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Date : 20190102


Dossier : IMM‑1960‑18

Référence : 2019 CF 1

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 2 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

LILIANA FERNANDA VALENCIA MARTINEZ

JAIME ALEJANDRO FERNANDEZ VALENCIA

ISABELLA FERNANDEZ VALENCIA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Un examen des risques avant renvoi, que l’on appelle communément un ERAR, est la dernière évaluation officielle des risques faite pour les personnes admissibles avant leur renvoi du Canada. Le processus d’ERAR, conformément aux obligations du Canada en vertu du droit international, vise à s’assurer que ces personnes ne sont pas renvoyées dans un pays où leur vie serait en danger ou dans un endroit où elles risqueraient d’être persécutées, torturées ou de subir d’autres traitements ou peines cruels et inusités. En l’espèce, une mère et ses deux filles adolescentes – les demanderesses – ont présenté une demande d’ERAR, craignant que leurs vies soient en danger si elles étaient obligées de retourner en Colombie. Leur demande d’ERAR a été rejetée.

[2]  Les demanderesses se présentent maintenant devant la Cour pour demander d’annuler le rejet de la demande d’ERAR, tandis que le ministre soutient que la décision était raisonnable et devrait être maintenue. Après avoir examiné les arguments des deux parties, je suis d’accord avec les demanderesses pour affirmer que certaines des principales conclusions étaient bel et bien viciées, particulièrement en ce qui concerne l’évaluation d’un [traduction] « nouveau risque » et la façon dont l’agent a examiné les nouveaux éléments de preuve en ce qui concerne les conclusions antérieures tirées dans la décision rendue concernant la demande d’asile. Par conséquent, pour les motifs qui suivent, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire et ordonne que la demande d’ERAR soit réexaminée.

II.  Le contexte

[3]  Les demanderesses, des citoyennes de la Colombie, ont fui leur pays en 2011 parce que des membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie [les FARC] les auraient harcelées. La mère – et demanderesse principale – était riche. Elle a prétendu que des membres des FARC l’ont menacée, ainsi que sa famille, pour leur extorquer de l’argent, et qu’ils l’ont enlevée pour une période de dix‑sept jours en 2009, et ont tué son cousin en 2011.

[4]  Au Canada, la demanderesse principale a épousé un citoyen canadien et a entamé une demande de parrainage à titre de conjointe. Toutefois, ils ont divorcé par la suite et ont interrompu la demande en mars 2015.

[5]  Les demanderesses ont présenté une demande d’asile à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés [la Commission] en janvier 2016. La Commission a conclu que le témoignage de la demanderesse principale n’était pas crédible.

[6]  La famille de trois était prête à être expulsée, mais a obtenu de la Cour un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. Le sursis leur a permis de demeurer au Canada au‑delà de l’interdiction de 12 mois, de présenter une demande d’ERAR après une décision défavorable de la part de la part de la SPR. Ils ont présenté leur demande d’ERAR en février 2017. C’est le rejet de cette demande d’ERAR qui a donné lieu à la présente demande de contrôle judiciaire.

[7]  En ce qui concerne la demande d’ERAR, la demanderesse principale a présenté de nouveaux éléments de preuve à l’agent concernant trois incidents qui ont tous eu lieu après que la famille eut été entendue par la Commission : (i) une lettre de menaces reçue par ses parents avec un en‑tête des FARC; (ii) des coups de feu tirés par les FARC sur la voiture de ses parents; (iii) une agression commise un mois plus tard à la suite de laquelle un autre cousin est décédé, et des coups de feu tirés sur un oncle.

[8]  Ces trois événements ont eu lieu au cours d’une période de six mois, à savoir entre la fin de février et la fin d’août 2016. Des résumés des nouveaux éléments de preuve suivent, même si je n’ai pas tiré de conclusion concernant leur crédibilité.

[9]  En février 2016, les parents de la demanderesse principale ont reçu une lettre de menaces de la part des FARC peu de temps après leur retour en Colombie (ils étaient restés avec son frère en Australie, de 2009 à 2016). Les FARC demandaient dans leur lettre que la famille verse de l’argent et l’a qualifiée d’[traduction« objectif militaire ». Les parents de la demanderesse principale ont signalé cet incident à la police.

