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Dossiers : T-149-18

T-150-18

Référence : 2018 CF 1261

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

UNIVERSAL PROTEIN SUPPLEMENTS CORPORATION

demanderesse

et

H. YOUNG (OPERATIONS) LIMITED

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]  La demanderesse, Universal Protein Supplements Corporation, a interjeté appel, en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce (LRC 1985, c T-13) (la Loi), à l’encontre d’une décision rendue par le registraire des marques de commerce. Dans cette décision, qui découlait d’une procédure en radiation régie par l’article 45 de la Loi, il a été conclu que l’enregistrement des deux marques de commerce inscrites au nom de la défenderesse, H. Young (Operations) Limited, devait être modifié de manière à refléter la liste des produits à l’égard desquels la marque avait été employée au Canada au cours de la période pertinente. La demanderesse n’est pas satisfaite de la liste modifiée des produits et souhaite que les marques soient radiées complètement du registre.

I.  Les faits

A.  Les parties

[2]  La demanderesse est une société américaine ayant un établissement dans la ville de New Brunswick (New Jersey), aux États-Unis. La défenderesse, quant à elle, elle est une société dont le siège social est situé à Berkshire, au Royaume-Uni. Ses activités comportent notamment le sourçage, la distribution, la vente et la commercialisation de vêtements et d’accessoires axés sur un mode de vie sportif. Selon ce qui a été affirmé, ses produits sont distribués au Canada et dans 24 autres pays.

B.  Enregistrement de marques de commerce

[3]  La présente affaire concerne l’emploi, fait par H. Young (Operations) Limited, de deux marques de commerce (article 45 de la Loi) portant les numéros d’enregistrement LMC448,527 et LMC512,970. Ces marques de commerce, ainsi que les états déclaratifs correspondant à chacune d’elles, sont reproduites ici :

 

[4]  La demanderesse soutient que les enregistrements de ces deux marques de commerce devraient être radiés, parce que ces dernières n’ont pas été employées par la défenderesse au Canada au cours d’une période de trois ans. 

[5]  Le registraire des marques de commerce n’a pas souscrit à cette position, et c’est cette décision qui est portée en appel devant la Cour en vertu de l’article 56 de la Loi.

II.  La procédure dont est saisi le registraire

[6]  La procédure prévue à l’article 45 de la Loi permet au registraire de radier ou de modifier les enregistrements des marques de commerce qui ne sont plus réputées être employées par leurs propriétaires.

[7]  À la demande des parties, les enregistrements LMC448,527 et LMC512,970 ont été réputés constituer une seule et même marque aux fins de la procédure, et appelés collectivement « la Marque ». La même convention s’appliquera en l’espèce. Dans les présents appels portés devant notre Cour, l’appel concernant l’enregistrement LMC448,527 porte le numéro de dossier T‑149-18, et l’appel concernant l’enregistrement LMC512,970, le numéro de dossier T‑150-18. Les deux affaires sont identiques, les mêmes arguments étant avancés dans chacune d’elles. Une copie du jugement et des motifs du jugement sera versée dans chacun des dossiers, puisqu’il n’y aura qu’un seul exposé des motifs à l’égard des deux marques de commerce.

[8]  La demanderesse a soutenu devant le registraire que la défenderesse avait abandonné – et, partant, n’avait pas employé – la Marque au Canada au cours de la période de trois ans précédant l’avis donné par le registraire à la propriétaire inscrite de cette Marque.

[9]  Il a été demandé au registraire des marques de commerce d’examiner si ladite Marque avait été employée au Canada au cours des trois années précédant l’avis donné à la propriétaire de la Marque à la demande de la défenderesse, Universal Protein Supplements Corporation (paragraphe 45(1) de la Loi). La preuve d’emploi à fournir par la propriétaire inscrite de la Marque prend la forme d’un affidavit qui doit démontrer l’emploi de chacun des produits spécifiés dans l’enregistrement (en l’espèce, il n’est pas contesté que la période de trois ans applicable s’étend du 8 juillet 2012 au 8 juillet 2015).

[10]  L’article 4 de la Loi détermine les circonstances dans lesquelles une marque de commerce est réputée employée :

Quand une marque de commerce est réputée employée

When deemed to be used

4 (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4 (1) A trade-mark is deemed to be used in association with goods if, at the time of the transfer of the property in or possession of the goods, in the normal course of trade, it is marked on the goods themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the goods that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

Idem

Idem

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

(2) A trade-mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.

[…]

[11]  H. Young (Operations) Limited a produit l’affidavit requis, ainsi que des prétentions écrites. Seule la demanderesse a formulé des observations de vive voix en présence du registraire. En effet, la propriétaire titulaire des enregistrements a choisi de ne pas participer à l’appel dont notre Cour est saisie. En effet, elle n’a pas produit de dossier de la défenderesse accompagné d’un mémoire des faits et du droit, et elle a informé la Cour qu’elle ne souhaitait pas comparaître. Ainsi, la participation de H. Young (Operations) Limited, qui était plutôt limitée devant le registraire, a été inexistante devant la Cour.

[12]  La demanderesse a fait valoir devant le registraire que la marque employée n’était pas la Marque telle qu’elle était enregistrée, mais plutôt une variation inacceptable de celle-ci. Elle a soutenu que l’intégration de la marque dans le [traduction] « dessin de produit authentique » de la défenderesse n’avait pas préservé les caractéristiques dominantes de la Marque. La demanderesse a cité Robichaud c Clio/Oz Division of Mainline Fashions Inc, 2015 COMC 210 [Clio/Oz] à l’appui de la proposition selon laquelle, lorsque la marque enregistrée est comprise dans un dessin de telle sorte que les caractéristiques dominantes de la marque ne soient pas préservées, l’emploi du dessin ne constitue pas l’emploi de la marque telle qu’elle est enregistrée.

[13]  En outre, la demanderesse a contesté la preuve présentée par la défenderesse afin de justifier l’emploi qu’elle a fait de la Marque. De fait, la demanderesse a cherché à établir que l’affidavit n’était pas suffisant pour établir l’emploi de la Marque au Canada. La Loi prévoit qu’une fois qu’un avis a été donné au propriétaire inscrit de la marque, un affidavit « indiquant, à l’égard de chacun des produits ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada […] » doit être fourni. C’est cet affidavit qui est allégué être insuffisant et qui est au cœur de l’appel.

