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Date : 20181219


Dossier : IMM‑2301‑18

Référence : 2018 CF 1289

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

OLAOTI OLUWABUNMI REIS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  La nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, à l’égard d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté, le 6 avril 2018, la demande d’asile de la demanderesse [la décision]. 

II.  Les faits

[2]  La demanderesse est une citoyenne du Nigéria. Elle a déclaré que son statut de fille de politicien assassiné faisait d’elle une cible et qu’elle craignait d’être victime de persécution fondée sur le sexe au Nigéria. Le décès de son père serait attribuable à son affiliation politique au parti social­démocrate [SDP]. En conséquence, elle et sa mère ont continué de se déplacer d’un endroit à l’autre au Nigéria, et la demanderesse aurait été enlevée une fois à l’école, enlèvement qui serait lié au décès de son père.

[3]  La demanderesse a déclaré qu’un parent de sexe masculin l’avait agressée sexuellement à de nombreuses reprises et que ces agressions avaient débuté alors qu’elle avait 12 ans. Il a menacé de la tuer si elle en parlait à quelqu’un. La demanderesse est entrée au Canada avec un permis d’études en 2010. Elle a déclaré : [traduction] « À l’époque, j’avais l’intention de terminer mes études au Canada, de demander un permis de travail, de trouver un emploi dans mon domaine et, ultérieurement, de demander la résidence permanente au Canada en m’appuyant sur mes études et mon emploi. De cette façon, j’espérais ne jamais devoir retourner au Nigéria. » La demanderesse a déclaré qu’elle avait commencé à se sentir plus en sécurité pendant son séjour au Canada et qu’elle avait trouvé le courage de parler à sa mère des agressions que lui avait fait subir son parent de sexe masculin. La demanderesse a déclaré que sa mère lui avait dit avoir confronté le parent de sexe masculin en question; ce dernier a alors menacé de tuer la demanderesse à son retour, pour ensuite s’en prendre physiquement à sa mère et à sa sœur, qui ont alors fui les lieux.

[4]  La demanderesse a déclaré qu’un autre parent de sexe masculin l’aidait à payer ses frais de scolarité, mais qu’il avait cessé d’envoyer des fonds au cours de sa deuxième année. La mère de la demanderesse a révélé que ce parent continuerait de payer que si la demanderesse épousait un homme âgé de son choix et que cet homme âgé exigerait que la demanderesse subisse une mutilation génitale féminine. Cet autre parent de sexe masculin a également menacé la demanderesse de la tuer à son retour au Nigéria si elle ne faisait pas ces choses‑là.

[5]  La demanderesse a affirmé qu’elle avait finalement dû quitter l’école en novembre 2011 en raison du manque de ressources financières pour payer ses frais de scolarité et qu’elle était ensuite déménagé dans un refuge de Toronto. N’ayant aucun moyen de subvenir à ses besoins et craignant de retourner au Nigéria et sachant qu’elle ne pourrait plus demander la résidence permanente sans avoir terminé ses études, elle a présenté une demande d’asile en 2012.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[6]  La SPR a entendu la demande d’asile de la demanderesse et a prononcé de vive voix une décision défavorable ainsi que ses motifs le 6 avril 2018. La SPR a rendu l’avis de décision le 2 mai 2018. L’analyse des facteurs pertinents, accompagnée d’extraits de la décision, suit.

IV.  Les questions en litige

[7]  La demanderesse soutient que :

V.  Norme de contrôle

[8]  Aux paragraphes 57 et 62 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a décidé qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Il est bien établi que la norme de contrôle de la décision raisonnable est une norme déférente, de sorte qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard de la SPR : Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 828, par le juge Boswell, au paragraphe 9 et Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1273, par le juge LeBlanc, aux paragraphes 13, 21 et 22, pour ne citer que ces deux exemples récents. 

[9]  Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a expliqué ce que doit faire une cour de révision lorsqu’elle examine une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[47]  […] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[10]  La Cour suprême du Canada prescrit également que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit juger si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 201 CSC 62 [Newfoundland Nurses].