[10]  En juillet 2016, les parents de la demanderesse principale, alors qu’ils étaient au volant de leur voiture, ont été abordés par des membres des FARC qui étaient à motocyclette. Les membres ont menacé les parents, leur disant qu’ils n’avaient pas encore reçu d’argent de la part de leur fille (la demanderesse principale), qu’un tel paiement [traduction« se fait attendre depuis trop longtemps » et que [traduction« c’est le dernier avertissement que nous donnons cette année […] la prochaine fois […] nous vous tuerons tous les deux ». La mère a paniqué et a appuyé sur l’accélérateur, ce qui a amené l’un des membres des FARC à ouvrir le feu. Les parents de la demanderesse principale ont signalé cet incident à la police et lui ont demandé officiellement sa protection, et ont obtenu des soins médicaux pour les aider à surmonter leur angoisse à la suite de l’agression.

[11]  En août 2016, alors que les parents de la demanderesse principale étaient chez un concessionnaire automobile avec un cousin et un oncle afin d’acheter une voiture, ils ont de nouveau été abordés par des membres des FARC, lesquels portaient des capuchons. Ils les ont menacés avec une arme à feu et ont ordonné à la famille de verser de l’argent pour éviter que leur fille subisse des préjudices. Le cousin a tenté d’intervenir et a été abattu par quatre coups de feu à la tête. Les membres des FARC ont également touché l’oncle à la jambe avec leurs armes à feu et se sont enfuis rapidement après avoir épuisé leurs munitions.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[12]  L’agent a rejeté la demande d’ERAR au motif que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas [traduction« essentiellement différents des renseignements déjà examinés par la SPR » et étaient liés à un [traduction« risque de même nature », en ce sens que la demanderesse principale avait déjà été menacée par les FARC auparavant, et qu’on avait déjà tiré sur sa voiture par le passé. L’agent a conclu qu’elle [traduction« présentait le risque déjà examiné par la SPR ».

[13]  L’agent a conclu, d’après les rapports sur la situation générale du pays et la preuve documentaire présentée par l’avocat, que bien qu’il y ait des fonctionnaires corrompus en Colombie, il n’y a pas d’effondrement de l’appareil étatique. L’agent a affirmé ce qui suit :

[traduction]

[pour] ce qui est de la situation personnelle de la requérante principale, je conclus que l’on ne m’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour indiquer que, si elle ou des membres de sa famille avaient besoin de l’aide des autorités en Colombie, cette aide leur serait refusée. Je souligne que, selon les éléments de preuve dont je suis saisi, la demanderesse principale ainsi que ses parents ont demandé et ont obtenu l’aide des autorités (la décision à p. 15).

[14]  L’agent a également fait remarquer que, puisqu’il n’y avait eu aucun suivi avec la police depuis la publication de ses rapports, et compte tenu du temps écoulé depuis les incidents, les demanderesses n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État en Colombie.

[15]  En somme, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que les demanderesses seraient persécutées ou seraient exposées à une menace de la part des FARC.

IV.  Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[16]  Les demanderesses soulèvent trois questions, soit celles de savoir si l’agent a) a évalué de façon déraisonnable les nouveaux éléments de preuve, b) n’a pas tenu compte d’éléments de preuve dans le cadre de ses conclusions concernant la protection de l’État, c) a rejeté la demande d’audience. À mon avis, les questions a) et b) sont assujetties à la norme de la décision raisonnable (Nwabueze c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 323, au par. 7 et Johnson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 68, respectivement). Je reconnais qu’il y a divergence d’opinions concernant la norme de contrôle applicable à la question c), comme il en est fait mention dans Lionel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1180, au paragraphe 11. Toutefois, puisque les deux premières questions sont déterminantes quant à l’issue de la présente affaire, la troisième question n’a pas à être tranchée.

V.  Analyse

[17]  La présente affaire porte sur l’évaluation de nouveaux éléments de preuve. L’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] établit les paramètres en ce qui concerne la présentation de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une demande d’ERAR. Cette disposition indique que dans les situations où la Commission a rejeté la demande d’asile d’un demandeur, ce dernier « ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet ». Les facteurs qui guident un agent d’ERAR pour décider si des éléments de preuve sont [traduction« nouveaux » ont été établis par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 13.