[14]  La défenderesse a soumis au registraire l’affidavit de M. Richard Tape, le directeur financier d’Animal, une division de H. Young (Operations) Limited. Monsieur Tape a affirmé que la défenderesse avait employé la Marque en lien avec la distribution, la vente et la commercialisation d’une gamme de vêtements et d’accessoires (de style sport d’action) dans sa division. Les Directives sur l’image de marque de la défenderesse, présentées à l’appui de l’affidavit, exigeaient que les produits arborent un [traduction] « dessin de produit authentique » comprenant la Marque, particulièrement sur les étiquettes et les étiquettes volantes accompagnant ces produits, mais aussi sur la doublure intérieure de certains produits. Monsieur Tape a ajouté que la Marque était présentée sur les emballages de certains produits.

[15]  Le [traduction] « dessin de produit authentique » qui était en vigueur prenait la forme de l’un ou l’autre des trois dessins suivants :

Comme le montrent ces dessins, la Marque est présentée avec d’autres éléments.

[16]  Dans l’affidavit, l’auteur de celui-ci soutient que les produits ont été vendus au Canada, en mentionnant précisément à cet effet un détaillant tiers de Châteauguay, au Québec. Des factures relatives à certains produits, qui étaient censées attester les ventes de ceux-ci, ont été jointes comme pièce E à l’affidavit. Toutefois, il n’y a aucune photographie qui corresponde à ces produits. Comme substitut, l’auteur de l’affidavit a présenté en tant que pièce F des « dessins ». Il explique, au paragraphe 12 de l’affidavit : 

[traduction]

12.  En pièce F sont joints des dessins des produits mentionnés au paragraphe 11 ci-dessus, qui figurent dans les dossiers commerciaux de H. Young. Comme H. Young ne tient en stock aucun de ces produits, aucune photographie de ces produits n’est disponible. Je peux confirmer, toutefois, que chacun de ces produits vendus au détaillant de Châteauguay, au Québec, en 2014 était conforme aux Directives sur l’image de marque de Animal qui étaient en vigueur au cours de la période pertinente. Autrement dit, le [Traduction] « dessin de produit authentique » qui comprend les marques de commerce indiquées au paragraphe 7 ci‑dessus et/ou les marques de commerce elles-mêmes, aurait été présenté sur les étiquettes volantes et/ou les étiquettes, les doublures intérieures et/ou les emballages (selon le cas) de ces produits tels qu’ils sont décrits aux paragraphes 8 et 9 ci-dessus et présentés aux pièces C et D.

[Caractères gras dans l’original; je souligne.]

[17]  Il est à noter que, dans l’affidavit, il est reconnu que les photographies d’échantillons d’étiquettes, d’étiquettes volantes et de doublures intérieures présentées en pièce C de l’affidavit représentent des produits [traduction] « actuellement en usage » (affidavit de Richard Tape, paragraphe 8). C’est ce qui ressort clairement de la pièce C, car les prix sont indiqués en livres sterling. Il en va de même de la pièce D, laquelle est présentée comme un échantillon d’emballage d’une montre : il s’agit manifestement d’un produit emballé pour le marché du Royaume-Uni. S’agissant de l’allégation de la demanderesse selon laquelle les photographies fournies en preuve n’étaient pas des exemples de produits vendus au Canada au cours de la période pertinente, la défenderesse n’a pu faire mieux que de se reporter à l’affidavit, dans lequel il était énoncé que ces produits n’étaient plus tenus en stock au Canada, et que, par conséquent, aucune photographie n’était disponible.

[18]  Ainsi, la preuve présentée par H. Young se limite aux éléments suivants :

III.  La décision faisant l’objet du présent contrôle

[19]  Dans la décision, datée du 21 novembre 2017, qui s’en est suivie, le registraire des marques de commerce a été convaincu, seulement en partie, de l’emploi de la Marque.

[20]  D’abord, le registraire s’est rangé aux arguments de la demanderesse et a conclu que l’emploi de certains produits n’avait pas été démontré. Par conséquent, dans les cas où la preuve d’emploi était inexistante ou insuffisante, il a modifié l’état déclaratif des produits concernant les enregistrements nos LMC448,527 et LMC512,970. Compte tenu de l’absence de la défenderesse dans l’instance devant la Cour, cette conclusion n’est pas contestée.

[21]  L’état déclaratif des produits correspondant à l’enregistrement LMC448,527 est maintenant rédigé comme suit :

[traduction]

Casquettes de sport, nommément casquettes de baseball; et vêtements de sport, nommément tee-shirts, vestes, chemises; et vêtements de plage, nommément pulls et pantalons.

[22]  L’état déclaratif des produits correspondant à l’enregistrement LMC512,970 est maintenant rédigé comme suit :

[traduction]

Montres; sacs à dos, portefeuilles; vêtements, nommément chemises, vestes, pantalons de jogging; vêtements de sport, nommément tee-shirts de sport, chapeaux de sport, pulls de sport; chaussures, nommément souliers; couvre-chefs, nommément casquettes de baseball.

[23]  Le registraire a précisé que la véritable question tenait à la façon de présenter la Marque. Celle-ci est intégrée au dessin de produit authentique sur les étiquettes volantes et les étiquettes, ainsi que sur la doublure intérieure de deux types de produits, soit certains portefeuilles et sacs à dos. Ces façons de présenter la Marque satisfont-elles aux exigences énoncées au paragraphe 4(1) de la Loi? Il y a aussi la question de savoir si l’affidavit de M. Tape est suffisant. Il a été allégué que l’affidavit était délibérément vague et ambigu, et qu’il ne satisfaisait donc pas aux exigences prévues à l’article 45.

A.  Variation

[24]  Le registraire a présenté la première question à trancher comme étant celle de la variation. Il a estimé qu’il était établi que la Marque n’était jamais présentée seule, mais qu’elle était plutôt comprise dans le dessin de produit authentique, en tant qu’un des quatre éléments figurant sur les trois différents dessins de produit authentique. En fait, les Directives sur l’image de marque, déposées à l’appui de l’affidavit de M. Tape, font mention de quatre logos d’entreprise, dont aucun n’emploie la Marque. Même le mot « animal » n’est pas présenté conformément à l’enregistrement de la Marque.   

