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Date : 20181219


Dossier : IMM-2018-18

Référence : 2018 CF 1287

Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

MARIE CHRISTINE KAYIRANGWA

FAIDA SHIMA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT

I.  Introduction

[1]  La présente s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, sous le paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27, d’une décision de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rejetant l’appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés. Les demanderesses demandent à la Cour de casser la décision et de renvoyer la demande à la SAR pour qu’elle soit redéterminée par un autre commissaire.

[2]  Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est accordée. La conclusion de la SAR, que les demanderesses ne sont pas crédibles, n’est pas raisonnable. Le dossier est retourné à la SAR afin d’être redéterminée par un autre commissaire.

II.  Contexte

[3]  Les demanderesses sont citoyennes du Rwanda. La demanderesse principale, Marie Christine Kayirangwa (ci-après la demanderesse), est une femme d’affaires. Sa fille mineure, Faida Shima, est son quatrième enfant, la plus jeune et la seule fille. Les trois fils de la demanderesse principale sont au Canada, aux États-Unis et au Rwanda. Son mari travaille au Mali.

[4]  La demanderesse et sa fille ont obtenu des visas canadiens en décembre 2016 et ont atterri au Canada le 22 décembre 2016. Le 31 janvier 2017, ils posent leur demande d’asile.

[5]  Dans sa demande d’asile, la demanderesse allègue être membre du parti Front patriotique rwandais (FPR) qui a respecté les règlements du parti jusqu’au moment où le parti proposait amender la Constitution pour permettre au Président Kagame d’être réélu après son deuxième mandat. D’après la demanderesse, cet amendement serait contre les principes de la démocratie et de l’alternance politique. Pour cette raison, elle a décidé de ne pas signer une liste d’appui pour l’amendement lors d’une formation en mars 2015.

[6]  La demanderesse allègue qu’elle a reçu des menaces du chairman du FPR du District de Nyamagabe et a été avisée par un officier de l’armée dans la région qu’elle était sur une liste des ennemis du FPR. Suite à une discussion avec son mari, la demanderesse allègue qu’elle aurait alors quitté Nyamagabe afin de déménager à Kigali en juillet 2015, où elle serait plus difficile à retrouver et où elle avait une auberge à gérer. En décembre 2015, la demanderesse aurait décidé de ne pas voter dans le référendum de révision constitutionnelle.

[7]  Après le référendum, la demanderesse allègue avoir reçu une convocation lui demandant de se présenter à la Police nationale ou elle a subi à un interrogatoire. La demanderesse allègue qu’après cette visite, les patrouilles sur sa rue auraient augmenté et qu’elle était surveillée de près. Elle aurait été menacée après un autre interrogatoire le 22 avril 2016 et le 4 juin 2016, sa maison aurait été fouillée par des policiers et soldats entre 4 h et 5 h du matin.

[8]  Suite à ces évènements, la demanderesse aurait décidé de quitter le Rwanda et a pensé venir au Canada. Elle aurait obtenu des visas de l’ambassade du Canada à Dar es-Salaam en décembre 2016. Sur sa demande de statut de résident temporaire, elle indique n’avoir jamais été membre ou affiliée à un parti politique prôné à la violence ou à la criminalité. Elle indique aussi qu’elle voyage à Ottawa afin de visiter son fils qui étudie à l’Université d’Ottawa. Une fois les visas reçus, la demanderesse aurait acheté des billets d’avion pour elle et sa fille sur le prochain vol offert, quittant le 21 décembre 2016.

[9]  La demanderesse allègue que le 3 janvier, au Canada, elle aurait reçu un courriel d’une amie qui gérait sa résidence l’avisant qu’elle était recherchée et que sa résidence serait surveillée jour et nuit. D’après la demanderesse, ceci voudrait dire qu’elle serait considérée membre dissidente du FPR et qu’elle serait assujettie à la pendaison ou la strangulation. C’est sur cette base qu’elle demande l’asile au Canada.

[10]  La demanderesse apparait devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) le 4 juillet 2017. Le 7 août 2017, la SPR rejette la demande. La SPR détermine que le récit de la demanderesse au sujet de ses craintes de persécution politique n’est pas crédible et qu’elle n’a donc pas établi une sérieuse possibilité de persécution.

[11]  La demanderesse porte la décision de la SPR en appel le 23 août 2017. La Section d’appel des réfugiés (SAR) examine l’appel le 5 avril 2018. La SAR rejette l’appel et confirme la décision de la SPR.

