conclure, en appliquant une interprétation large et téléologique de la Loi qui donne effet à son objet, qu’une certaine mesure de consultation ne suffisait pas à répondre au critère du paragraphe 81(1); il doit plutôt y avoir consultation véritable. La demanderesse fait valoir que cette « obligation de consultation » peut être considérée à juste titre comme un aspect de l’équité procédurale. Et, comme la Loi est muette sur la teneur de cette obligation, il faut recourir aux principes d’équité procédurale de la common law. La Cour peut évaluer ce qui est nécessaire pour satisfaire à une consultation véritable en appliquant les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (Baker). La demanderesse n’analyse pas ces facteurs, mais soutient que, compte tenu de l’intention du législateur et des fonctions parlementaires essentielles exercées par le commissaire à l’éthique, un degré très élevé d’équité procédurale est nécessaire. Au mieux, toutefois, le gouverneur en conseil a mené des consultations superficielles. Par conséquent, le gouverneur en conseil ne s’est pas acquitté de son obligation légale de consulter, en ne menant pas de véritables consultations.

[76]  Inversement, le défendeur soutient que ce ne sont pas les facteurs énoncés dans Baker qui déterminent le degré de consultation requis par le paragraphe 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada. Pour trancher cette question, la Cour doit plutôt appliquer les principes d’interprétation des lois (Lakeland College, 1998 ABCA 221, aux paragraphes 33 à 35).

[77]  À mon avis, la demanderesse confond quelque peu dans ses observations l’exigence prévue dans la loi et l’obligation d’équité en common law. En l’espèce, l’obligation de consultation est une obligation légale. Comme la Loi sur le Parlement du Canada ne définit pas ce qu’est une « consultation », les principes d’interprétation des lois peuvent être appliqués pour établir si, dans le contexte de cette affaire, la consultation prévue par la Loi a eu lieu. Ceux‑ci énoncent implicitement le degré de consultation requis. Une autre question est celle de savoir si l’obligation d’équité procédurale s’applique à la décision du gouverneur en conseil relative à la nomination et, le cas échéant, à la teneur de toute obligation d’équité procédurale envers la demanderesse dans ces circonstances. 

[78]  La Cour suprême du Canada a soutenu que l’approche privilégiée en matière d’interprétation législative nécessite de lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, à la page 41, citant Elmer Driedger, Construction of Statues, 2e éd., Toronto : Butterworths, 1983).

[79]  Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas en mesure de conclure, en appliquant cette analyse, que le paragraphe 81(1) exige un degré de consultation tel que les mesures prises pour la nomination du commissaire à l’éthique étaient insuffisantes pour satisfaire à cette exigence de la loi.

[80]  Premièrement, en ce qui concerne l’intention du législateur, la demanderesse soutient que le législateur a exprimé son intention de consulter le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes, Rapport 27 – Code de conduite (10 avril 2003), joint en pièce C de l’affidavit de Conacher, dans lequel le Comité a fait rapport sur le projet de loi C‑34, le précurseur du projet de loi C‑4, qui a créé les prédécesseurs du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique. Toutefois, j’estime que ce rapport n’illustre guère l’intention du législateur quant à la portée de la consultation. Il porte plutôt sur la façon dont le commissaire à l’éthique devrait être nommé, la durée de son mandat et diverses autres questions. Il y est également déclaré que la majorité des membres du Comité avaient convenu que le mode de nomination proposé dans l’avant‑projet de loi alors à l’étude ne permettait pas aux députés de jouer un rôle significatif, et cette déclaration était suivie par l’énoncé suivant :

Nous avons discuté de plusieurs mécanismes qui permettraient une participation de tous les députés à la prise de décision. Il nous est évident que, sans l’appui presque universel de la Chambre, le titulaire du poste de commissaire ne pourra exécuter ses fonctions de façon efficace. Nous recommandons donc qu’un projet de loi éventuel prévoie un processus de consultation des chefs des partis reconnus par la Chambre, suivi d’un vote de confirmation à la Chambre. Nous avons aussi l’intention de recommander la modification de l’article 111.1 du Règlement afin que le candidat au poste de commissaire comparaisse devant un comité de la Chambre avant la tenue du vote. Nous recommandons, en outre, que les processus de nomination des autres hauts fonctionnaires du Parlement fassent l’objet d’une analyse suivie.

[81]  Ces recommandations semblent se refléter largement dans ce qui est actuellement énoncé au paragraphe 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada. En fait, le rapport laisse entendre que la consultation des autres chefs a été ajoutée en réponse aux préoccupations soulevées à l’époque et compte tenu du fait que le commissaire à l’éthique traite de questions qui concernent non seulement les députés du parti au pouvoir, mais tous les députés.

[82]  La demanderesse attire également l’attention sur les débats parlementaires concernant le projet de loi C‑34. Toutefois, il était reconnu dans ces consultations que le sens du mot consultation est ambigu, qu’il ne signifie pas participation ou approbation, et qu’il pourrait être interprété comme signifiant un très faible degré de consultation (voir par exemple : Chambre des communes, Débats 37e législature, 2e session, 2 mai 2003 (rapport officiel : Hansard), aux pages 5745, 5765 et 5766 (Débat 37‑2)). Ces débats montrent également que la législature était au courant de l’existence d’autres processus de sélection qui nécessitent une plus grande participation des députés ne portant pas les couleurs du parti au pouvoir (voir par exemple : Débat 37‑2, aux pages 5765, 5766 et 5769). Pourtant, après examen, la Loi sur le Parlement du Canada, tel qu’elle a été édictée, n’exige qu’une consultation comme il est énoncé et ne met en place aucun autre critère ou exigence en matière de procédure. Et bien que l’affidavit de Conacher joigne en annexe de nombreux rapports et parties de débats parlementaires dans lesquels les députés néo‑démocrates et conservateurs expriment leur mécontentement à l’égard du processus actuel de sélection et de nomination, cela ne correspond pas à l’intention du législateur lorsque la Loi sur le Parlement du Canada a été adoptée. Bref, aucun des éléments de preuve présentés par la demanderesse ne démontre l’intention du législateur de prévoir un degré de consultation supérieur à celui énoncé au paragraphe 81(1).

[83]  En ce qui concerne l’objet de la Loi sur le Parlement du Canada, aucun n’est énoncé dans cette loi et donc rien n’éclaire l’intention du législateur quant au degré de consultation requis, ou ne facilite l’interprétation du paragraphe 81(1). Toutefois, l’article 87 prévoit que le commissaire s’acquitte des fonctions qui lui sont conférées par la Loi sur les conflits d’intérêts en ce qui touche les titulaires de charge publique. Cette loi a pour objet d’établir des règles claires en matière de conflits d’intérêts; de réduire au minimum les possibilités de conflit et de prévoir les moyens de régler de tels conflits, le cas échéant, et de donner au commissaire le mandat de déterminer les mesures nécessaires à prendre pour éviter les conflits d’intérêts et de décider s’il y a eu contravention. Ces objets ne concernent que le rôle du commissaire à l’éthique sans aborder sa nomination, et ne reflètent aucune intention législative en matière de consultation à cet égard. 