[25]  Aux yeux du registraire, plusieurs marques de commerce pouvaient être employées simultanément, dans la mesure où elles n’étaient pas combinées de façon à rendre indiscernables les marques individuelles. Et, en l’espèce, la Marque demeurait reconnaissable à titre de marque de commerce en soi. Trois justifications ont été avancées à l’appui de cette conclusion :

[26]  Sur ce seul fondement, le registraire a estimé que la présente affaire se distinguait de la décision Clio/Oz, sur laquelle la demanderesse s’était essentiellement fondée. Dans cette affaire, la marque de commerce en cause était Oz. Une autre marque de commerce était Clio, et elles étaient toutes deux ainsi présentées : 

Dans Clio/Oz, le registraire s’était penché sur les caractéristiques dominantes de la marque pour déterminer si elles avaient été préservées. Une variation mineure n’est pas susceptible de déclencher l’application de l’article 45 de la Loi. Toutefois, dans cette affaire, telle n’est pas la conclusion qui a été tirée; elle est formulée en ces termes aux paragraphes 28 et 29 de la décision Clio/Oz :

[28]  Même si OZ est le seul élément de la Marque déposée, je considère que la combinaison de CLIO et OZ constitue la caractéristique dominante de la marque de commerce présentée. À cet égard, même si le « O » de OZ est la plus grande lettre, CLIO est la première partie de la Marque et, comme cela est montré dans l’ensemble de la preuve, elle figure toujours au-dessus de l’élément OZ. De plus, ni l’un ni l’autre des éléments n’est descriptif des produits visés par l’enregistrement.

[29]  Par conséquent, selon moi, la caractéristique dominante de la Marque déposée, soit le mot OZ seul, n’a pas été préservée. L’ajout de CLIO modifie la Marque dans sa présentation, sa sonorité et les idées qu’elle suggère, de telle sorte qu’elle perd son identité et qu’elle n’est plus reconnaissable comme étant la Marque. Ainsi, j’estime que la présentation produite en preuve de la marque figurative CLIO OZ ne constitue pas une présentation de la Marque telle qu’elle a été enregistrée.

[27]  Malgré une combinaison de marques et de logos qui semble beaucoup plus chargée en l’espèce, le registraire n’a pas fourni d’autres précisions pour expliquer en quoi il y avait des caractéristiques distinctes entre les deux affaires.

[28]  Il est tout de même étonnant que la membre de la Commission des oppositions des marques de commerce (COMC) n’ait pas jugé bon d’expliquer davantage sa décision, compte tenu de celle qu’elle a rendue dans l’affaire Sim & McBurney v Les Espaces Memoria Inc., 2016 COMC 24 [Les Espaces Memoria Inc.], laquelle est postérieure à la décision Clio/Oz. La défenderesse a cité cette affaire devant le registraire afin de contrecarrer la décision Clio/Oz. Or, même si de nombreuses causes sont citées dans Les Espaces Memoria Inc., la décision Clio/Oz n’y est même pas mentionnée.

B.  La preuve d’emploi en liaison avec chacun des produits visés par l’enregistrement

[29]  La demanderesse devant la Cour, qui était également la partie requérante devant le registraire, s’est plainte au sujet de la preuve présentée en vue d’établir l’emploi de la Marque au Canada. En effet, la preuve est ambiguë et vague. Les mêmes arguments ont été soumis au registraire et à la Cour. De fait, dans la décision, le registraire résume les arguments des deux parties et, sans explication, déclare être « [d]e façon générale, […] d’accord avec les observations de la Propriétaire » (décision, paragraphe 61).

[30]  La partie requérante a soutenu que l’affidavit n’était pas très convaincant. Les étiquettes, les étiquettes volantes et les doublures intérieures produites en preuve étaient seulement associées à des produits « actuellement en usage ». Il ne s’agissait pas de produits pour lesquels une preuve d’emploi était exigible en vertu de l’article 45 de la Loi. Les étiquettes de prix présentées dans certaines photographies étaient toujours indiquées en livres sterling : il s’agissait de produits vendus au Royaume­Uni après la fin de la période de trois ans. L’auteur de l’affidavit admet d’ailleurs l’absence de photographies de produits vendus au Canada. Plus loin dans l’affidavit, on ajoute, de façon vague et imprécise, que les étiquettes, les étiquettes volantes et les doublures intérieures présentées en preuve [traduction] « étaient employées pour ce qui est des mêmes catégories de produits, lesquels étaient vendus et distribués au Canada […] » (affidavit, au paragraphe 8; je souligne). La preuve ne pouvait permettre de confirmer que les produits vendus apparaissaient sur les photographies. De toute évidence, l’auteur de l’affidavit n’a pas été en mesure de déclarer ce qui devrait pourtant être une proposition essentielle, à savoir que les produits vendus au Canada arboraient des étiquettes et des étiquettes volantes où figurait la marque. La preuve est tout bonnement lacunaire à cet égard.

[31]  De même, le paragraphe 12 de l’affidavit était rédigé de manière à donner l’impression, lorsqu’on l’examinait plus attentivement, que la répétition de [traduction] « et/ou » dissimulait l’imprécision en faisant en sorte « [qu’]il [soit] impossible de dire exactement quelle forme la Marque prenait et à quel endroit elle était présentée sur chacun des différents produits qui auraient été soi-disant vendus au Canada au cours de la période pertinente […] », pour reprendre les termes employés par le registraire afin de décrire l’argument invoqué (décision, paragraphe 54). En outre, ce qu’il était possible de déduire de la pièce F n’était vraiment pas très clair. Car le [traduction] « dessin » des produits qui auraient été soi-disant vendus au Canada n’était pas représentatif des produits en cause. Par ailleurs, une comparaison avec des photographies produites dans d’autres pièces révélait que les photographies montraient des produits complètement différents de ceux énumérés à la pièce E (facture) et illustrés à la pièce F (dessins). En effet, l’affidavit n’est d’aucune utilité.

[32]  Devant le registraire, la défenderesse a répondu que les échantillons aux pièces C et D étaient simplement représentatifs de la façon dont la Marque et le dessin de produit authentique étaient employés en ce qui concerne les types de produits apparaissant sur les photographies. Toutefois, comme il a été souligné, puis reconnu au paragraphe 59 de la décision, il s’agissait de produits vendus au Royaume-Uni. Pour le registraire, c’était trop demander à la défenderesse que d’exiger des photographies des produits réellement vendus de manière à permettre qu’une conclusion négative soit tirée.