[12]  La SAR confirme que la demanderesse n’est pas crédible et estime que l’enjeu central du dossier est l’appartenance au FPR. La SAR reproche à la demanderesse de ne pas avoir produit une carte de membre du FPR. La SAR note que la demanderesse aurait répondu « non » sur sa demande de visa à la question « Êtes-vous, ou avez-vous déjà été, membre ou affilié d’un parti politique ou d’un autre groupe ou d’une autre organisation qui ont utilisé ou prôné la violence dans le but d’atteindre un objectif politique ou religieux, ou qui ont déjà été impliqués dans des activités criminelles ?  »

[13]  La SAR note aussi que la demanderesse aurait d’une part constaté avoir quitté Nyamagabe, mais d’une autre part aurait indiqué avoir œuvré à Nyamagabe juste avant son départ pour le Canada. La SAR conclut que la preuve soumise, deux photos et une carte d’électeur, ne peut mener à la conclusion qu’elle est membre du FPR, ou si elle est membre, elle n’est qu’un simple membre.

[14]  En considérant la preuve objective du Rwanda, la SAR note que ce sont « les opposants visibles, tels que les journalistes, les membres du clergé, les défenseurs des droits humains et les membres de l’opposition  » qui sont visés par le gouvernement. Comme la demanderesse se décrit comme simple membre, affirmation que la SAR ne croit pas, la demanderesse n’aurait pas à craindre pour sa vie.

[15]  La SAR note finalement, comme l’avait fait la SPR, que la demanderesse a pu obtenir une copie de son casier judiciaire, à l’aide des autorités locales, et a aussi pu quitter le pays avec son propre passeport, deux faits qui vont à l’encontre des propos de la demanderesse comme quoi elle serait ciblée et persécutée.

III.  Question en litige

[16]  Après avoir considéré les représentations des parties, dans mon avis la seule question à déterminer est :

A.  Est-ce que la décision de la SAR est raisonnable ?

IV.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[17]  La Cour fédérale révise les décisions de la SAR quant au processus de la SAR et la révision de la décision de la SPR selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35, [2016] 4 FCR 157.

[18]  La SAR doit examiner le dossier devant la SPR et déterminer si la SPR a erré. Pour les questions de droit et pour les conclusions de faits ou les conclusions mixtes de fait et de droit qui ne soulèvent pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix, la SAR applique la norme de la décision correcte : Huruglica, ci-haut, paras 37, 103. Lorsqu’une conclusion concerne une question de crédibilité, la SAR doit procéder « cas par cas » afin de déterminer le niveau de retenue dans les circonstances, considérant si la SPR avait un véritable avantage : Huruglica, ci-haut, para 70.

[19]  La Cour fédérale a récemment conclu que peu importe le niveau de retenue, la SAR ne peut pas simplement analyser des conclusions quant à la crédibilité d’après la norme de la décision raisonnable : Rozas Del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145, para 135. Le juge Diner a conclu que la SPR ne serait véritablement avantagée que dans des situations relativement rares, particulièrement lorsque sa décision serait basée sur certains facteurs qui ne peuvent être reproduits dans le dossier devant la SAR. Dans la plupart des cas, le dossier devant la SAR devrait inclure entièrement les informations sur lesquelles la SPR a fondé sa décision afin de permettre à la SAR de revoir la décision sous la norme de la décision correcte.

B.  Est-ce que la décision est raisonnable ?

[20]  La décision de la SAR n’est pas raisonnable. Les motifs pour la conclusion de la SAR que la demanderesse n’est pas crédible ne permettent pas à la Cour de vérifier si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190.

[21]  La SAR a refusé d’examiner la plupart des propos de la demanderesse, car la SAR a jugé que la demanderesse n’était pas crédible. En refusant d’examiner le dossier en entier, la SAR manque le total des circonstances de la demanderesse.

[22]  D’un premier lieu, la SAR note, au paragraphe 27 de sa décision, que la demanderesse aurait produit seulement deux photos, sa carte d’électeur et un certificat non traduit afin de prouver qu’elle est membre du FPR. Or, pendant son témoignage devant la SPR, l’avocat de la demanderesse aurait avisé que la traduction n’avait pas été possible avant l’audience, mais que le certificat et sa traduction seraient envoyés à la SPR après l’audience.