[84]  Dans son sens grammatical et ordinaire, le mot « consultation », dans le dictionnaire anglais Canadian Oxford Dictionary (Katherine Barber, 2éd., Don Mills, Ontario : Oxford University Press, 2004), sous l’entrée « consult », est défini comme une réunion organisée dans le but de consulter ou l’action de consulter. Le verbe « consult » s’entend du fait de demander des renseignements ou des conseils, de s’adresser à une personne pour obtenir des conseils ou une opinion, de demander la permission ou l’approbation à l’égard d’une mesure proposée, ou de prendre en considération une mesure ou d’en tenir compte. 

[85]  En l’espèce, la ministre Chagger a donné un avis du début du processus de nomination et a invité les autres chefs à en faire part aux personnes potentiellement intéressées. Rien n’indique que l’un ou l’autre des chefs ait donné suite à l’avis en proposant des candidats. La lettre du 5 décembre 2017 désignait M. Dion comme le candidat proposé pour le poste à la suite de ce processus. Même si le délai alloué pour donner suite à l’avis était court, soit six jours, les chefs ont eu la possibilité de répondre. Rien n’indique que l’un ou l’autre des chefs ait répondu en exprimant des préoccupations au sujet du candidat proposé, bien que M. Caron ait exprimé des réserves au sujet du processus. Les audiences du Comité ETHI ont donné à ces chefs, ou à leurs représentants, l’occasion d’aborder avec le candidat toutes les préoccupations qu’ils pouvaient avoir quant à sa candidature, comme ses qualifications ou son impartialité, occasion dont ils ont pu profiter. En effet, la préoccupation soulevée dans la présente demande par la demanderesse, les enquêtes en cours menées par le commissaire à l’éthique, a été directement soulevée auprès de M. Dion par M. Kent lors de l’audience du Comité ETHI. 

[86]  La demanderesse cite également des extraits de débats tenus à la Chambre des communes le 12 décembre 2017, au cours desquels Caron et Cullen députés du NPD se sont dits insatisfaits du processus de sélection, dans le cadre duquel seul le nom du candidat a été communiqué, et ont affirmé que cela ne constituait pas une véritable consultation. Le premier ministre a répondu en déclarant qu’il est important que les mandataires du Parlement jouissent de la confiance de la Chambre et que si les agents du Parlement nommés ne jouissent pas de la confiance du NPD, le parti devrait le dire. Un débat similaire a eu lieu le 13 décembre 2017. Comme en témoigne l’audience du Comité ETHI du 12 décembre 2017, au cours de laquelle toutes les parties ont eu l’occasion de poser des questions et d’exprimer leurs préoccupations à M. Dion, M. Cullen s’est dit préoccupé qu’aucun des autres partis n’ait pris part au processus de sélection des candidats, que ce soit au sein du processus de sélection de la personne sélectionnée ou dans le contexte de l’examen des candidatures proposées. Compte tenu de ces préoccupations, M. Cullen s’est abstenu de voter sur la motion proposant la nomination de M. Dion au poste de commissaire à l’éthique. M. Kent, membre du comité au nom du Parti conservateur, a également contesté le processus de sélection et s’est dit préoccupé par l’absence de consultations sérieuses à cet égard, mais il a fait la distinction entre cette affirmation et la conviction de son parti selon laquelle un vote devrait avoir lieu et que la nomination de M. Dion à ce poste soit recommandée lors du vote à la Chambre des communes.

[87]  Deux choses ressortent de ces extraits des débats. Premièrement, les préoccupations exprimées au sujet de la consultation visaient en fait le processus de sélection – la constitution du comité de sélection et la liste des candidats – plutôt que la consultation concernant la nomination du candidat proposé. Deuxièmement, bien que ces préoccupations relatives au processus de sélection aient été soulevées à la Chambre des communes, aucun des chefs des autres partis, qui devaient être consultés conformément à la loi, n’a demandé le contrôle judiciaire de la nomination de M. Dion en raison d’une consultation inadéquate ou à un autre titre.

[88]  En conclusion, l’intention ou le but de la consultation prescrite, considéré dans son contexte et dans l’esprit général de la Loi, est de donner aux députés qui ne sont pas membres du parti au pouvoir l’occasion de s’exprimer sur la nomination du candidat. Ils doivent pouvoir s’exprimer sur l’aptitude du candidat et faire part de toute préoccupation qu’ils pourraient avoir quant à ses qualifications, à son impartialité ou à tout autre titre, comme cela a été fait en l’espèce. Cela tient au fait que tous les députés doivent faire confiance au commissaire à l’éthique, en raison de sa qualité d’agent du Parlement. À mon avis, si l’intention du législateur avait été d’exiger une consultation sur le processus de sélection de la personne nommée, plutôt qu’une consultation concernant la personne nommée, cette intention se retrouverait dans la Loi sur le Parlement du Canada ou serait autrement perceptible dans son contexte et son objet. Je conclus que ce n’est pas le cas.

[89]  Par conséquent, en ce qui concerne l’interprétation du paragraphe 81(1), bien que la demanderesse ne soit pas d’accord en ce qui concerne le processus de consultation, y compris le délai imparti et l’absence de participation des autres partis au processus de sélection des candidats, je ne suis pas convaincue que l’interprétation donnée par le gouverneur en conseil du degré de consultaiton requis concernant la nomination était déraisonnable. En conséquence, je ne conclus pas que la consultation menée n’a pas respecté l’exigence de la loi.

[90]  J’ajouterais que si les chefs des autres partis reconnus à la Chambre des communes avaient des préoccupations quant à la compétence de M. Dion, ils les auraient probablement soulevées à l’audience du Comité ETHI. Ils auraient ensuite soulevé ces préoccupations de fond au cours du débat subséquent sur la nomination qui a eu lieu à la Chambre des communes. Ils ne l’ont pas fait, mais si cela avait été le cas « [l]a possibilité que l’exécutif, grâce à sa majorité à la Chambre des communes, dicte en pratique à cette dernière la position qu’elle doit prendre quant à l’étendue des attributions du Parlement en matière de vérification ne relève pas, sur le plan constitutionnel, de la compétence du judiciaire » (Vérificateur général, à la page 103).

[91]  La demanderesse soutient également que, dans d’autres contextes, les cours de justice ont été disposées à accorder la réparation pour défaut de consultation lorsque la loi ou la common law l’exigeait. À cet égard, elle cite SCFP c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29 (SCFP), Bezaire c Windsor Roman Catholic Separate School Board (1992), 9 OR (3d) 737 (ONSC C. div) [Bezaire], et Nation Haïda c Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 (Haïda). 