[33]  C’est au paragraphe 58 de la décision que l’on trouve ce qui pourrait bien être au cœur même de la défense de la défenderesse. On y semble paraphraser le paragraphe 12 de l’affidavit de M. Tape — que j’ai reproduit intégralement au paragraphe 16 de mes motifs —, et s’y fier entièrement. Ce paragraphe confirme soudainement, après quelques paragraphes guère convaincants de l’affidavit, que les produits vendus étaient conformes, sans explication sur ce qui a pu mener à une telle déclaration. Toutefois, il devient moins affirmatif dans la seconde moitié (après [traduction] « Autrement dit ») où la forme conditionnelle (« aurait été présenté ») est utilisée.

IV.  Les positions des parties en appel

[34]  La défenderesse a choisi de ne participer d’aucune façon à l’instance devant la Cour. Aucune question d’intérêt public ne justifiait la participation du procureur général du Canada dans le cadre de l’appel. En conséquence, la Cour ne peut se prévaloir que du point de vue de la demanderesse.

[35]  La demanderesse soutient que la seule conclusion raisonnable à laquelle le registraire pouvait arriver était celle voulant que la Marque n’ait pas été employée au Canada pendant la période pertinente. À cet égard, la demanderesse fait valoir trois arguments.

[36]  Premièrement, la demanderesse soutient qu’au cours de la période pertinente, la Marque n’a jamais été présentée seule, mais qu’elle était plutôt comprise dans le dessin de produit authentique, ce qui constitue une variation inacceptable de la Marque telle qu’elle est enregistrée. La demanderesse invoque à nouveau les conclusions de la COMC dans l’affaire Clio/Oz, dans laquelle l’agent d’audience a estimé que la marque déposée « OZ » apparaissant dans une boîte ou un cadre différent ne pouvait être distinguée de la partie « CLIO » de la marque figurative et constituait donc une variation inacceptable de la marque telle qu’elle était enregistrée. En l’espèce, la demanderesse soutient que la Marque comprise dans le dessin de produit authentique a été modifiée de sorte qu’elle a perdu son identité et qu’elle n’est plus reconnaissable. Pour la demanderesse, les deux affaires sont pratiquement identiques.

[37]  Deuxièmement, la demanderesse soutient que la preuve d’emploi fournie par la défenderesse ne permettait tout simplement pas à la COMC de tirer des conclusions claires à l’égard des documents dont elle était saisie. Par exemple, les photographies fournies dans les pièces C et D de l’affidavit de M. Tape présentaient des produits qui n’étaient vendus ni au Canada, ni au cours de la période pertinente. La demanderesse conteste également les déclarations vagues et non étayées dans l’affidavit de M. Tape, où celui-ci tente d’expliquer les lacunes dans les photographies en soulignant qu’elles présentent les [traduction] « mêmes catégories de produits » (paragraphe 8) qui auraient été vendus au Canada au cours de la période pertinente. En outre, M. Tape prétend que chacun des produits vendus au Québec était conforme aux Directives sur l’image de marque de Animal (paragraphe 12), mais il ne présente aucun élément de preuve en ce sens. De l’avis de la demanderesse, le contenu de son affidavit ne pouvait donc fournir les faits clairs dont le registraire avait besoin pour pouvoir conclure que la Marque était employée en liaison avec les produits ou certains des produits enregistrés au nom de la défenderesse pendant la période pertinente.

[38]  Troisièmement, la demanderesse soutient que la défenderesse n’a pas réussi à fournir de preuve adéquate de l’emploi de la Marque lorsqu’elle a cherché à se fonder sur les doublures intérieures des portefeuilles et des sacs à dos. Étant donné qu’une marque de commerce apparaissant à l’intérieur d’un produit n’est pas clairement visible pour un client au moment de l’achat, elle ne peut servir à distinguer les produits lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, conformément à l’article 4 de la Loi. Par analogie, la demanderesse cite la décision Cullman Ventures Inc. c Quo Vadis International Ltée, [2000] A.C.F. n1763, dans laquelle le juge Lemieux a conclu que l’affichage d’une marque de commerce sur une page dans un agenda était insuffisant pour établir l’emploi de cette marque.

[39]  Dans l’ensemble, les allégations de la demanderesse semblent viser l’absence de justification et d’intelligibilité de la décision rendue par le registraire, bien que cela ne soit pas mentionné explicitement. La demanderesse conclut donc que la décision était déraisonnable.

V.  Norme de contrôle judiciaire et analyse

[40]  À mon avis, la décision ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable, parce qu’elle ne découle pas d’un processus décisionnel justifié, transparent et intelligible, et que la preuve de M. Tape n’atteint pas le seuil requis pour démontrer l’emploi des marques de commerce au Canada en liaison avec les produits de la défenderesse.

A.  La norme de contrôle

[41]  Les appels interjetés en vertu de l’article 56 de la Loi sont régis par la norme de contrôle du caractère raisonnable. Il fut un temps où un tribunal pouvait devoir décider entre la décision raisonnable et la décision raisonnable simpliciter [Novopharm Ltd. c Bayer Inc., (2000) 9 CPR (4th) 304], mais tel n’est plus le cas depuis l’arrêt phare Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]. Il est maintenant reconnu que la norme de contrôle applicable aux appels interjetés en vertu de l’article 56 est celle de la décision raisonnable (Alliance Laundry Systems LLC c Whirlpool Canada LP, 2015 CAF 232, paragraphe 3, 2014 CF 1224 [Alliance Laundry]).

[42]  La décision raisonnable commande la retenue à l’égard de la décision prise par une personne ayant de l’expertise dans le domaine. Il n’appartient pas à la Cour de simplement rejeter les conclusions et d’y substituer sa propre appréciation des faits, comme on le ferait dans le cas d’un contrôle fondé sur la norme de la décision correcte. Le paragraphe 47 de Dunsmuir demeure fondamental pour comprendre la question du caractère raisonnable : 

[47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[43]  Il y a donc deux aspects à la notion : la décision et sa justification. 