VI.  Analyse

A.  La première question en litige – Évaluation déraisonnable de la crédibilité

[11]  Comme il a été mentionné précédemment, la demanderesse soutient que les conclusions défavorables de la SPR concernant sa crédibilité sont déraisonnables. Dans le cadre de cette analyse, lorsqu’un demandeur d’asile jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, sauf s’il existe des raisons d’en douter : Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF), par le juge Heald [Maldonado] au paragraphe 5. Les cours de justice ont conclu que la SPR peut tirer des inférences défavorables fondées sur l’invraisemblance de la version des faits relatée par le demandeur d’asile, dans la mesure où ces inférences sont raisonnables : Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, par le juge Muldoon, au paragraphe 7. Comme il est bien connu, la demanderesse a la charge d’établir le bien‑fondé de sa demande d’asile.

[12]  En l’espèce, le tribunal a rejeté la demande d’asile en se fondant sur des conclusions défavorables quant à la crédibilité. La demanderesse aborde six des préoccupations en matière de crédibilité soulevées dans la décision. Je vais donc me pencher sur chacune d’entre elles.

[13]  Premièrement, la SPR était préoccupée par la connaissance qu’avait la demanderesse du parti politique de son père :  

[...] lorsqu’il a été noté que le père de la demandeure d’asile était membre d’un parti politique qui n’existe plus, la demandeure d’asile a déclaré que les noms des partis politiques changent et qu’ils restent affiliés aux nouveaux partis, mais elle n’a présenté aucun élément de preuve d’une telle affiliation [...]

[14]  La demanderesse soutient qu’elle voulait dire que, même si le SDP n’existe plus en tant qu’entité, ses membres et ses idéologies ont vraisemblablement migré vers d’autres groupes qui demeurent actifs. À mon avis, la SPR, en critiquant sa connaissance de la vie politique de son père, s’attendait à trop de la demanderesse, car elle n’avait que cinq ans au moment de sa mort. Il est déraisonnable de s’attendre à ce qu’une adulte se souvienne de tels détails survenus alors qu’elle était âgée de 5 ans. Tout ce qu’elle aurait pu dire à ce sujet serait nécessairement provenu de ce que des personnes lui ont relaté ou de ce qu’elle a lu dans les livres d’histoire. En outre, il convient d’ajouter que la demanderesse était étrangère aux événements qui auraient entouré la vie politique de son père et à l’assassinat politique de celui‑ci.

[15]  Deuxièmement, la SPR était préoccupée par la situation de sa mère :

[…] la demandeure d’asile était constamment vague au sujet de la façon dont elle communiquait avec sa mère, de l’endroit où sa mère habitait et de la façon dont elle subvenait à ses besoins, malgré le fait qu’elle a présenté plusieurs documents qui auraient censément été fournis par sa mère. Selon la preuve, la mère de la demandeure d’asile a habité au Royaume‑Uni et y a étudié en informatique avant la naissance de la demandeure d’asile. La demandeure d’asile a elle aussi étudié à l’université, et pourtant elle n’a pas été en mesure de fournir des renseignements de base au sujet de la situation actuelle de sa mère. Il est raisonnable de s’attendre à ce que ces deux femmes fassent preuve d’une meilleure expérience du monde, compte tenu de leurs études et de leur connaissance des pays industrialisés.

[16]  En l’espèce, la SPR évalue une question accessoire, ce qu’elle a le droit de faire lorsqu’elle apprécie la crédibilité. Je ne peux donc pas reprocher à la SPR de l’avoir fait. Toutefois, le caractère raisonnable de cette critique à l’endroit de la demanderesse est affaibli par le fait que cette dernière attendait au Canada depuis 6 ans au moment où son audience a eu lieu. En outre, la demanderesse a déclaré que ses communications avec sa mère au fil des ans avaient été [traduction] « intermittentes ».

[17]  Troisièmement, la SPR était préoccupée par l’enlèvement allégué de la demanderesse :

La demandeure d’asile a décrit une situation où elle aurait été enlevée par des étrangers alors qu’elle était à l’école au Nigéria. Dans son Formulaire de renseignements personnels, il est écrit qu’elle avait huit ans au moment de l’enlèvement [renvoi omis]. Dans son témoignage oral, elle a déclaré qu’elle avait alors onze ans. De plus, elle a déclaré avoir été enlevée par trois hommes, mais dans son Formulaire de renseignements personnels, il est écrit qu’un seul homme l’a enlevée [renvoi omis]. Lorsque ces incohérences de la preuve ont été portées à son attention, la demandeure d’asile n’a pas été en mesure de les expliquer de façon raisonnable.