[92]  À mon avis, ce que ces affaires démontrent, c’est que l’obligation de consultation est contextuelle et propre aux faits. Ce sont les circonstances factuelles ou l’économie de la loi applicable, en l’occurrence la Loi sur le Parlement du Canada, qui dictent si une réparation doit être accordée dans une situation donnée et, le cas échéant, quelle réparation doit être accordée. Par conséquent, le simple fait que les tribunaux étaient disposés à accorder une réparation dans les précédents cités par la demanderesse n’a qu’une portée limitée. La demanderesse ne donne pas non plus de détails sur ce point.

[93]  Je constate toutefois que, dans l’arrêt SCFP, la Cour suprême du Canada a été chargée d’examiner la nomination faite par le ministre du troisième arbitre d’un conseil d’arbitrage, conformément au paragraphe 6(5) de la Loi sur l’arbitrage des conflits de travail dans les hôpitaux (LACTH). Le ministre a désigné quatre juges retraités et le syndicat s’est plaint que leur désignation ne résultait pas d’un commun accord et que leur nom ne figurait pas non plus sur une liste convenue, que le syndicat n’avait pas été consulté à propos de cette modification du processus, et que les juges étaient dénués d’expertise et d’indépendance envers le gouvernement. Le syndicat a sollicité un jugement déclarant que les actes du ministre constituaient un déni de justice naturelle et étaient caractérisés par l’absence d’indépendance et d’impartialité institutionnelles. La Cour suprême du Canada a soutenu que le ministre n’était pas tenu de procéder à la sélection d’un commun accord ou à partir de la liste dressée. Les juges retraités ne pouvaient pas non plus être raisonnablement perçus comme ayant un parti pris contre les travailleurs et les travailleuses. Néanmoins, la LACTH, correctement interprétée, exigeait que le ministre désigne comme arbitres des personnes compétentes en raison non seulement de leur impartialité, mais aussi de leur expertise. À cet égard, le ministre était tenu, en droit, d’exercer son pouvoir de désignation d’une manière conforme aux fins et aux objets de la LACTH, dont l’un des objets fondamentaux était de prévoir un moyen adéquat de remplacer la grève et le lock‑out. Pour que cet objet de la loi puisse être réalisé, les parties devaient avoir la perception que le système d’arbitrage obligatoire était neutre et crédible.

[94]  La Cour suprême du Canada a conclu, en supposant qu’une obligation de consulter existait à l’égard d’une modification du processus de désignation, que le ministre s’était acquitté de toute obligation de consultation des syndicats qui pouvait lui incomber, étant donné qu’un avis du projet de modification ainsi que l’occasion de le commenter le projet avaient été donnés. Quant à la réparation, la Cour suprême a modifié l’ordonnance du tribunal inférieur pour déclarer que, dans l’exercice de son pouvoir de désignation conféré par le paragraphe 6(5), le ministre doit être convaincu que les candidats à la présidence sont non seulement indépendants et impartiaux, mais également qu’ils ont une expertise appropriée en matière de relations du travail et sont reconnus, dans le milieu des relations du travail, comme étant généralement acceptables à la fois par le patronat et par les syndicats. 

[95]  Dans l’arrêt SCFP, la Cour suprême a déclaré que compte tenu du rôle et de la fonction de la LACTH, que confirme son historique législatif, « rien dans le dossier » n’indiquait d’une manière ou d’une autre que le ministre était au fait de ces exigences en matière de relations du travail. Au contraire, d’après la preuve, le ministre avait rejeté l’expertise et l’acceptabilité générale comme qualifications requises pour les arbitres. La Cour a conclu que cette approche était contraire au processus établi par la LACTH, lequel doit être perçu comme étant neutre et crédible, et qu’étant donné que la loi visait à maintenir la paix industrielle, elle était déraisonnable. En ce qui concerne la réparation, étant donné que le contrôle judiciaire n’avait pas été axé sur les circonstances de chacune des désignations, la Cour suprême a refusé de donner suite à la demande du syndicat d’annuler les nominations faites par le ministre. 

[96]  Ainsi, il est possible d’effectuer une distinction entre les faits de l’arrêt SCFP et ceux dont je suis saisie en l’espèce. Dans la présente affaire, rien n’indique que le gouverneur en conseil ait refusé d’adopter des qualifications pour le poste de commissaire à l’éthique qui étaient conformes à son rôle énoncé dans la Loi sur le Parlement du Canada ou dans la Loi sur les conflits d’intérêts. En effet, l’article 81(2) de la Loi sur le Parlement du Canada énonce les qualifications requises pour la nomination au poste de commissaire à l’éthique et rien n’indique que la personne nommée n’ait pas satisfait à ces qualifications. En outre, le paragraphe 6(5) de la LACTH, contrairement au paragraphe 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada, ne traite pas de consultation. En outre, il n’y a pas grand‑chose dans l’esprit ou l’objet de la Loi sur le Parlement du Canada qui saurait nous éclairer sur l’intention du législateur quant au processus ou au degré de consultation requis par le paragraphe 81(1). De plus, l’exigence de consultation prévue au paragraphe 81(1) permet de s’assurer que les autres chefs de parti reconnus ont eu l’occasion de soulever des préoccupations au sujet du candidat, y compris des préoccupations quant à son impartialité. Vu dans son ensemble, l’arrêt SCFP ne démontre pas la nécessité, en l’espèce, de rendre un jugement déclaratoire similaire.

[97]  La décision Bezaire n’est elle non plus d’aucun secours pour la demanderesse. Dans cette affaire, la Cour divisionnaire de l’Ontario a conclu, dans le contexte de la fermeture d’une école, que le non‑respect d’une procédure de consultation prévue par une politique avait entraîné un manquement à l’équité procédurale. En l’espèce, et contrairement à Bezaire, il n’y a pas de lignes directrices ou de politiques décrivant en détail le processus de nomination qui complémentaient le paragraphe 81(1). Enfin, dans l’arrêt Haïda, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur le continuum en matière de consultation que peut imposer l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c 11 (R.‑U.). Étant donné que l’obligation de consulter les Premières Nations tire sa source de la constitution, ce précédent n’est pas d’une grande utilité en l’espèce.

[98]  En fin de compte, compte tenu des circonstances de l’espèce, je ne suis pas convaincue qu’il y a eu défaut de tenir la consultation exigée le paragraphe 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada. Si la consultation relative à la nomination du commissaire à l’éthique n’a pas été menée de manière approfondie, je conviens par ailleurs avec le défendeur qu’elle doit être considérée dans le contexte de la Loi sur le Parlement du Canada. La consultation en question s’est déroulée dans le cadre du système parlementaire relativement à la nomination d’un agent du Parlement, qui a une responsabilité devant le Parlement.