[23]  Le certificat et une copie traduite se trouvent dans le dossier de la SPR qui a été envoyé à la SAR. La SAR n’analyse pas le certificat et n’avise aucunement pourquoi. Comme il est impossible de savoir pourquoi la SAR aurait rejeté le certificat, leur conclusion que la demanderesse n’est pas crédible, car elle n’est pas membre du FPR, ne peut être raisonnable.

[24]  La demanderesse a aussi raison que l’insistance de la SAR sur sa réponse « non » à la question sur son formulaire de Demande de statut de résident temporaire à voir si elle était membre ou affilié à un parti politique n’est pas raisonnable. Dans son mémoire pour la SAR, la demanderesse a expliqué, en longueur, que la question visait non pas tous les partis politiques, mais uniquement les partis politiques qui utilisent ou prônent la violence.

[25]  Or, la SAR utilise cette réponse pour attaquer la crédibilité de la demanderesse sans expliquer pourquoi elle rejette l’explication offerte. À lire la question en entier, il semble clair qu’elle ne vise pas tous les partis politiques. Si la SAR considère que le FPR a utilisé ou est prôné à la violence, elle devait le mentionner dans ses motifs. Sans cette explication, la SAR semble fauter la demanderesse pour nier d’appartenir à un parti politique sans aborder le reste de la question.

[26]  Il n’était pas non plus raisonnable pour la SAR de miner la crédibilité de la demanderesse d’après ses réponses d’entreprises et de résidence dans son Annexe A. Aux paragraphes 29 et 30 de sa décision, la SAR note que dans son Annexe, la demanderesse aurait indiqué qu’elle œuvrait à Nyamagabe jusqu’à son départ, voulant dire qu’elle n’aurait jamais déménagé à Kigali. La SAR indique même que dans son témoignage, la demanderesse aurait changé son histoire, répondant en premier lieu qu’elle s’occupait de ses affaires à Nyamagabe avant de changer et d’indiquer qu’elle gérait le tout à distance.

[27]  Mais lorsque la demanderesse indiquait à l’audience qu’elle s’occupe de ses affaires à Nyamagabe, elle n’a jamais indiqué qu’elle s’en occupait en personne après son déménagement. En effet, c’est après des questions plus spécifiques sur son déménagement qu’elle mentionne s’en occuper à distance et précise ne pas être retournée à Nyamagabe. La SAR tire une conclusion déraisonnable compte tenu le contexte de l’audience, où la demanderesse répondait aux questions telle que posées, non en ordre chronologique, et à travers un interprète.

[28]  De plus, la SAR n’indique aucunement pourquoi elle doit conclure que la demanderesse n’a jamais déménagé. L’Annexe indique qu’elle a des entreprises à Nyamagabe et à Nairobi jusqu’en janvier 2017, date de signature du formulaire. Il est évident qu’après être arrivée au Canada en décembre 2016, la demanderesse ne gérait plus ses entreprises du Rwanda. La SAR n’aborde pas cette période de temps, ni explique-t-elle pourquoi elle considère que la demanderesse a œuvré à Nyamagabe, mais pas à Kigali, l’autre ville mentionnée. Cette conclusion n’est pas raisonnable sans plus de détails.

V.  Conclusions

[29]  Pour les raisons ci-haut, je suis satisfait que les motifs de la SAR ne permettent pas à cette Cour de vérifier si la décision appartient aux issues possibles acceptables. La décision n’est donc pas raisonnable et est cassée. Il faut qu’un nouveau commissaire du SAR réexamine le dossier et, si ce commissaire vient à une différente conclusion concernant la crédibilité, le commissaire devra examiner les autres points soulevés par la demanderesse.

[30]  Les parties n’ont pas demandé que la Cour certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale telle que le prévoit l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.


JUGEMENT DANS IMM-2018-18

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et la décision est renvoyée devant un autre commissaire de la Section d’appel des réfugiées pour une nouvelle détermination. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2018-18

INTITULÉ :

MARIE CHRISTINE KAYIRANGWA, FAIDA SHIMA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE XX décembre 2018

MOTIFS ET JUGEMENT :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

LE 19 DÉCEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Pacifique Siryuyumusi

Pour les demanderesses

 

Diya Bouchedid

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pacifique Siryuyumusi

Conseil

Ottawa (Ontario)

Pour les demanderesses

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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