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Date : 20181220


Dossier : IMM-663-18

Référence : 2018 CF 1297

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

WEN LIN LIU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Wen Lin Liu (la demanderesse) est une citoyenne de la Chine âgée de 47 ans. Le 11 octobre 2011, elle a présenté une demande d’asile au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2011, c 27 (la LIPR). Dans cette demande, elle alléguait être recherchée par le Bureau de la sécurité publique (le BSP) pour pratique illégale du Falun Gong et participation à des activités antigouvernementales.

[2]  Le 28 décembre 2017, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande d’asile pour des raisons liées notamment à la crédibilité de la demanderesse et à l’authenticité de ses documents. Le 22 février 2018, la demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

[3]  Pour les motifs qui suivent, j’annulerai la décision.

II.  Faits

[4]  La demanderesse, une citoyenne de la Chine, souffre de problèmes de santé. Bien que le Falun Gong soit une activité illégale en Chine, elle affirme avoir commencé à le pratiquer en 2010 après qu’un ami lui ait dit que cela pourrait améliorer sa santé. Son ami l’a également assurée que leur groupe de pratique prenait des précautions pour éviter d’être découvert. Malgré ces précautions, le 14 mai 2011, le BSP a surpris le groupe clandestin en pleine séance de Falun Gong à l’intérieur d’une résidence. La demanderesse a réussi à s’échapper par l’arrière de la maison et s’est cachée chez un membre de sa famille éloignée. Deux jours plus tard, le mari de la demanderesse lui a dit que le BSP s’était présenté chez eux afin de l’arrêter parce qu’elle avait participé à une séance illégale de Falun Gong et à des activités anticommunistes contre le gouvernement de la Chine, et qu’elle était membre d’un culte maléfique. Le mari a également mentionné que le BSP était revenu le jour suivant, qu’il avait délivré une citation à comparaître à l’intention de la demanderesse, puis avait continué à la chercher chez d’autres membres de sa famille.

[5]  La demanderesse affirme qu’elle avait très peur. Laissant derrière elle son mari et sa famille, elle a eu recours aux services d’un passeur pour quitter la Chine. En septembre 2011, elle s’est rendue à Hong Kong en autobus, puis elle a pris l’avion jusqu’en Amérique à l’aide d’un faux passeport et d’un faux visa américain.  La demanderesse s’est ensuite rendue à Vancouver à pied. Elle est arrivée au Canada le 7 octobre 2011 et a présenté une demande d’asile le 11 octobre 2011.

[6]  La SPR a instruit la demande d’asile le 15 novembre 2017, et sa décision démontre qu’elle a mis en doute la crédibilité de la demanderesse pour plusieurs raisons. Par exemple, la SPR a noté que la citation à comparaître présentée en preuve ne fait aucune mention des accusations énumérées dans le formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse. Celle-ci a expliqué que les accusations ne figuraient pas sur la citation à comparaître parce qu’elles avaient été faites verbalement. Cependant, la SPR a également conclu que selon la preuve documentaire, une citation à comparaître en matière criminelle aurait dû comprendre de l’information sur un interrogatoire.

[7]  La SPR a également mis en doute les motifs pour lesquels la demanderesse pratiquait le Falun Gong. Selon la SPR, la demanderesse n’aurait pas risqué de faire l’objet de poursuites criminelles intentées par le gouvernement de la Chine simplement parce que le Falun Gong est bon pour sa santé et qu’elle aime le pratiquer. En outre, comme la preuve documentaire indique que les membres de la famille des adeptes du Falun Gong subissent souvent de mauvais traitements comme des détentions et de la torture, la SPR s’est demandé pourquoi le mari et le fils de la demanderesse étaient épargnés. La demanderesse a répondu que les agents du BSP [traduction] « avaient dit à son mari que leur fils aurait des problèmes à l’école ». Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas inclus cette information dans son FRP, la demanderesse ne savait pas quoi répondre. La SPR a jugé que cette absence de mauvais traitements appuyait sa conclusion selon laquelle la demanderesse ne serait pas désignée comme une adepte du Falun Gong en Chine.

[8]  À l’audience, la SPR et l’avocat de la demanderesse, qui ne s’entendaient pas sur le critère à appliquer aux demandes d’asile présentées sur place, ont examiné la question de long en large. À la demande de la SPR, l’avocat a soumis des observations après l’audience pour expliquer davantage les demandes sur place ainsi que la jurisprudence à cet égard. Toutefois, la SPR n’a pas été convaincue par ces observations et a jugé qu’une véritable pratique du Falun Gong au Canada ne suffisait pas pour établir le bien-fondé d’une demande sur place. Comme il n’y avait aucune preuve que sa pratique du Falun Gong au Canada était parvenue aux oreilles des autorités chinoises, ni qu’elle serait considérée comme une véritable adepte à son retour, la SPR a rejeté la demande d’asile sur place de la demanderesse.

III.  Question en litige

  1. La décision de la SPR est-elle raisonnable?

IV.  Norme de contrôle

[9]  Le traitement fait par la SPR de la preuve et des conclusions de fait doit être examiné selon la norme de la décision raisonnable (Zuniga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 634, au paragraphe 11).

V.  Analyse

A.  La décision de la SPR est-elle raisonnable?

[10]  La demanderesse soutient que la décision de la SPR n’est pas fondée sur la preuve. Par exemple, elle affirme qu’aucun élément de preuve n’appuie la décision de la SPR quant au fait que les raisons pour lesquelles elle pratiquait le Falun Gong en Chine (à savoir que cette pratique améliorait sa santé et lui plaisait) ne cadrent pas avec le niveau de risque auquel elle ferait face si elle se faisait arrêter par les autorités chinoises. Vu cette absence de preuve, la demanderesse soutient que la décision de la SPR est fondée sur des hypothèses et des conjectures.