[18]  À mon humble avis, cette critique à l’endroit de la demanderesse est déraisonnable. En toute déférence, la SPR ne semble pas avoir tenu compte de son jeune âge au moment de l’enlèvement, ce qui aurait probablement eu une incidence sur son témoignage. Encore une fois, la SPR s’attendait à trop de la demanderesse étant donné son jeune âge. Elle n’avait que huit ou onze ans au moment de cet incident. En outre, de nombreuses années se sont écoulées entre le dépôt de la demande d’asile et la date de l’audience, ce qui a ajouté plus de cinq ans au temps écoulé depuis l’enlèvement.

[19]  Quatrièmement, la SPR était préoccupée par la preuve concernant le fait que la demanderesse avait changé d’école : 

Dans le Formulaire de renseignements personnels, la demandeure d’asile a écrit que, peu après le décès de son père, elle a fréquenté de nombreuses écoles différentes parce que sa mère, sa fratrie et elle étaient recherchées par les personnes mêmes qui ont tué son père [renvoi omis]. Lorsqu’il lui a été fait remarquer que la preuve documentaire montrait qu’elle avait passé quatre ans dans la même école immédiatement après la mort de son père, elle a alors déclaré qu’elle avait fréquenté l’école [traduction] « par intermittence », ce qui contredit directement ce qui est écrit dans son Formulaire de renseignements personnels et dans la lettre de l’école [renvoi omis]. Le tribunal estime que l’élément de preuve de la demandeure d’asile selon lequel elle a été forcée de fréquenter diverses écoles en raison d’un risque de préjudice n’est pas crédible.

[20]  La demanderesse, à juste titre, soutient encore une fois que la SPR a déraisonnablement fait fi de son jeune âge, car elle était alors âgée de cinq ans. La demanderesse ne faisait que transmettre les renseignements qui lui avaient été fournis par sa mère. Là encore, la SPR s’attendait à trop de la demanderesse. Il est déraisonnable de s’attendre à ce qu’une adulte se souvienne de tels détails avec quelque degré de précision. Le dossier démontre que la demanderesse a changé d’école et qu’il y a eu une période après le décès de son père, de septembre 1995 à juillet 1999, au cours de laquelle elle a été inscrite à diverses écoles. De plus, il n’existe aucun dossier scolaire pour la période scolaire au cours de laquelle le père de la demanderesse aurait été assassiné.

[21]  Cinquièmement, la SPR était préoccupée par le présumé mariage forcé :

Selon la demandeure d’asile, son [autre parent de sexe masculin] la forcera à marier un homme plus âgé si elle retournait au Nigéria. La preuve relative à cette question était vague ou inexistante. La mère de la demandeure d’asile a abordé la question dans son affidavit, mais elle n’a pas précisé qui la demandeure d’asile devrait marier. En outre, aucun élément de preuve à jour ne montre que son [autre parent de sexe masculin], si la question est crédible, continue de vouloir qu’elle soit mariée à un homme qu’il aura choisi, compte tenu de l’âge et de la situation actuelle de la demandeure d’asile. De plus, le tribunal note que la demandeure d’asile n’est pas dans une situation semblable à celle de membres de sa famille immédiate, puisque aucune de ses sœurs n’a subi de mariage forcé. La demandeure d’asile n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve fiables pour appuyer son allégation selon laquelle elle sera forcée de se marier si elle retournait au Nigéria.

[22]  Il me semble déraisonnable que la demanderesse soit critiquée parce que l’affidavit de sa mère ne fait pas mention du nom de l’époux choisi, de sorte que l’affidavit a été écarté parce qu’il ne contenait pas suffisamment d’éléments de preuve dignes de foi pour appuyer l’allégation. Étant donné le temps écoulé depuis le dépôt de la demande d’asile de la demanderesse en 2012, il est également déraisonnable de la part de la SPR de s’attendre à ce que la demanderesse dispose d’une preuve à jour au sujet du risque posé par l’autre parent de sexe masculin; elle n’était pas retournée au Nigéria depuis plus de cinq ans et elle n’avait aucun contact avec lui.