[99]  De plus, dans la mesure où la contestation du processus de nomination par la demanderesse va au‑delà de l’exigence de consultation prévue par la loi, il ne s’agit pas à mon avis d’une question justiciable. Il incombe au Parlement de décider de ce processus. En général, une cour de justice s’abstiendra de revoir les actes ou décisions du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif lorsque l’objet du différend ne se prête pas à l’intervention des tribunaux ou lorsque le tribunal n’a pas les ressources nécessaires pour trancher la question (Ami(e)s de la Terre c Canada (Gouverneur en conseil), 2008 CF 1183, au paragraphe 25 (Ami(e)s de la Terre)). Il serait inapproprié pour la Cour de dicter un processus de sélection au Parlement en l’absence d’une disposition législative claire et, ce faisant, elle outrepasserait son rôle constitutionnel.

[100]  La demanderesse soutient également que l’obligation de consultation est à juste titre considérée comme un aspect de l’équité procédurale, ce qui permet à la Cour de se fonder sur les facteurs de la common law énoncés dans l’arrêt Baker pour déterminer la teneur de ce devoir d’équité. La demanderesse n’a pas cité de jurisprudence pour soutenir qu’une exigence légale de consultation de cette nature est assujettie à une analyse de la teneur de l’exigence légale sur ce fondement.

[101]  Toutefois, en examinant cet argument, je constate que, dans l’arrêt Baker, la Cour suprême du Canada a statué que le fait qu’une décision soit administrative et qu’elle touche « les droits, privilèges ou biens d’une personne » suffit pour entraîner l’application de l’obligation d’équité (citant Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, à la page 653 (Cardinal)). La Cour suprême a déclaré, à la page 643 :

[...]

Cette Cour a confirmé que, à titre de principe général de common law, une obligation de respecter l’équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d’une personne [...]

[102]  Dans Baker, la Cour suprême a également conclu que l’existence de l’obligation d’équité ne détermine pas quelles exigences s’appliqueront dans des circonstances données, puisque « la notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas » (Knight c Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 RCS 653, à la page 682). L’obligation d’équité procédurale est souple et variable, et elle « repose sur une appréciation du contexte de la loi et des droits visés » (Baker, au paragraphe 22).

[103]  Dans ces circonstances, compte tenu de la nature de la loi et du libellé du paragraphe 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada, toute obligation d’équité procédurale issue de la common law en ce qui a trait à la consultation au sujet de la nomination d’un commissaire à l’éthique n’existe qu’envers les chefs de chaque parti reconnu à la Chambre des communes et dans le contexte du processus parlementaire de nomination d’un mandataire du Parlement. Ces chefs sont les représentants élus du public. La demanderesse n’a fait valoir aucun précédent à l’appui de son argument et je ne suis pas convaincue qu’une telle obligation puisse être étendue à la demanderesse sur le fondement de sa qualité pour agir dans l’intérêt public, qualité qui ne permet pas à la demanderesse, ou au public dont elle prétend représenter les intérêts, de participer au processus de nomination parlementaire (voir P&S Holdings Ltd c Canada, 2017 CAF 41).

La troisième question en litige : le gouverneur en conseil a‑t‑il contrevenu à la Loi sur les conflits d’intérêts, remettant ainsi la validité de la nomination en question?

[104]  La demanderesse présente un historique de la Loi sur les conflits d’intérêts et décrit son objet. Elle soutient que la Loi sur les conflits d’intérêts est l’un des éléments essentiels d’un régime conçu pour maintenir la conduite éthique du gouvernement. À cet égard, la Loi est complémentaire de la Loi sur le lobbying et des dispositions du Code criminel du Canada qui traitent des infractions les plus flagrantes, comme la corruption et le trafic d’influence. Le Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d’intérêts et l’après‑mandat de 1985, le Code des députés et le Code de déontologie des lobbyistes font également partie de ce régime. Citant la Commission d’enquête concernant les allégations au sujet des transactions financières et commerciales entre Karlheinz Schreiber et le très honorable Brian Mulroney, qui, à son tour, fait référence à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Hinchey, [1996] 3 RCS 1128, la demanderesse affirme qu’étant donné le grand intérêt public à préserver l’intégrité du gouvernement, des normes de conduite exigeantes doivent être imposées aux titulaires de charge publique assujettis à une loi en matière d’éthique.

[105]  La demanderesse soutient également que les conflits d’intérêts peuvent être réels ou apparents et que le critère applicable pour déterminer l’existence ou non d’une crainte raisonnable de partialité est celui énoncé dans Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, à la page 394, et ses modifications subséquentes à la Commission d’enquête sur les faits reliés à des allégations de conflit d’intérêts concernant l’honorable Sinclair M. Stevens, le 15 mai 1986, à savoir qu’il y a conflit d’intérêts apparent lorsqu’il y a crainte raisonnable de conflit d’intérêts, crainte qu’une personne raisonnablement bien informée pourrait à bon droit avoir. Selon la demanderesse, cette définition est enchâssée dans la Loi sur les conflits d’intérêts. Compte tenu du régime de la Loi, du libellé détaillé de ses dispositions clés et de la vaste portée de celles‑ci, il est clair que l’intention du législateur était qu’elle s’applique à la fois aux conflits d’intérêts réels et apparents.

[106]  Même si la demanderesse présente de nombreux arguments, notamment en proposant d’autres processus de sélection qu’elle juge préférables et accessibles au gouverneur en conseil, sa position est essentiellement la suivante : le premier ministre et le ministre Morneau faisaient l’objet d’une enquête menée par l’ancienne commissaire à l’éthique pendant le processus de sélection du nouveau commissaire à l’éthique. Comme ils faisaient l’objet d’une enquête, ils avaient un intérêt personnel réel, au sens de l’article 4 de la Loi sur les conflits d’intérêts, envers l’enquête et la décision du (nouveau) commissaire à l’éthique. La demanderesse soutient que le premier ministre a admis être en réel conflit d’intérêts lorsqu’il a fait une déclaration publique se récusant de ce processus. En outre, elle soutient qu’il n’y a aucun document indiquant que le ministre Morneau s’est récusé, et que ce dernier, en participant au processus de nomination, a violé le paragraphe 6(1) et les articles 4 et 21 de la Loi sur les conflits d’intérêts. De plus, les autres personnes nommées par le gouverneur en conseil ont eu l’occasion de favoriser leur intérêt personnel réel à conserver leur poste de ministre, en protégeant l’intérêt personnel du premier ministre, qui les nomme à titre amovible, grâce à leur contrôle sur le processus de sélection et leur participation à celui‑ci. C’est ainsi que toutes les personnes nommées par le gouverneur en conseil ont violé l’article 4 et le paragraphe 6(1) de la Loi sur les conflits d’intérêts. Même si le gouverneur en conseil n’était qu’en conflit d’intérêts apparent, la même conclusion doit être tirée. Le processus de sélection n’offrait pas suffisamment de protections contre une décision partiale qui favoriserait les intérêts du gouverneur en conseil, particulièrement ceux du premier ministre et du ministre Morneau. La demanderesse soutient que le gouverneur en conseil aurait dû reconnaître son parti pris et le conflit d’intérêts dans lequel il se trouvait, et se retirer du processus de sélection qui a permis d’établir des listes restreintes de personnes qualifiées, comme il l’a fait pour la nomination des juges, du commissaire de la Gendarmerie royale du Canada et des sénateurs.