[44]  La tâche qui incombe aux juges siégeant en révision a été énoncée comme suit dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 [Khosa], au paragraphe 59 :

[59]  La raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte. L’arrêt Dunsmuir avait notamment pour objectif de libérer les cours saisies d’une demande de contrôle judiciaire de ce que l’on est venu à considérer comme une complexité et un formalisme excessifs. Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

[45]  Le présent appel soulève deux questions. L’une concerne la formulation des motifs. Le processus décisionnel était-il justifié, transparent et intelligible? Il ne s’agit pas tant de savoir si les motifs sont suffisants, car l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision. Comme la Cour suprême l’a confirmé dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland and Labrador Nurses’ Union], « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables ». Or, j’estime que la décision ne respecte pas ce critère. 

[46]  La cour de révision est aussi tenue d’examiner le caractère raisonnable des conclusions de fait. Dans Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, la Cour suprême s’est exprimée comme suit au sujet des attributs de la preuve qui feront en sorte que la décision soit déraisonnable :

[74]  À l’heure actuelle, une décision est considérée comme déraisonnable et, partant, illégale, si les droits à la liberté d’un détenu sont sacrifiés en l’absence de toute preuve, sur la foi d’une preuve non fiable, d’une preuve non pertinente ou d’une preuve qui n’étaye pas la conclusion, même si je n’exclus pas la possibilité qu’elle puisse également être déraisonnable pour d’autres motifs. La décision sur la fiabilité de la preuve exige de la déférence à l’égard du décideur, mais les autorités doivent tout de même expliquer en quoi la preuve offerte est digne de foi. 

[47]  Le juge Lebel, s’exprimant au nom de la Cour suprême, a désigné trois éventualités susceptibles de donner lieu à une conclusion de déraisonnabilité : l’absence de toute preuve; une preuve non fiable ou non pertinente; ou une preuve qui n’étaye pas la conclusion.

[48]  Le juge Stratas de la Cour d’appel fédérale a ainsi résumé les choses dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, [2015] 1 RCF 335, par ailleurs infirmé pour d’autres raisons dans l’arrêt 2015 SCC 61, [2015] 3 RCS 909 :

[99]  Lorsqu’elle effectue un examen selon la norme de la raisonnabilité de conclusions de fait telles que celles­ci, la Cour n’a pas pour mission d’apprécier de nouveau les éléments de preuve versés aux débats. Elle doit alors plutôt se limiter à rechercher si une conclusion a un caractère irrationnel ou arbitraire tel que sa compétence, reposant sur la primauté du droit, est engagée, comme l’absence totale de recherche des faits, le défaut, lors d’une telle recherche, de respecter une exigence expresse de la loi, le caractère illogique ou irrationnel du processus de recherche des faits ou l’absence de tout fondement acceptable à la conclusion de fait tirée (Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., District 15, [1997] 1 R.C.S. 487, aux paragraphes 44 et 45; Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l’industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644, à la page 669).

À mon avis, la décision doit être annulée, car la conclusion relative à l’emploi des marques de commerce au Canada était fondée sur une preuve qui ne permettait pas de l’étayer. Par conséquent, la décision est arbitraire.

B.  Analyse

(1)  Principes applicables

[49]  On a souvent répété que l’article 45 de la Loi a pour objet d’éliminer le bois mort, c’est‑à-dire les enregistrements qui demeurent inscrits au registre même si la marque de commerce n’a pas été employée au Canada pendant un certain nombre d’années. Déjà, en 1979, le juge Cattanach, de la Cour, parlait de « débarrasser le registre des inscriptions » dans Aerosol Fillers Inc. c Plough (Canada) Ltd., (1979) 45 CPR (2nd) 194, à la page 196 :

Cette mesure législative introduite en 1953 visait l’instauration d’une procédure simple et expéditive permettant de radier du registre des inscriptions les marques de commerce qui ne sont pas revendiquées, de bonne foi, par leurs propriétaires, comme étant des marques de commerce encore employées au Canada. Aux termes de cette mesure, le registraire peut procéder à cette radiation soit à sa diligence, soit à la demande de toute personne, après trois années à compter de la date de l’enregistrement.

Dans la même affaire, la Cour d’appel, dans l’arrêt Plough (Canada) Ltd. c Aerosol Fillers Inc., 53 CPR (2d) 62, [1981] 1 FC 679 [Plough] a renvoyé à la jurisprudence antérieure dans laquelle le même objet avait été énoncé. Je ne doute pas que le mécanisme soit utilisé de façon moins altruiste par les parties requérantes qui souhaitent tirer profit de la radiation d’une marque de commerce. En effet, l’article 45 peut être invoqué par toute personne qui paie le droit prescrit. Mais l’analyse reste la même, quelle que soit la motivation.

L’objet de l’article 45 permettra de mieux comprendre le critère d’emploi peu exigeant que doit respecter le propriétaire d’une marque de commerce. Dans Philip Morris Inc. v Imperial Tobacco Ltd., (1987), 13 CPR (3rd) 289, il est mentionné à la page 293 :

Il est bien établi que le but et l’objet de l’article 44 [devenu l’art. 45] sont d’assurer une procédure simple, sommaire et expéditive pour radier du registre les marques de commerce qui ne sont pas revendiquées de bonne foi par leurs propriétaires comme des marques de commerce en usage. Cette procédure a été décrite avec justesse comme visant à éliminer du registre le « bois mort ». L’article ne prévoit pas de décision sur la question de l’abandon, mais attribue simplement au propriétaire inscrit la charge de prouver l’emploi de la marque au Canada ou les circonstances spéciales pouvant justifier son défaut d’emploi. La décision du registraire ne se prononce pas définitivement sur les droits substantifs, mais uniquement sur la question de savoir si l’enregistrement de la marque de commerce est susceptible de radiation conformément à l’article 44. Si l’usager est fiable, la preuve déposée en réponse à l’avis doit « indiquer » que la marque est employée ou, du moins, se rapporter à des faits dont on peut déduire un tel emploi.

Le fardeau qui incombe à la personne devant justifier l’emploi d’une marque de commerce n’est pas très lourd. Mais ce fardeau existe.