[23]  Sixièmement, la SPR a jugé que l’allégation d’agression sexuelle était crédible, mais que le caractère continu de la menace ne l’était pas :

Le tribunal estime que l’allégation selon laquelle [parent de sexe masculin] continue d’être une menace n’est pas crédible. Le rapport de police et le rapport des médecins, comme il a été susmentionné, visant à appuyer l’agression que la mère aurait subie étaient vagues et n’étaient pas dignes de foi [renvoi omis]. Par ailleurs, la demandeure d’asile a omis de déclarer que sa sœur avait aussi été menacée d’être agressée par l’[parent de sexe masculin], jusqu’à ce que le tribunal mentionne que cela faisait partie de la preuve écrite. Le tribunal n’est pas convaincu que l’[parent de sexe masculin] continue de cibler la demandeure d’asile ou qu’elle serait exposée à un risque de préjudice de la part de cet individu si elle retournait au Nigéria.

[24]  J’ai aussi des réserves relativement à cette appréciation, parce que la demanderesse n’était pas présente au moment des agressions commises contre sa sœur. Par conséquent, il s’agissait d’une preuve par ouï‑dire; il est évident qu’elle a entendu parler des agressions après qu’elles aient eu lieu. Les événements ont été mentionnés dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP), puisque la demanderesse en a été informée peu après avoir présenté sa demande.

B.  La deuxième question en litige – Conclusions déraisonnables concernant la fiabilité des éléments de preuve  

[25]  La demanderesse soutient que la SPR a tiré des conclusions déraisonnables quant à la fiabilité de sa preuve documentaire. Les documents étrangers présentés comme étant délivrés par un gouvernement étranger devraient être acceptés comme étant authentiques, à moins que la SPR n’ait de bonnes raisons de douter de leur authenticité. Dans la décision Rasheed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587, le juge Martineau a soutenu ce qui suit aux paragraphes 19 et 20 :

[19]  Même si le demandeur a menti en omettant d’indiquer son véritable nom aux autorités canadiennes au point d’entrée, il n’en demeure pas moins qu’il a subséquemment fourni de nombreux documents pour établir son identité. À cet égard, je suis disposé à accepter le principe fondamental des règles de droit canadiennes selon lequel les documents étrangers (qu’ils établissent ou non l’identité d’un demandeur d’asile) apparemment délivrés par un fonctionnaire étranger compétent devraient être acceptés comme preuve de leur contenu, à moins que la Commission n’ait une bonne raison de douter de leur authenticité.

[20]  Dans Ramalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 10 (C.F. 1re inst.) (QL), le juge Dubé fait remarquer ce qui suit aux paragraphes 5 et 6 :

(...) De plus, les pièces d’identité délivrées par un gouvernement étranger sont présumées valides à moins d’une preuve contraire : voir Gur, Jorge P. (1971), 1 I.A.C. 384 (C.A.I.). Dans cette décision de la Commission d’appel de l’immigration, le président a posé la question suivante, à la page 391 :

[traduction] « La question en l’espèce est la suivante : qui peut contester la validité d’un document émanant d’un État, à qui alors incombe la preuve de sa validité et quelle preuve est requise? »

Il y a répondu correctement à la page 392 :

[traduction] « Bien qu’il n’existe presque pas de jurisprudence qui porte directement sur ce point, il faut considérer qu’un document émanant d’un État – un passeport ou un certificat d’identité – est présumé valide. La reconnaissance de la souveraineté d’un État étranger sur ses citoyens ou ses ressortissants et la courtoisie internationale rendent toute autre conclusion insoutenable. La maxime “omnia praesumuntur rite et solemniter esse acta” (toute chose est présumée être faite conformément à la règle) s’applique tout particulièrement en l’espèce en établissant une présomption réfutable de validité. »

[6]  En l’espèce, la Commission a contesté la validité du certificat de naissance sans produire d’autre élément de preuve à l’appui de sa prétention et, manifestement, la question des documents étrangers n’est pas un domaine que la Commission peut prétendre connaître tout particulièrement. À mon avis, cela constitue une erreur susceptible de révision de la part de la Commission.

[26]  La demanderesse soutient, et je partage son opinion dans l’ensemble, que le simple fait qu’il soit facile de se procurer des documents frauduleux dans un pays (comme l’indique le cartable national de documentation) ne suffit pas pour réfuter la présomption de validité rattachée aux documents délivrés par des autorités étrangères. Le décideur doit fournir des motifs pour réfuter la présomption : Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1133, juge Zinn, aux paragraphes 10 à 13; Kebedom c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 781, juge Heneghan, au paragraphe 26; Adesida c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 256, juge Strickland, aux paragraphes 20 à 22.

[27]  Un certain nombre de documents étaient en cause. Je vais en examiner certains; il n’est pas nécessaire que je les examine tous.  