[107]  Comme point de départ de l’examen de cet argument, je constate qu’il est important de rappeler que le rôle de la Cour est d’évaluer la légalité d’une décision, en l’espèce la décision du gouverneur en conseil de nommer M. Dion au poste de commissaire à l’éthique. Il n’appartient pas à la Cour de juger si le premier ministre ou le ministre Morneau étaient en situation de conflit d’intérêts, et donc en violation du paragraphe 6(1), en participant à la décision de nomination ou en omettant de se récuser en vertu de l’article 21. Je conviens avec le défendeur que le législateur a confié ce rôle exclusivement au commissaire à l’éthique. En l’espèce, rien n’indique qu’une plainte ait été déposée par des députés du Parlement auprès de la commissaire concernant la décision de nommer M. Dion, ce qui n’est peut‑être pas surprenant étant donné que la motion devant le Comité ETHI multipartite recommandant la nomination avait été adoptée. Ainsi, la Loi sur les conflits d’intérêts n’a jamais été invoquée ni par des députés ni par la commissaire de son propre chef. De plus, si la tenue d’un tel examen avait été demandée et si le commissaire Dion avait été d’avis que, pour éviter tout conflit d’intérêts apparent ou toute crainte raisonnable de partialité découlant du fait qu’il avait été nommé par le gouvernement dont il devait examiner la conduite des députés, le commissaire aurait pu autoriser une autre personne à exercer ses fonctions d’enquête conformément à l’article 89 de la Loi sur le Parlement du Canada. Autrement dit, la Loi sur le Parlement du Canada prévoit, au besoin, une mesure de protection pour répondre aux préoccupations de la demanderesse.

[108]  Bien que je reconnaisse que seuls les parlementaires peuvent demander au commissaire d’étudier une question (Loi sur les conflits d’intérêts, paragraphe 44(1)), et que, dans le cadre d’une telle demande d’un parlementaire, le commissaire peut tenir compte des renseignements provenant d’un membre du public que s’ils lui sont communiqués par ce parlementaire (paragraphe 44(4)), rien n’empêche le public de fournir directement ces renseignements au commissaire et de lui demander, d’après ceux‑ci, d’étudier la question de son propre chef (paragraphe 45(1)). C’est ce qu’a fait en l’espèce Démocratie en surveillance dans sa lettre à la commissaire datée du 25 octobre 2017, dans laquelle elle demandait de se prononcer sur la question de savoir si le ministre Morneau avait enfreint le paragraphe 25(1) de la Loi sur les conflits d’intérêts. Un enquêteur principal a accusé réception de cette lettre dans une lettre datée du 26 octobre 2017, dans laquelle il indiquait que la question serait portée à l’attention de la commissaire et que celle‑ci y répondrait en temps voulu (le dossier de la demanderesse ne contient aucune autre correspondance de la commissaire et on ignore quelles autres communications, le cas échéant, ont suivi). J’ai de la difficulté à croire que le commissaire à l’éthique n’étudierait alors pas la question de son propre chef s’il recevait d’un membre du public des renseignements qui lui donnaient « lieu de croire » que le titulaire de charge publique avait contrevenu à la Loi, 

[109]  En somme, j’estime qu’il n’appartient pas à la demanderesse, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, de demander à la Cour d’exercer le rôle du commissaire pour conclure, comme fondement de la contestation de la nomination du commissaire Dion par la demanderesse, qu’il y a eu violation des dispositions de la Loi sur les conflits d’intérêts. Ce qui nous emmène à la question de la justiciabilité.

[110]  Récemment, dans l’arrêt Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c Wall, 2018 CSC 26 (Wall), la Cour suprême du Canada a examiné la possibilité de demander, pour des raisons fondées sur l’équité procédurale, le contrôle judiciaire des décisions prises par des associations volontaires, y compris des groupes religieux. Ce faisant, elle a souligné que, même lorsqu’il y a ouverture à contrôle judiciaire, les tribunaux n’examineront que les questions qui sont justiciables. La justiciabilité est une notion qui s’attache à l’objet du différend et se traduit par la question générale suivante : Est‑on en présence d’une question qu’il convient de faire trancher par un tribunal? (au paragraphe 32). En outre :

[34] Il n’existe pas un ensemble précis de règles délimitant le champ d’application de la notion de justiciabilité. En effet, la justiciabilité est dans une certaine mesure tributaire du contexte, et l’approche appropriée pour statuer sur la justiciabilité d’une question doit être empreinte de souplesse. Le tribunal qui est appelé à le faire doit se demander s’il dispose des attributions institutionnelles et de la légitimité requises pour trancher la question : voir Sossin, p. 294. Pour conclure au caractère justiciable d’une question, le tribunal doit être d’avis [traduction] « que le fait pour lui de résoudre la question constituerait une utilisation économique et efficace de ses ressources, qu’il existe suffisamment de faits et d’éléments de preuve au soutien de la demande, qu’un exposé adéquat des positions contradictoires des parties sera présenté et qu’aucun organisme administratif ou corps politique ne s’est pas déjà vu conférer par voie législative compétence à l’égard de la question » (ibid.).

[111]  Je constate également que, pour établir si une question est justiciable, les cours de justice doivent tenir compte de la séparation des fonctions au sein de la matrice constitutionnelle du Canada afin d’éviter toute intrusion mal à propos dans les pouvoirs réservés à l’exécutif ou à la législature (Ami(e)s de la Terre, au paragraphe 25, citant l’arrêt Doucet‑Boudreau c Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, aux paragraphes 33 à 36 (Doucet‑Boudreau)).