[50]  Il appert que la COMC a résumé un tel fardeau en se servant du même paragraphe comme modèle dans un certain nombre de décisions. Le paragraphe suivant est tiré de la décision Method Law Professional Corporation c Black & Decker Corporation, 2015 COMC 225 :

[5]  Il est bien établi que de simples allégations d’emploi ne sont pas suffisantes pour établir l’emploi dans le contexte de la procédure prévue à l’article 45 [Plough (Canada) Ltd c Aerosol Fillers Inc (1980), 53 CPR (2d) 62 (CAF)]. Bien que le niveau de preuve requis pour établir l’emploi dans le cadre de cette procédure soit peu élevé [Woods Canada Ltd c Lang Michener (1996), 71 CPR (3d) 477 (CF 1re inst.)] et qu’il ne soit pas nécessaire de produire une surabondance d’éléments de preuve [Union Electric Supply Co c le Registraire des marques de commerce (1982), 63 CPR (2d) 56 (CF 1re inst.)], il n’en faut pas moins présenter des faits suffisants pour permettre au registraire de conclure que la marque de commerce a été employée en liaison avec chacun des produits spécifiés dans l’enregistrement au cours de la période pertinente.

Le propriétaire d’une marque de commerce doit, selon le libellé du paragraphe 45(1), fournir un affidavit « indiquant, à l’égard de chacun des produits ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée ». Il est nécessaire d’exposer les faits. Dans Spirits International B.V. c BCF S.E.N.C.R.L., 2012 CAF 131 :

[8]  Le fardeau qui incombe à l’inscrivant pour démontrer l’emploi dans le cadre d’une instance introduite en vertu de l’article 45 n’est pas très lourd. Un affidavit ou une déclaration solennelle suffira si on y trouve une description factuelle de l’emploi de la marque en cause qui démontre que les conditions de l’article 4 sont respectées (Eclipse International Fashions Canada Inc. c. Shapiro Cohen, au paragraphe 6 (voir également les arrêts Central Transport, Inc. c. Mantha & Associés/Associates, [1995] A.C.F. no 1544 (QL), 64 C.P.R. (3d) 354 (C.A.F.), et Plough (Canada) Ltd. c. Aerosol Fillers Inc. (C.A.F.), [1981] 1 C.F. 679)). Il est toujours loisible au registraire, en tant que juge des faits, de tirer des conclusions raisonnables des faits qui sont énoncés dans l’affidavit ou dans la déclaration solennelle.

[Non souligné dans l’original.]

[51]  C’est la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Plough (précité) qui a établi la nécessité d’énoncer les faits. Il semble qu’on avait vu se développer une pratique selon laquelle une déclaration était jugée suffisante. Dans l’affaire Plough, la déclaration dans l’affidavit se lisait comme suit :

[TRADUCTION] 2. QUE Plough (Canada) Limited emploie actuellement et employait au 7 septembre 1978, la marque de commerce déposée PHARMACO dans la pratique normale du commerce en liaison avec des préparations pharmaceutiques.

Mais une simple affirmation ne suffit pas; il est nécessaire de fournir une description de l’emploi pour chacun des produits. Dans Plough, la Cour a conclu qu’il était nécessaire, pour le registraire, de disposer des détails relatifs à l’emploi de la marque de commerce pour pouvoir apprécier la situation, et que le simple fait de recevoir la déclaration du propriétaire ne suffisait pas :

Le paragraphe 44(1) exige qu’il soit fourni au registraire un affidavit ou une déclaration statutaire « indiquant », et non simplement énonçant, si la marque de commerce est employée, c’est-à-dire décrivant l’emploi de cette marque de commerce au sens de la définition de l’expression « marque de commerce » à l’article 2 et de l’expression « emploi » à l’article 4. Cela ressort clairement des termes du paragraphe en question puisqu’il exige que le propriétaire inscrit fournisse un affidavit ou une déclaration statutaire indiquant, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce est employée au Canada et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. Cela a pour but non seulement d’indiquer au registraire que le propriétaire inscrit ne veut pas renoncer à l’enregistrement, mais aussi de l’informer quant à l’emploi de la marque de commerce afin que lui et la Cour, s’il y a appel, puissent être en mesure d’apprécier la situation et d’appliquer, le cas échéant, la règle de fond énoncée au paragraphe 44(3). Il n’est pas permis à un propriétaire inscrit de garder sa marque s’il ne l’emploie pas, c’est-à-dire s’il ne l’emploie pas du tout ou s’il ne l’emploie pas à l’égard de certaines des marchandises pour lesquelles cette marque a été enregistrée.

[L’article 44 est devenu l’article 45.]

(2)  La décision est-elle raisonnable?

[52]  La demanderesse a soutenu que le dessin de produit authentique, reproduit au paragraphe 15 des présents motifs, n’a pas démontré l’emploi de la Marque parce que celle-ci y est entremêlée à d’autres logos. Néanmoins, l’emploi d’une marque conjointement avec d’autres éléments n’est pas interdit [traduction] « si le public, comme première impression, perçoit que la marque en tant que telle est employée comme une marque de commerce » [Nightingale Interloc Ltd. c Prodesign Ltd., (1984) 2 CPR (3d) 535, à la page 538]. La marque se démarque‑t‑elle des autres éléments?

[53]  La demanderesse s’est considérablement appuyée sur la décision Clio/Oz. Il est certain, fait valoir la demanderesse, que si la représentation de la marque Oz conjointement avec CLIO a eu pour conséquence que la caractéristique dominante de la marque Oz n’a pas été préservée, la même conclusion devrait être appliquée à la fusion de quatre éléments différents et disparates. Par conséquent, la marque n’a pas été employée au sens du paragraphe 4(1) de la Loi.

[54]  Dans Registraire des marques de commerce c Compagnie Internationale pour l’informatique CII Honeywell Bull, [1985] 1 CF 406 [CII Honeywell Bull], la Cour d’appel fédérale a conclu que la marque « Bull », employée conjointement avec deux autres marques pour former « CCI Honeywell Bull », avait perdu son identité :  

5  Contrairement à d’autres formes de propriété intellectuelle, le droit à une marque de commerce repose essentiellement sur son emploi véritable. Ainsi, l’inventeur canadien a droit à un brevet même s’il n’en fait aucune exploitation commerciale. Le dramaturge conserve son droit d’auteur même si sa pièce n’est pas jouée. Mais, en ce qui concerne une marque de commerce, le mot d’ordre est de l’employer sous peine de la perdre. L’enregistrement d’une marque déposée qui n’a pas été employée est susceptible de radiation (par. 45(3)) […]

[55]  Une décision de la Cour dans l’affaire Diamant Elinor Inc. c 88766 Canada Inc. 2010 CF 1184 [Diamant Elinor] est venue conforter la position de la demanderesse. Dans cette affaire, la marque de commerce était la signature fictive « Yves Delorme » sous une forme stylisée :

Toutefois, il semble que la marque était présentée en caractères type, accompagnés d’un dessin de panthère :

[56]  La Cour a conclu que « [c]onsidérant que la marque telle que déposée en preuve n’arbore pas l’aspect graphique de la signature et comporte un élément figuratif supplémentaire, la Cour ne peut que conclure que la demanderesse n’a pas employé la marque telle que déposée » (paragraphe 75).