[28]  La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni de documents dignes de foi pour établir le décès de son père, parce que le mot « village » était mal orthographié sur son certificat de décès et que la messe de requiem indiquait que l’âge du décès était « 40 ans » au lieu de « 39 ans ». L’anglais est une langue officielle au Nigéria. Je conviens donc que la faute d’orthographe est problématique et qu’elle peut réfuter la présomption d’authenticité du document. Cependant, il n’est pas clair s’il s’agit d’une faute d’orthographe ou d’une conséquence de l’impression du formulaire par la Commission nationale de la population (National Population Commission ou NPC), le mot préimprimé pouvant être lu comme « Village » ou « Vlllage ».

[29]  Ensuite, dans le document de la messe de requiem tenue pour les funérailles de son père, il est indiqué qu’il avait 40 ans alors qu’en fait, il était à deux mois de son quarantième anniversaire quand il est décédé. Bien qu’il s’agisse d’une hypothèse, il est certain qu’on aurait pu dire que son père avait 40 ans, parce qu’il se rapprochait davantage de son 40e anniversaire. Je m’en remets à la SPR à cet égard.

[30]  La demanderesse soutient en outre que la SPR a omis de mentionner l’article et la lettre du journal Vanguard qui comprenaient un article soulignant le premier anniversaire du décès de son père et son enterrement, et que la date de cet article concordait avec les dates indiquées sur les autres documents, avec le témoignage de la demanderesse et avec son FRP. À mon humble avis, ces documents sont favorables à la demanderesse, même s’il est bien établi que la SPR n’est pas tenue d’examiner tous les éléments de preuve dont elle dispose.

[31]  La demanderesse a déposé une lettre du parti politique de son père datée de 1992, qui contenait des fautes de grammaire et d’orthographe. Je m’en remets aux critiques de la SPR à l’égard de cette lettre.

[32]  Cependant, je trouve déraisonnable que la SPR n’ait pas tenu compte de la carte de membre du père. Cette dernière confirmait l’affiliation du père au SDP. La délivrance d’une carte de membre authentique et la possession d’une telle carte me semblent être une excellente preuve d’appartenance à un parti politique. Une telle carte, portant le nom du père de la demanderesse ainsi qu’une photo de celui‑ci, a été produite en preuve : elle faisait état, au verso, des nombreux paiements qu’il avait effectués pour maintenir son adhésion de janvier 1992 à avril 1993. Le défendeur a mis en doute cette carte, parce qu’elle n’indiquait pas les paiements, c.‑à‑d. qu’elle ne prouvait pas l’affiliation, lors du mois où le père de la demanderesse est décédé, ce qui est le cas. Toutefois, cet argument présuppose que la carte est authentique. Je constate qu’à l’audience, la SPR a demandé à la demanderesse comment sa mère avait obtenu la carte et pourquoi son père avait cessé les paiements. Je ne suis pas convaincu que les réponses à l’une ou l’autre question permettraient à la SPR de rejeter entièrement la carte comme elle semble l’avoir fait, ni que son incapacité à répondre puisse avoir ce résultat. À mon avis, il n’était pas raisonnable de ne pas apprécier cet élément de preuve documentaire potentiellement crucial à l’appui de la demande d’asile de la demanderesse. Même si la SPR n’est pas tenue de mentionner tous les documents, elle aurait dû y porter une attention particulière.

[33]  La SPR a rejeté d’autres documents, notamment un rapport de police, un rapport médical, un affidavit et des photographies déposés pour établir les agressions contre la mère et la sœur de la demanderesse par des parents de sexe masculin. Je n’ai pas besoin d’en tenir compte, parce que, compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’appréciation de la crédibilité de la demanderesse et de la preuve documentaire n’est pas justifiable compte tenu des faits de la présente affaire. Il y aura une nouvelle audience pour cette demande d’asile.

VII.  Conclusion

[34]  Compte tenu de ce qui précède, et sans avoir, à mon humble avis, procédé à une chasse au trésor à la recherche d’erreurs, j’ai conclu que la décision de la SPR n’est pas justifiable compte tenu des faits, et qu’elle est donc déraisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie et la décision annulée.

VIII.  Question certifiée

[35]  Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2301‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision est annulée, que l’affaire est renvoyée pour qu’elle soit réexaminée par un autre décideur, qu’aucune question n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.  

« Henry S. Brown »

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de février 2019

Maxime Deslippes



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