A.  L’agent a‑t‑il évalué les nouveaux éléments de preuve de façon raisonnable?

[18]  Les demanderesses soutiennent que les éléments de preuve sont [traduction« nouveaux » et devraient être pris en compte s’ils sont survenus après la tenue de l’audience et qu’on peut s’appuyer sur ceux‑ci pour contredire une conclusion tirée à l’audience, même si la conclusion porte sur la crédibilité. Elles soutiennent que les éléments de preuve ont été présentés précisément pour ce motif, à savoir, qu’ils démontraient que les FARC pourchassaient vraiment la famille, particulièrement la demanderesse principale.

[19]  Compte tenu de ses sources objectives, y compris les rapports de police, la demanderesse principale soutient que les nouveaux éléments de preuve ravivent sa crédibilité et répudient les conclusions de la Commission et que l’agent a rejeté ces éléments de preuve de façon déraisonnable en indiquant qu’il s’agissait du [traduction« risque déjà examiné par la SPR ». Les demanderesses comparent l’approche de l’agent à celle de l’agent d’ERAR dans Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 565, décision dans laquelle le juge Phelan a conclu qu’un raisonnement semblable était erroné :

[16]  L’agent a confondu la question de la nouveauté des preuves avec la question de savoir si ces preuves établissaient l’existence du risque. L’approche de l’agent rendrait stérile l’ERAR et amènerait à ne pas tenir compte d’éléments de preuve démontrant l’existence d’un risque actuel ou permanent parce que le même type de risque a été examiné auparavant.

[20]  Le défendeur a répondu que l’agent n’a pas rejeté les nouveaux éléments de preuve, comme c’était le cas dans Chen, où le juge Phelan a conclu que l’agent n’avait pas appliqué le bon critère juridique pour rejeter les nouveaux éléments de preuve (voir le par. 7 de Chen). Selon le défendeur, l’agent a plutôt activement examiné les nouveaux éléments de preuve, et a fini par conclure qu’ils ne permettaient pas d’établir que la crainte des demanderesses de retourner en Colombie était fondée sur le plan objectif, et que, par conséquent, la décision Chen n’est pas applicable.

[21]  En l’espèce, l’agent a admis les nouveaux éléments de preuve et, par conséquent, a examiné leur incidence. Je suis donc d’accord avec le défendeur pour affirmer que l’agent n’a pas commis l’erreur en cause dans la décision Chen.

[22]  Toutefois, je ne souscris à la thèse du défendeur selon laquelle l’agent a examiné de façon raisonnable les nouveaux éléments de preuve. Il les a tout simplement écartés parce que, selon lui, ils avaient trait aux questions déjà soulevées lors de l’audience relative à la demande d’asile des demanderesses. L’agent n’a finalement accordé aucun poids aux nouveaux éléments de preuve et a conclu qu’[traduction« [il n’estimait pas] que [les nouveaux éléments de preuve étaient] essentiellement différents des renseignements déjà examinés par la SPR ». En rejetant les nouveaux éléments de preuve au motif qu’ils étaient liés aux éléments de preuve soumis à la SPR, l’agent a bel et bien conclu qu’ils étaient simplement [traduction« de même nature ».

[23]  Le principe [traduction« de même nature » a été confirmé en tant que préoccupation légitime dans d’autres affaires en ce qui concerne les agents d’ERAR (voir Debnath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 332, au par. 47, et Kulanayagam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 101, aux par. 33 à 36). Les décisions Debnath et Kulanayagam se distinguent toutes les deux, pour des raisons différentes, de la présente l’espèce.

[24]  Premièrement, dans la décision Debnath, l’agent d’ERAR a conclu qu’une attestation ultérieure de la validité d’un scénario de risque déjà jugé non crédible par la Commission, dépourvu de tout élément de preuve objectif corroborant, n’aplanit pas les préoccupations précédentes de la Commission en matière de crédibilité et n’établit pas non plus une preuve suffisante de l’existence d’un risque prospectif auquel seraient exposés les demandeurs. De plus, la Commission a conclu que les nouveaux éléments de preuve de la situation dans le pays n’avaient aucun lien avec les demandeurs. La Cour, dans Debnath, a conclu que ces conclusions étaient raisonnables.