[57]  La question prend peut-être encore plus d’importance si l’on tient compte de la jurisprudence citée devant le registraire par la demanderesse. Celle-ci s’est reportée à quatre cas, tous tranchés par la COMC : 

[58]  Essentiellement, il ne s’agit pas de voir la Cour rendre une décision après une comparaison du dessin de produit authentique en l’espèce avec la représentation des marques de commerce combinées à d’autres éléments dans ces cinq autres affaires. Il est tout à fait clair à l’œil nu que le dessin de produit authentique visé est beaucoup plus chargé que celui de MEMORIA, et qu’il diffère de par son lettrage et sa taille à ceux de PIRANHA, ou même celui de FLAME­GARD, pour lequel le registraire a constaté que la marque de commerce était présente deux fois et au haut de l’étiquette en caractères stylisés, de sorte que la marque de commerce était une caractéristique dominante. Le rôle de la Cour consiste à déterminer la validité de la décision du registraire en déterminant si la décision fait partie des issues possibles acceptables. La Cour en est arrivée à la conclusion que les motifs donnés par le registraire ne lui permettent pas de comprendre ce qui justifie que la décision en cause ait été rendue à la lumière de la jurisprudence, ni, en particulier, de quelle façon elle se distingue de la décision dans l’affaire Clio/Oz. Il est donc impossible de déterminer si la décision fait partie des issues possibles raisonnables, au sens de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union (précité, au paragraphe 43).

[59]  Si les cinq décisions (Clio/Oz, MEMORIA, PIRANHA, ORIGINS, FLAME-GARD) expliquent toutes avec force détails les conclusions sur lesquelles elles se fondent, tel n’est pas le cas en l’espèce. Nous ne savons pas pourquoi la marque déposée aurait conservé son identité, sa caractéristique dominante, une fois examinée la décision CII Honeywell Bull et Diamant Elinor. Le registraire avance une justification qui tient en trois phrases, dont aucune n’offre quelque degré de persuasion. D’abord, le registraire constate que la marque est présentée dans son propre encadré. Par comparaison à l’affaire Clio/Oz, il est difficile de comprendre l’argument. Ensuite, la répétition du mot ANIMAL dans trois des quatre éléments « renforc[e] l’impression que la Marque est présentée avec d’autres marques de commerce et ne fait pas simplement partie intégrante d’une seule marque de commerce mixte » (décision, paragraphe 50). L’avocate de la demanderesse a soutenu que l’impression qui s’en dégageait était complètement à l’opposé. J’en conviens. La présence du mot ANIMAL sur trois des quatre éléments du dessin de produit authentique donne l’impression que chaque dessin fait partie d’un amalgame. Le registraire devait expliquer de quelle façon la caractéristique dominante de la Marque est préservée. Enfin, les variations du dessin de produit authentique, combinées aux logos d’entreprise seuls sur les produits, tendent à renforcer l’impression que la Marque est présentée avec d’autres marques. Nul ne sait de quelle façon la caractéristique dominante de la marque est préservée, et aucune justification en ce sens n’a été offerte.

[60]  J’ajoute qu’il est impossible pour la Cour, même en consultant le dossier, de comprendre la décision de manière à être convaincue que cette dernière fait partie des issues possibles acceptables faisant suite à un processus décisionnel qui serait transparent et intelligible, et qui fournirait une justification. Il convient de répéter les derniers mots du paragraphe 59 de l’arrêt Khosa (précité), dans lequel le juge Binnie affirme de façon péremptoire que « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable ». En l’espèce, il est simplement impossible de comprendre la façon dont on est parvenu à la décision, étant donné que les motifs exposés ne sauraient constituer une justification.

[61]  Dans les circonstances, j’aurais été tenté de renvoyer l’affaire pour une nouvelle décision. Cependant, j’ai également conclu que la preuve présentée dans l’affidavit présentait des lacunes importantes, au point d’être convaincu que la décision rendue au sujet de l’emploi de la Marque au Canada était elle-même déraisonnable.

(3)  La preuve d’emploi de la marque de commerce est-elle suffisante?

[62]  La réparation appropriée consiste plutôt à accueillir l’appel interjeté à l’encontre de la décision du registraire et à ordonner que les deux marques de commerce soient radiées du registre, parce que la preuve présentée par la défenderesse ne permet pas d’établir l’emploi approprié de la Marque.

[63]  Fondamentalement, l’affidavit de Richard Tape, qui constitue le seul élément de preuve dont disposait le registraire (paragraphe 45(2) de la Loi; aussi A.W. Allen Limited c Registraire des marques de commerce et Warner-Lambert Canada Inc., [1985] ACF no 824, 6 C.I.P.R. 65), est l’affidavit d’un honnête homme, qui n’affirme rien de plus que ce que les pièces dont il dispose peuvent raisonnablement lui permettre d’en dire. Le problème est que cet élément de preuve laisse d’importantes zones d’ombre.

[64]  L’affidavit doit établir l’emploi de la Marque au Canada. La défenderesse n’exerce pas ses activités directement au Canada, mais plutôt à partir de son lieu d’affaires, au Royaume-Uni. À mon avis, il n’existe aucune preuve de l’emploi de la Marque au Canada. Des affirmations ne suffisent pas (Plough, CAF, précité). En fait, ce que l’affidavit ne dit pas est assez révélateur. Dans Plough, le juge en chef Thurlow a déclaré ce qui suit :

En outre, comme ce fut le cas pour l’affidavit en cause dans l’affaire American Distilling Co. c. Canadian Schenley Distilleries Ltd., il faut, en l’espèce, examiner ce que l’affidavit ne dit pas. On peut difficilement croire qu’un propriétaire inscrit passerait sous silence le fait que, jusqu’à l’époque où il a reçu un avis donné en vertu de l’article 44, il employait effectivement sa marque de commerce en liaison avec les préparations pharmaceutiques qu’il vendait et qu’il chercherait plutôt à répondre aux questions posées dans l’avis par un simple énoncé portant que le titulaire de la marque de commerce emploie actuellement et employait à la date de l’avis cette marque, dans la pratique normale du commerce, en liaison avec des préparations pharmaceutiques. Je souscris aux propos de l’avocat de l’intimée, selon lesquels plutôt que de révéler les faits requis par l’avis, cet affidavit essaie de les cacher. En outre, le fait que l’appelante, en réponse à l’appel interjeté contre la décision du registraire, n’ait pas déposé, comme elle aurait pu le faire, un affidavit supplémentaire décrivant l’emploi qu’elle a fait de sa marque de commerce, si elle l’a effectivement employée, appuie la conclusion selon laquelle cette marque de commerce n’était pas employée comme marque de commerce, ni avant ni après la signification de l’avis.

