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Date : 20181219


Dossier : T-508-17

Référence : 2018 CF 1282

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Bell

Dossier : T-508-17

ENTRE :

JAMIE J. GREGORY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Les faits

[1]  En 2008, le demandeur, M. Jamie Gregory (M. Gregory ou le demandeur), a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré à la suite d’un incident survenu en Nouvelle‑Écosse en décembre 2006. M. Gregory croyait, et croit toujours, que son avocate de la défense n’avait pastoutes les déclarations qui avaient été fournies aux enquêteurs. Par conséquent, le 30 mai 2016, M. Gregory a envoyé une lettre à la Sous-direction de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels de la Gendarmerie royale du Canada [la Sous‑direction de l’AIPRP de la GRC], par laquelle il demandait, en vertu de l’article 4 de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A-1 [la Loi], l’accès à toute déclaration faite par [traduction] « un témoin prénommé DON (nom de famille inconnu) qui habitait à Bridgetown, en Nouvelle‑Écosse ». M. Gregory a également indiqué qu’il n’avait pas besoin d’avoir accès aux déclarations faites par son père, Donald Gregory. La demande a éventuellement été refusée en raison de l’incapacité à identifier le « Don » qui faisait l’objet de la demande.

[2]  Au début de 2018, M. Gregory, alors détenu à l’Établissement Archambault, a déposé, en vertu de l’article 41 de la Loi, une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle sa demande d’accès à l’information était rejetée. Le 8 mars 2018, une audience a eu lieu devant moi. J’ai ordonné que la demande soit reportée indéfiniment afin de donner aux parties la possibilité de poursuivre leurs discussions. Malheureusement, les parties n’ont pas réglé l’affaire. J’ai encore une fois été saisi de l’affaire le 21 septembre 2018. À cette date, l’avocate du défendeur a résumé les mesures que la Sous-direction de l’AIPRP de la GRC avait prises depuis la dernière comparution et a exprimé un certain degré d’assurance quant au fait que son client était désormais en mesure d’identifier formellement la personne dont il cherchait à obtenir la déclaration. L’affaire a une fois de plus été reportée pour accorder au défendeur le temps d’obtenir le consentement de la personne à ce que son nom et sa déclaration soient rendus publics. Une troisième audience a été fixée le 26 octobre 2018. Après avoir reçu le consentement de la personne relativement à la divulgation de son identité et de sa déclaration, la Sous‑direction de l’AIPRP de la GRC les a communiqués à M. Gregory le 25 octobre 2018. Cette divulgation a réglé la question sur le fond. La personne a en effet été identifiée comme étant M. Donald Gregory, le père du demandeur.

[3]  La seule question dont je suis maintenant saisi porte sur les dépens. Le 26 octobre 2018, j’ai entendu les arguments des parties sur cette question et je leur ai demandé de me soumettre des observations écrites supplémentaires. Les deux parties se sont conformées à ma demande.

II.  LA QUESTION EN LITIGE

[4]  Dans les circonstances de l’espèce, des dépens devraient-ils être accordés à M. Gregory, qui se représente lui-même?

III.  DISCUSSION

[5]  Le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, lu conjointement avec la jurisprudence pertinente, confère à la Cour un large pouvoir discrétionnaire à l’égard du montant des dépens et leur attribution (Sun Indalex Finance, LLC c Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6, [2013] 1 RCS 271, au paragraphe 247; Nolan c Kerry (Canada) Inc, 2009 CSC 39, [2009] 2 RCS 678, au paragraphe 126; Teva Canada Limited c Janssen Inc., 2018 CAF 33, au paragraphe 154). Cela s’applique également aux plaideurs qui agissent pour leur propre compte (Galati c Harper, 2016 CAF 39, aux paragraphes 21 et 22, 394 DLR (4th) 555; Stubicar c Canada, 2015 CAF 113). En effet, une personne qui agit pour son propre compte n’a pas de frais juridiques à payer.

[6]  Le défendeur soutient que chaque partie devrait assumer ses propres frais, ou, subsidiairement, que M. Gregory n’a droit qu’aux débours. Le défendeur soutient que les dépens ne devraient pas être adjugés pour les raisons suivantes : (1) les parties sont parvenues à un règlement, et (2) aucun des facteurs mentionnés au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales pour justifier l’attribution des dépens ne s’applique pas en l’espèce. De plus, le défendeur soutient qu’une période de dix-huit (18) mois pour régler l’affaire n’est pas un délai excessif dans les circonstances. M. Gregory soutient que le défendeur a retardé inutilement le processus. De plus, il souligne qu’il n’aurait pas dû être tenu de prendre les mesures qu’il a prises afin d’obtenir des renseignements (l’identité et la déclaration de son père) que, comme il l’a clairement déclaré, il n’avait pas besoin. Il rappelle également à la Cour que l’affaire a été réglée en sa faveur.