[25]  Deuxièmement, dans la décision Kulanayagam, des lettres de parents et des renseignements sur le pays ont également été les éléments principaux des nouveaux éléments de preuve, ou comme l’a conclu l’agent d’ERAR dans cette décision, « la preuve comportait simplement d’autres éléments de la même nature, même si elle se rapportait à de nouveaux événements » (Kulanayagam, au par. 33). Dans la décision Kulanayagam, l’agent d’ERAR a donc rejeté les nouveaux éléments de preuve parce que, selon lui, ils ne satisfaisaient pas au critère établi dans la décision Raza. La Cour a jugé cette conclusion raisonnable dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[26]  Les éléments de preuve présentés à l’agent en l’espèce diffèrent toutefois du type de documents présentés dans les demandes d’ERAR en cause dans les décisions Debnath et Kulanayagam. En l’espèce, les éléments de preuve consistaient en des documents objectifs, établis par des tiers, y compris des rapports et des photographies fournies à la police à la suite des agressions. Les documents présentés à l’appui comprenaient des renseignements sur les véhicules, des rapports médicaux, des rapports d’hôpitaux et un certificat de décès du cousin qui a été tué par balle alors qu’il tentait d’intervenir lors du troisième incident. Toutefois, après que l’agent ou l’agente a censément accepté ces documents comme étant de [traduction] « nouveaux éléments de preuve », il ou elle les a comparés aux éléments de preuve qui avaient été fournis à la Commission afin de déterminer leur caractère nouveau. L’agent a conclu que les nouveaux éléments de preuve présentaient « le risque déjà examiné », qu’ils n’étaient pas « essentiellement différents des renseignements déjà examinés par la SPR » et qu’ils [traduction« ne réfut[aient] pas la conclusion tirée par le Tribunal de la SPR au sujet de la crédibilité de la demanderesse principale, puisqu’ils ne répond[aient] pas aux questions soulevées par le Tribunal ».

[27]  En résumé, l’agent n’a pas procédé de façon raisonnable en ce qui concerne les nouveaux éléments de preuve. Certes, après avoir évalué l’essentiel des éléments de preuve objectifs émanant de tiers, l’agent aurait bien pu leur accorder peu de poids ou de valeur probante à condition de donner une explication raisonnable pour ce faire. Toutefois, la conclusion que les éléments de preuve étaient [traduction« de même nature » était déraisonnable dans les circonstances, compte tenu de l’absence de toute explication valable.

[28]  En acceptant d’une part le caractère nouveau des éléments de preuve, mais en le rejetant carrément en même temps d’autre part en raison de leur ressemblance avec les éléments de preuve présentés lors de la demande d’asile antérieure, l’agent a en fait donné avec la main droite ce qu’il a repris avec la main gauche. La conclusion que ces nouveaux éléments de preuve n’étaient pas différents des renseignements examinés auparavant par la Commission était, à mon avis, au mieux, un fusionnement du caractère nouveau des éléments de preuve avec leur valeur probante, et, au pire, une forme déguisée de rejet des nouveaux éléments de preuve.

[29]  Il vaut la peine de souligner que l’agent a conclu qu’il y avait un autre point faible dans les nouveaux éléments de preuve parce que les rapports de police dataient d’environ deux ans, et qu’il n’y avait pas de mises à jour ni de rapports d’étape émanant de la police. Bien qu’il soit clair que les demanderesses doivent fournir les renseignements les plus récents à l’agent d’ERAR jusqu’au moment où il rend sa décision (voir, par exemple, Palaguru c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 371, au par. 28), elles ne sont tenues de fournir les renseignements les plus récents lorsqu’il n’y a pas eu de progrès dans une enquête policière. C’est particulièrement le cas en l’espèce, puisque la police a été sollicitée à trois reprises dans une période de six mois, et qu’on lui a fourni des coordonnées. Pourtant, de nouvelles agressions se sont produites.

[30]  Il existe une nette distinction entre la nécessité de fournir à l’agent les renseignements les plus récents qui changent la situation en ce qui concerne le demandeur, et la nécessité de fournir à l’agent les renseignements les plus récents lorsque rien n’a changé, notamment lorsqu’il n’y a eu [traduction« aucun progrès » ou [traduction« aucune nouvelle », après que la police a pris et déposé un rapport. On peut supposer que, si la police avait pris des mesures, si une poursuite avait été intentée, ou si une enquête était en cours, le plaignant ou d’autres témoins auraient été contactés. Toutefois, il n’y a aucune preuve que ces circonstances se sont produites en l’espèce. Je ne vois aucune obligation de fournir les renseignements les plus récents à l’agent étant donné l’inaction de la police en l’espèce.