[Non souligné dans l’original.]

Des faits sont nécessaires.

[65]  Mais en l’espèce, les faits, que voici, sont rares :

[66]  Dans un ultime effort, l’auteur a rédigé le paragraphe 12 de son affidavit. Tout en admettant qu’il ne pouvait faire mieux, parce qu’il n’existait pas de photographies de produits qui auraient été vendus au Canada au cours de la période de trois ans, il a affirmé qu’il pouvait confirmer que les produits vendus au détaillant de Châteauguay étaient conformes aux Directives sur l’image de marque. Nous ne savons pas pourquoi. Car aucun fait n’a été avancé; il s’agit d’une simple affirmation. Mais l’auteur de l’affidavit n’en est pas resté là. Cette affirmation non étayée s’est retrouvée quelque peu diluée lorsqu’il a tenté d’expliquer, ensuite, que le dessin de produit authentique aurait été présenté quelque part sur les produits ou les emballages. Nulle part l’auteur n’indique où se trouvent les renseignements à l’appui de cette affirmation. Ceux-ci ne se trouvent certainement pas dans les autres paragraphes des pièces jointes à l’affidavit.

[67]  Dans le paragraphe 12 de l’affidavit, on cherche à affirmer de façon péremptoire que la Marque a été employée au Canada. On y confirme qu’un dessin de produit authentique aurait été présenté sur divers éléments. Or, cette affirmation entre dans la même catégorie que celle qui avait été faite dans Plough : [traduction] « QUE Plough (Canada) Limited emploie actuellement et employait au 7 septembre 1978, la marque de commerce déposée ». La Cour d’appel avait conclu, à l’époque, qu’une telle affirmation était loin d’être suffisante. C’est également le cas aujourd’hui.

[68]  On se souviendra que le registraire a accepté les déclarations faites au paragraphe 12 de l’affidavit de M. Tape. Ces déclarations n’avaient aucune valeur. Le paragraphe 12 représente la seule tentative visant à fournir des renseignements qui lient les produits au Canada; ce qui n’est fait nulle part ailleurs dans l’affidavit. 

[69]  Dans Alliance Laundry (précité), la Cour fédérale avait à sa disposition un ensemble de faits plus solidement documentés, qu’elle a jugés suffisants pour établir un emploi en liaison avec le produit de la défenderesse. La Cour s’est exprimée ainsi à cet égard :

[35]  À mon avis, la principale question qui se pose dans la présente demande est celle de savoir si la preuve était suffisante pour permettre à l’agente d’audience de conclure que la défenderesse avait démontré qu’elle avait employé la marque au cours de la période pertinente. Plus précisément, l’affirmation de M. English suivant laquelle une partie des ventes effectuées au cours de la période 2001 à 2011 s’était produite au cours de la période pertinente, ainsi que la preuve d’une vente effectuée onze semaines après la période pertinente sont-elles suffisantes pour établir que la marque de commerce a été employée au cours de la période pertinente?

[36]  Il n’y a aucun doute dans mon esprit que l’affirmation de M. English est générale et qu’elle manque de précision. Elle aurait certainement pu être plus claire et plus explicite. Toutefois, son affirmation ne se limite pas à une simple assertion d’emploi. M. English allègue plutôt des faits qui démontrent un emploi, en l’occurrence, que la défenderesse a vendu des machines à laver et des sécheuses SPEED QUEEN au Canada au cours de la décennie 2001 à 2010 et qu’une certaine partie de ces ventes se sont produites entre octobre 2008 et octobre 2011. Compte tenu de la norme de preuve peu exigeante requise pour démontrer l’emploi et du fait que la preuve d’une seule vente suffit, je suis d’avis que, vu l’ensemble de la preuve, l’affirmation de M. English constituait un fondement probatoire suffisant pour permettre à l’agente d’audience de tirer la conclusion à laquelle elle est arrivée (Eclipse International Fashions Canada Inc c Shapiro Cohen, 2005 CAF 64 (CanLII), au paragraphe 7, 48 CPR (4th) 223).

[70]  La Cour d’appel ne partageait pas cet avis, et elle a déclaré être « convaincu[e] que, même si on adopte une position généreuse quant à son contenu, la preuve de M. English, l’administrateur et directeur général de Whirlpool Corporation, ne respecte pas le seuil de la preuve peu élevé qui est requis pour démontrer l’emploi de la marque de commerce en cause en liaison avec les produits de l’intimée » (paragraphe 2).

[71]  À plus forte raison en l’espèce, la preuve était vague, ambiguë et n’établissait pas l’emploi de la Marque au Canada. En outre, il manquait le genre de précision attendue quant à l’emploi de la Marque à l’égard des produits pour lesquels celle-ci a été enregistrée.

VI.  Conclusion

[72]  La décision du registraire n’a pas satisfait aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel qui permettraient à la cour de révision de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La décision ne satisfait pas non plus au critère de la décision raisonnable, car la preuve présentée en vertu de l’article 45 de la Loi ne peut étayer la conclusion. Au vu de la preuve soumise par la défenderesse pour établir l’emploi, il est clair qu’elle accuse une absence d’éléments probants. Par conséquent, à l’instar de la Cour d’appel dans l’arrêt Alliance Laundry, la Cour conclut que l’appel interjeté à l’encontre de la décision du registraire doit être accueilli; la décision est ainsi modifiée par la radiation des enregistrements nos LMC448,527 et LMC512,970 relativement à la marque de commerce « ANIMAL » en liaison avec les produits de la défenderesse. Il est ordonné au registraire de modifier le registre en conséquence.




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