[7]  Le défendeur ne conteste pas le fait que M. Gregory n’avait pas besoin d’avoir accès à l’identité et à la déclaration de son père. Je formulerais toutefois les observations suivantes. Premièrement, la recherche d’un « Don » autre que le père de M. Gregory constituait une étape nécessaire du processus. Deuxièmement, la demande de l’AIPRP était au mieux ambiguë quant au nom et malheureusement, erronée en ce qui a trait à l’adresse de la personne visée par la demande de renseignements. Troisièmement, on ne saurait ignorer que le père de M. Gregory a le droit à la protection de ses renseignements personnels, à savoir le droit que son identité et ses déclarations ne soient pas communiquées sans la prise de mesures appropriées. À mon avis, il aurait été inapproprié pour la Sous-direction de l’AIPRP de la GRC de confirmer ou de nier l’existence d’un témoin nommé Donald Gregory sans suivre les procédures pertinentes. En dernier lieu, bien que je ne dispose d’aucune preuve quant à cette question, on ne saurait ignorer qu’il n’est pas rare, dans de nombreuses collectivités et cultures, que deux personnes portent le même prénom et le même nom. On ne devrait pas reprocher à la Sous‑direction de l’AIPRP de la GRC d’avoir fait preuve de diligence raisonnable dans sa réponse à la demande.

[8]  Je souligne également qu’il était évident, lors des trois audiences qui ont été tenues devant moi, que les parties coopéraient pleinement, avant, pendant et après chaque audience. À mon avis, le comportement de l’avocate du défendeur était digne de la crème de la crème des procureurs généraux, de par sa recherche de la vérité, son impartialité et les efforts qu’elle a déployés pour accommoder M. Gregory, qui agissait pour son propre compte.

IV.  CONCLUSION

[9]  Après avoir examiné les arguments des parties, le fait que les parties ont réglé l’affaire, le droit à la vie privée du père de M. Gregory, sous réserve du respect des exigences prévues par la Loi, le manque de précision dans l’identification de la personne visée dans la demande de l’AIPRP, la coopération dont a fait preuve l’avocate du défendeur, et, en étant conscient du fait que la Cour est investie d’un large pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les dépens, j’estime qu’il convient de rejeter la demande d’adjudication de dépens, mais d’accorder les débours à M. Gregory.

[10]  M. Gregory a soumis les montants suivants qui, selon lui, constituent des débours prouvables : a) les services de messagerie de février 2016 à novembre 2018, pour un total de 740 $; b) les photocopies de février 2016 à novembre 2018, pour un total de 180 $; c) une estimation du coût des appels à son père Donald Gregory, qui s’élève à 490 $, et d) une estimation des coûts des appels au greffe, qui s’élève à 60 $. Certes, ces débours n’ont pas été rigoureusement prouvés par M. Gregory, mais le défendeur ne les conteste pas. De plus, compte tenu de l’absence d’opposition de la part du défendeur, je suis disposé à accepter en tant que preuve les affirmations que M. Gregory m’a directement faites quant au montant demandé. Cela dit, je ne suis pas disposé à ordonner le plein montant demandé en ce qui concerne les appels téléphoniques entre M. Gregory et son père. J’estime qu’il est raisonnable de conclure que 50 p. 100 des conversations de M. Gregory avec son père se rapportaient à la présente demande. Il est aussi raisonnable de conclure que 50 p. 100 de ces conversations se rapportaient à des questions d’intérêt personnel entre père et fils concernant, par exemple, la vie du père à l’extérieur de la prison, la vie de M. Gregory en prison, les développements dans la vie d’autres membres de la famille et d’amis, et les salutations d’occasions spéciales, comme les anniversaires, les vacances ou toute autre occasion de cette nature. Compte tenu de l’absence de preuve des pourcentages exacts, il est raisonnable et approprié de réduire cette partie des débours demandés de moitié. J’évalue donc les débours de M. Gregory à 740 $ (services de messagerie) + 180 $ (photocopies) + 245 $ (appels téléphoniques à son père) + 60 $ (appels téléphoniques au greffe), pour un montant total de 1 225 $.

[11]  Le montant de 1 225 $ sera accordé au demandeur à titre de débours.  


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que le défendeur paie le montant de 1 225 $ au demandeur à titre de débours. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« B. Richard Bell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de janvier 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T -508-17

 

INTITULÉ :

JAMIE J. GREGORY c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 OCTOBRE 2018

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 DÉCEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Jamie J. Gregory

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Simone Truong

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jamie J. Gregory

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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