[112]  La demanderesse, lorsqu’elle m’a entretenu de la question de la justiciabilité, a cité l’arrêt Doucet‑Boudreau relativement aux limites de la séparation des pouvoirs entre le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif. Dans Doucet‑Boudreau, la Cour suprême du Canada a cité sa sa décision antérieure Brunswick Broadcasting Co. c Nouvelle‑Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 RCS 319, à la page 389, dans laquelle elle a conclu que pour assurer le fonctionnement de l’ensemble du gouvernement, il est essentiel que le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif jouent le rôle qui leur est propre et qu’« [i]l est également essentiel qu’aucune de ces branches n’outrepasse ses limites et que chacune respecte de façon appropriée le domaine légitime de compétence de l’autre. » La Cour a conclu ainsi :

34 Autrement dit, lorsqu’ils accordent des réparations constitutionnelles, les tribunaux doivent être conscients de leur rôle d’arbitre judiciaire et s’abstenir d’usurper les fonctions des autres branches du gouvernement en s’arrogeant des tâches pour lesquelles d’autres personnes ou organismes sont mieux qualifiés. Le souci des limites du rôle judiciaire est omniprésent en droit. L’établissement de la règle de la justiciabilité et, dans une large mesure, de celles du caractère théorique, de la qualité pour agir et de la question mûre pour décision découle de la crainte que les tribunaux outrepassent leur fonction judiciaire et empiètent sur le rôle des autres branches du gouvernement.

[113]  La demanderesse soutient que, bien que la Cour suprême ait statué que le respect des tribunaux pour le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif est important, elle a également déclaré que « la déférence s’arrête là où commencent les droits constitutionnels que les tribunaux sont chargés de protéger » (Doucet‑Boudreau, au paragraphe 36). La demanderesse reconnaît que l’affaire dont je suis saisie n’est pas une cause constitutionnelle, mais elle soutient que, puisque l’intégrité du gouvernement est mise en cause, il n’y a pas lieu non plus de faire preuve de retenue envers le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Elle soutient en outre que l’arrêt Doucet‑Boudreau démontre que les réparations originales qui défendent les droits en cause sont permises. En l’espèce, le droit en cause est un droit public d’assurer une conduite éthique au Parlement.

[114]  Pour sa part, le défendeur s’appuie sur l’arrêt Doucet‑Boudreau, ainsi que sur la décision de la Cour dans l’affaire Ami(e)s de la Terre, dans laquelle elle a statué qu’en général, une cour de justice s’abstiendra d’examiner les actes ou décisions du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif lorsque l’objet du différend ne se prête pas à l’intervention des tribunaux ou lorsque le tribunal n’a pas les ressources nécessaires pour trancher la question.

[115]  J’estime que les arrêts Doucet‑Boudreau et Wall appuient la proposition selon laquelle, lorsque, comme en l’espèce, le Parlement a adopté une loi dont l’objet est de créer un régime exhaustif régissant les conflits d’intérêts qui touchent les titulaires de charge publique, y compris les examens menés par le commissaire à l’éthique sur des allégations de tels conflits pour déterminer si elles sont fondées, il est clair que la Cour usurperait le rôle et les fonctions du commissaire à l’éthique, tels qu’ils sont attribués et définis dans la Loi sur le Parlement du Canada et la Loi sur les conflits d’intérêts, si elle intervenait et prenait une telle décision. De plus, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour ne dispose pas de faits et d’éléments de preuve suffisants pour rendre une telle décision. 

[116]  En outre, même si le commissaire à l’éthique conclut et signale qu’un titulaire de charge publique a contrevenu à la Loi sur les conflits d’intérêts, l’article 47 de cette loi précise que la conclusion n’est toutefois pas décisive lorsqu’il s’agit de déterminer les mesures à prendre pour donner suite au rapport. En d’autres termes, le Parlement se réserve le droit de décider quelles mesures, le cas échéant, doivent être prises à la suite de la conclusion du commissaire à l’éthique. Par ailleurs, les décisions du commissaire à l’éthique ne peuvent également faire l’objet d’un contrôle judiciaire que dans des circonstances limitées, notamment lorsque le commissaire a agi sans compétence, outrepassé celle‑ci ou refusé de l’exercer; n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter, ou a agi ou a omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages (article 66 de la Loi sur les conflits d’intérêts et alinéas 18.1(4)a), b) et e) de la Loi sur les Cours fédérales). Ces dispositions démontrent également le rôle limité de la Cour dans ce régime.

[117]  À cet égard, j’aimerais également souligner que, dans l’arrêt Vérificateur général, l’accès aux dossiers d’une société d’État et aux documents du Cabinet avait été refusé au vérificateur général. La question soumise à la Cour suprême était celle de savoir si le vérificateur général avait un droit d’accès à l’information qu’il pouvait faire valoir devant les tribunaux en vertu du paragraphe 13(1) de la Loi sur le vérificateur général. La Cour a déclaré qu’il faut en réalité se demander s’il est opportun que la Cour assume le rôle d’arbitre en tranchant un litige entre le Parlement et un préposé du Parlement, fut‑il de haut rang. Elle a conclu que le lien entre le paragraphe 13(1) (le droit allégué) et l’alinéa 7(1)b) (le recours résultant de la loi), et la mesure dans laquelle le recours que constitue le rapport fait partie d’un code global de dispositions réparatrices, indiquaient que l’exigence imposée au vérificateur général de préparer à l’intention de la Chambre des communes un rapport annuel dans lequel il devait indiquer s’il avait reçu, dans l’exercice de ces activités, tous les renseignements et éclaircissements réclamés, constituait le recours exclusif. Une fois que le vérificateur général a signalé qu’il n’avait pas obtenu tous les renseignements dont il avait besoin, la question a été confiée à la Chambre des communes pour que cette dernière trouve une solution politique. Dans ces circonstances, un recours politique de cette nature constituait un recours approprié, et la Cour a déclaré ce qui suit à la page 104 : 

Le caractère approprié du recours fondé sur l’al. 7(1)b) ne doit pas être sous‑estimé. En révélant dans son rapport à la Chambre des communes que le gouvernement en place a refusé d’accéder à ses demandes de renseignements, le vérificateur général porte l’affaire à l’attention du public. L’Opposition au Parlement est alors libre d’en faire un objet de débat. La plainte que le vérificateur général porte à l’endroit du gouvernement pour n’avoir pas voulu lui fournir tous les renseignements réclamés peut influer sur l’évaluation que l’opinion publique fait de la performance de ce gouvernement. Le recours fondé sur l’al. 7(1)b) joue donc un rôle important en renforçant le contrôle du Parlement sur l’exécutif en ce qui touche les questions financières.

[118]  De même, en l’espèce, non seulement le Parlement s’est‑il réservé les mesures à prendre si le commissaire à l’éthique concluait à l’existence d’un conflit d’intérêts, mais la diffusion publique d’un conflit d’intérêts par le commissaire à l’éthique peut servir de recours subsidiaire adéquat, quoique politique. 

[119]  L’exhaustivité du régime des conflits d’intérêts et des recours qui y sont prévus est également démontrée par les garanties procédurales prévues aux termes de la Loi sur le Parlement du Canada et de la Loi sur les conflits d’intérêts.  