[11]  Le défendeur soutient pour sa part que la SPR a conclu que la preuve présentée par la demanderesse n’était pas suffisante pour appuyer sa demande d’asile.

[12]  Je suis d’accord avec la demanderesse. Une décision raisonnable doit être fondée sur la preuve. En l’espèce, l’opinion de la SPR a mené à la conclusion selon laquelle la demanderesse n’était pas une personne qui défierait le gouvernement de la Chine en pratiquant le Falun Gong. Or, la SPR ne disposait d’aucun élément de preuve qui lui aurait permis d’en arriver à la conclusion suivante :

 [10] Par ailleurs, au cours de l’audience, la [demanderesse] a expliqué les raisons pour lesquelles elle pratiquait le Falun Gong, à savoir principalement qu’elle avait des problèmes de santé et qu’elle avait un ami qui pratique le Falun Gong. Ensuite, je lui ai demandé pourquoi elle distribuait des tracts. Elle a répondu que c’était parce qu’elle aimait le Falun Gong et qu’elle voulait que davantage de personnes connaissent le Falun Gong. Je lui ai alors demandé en quoi cela avait un lien avec ses problèmes de santé. Elle a répondu que le Falun Gong l’aidait à améliorer sa santé. J’estime que les raisons pour lesquelles la [demanderesse] pratiquait le Falun Gong en République populaire de Chine ne correspondent pas aux motifs d’une personne qui défierait les autorités et se mettrait dans une situation très dangereuse, du fait que les autorités chinoises ont interdit ce groupe en tant que culte maléfique ou de secte hérétique et imposent diverses sanctions aux adeptes allant de longues séances de transformation de la pensée à des poursuites pénales.

[Notes de bas de page omises.]

[13]  Cette analyse étrange ne repose sur aucune preuve. Lors de l’audition de la demande de contrôle judiciaire, la Cour a demandé au défendeur d’expliquer son raisonnement. Le défendeur a qualifié ce commentaire de « malheureux », mais a fait valoir qu’il s’agissait d’un faux-fuyant, parce que le tribunal avait d’autres raisons de conclure que la demanderesse n’était pas crédible. Le défendeur a ensuite orienté la Cour vers la citation à comparaître et la preuve documentaire, aux pages 151 et 152 du dossier certifié du tribunal (DCT), afin de soutenir que la citation à comparaître était douteuse.

[14]  En qualifiant cette question de faux-fuyant, le défendeur ignore le fait que la pratique du Falun Gong par la demanderesse est une question centrale en l’espèce. De plus, l’argument du défendeur concernant la citation à comparaître doit également être rejeté, car l’analyse de la SPR est un autre exemple de cas où elle a rendu une décision sans se fonder sur la preuve. Plus particulièrement, au paragraphe 7 de sa décision, la SPR indique effectuer une comparaison entre la citation à comparaître et la déclaration faite dans le FRP, mais, comme la demanderesse le souligne, ce formulaire ne traite pas du contenu de la citation :

[7] Au cours de l’audience, j’ai mentionné à la [demanderesse] que le contenu du document qu’elle avait présenté comme étant cette citation à comparaître ne correspondait pas à la déclaration qu’elle avait faite dans son FRP. Dans ce document, il est écrit que, conformément à l’article 64 de la loi sur la procédure criminelle de la République populaire de Chine, le PSB a envoyé l’agent [sic] Shi, Shao Long & Yan, Hui Ping pour délivrer une citation à comparaître à Liu, Wen Lin qui habite au no 3, rue Xi Yang, bourg de Wu Hang, ville de Chang Le, province de Fu Jian. Dans ce document, il n’est aucunement fait mention des activités de la [demanderesse] en tant qu’adepte du Falun Gong. La [demanderesse] a expliqué que les agents avaient remis la citation à comparaître à son époux et qu’ils lui avaient mentionné de vive voix les raisons pour lesquelles ils la recherchaient. J’estime que cette explication n’est pas raisonnable et que le contenu de cette citation à comparaître ne correspond pas à la déclaration qu’elle a faite dans son FRP.

[15]  J’ajoute que la demanderesse a fourni abondamment d’éléments de preuve pour appuyer sa demande d’asile, mais qu’ils n’ont pas été évalués par la SPR. Par exemple, la transcription qui se trouve dans le DCT contient le témoignage détaillé de la demanderesse à propos de sa pratique du Falun Gong, y compris sa connaissance de la philosophie du Falun Dafa et diverses autres activités auxquelles elle a participé avec d’autres adeptes du Falun Gong. La demanderesse a également fourni des documents et un témoignage pour établir son identité en tant que véritable adepte du Falun Gong qui craint pour sa vie si elle doit retourner en Chine. Il y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard de la SPR. Par contre, la Cour ne fera pas preuve de retenue envers les conclusions qui ne sont pas fondées sur la preuve, et certainement pas non plus envers les conclusions qui reposent sur des hypothèses ou une opinion. La décision de la SPR n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

VI.  Question certifiée

[16]  J’ai demandé aux avocats des deux parties s’il y avait des questions à certifier. Ils ont chacun répondu qu’il n’y en avait aucune, et je suis d’accord.

VII.  Conclusion

[17]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire doit être réexaminée par un autre décideur.


JUGEMENT dans le dossier IMM-663-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie, et l’affaire est renvoyée pour être examinée de nouveau par un tribunal différemment constitué.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de décembre 2018

Mélanie Vézina, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-663-18

INTITULÉ :

WEN LIN LIU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 SEPTEMBRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DES MOTIFS :

LE 20 DÉCEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Leonard H. Borenstein

POUR LA DEMANDERESSE

Alexis Singer

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leonard H. Borenstein

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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