B.  L’agent a‑t‑il agi de façon déraisonnable en ne tenant pas compte des éléments de preuve concernant la protection de l’État?

[31]  Les demanderesses soutiennent que la conclusion de l’agent selon laquelle la protection de l’État est adéquate est déraisonnable, en ce sens que la Colombie n’est pas en mesure de les protéger contre les membres des FARC qui les pourchassent elles et leur famille.

[32]  Le défendeur répond que l’agent a raisonnablement conclu que l’État pouvait offrir une protection adéquate aux demanderesses. Le défendeur souligne que l’État n’est pas obligé d’être parfait à cet égard et qu’il a le droit de faire défaut aux demanderesses dans des situations où offrir une protection serait trop difficile et il fait remarquer que la famille des demanderesses a été incapable de donner à la police de détails sur ses agresseurs en ce qui concerne les incidents survenus en juillet et en août.

[33]  Je suis convaincu encore une fois par la thèse des demanderesses sur cette deuxième question. L’agent a tout simplement fait des commentaires sur la situation dans le pays en général, et sur le fait que la famille se soit adressée à la police. Une fois de plus, l’agent ne s’est pas penché sur la prétention selon laquelle les demanderesses ont été agressées ni sur la preuve directe qui a découlé du premier rapport de police concernant la fusillade qui a eu lieu dans les six mois suivants, et qui a donné lieu à des blessures et à un décès.

[34]  Plus précisément, après que la famille a transmis la lettre de menace des FARC en février, les FARC ont tiré sur ses membres en juillet. Les membres de la famille sont allés à la police pour demander une protection officielle, cependant, le mois suivant les FARC ont tué leur cousin et tiré sur un oncle. Comme pour la première question (les nouveaux éléments de preuve), l’analyse de l’agent expliquant le caractère adéquat de la protection de l’État à la lumière de la preuve était déficiente et, par conséquent, déraisonnable.

C.  L’agent a‑t‑il agi de façon déraisonnable en n’accordant pas d’audience aux demanderesses?

[35]  Compte tenu des conclusions qui précèdent, il est inutile de formuler des observations sur la nécessité de tenir une audience.

VI.  Conclusion

[36]  Les conclusions de l’agent concernant les nouveaux éléments de preuve reposent. De façon déraisonnable, sur leur lien avec les éléments de preuve dont la SPR était saisie. Le but de soupeser la valeur probante des nouveaux éléments de preuve, une fois jugés admissibles, est d’examiner si ceux‑ci ont une incidence sur le risque que cotent les demanderesses en retournant dans leur pays où ils craignent la persécution, la torture ou la mort.

[37]  En d’autres mots, si à la lumière de la loi et de la décision Raza, de nouveaux éléments de preuve sont jugés pertinents pour un ERAR et ont au moins une certaine valeur probante, l’agent ou l’agente doit se pencher sur les éléments de preuve avant de décider de leur poids. Il ou elle ne peut pas simplement retirer avec une main ce que l’autre a donné, jugeant que les nouveaux éléments de preuve n’ont aucun poids simplement parce qu’ils ne réfutent pas la conclusion de la formation de la SPR concernant la crédibilité, ou parce qu’ils font état du même risque déjà examiné. L’agent doit plutôt expliquer pourquoi les nouveaux éléments de preuve ont un certain poids ou non, surtout s’ils proviennent d’un tiers ou sont d’une nature plus objective, comme c’était le cas en l’espèce.

[38]  Aucune des parties n’a soulevé une question pour certification et je suis d’avis qu’aucune question ne se pose.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1960‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de l’agent est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  3. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de janvier 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1960‑18

 

INTITULÉ :

LILIANA FERNANDA VALENCIA MARTINEZ, JAIME ALEJANDRO FERNANDEZ VALENCIA, ISABELLA FERNANDEZ VALENCIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 novembre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 2 janvier 2019

 

COMPARUTIONS :

Talia Joundi

Ronald Poulton

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Nicole Rahaman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Poulton Law Office Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Le procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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