[120]  Par exemple, la Loi sur le Parlement du Canada, en plus de l’exigence de consultation, comporte un mécanisme de rapport parlementaire (article 90), une possibilité pour le commissaire de déléguer ses fonctions (article 89), ainsi que des garanties institutionnelles d’indépendance du commissaire à l’éthique. Ces garanties comprennent la durée fixe du mandat qui dépasse la durée maximale du mandat d’un Parlement et qui empêche la destitution du commissaire pour une raison autre qu’un motif valable (paragraphe 82(1)); l’obligation pour le commissaire de se consacrer exclusivement à l’exercice de ses fonctions (paragraphe 83(2)), et la désignation du commissaire comme employeur distinct (paragraphe 84(1)). 

[121]  La Loi sur les conflits d’intérêts prévoit d’autres mesures de protection, comme la possibilité d’un contrôle judiciaire dans des circonstances limitées (article 66); l’examen quinquennal complet des dispositions et de l’application de la Loi (article 67); le fait que les rapports du commissaire doivent être rendus publics au même moment où ils sont remis au premier ministre et au titulaire de charge publique visé par l’enquête (paragraphes 44(8) et 45(4)); et les dispositions qui accordent l’immunité au commissaire en matière civile ou pénale dans l’exercice de bonne foi des attributions que la loi lui confère (paragraphe 50(2)).

[122]  En conclusion, compte tenu de ce qui précède, je conclus qu’en l’absence d’une décision du commissaire à l’éthique, la question de savoir si des infractions à la Loi sur les conflits d’intérêts ont été commises, ou s’il existait une crainte raisonnable en ce sens, n’est pas justiciable.

[123]  Compte tenu de la conclusion qui précède, je n’ai pas besoin de répondre à l’argument du défendeur formulé à l’audience de la présente affaire selon lequel les questions concernant les prétendus conflits d’intérêts de M. Morneau étaient théoriques, compte tenu de la décision de la Cour d’appel dans Democratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2018 CAF 195. Dans cette affaire, la Cour d’appel a refusé de trancher la question de savoir si la Loi sur les conflits d’intérêts obligeait le ministre Morneau à céder ses actions dans Morneau Sheppell Inc. plutôt que de les placer dans une fiducie sans droit de regard. Le ministre Morneau s’étant par la suite départi de toutes les actions, la Cour d’appel a conclu que la question était dénuée de portée pratique et a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire résiduel pour trancher la question. Elle a statué que le rôle du Parlement, conjugué à la sensibilité politique potentielle des questions soulevées dans cette demande, incitait la Cour à faire preuve d’une extrême prudence avant de statuer sur une question qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour résoudre un différend réel. Toutefois, je constate, comme l’a reconnu le défendeur, que la question en l’espèce n’est pas de savoir si le ministre Morneau était tenu de se départir de ses actions, mais de savoir si, en détenant ces actions au moment où il a voté sur le projet de loi C‑27, il enfreignait la Loi sur les conflits d’intérêts. Toutefois, c’est au commissaire à l’éthique qu’il appartient de trancher cette question. En outre, bien que le défendeur ait également informé la Cour que le commissaire à l’éthique a par la suite rendu une décision sur cette question, la Cour n’a pas été saisie de cette décision.


La quatrième question en litige : Les dispositions de la common law concernant la crainte raisonnable de partialité s’appliquent‑elles et, le cas échéant, empêchaient‑elles le gouverneur en conseil de procéder à la nomination?

[124]  La demanderesse prétend qu’il existe un recours autonome reconnu en common law pour combler toute lacune ou omission dans la Loi sur les conflits d’intérêts. L’obligation d’équité de la common law s’applique à toute autorité publique dont les décisions ne sont pas de nature législative. Si une décision, ou le processus menant au prononcé de la décision, est entachée d’une crainte raisonnable de partialité, la seule réparation appropriée est d’annuler la décision. En l’espèce, le processus choisi par le gouverneur en conseil pour choisir M. Dion comme candidat au poste de commissaire à l’éthique a suscité une crainte raisonnable de partialité, laquelle aurait dû amener le gouverneur en conseil à se récuser.

[125]  Pour sa part, le défendeur soutient que la théorie de l’équité procédurale ne s’applique pas à la décision du gouverneur en conseil de procéder à la nomination (Wells c Terre‑Neuve, [1999] 3 RCS 199, au paragraphe 62 [Wells]) et que, par conséquent, les principes de common law portant sur la crainte raisonnable de partialité ne sont pas pertinents quant à la validité de la nomination. Subsidiairement, la théorie de la nécessité permet au gouverneur en conseil de procéder aux nominations nécessaires, puisque le Parlement lui a conféré le pouvoir de décision et qu’aucune autre entité ne peut légalement s’acquitter des obligations prévues par la Loi sur le Parlement du Canada pour nommer un commissaire (Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, [1998] 1 RCS 3, au paragraphe 6 [Renvoi relatif à la rémunération]).  

[126]  En l’espèce, la demanderesse ne conteste pas la décision de nomination du gouverneur en conseil en raison du choix de M. Dion aux dépens de tout autre candidat. Il est peu probable qu’une telle contestation donne lieu à des protections liées à l’équité procédurale (Wells; voir aussi Griffin c R. (1997), 128 FTR 175 (1ere inst.)), pourvu que les conditions énoncées dans la Loi sur le Parlement du Canada aient été remplies. Autrement dit, un candidat n’a aucun droit de participation au processus de sélection du gouverneur en conseil en vue d’une nomination, et on peut dire la même chose au sujet de la demanderesse.

[127]  Toutefois, l’affirmation de la demanderesse se rapporte au choix du processus de sélection pour la nomination. Son allégation de partialité découle de ses allégations d’infractions à la Loi sur le Parlement du Canada et à la Loi sur les conflits d’intérêts. Étant donné que j’ai conclu précédemment que l’exigence de consultation prévue au paragraphe 81(1) de la Loi sur le Parlement du Canada a été respectée et que le processus de sélection contesté n’est pas justiciable – puisqu’il est fondé sur la prémisse que la Cour peut rendre des décisions en matière de conflit d’intérêts, réel ou présumé, sur lesquelles la demanderesse fonde son argument relatif à la partialité – je ne suis pas tenue de me prononcer sur cette question.

[128]  En outre, dans la mesure où la demanderesse fait valoir que le processus choisi par le gouverneur en conseil pour la nomination du commissaire à l’éthique a créé en soi une crainte raisonnable de partialité, il faut rappeler que le paragraphe 81(1) confère expressément le pouvoir de nomination au gouverneur en conseil, après consultation et approbation de cette nomination par résolution de la Chambre des communes. Dans l’arrêt SCFP, la Cour suprême a soutenu que le choix par le législateur du ministre comme étant la personne compétente pour exercer le pouvoir de désignation est clair et non équivoque et qu’« [e]n l’absence de contestation constitutionnelle, un régime législatif qui porte sur ce sujet précis et qui est énoncé en des termes clairs et non équivoques prime sur les principes de justice naturelle de la common law, comme l’a récemment affirmé notre Cour dans l’arrêt Ocean Port Hotel, précité. » Par conséquent, dans cette affaire, la perception selon laquelle le ministre a un intérêt dans l’issue des arbitrages fondés sur le paragraphe 6(5) ne l’empêche pas d’exercer le pouvoir de désignation que la Loi lui confère de manière claire et non équivoque (SCFP, aux paragraphes 117, 118 et 126). Autrement dit, bien qu’une perception de partialité puisse être contraire aux principes d’équité procédurale de la common law, ces principes peuvent être écartés par la loi.

[129]  Parallèlement, le pouvoir de nomination du gouverneur en conseil est clair et sans équivoque. De plus, la possibilité d’examens continus par un commissaire à l’éthique sortant n’aurait pas été imprévue. Ainsi, toute possibilité de partialité, réelle ou perçue, dans la nomination du nouveau commissaire à l’éthique a été anticipée et abordée par les législateurs au paragraphe 81(1) au moyen de l’exigence de consultation et de résolution par la Chambre des communes, ainsi que par les protections liées à l’équité procédurale et les mécanismes de responsabilisation prévus par la Loi sur le Parlement du Canada et la Loi sur les conflits d’intérêts. Compte tenu de ce qui précède, je ne crois pas, contrairement à la demanderesse, que le gouverneur en conseil était tenu de se récuser dans ces circonstances. 

La cinquième question en litige : la demanderesse pouvait‑elle légitimement s’attendre à ce que le gouverneur en conseil se récuse du processus de nomination?

[130]  La demanderesse soutient qu’en tant que représentante de l’intérêt public, elle s’attendait légitimement à ce que le décideur, le gouverneur en conseil, se récuse du processus de sélection du commissaire à l’éthique. Elle fait valoir que cette attente était fondée sur l’objet de la Loi sur les conflits d’intérêts et les dispositions du document Pour un gouvernement ouvert et responsable 2015. Elle soutient en outre que tout pouvoir discrétionnaire dont le gouverneur en conseil pouvait disposer à l’égard de la sélection du prochain commissaire à l’éthique était limité par l’objet et les principes de la loi applicable.

[131]  Le défendeur soutient que la doctrine de l’attente légitime ne donne lieu à des droits procéduraux que lorsqu’une affirmation claire, nette et explicite a eu lieu, et il est d’avis qu’aucune affirmation n’a eu lieu à quelque moment que ce soit en l’espèce relativement au processus à suivre pour nommer le commissaire à l’éthique. La doctrine ne crée pas non plus de droits substantiels.

[132]  Étant donné que la théorie de l’attente légitime est un aspect de la common law en matière d’équité procédurale, je n’ai pas besoin d’aborder cette question pour les raisons énoncées précédemment. Toutefois, à mon avis, même si la doctrine de l’attente légitime de la common law s’appliquait, elle n’est d’aucune utilité pour la demanderesse, parce qu’aucune affirmation claire et sans ambiguïté n’a eu lieu au sujet des détails du processus décisionnel à suivre pour la nomination du commissaire à l’éthique.

[133]  La Cour suprême du Canada a traité du concept d’attente légitime en droit dans l’affaire Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, en déclarant ce qui suit :

[95] Les conditions précises à satisfaire pour que s’applique la théorie de l’attente légitime sont résumées succinctement comme suit dans un ouvrage qui fait autorité intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada :

[traduction] La caractéristique qui distingue une attente légitime réside dans le fait que celle‑ci découle de la conduite du décideur ou d’un autre acteur compétent. Une attente légitime peut donc découler d’une pratique officielle ou d’une assurance voulant que certaines procédures soient suivies dans le cadre du processus décisionnel, ou qu’il soit possible de prévoir une décision favorable. De même, l’existence des règles de procédure de nature administrative ou d’une procédure que l’organisme a adoptée de son plein gré dans un cas particulier, peut donner ouverture à une attente légitime que cette procédure sera suivie. Certes, la pratique ou la conduite qui auraient suscité une attente raisonnable doivent être claires, nettes et explicites. [Je souligne.]

(D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §7:1710; voir également Centre hospitalier Mont‑Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] 2 R.C.S. 281, par. 29; Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504, par. 68.)

[96] Récemment, dans l’arrêt Mavi, le juge Binnie a expliqué ce que l’on entend par des affirmations « claires, nettes et explicites » en établissant une analogie avec le droit contractuel (par. 69) :

En général, on juge suffisamment précise pour les besoins de la théorie de l’attente légitime l’affirmation gouvernementale qui, si elle avait été faite dans le contexte du droit contractuel privé, serait suffisamment claire pour être susceptible d’exécution.

[97] L’impossibilité que la théorie de l’attente légitime constitue la source de droits matériels lui apporte une restriction importante (Baker, par. 26; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525, p. 557). En d’autres mots, « [l]orsque les conditions d’application de la règle sont remplies, la Cour peut [seulement] accorder une réparation procédurale convenable pour répondre à l’expectative “légitime” » (S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, par. 131 (je souligne)).

[134]  La demanderesse soutient que la Loi sur les conflits d’intérêts, les Lignes directrices en matière d’éthique et d’activités politiques (l’annexe A du document Pour un gouvernement ouvert et responsable 2015), et « Les activités de financement et les rapports avec les lobbyistes : pratiques exemplaires à l’intention des ministres et des secrétaires parlementaires » (l’annexe B du document Pour un gouvernement ouvert et responsable 2015) imposent aux titulaires de charge publique une norme éthique exigeante qui, d’après ce que je crois comprendre de l’argument, se traduit par l’affirmation que le gouverneur en conseil se récuserait du processus de sélection du commissaire au lobbying. Cet argument n’est pas fondé sur une référence faite dans ces documents à la récusation, mais sur le fait que les Lignes directrices en matière d’éthique et d’activités politiques stipulent que les titulaires de charge publique doivent agir avec honnêteté et respecter les normes éthiques les plus élevées pour que la confiance du public dans l’intégrité, l’objectivité et l’impartialité du gouvernement soit maintenue et renforcée, ainsi que sur le paragraphe liminaire de l’annexe B, qui précise que les ministres et secrétaires parlementaires doivent éviter les conflits d’intérêts, l’apparence de conflits d’intérêts et les situations pouvant entraîner un tel conflit.   

[135]  Je conviens avec le défendeur que la Loi sur les conflits d’intérêts et les Lignes directrices en matière d’éthique et d’activités politiques sont des instruments d’application générale qui ne traitent pas en détail d’un processus qui serait suivi dans le cadre de la nomination du commissaire à l’éthique, et ne constitue aucune affirmation en ce sens. 




 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.