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Date : 20181207


Dossiers : IMM‑5601‑17

IMM‑5602‑17

Référence : 2018 CF 1229

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Norris

Dossier : IMM‑5601‑17

ENTRE :

DARSHITH SMIT JANI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM‑5602‑17

ET ENTRE :

KSHITIJ SMIT JANI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  Les demandeurs sont des frères. Kshitij est né à Hyderabad, en Inde, en septembre 2008. Darshith y est né en décembre 2009. Leur mère s’appelle Ujwala Reddy Pasla. Leur père est Smit Ramesh Jani. M. Jani est marié à Mitali Smit Jani. Ils ont une fille, Keya.

[2]  M. Jani est devenu un résident permanent du Canada le 27 mars 2010. Lorsqu’il a demandé la résidence permanente en qualité de travailleur qualifié, il a inclus sa femme et sa fille à titre de personnes à charge. Il n’a pas inclus Kshitij, ni Darshith.

[3]  En avril 2012, M. Jani a présenté une demande de parrainage pour ses fils en vue d’obtenir des visas de résident permanent. Il a essayé d’expliquer au départ pourquoi il ne les avait pas mentionnés dans sa demande initiale, à savoir qu’il ne savait pas à l’époque qu’ils étaient ses fils. Il ne l’a appris qu’un an après avoir déménagé au Canada. Il a, par la suite, admis que cela n’était pas vrai; il a toujours su que Kshitij et Darshith étaient ses fils.

[4]  La demande de parrainage a déjà été refusée en juin 2015 par un agent d’immigration du haut-commissariat du Canada en Inde. Étant donné qu’ils n’avaient pas été déclarés à titre de personnes à charge dans la demande initiale de résidence permanente présentée par M. Jani, en vertu de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement], Kshitij et Darshith étaient exclus de la catégorie du regroupement familial dont les membres peuvent être parrainés. (Les dispositions législatives et réglementaires pertinentes sont reproduites à l’annexe I des présents motifs.)

[5]  Kshitij et Darshith ont interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel de l’immigration. Leurs appels ont été rejetés en octobre 2015. Ils ont ensuite déposé des demandes distinctes d’autorisation et de contrôle judiciaire. Différents membres de la Cour ont examiné ces demandes à l’étape de l’autorisation. L’autorisation a été accordée à Kshitij, mais refusée à Darshith. À la suite de la présentation d’une demande de nouvel examen, l’autorisation a également été accordée à Darshith et les deux demandes ont été réunies. Cependant, en février 2016, juste avant l’audience, les parties se sont désistées des demandes, parce qu’elles avaient convenu que le dossier soit examiné à nouveau par un autre agent d’immigration.

[6]  En juillet 2016, Kshitij et Darshith ont présenté de nouvelles demandes de résidence permanente au Haut Commissariat du Canada en Inde. (Inutile de dire que, compte tenu de leurs âges, ils n’ont pas présenté eux-mêmes ces demandes. Leur père les a présentées pour leur compte.) Ils ont demandé que leur interdiction de territoire soit levée en raison de l’existence de considérations d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Leurs demandes ont été refusées par un agent d’immigration le 6 décembre 2017.

[7]  Ils demandent aujourd’hui le contrôle judiciaire de cette décision aux termes du paragraphe 72(1) de la LIPR. Ils affirment que la décision est viciée par une crainte raisonnable de partialité, qu’elle viole le droit de décision parentale de leurs parents protégé par la Charte et que l’appréciation qu’a faite l’agent d’immigration de leurs intérêts supérieurs est déraisonnable.

[8]  Pour les motifs qui suivent, je rejette ces demandes.

II.  CONTEXTE

[9]  L’historique familial concernant ce dossier n’est pas simple.

[10]  M. Jani et Mme Jani se sont épousés en Inde en 2001. M. Jani avait 21 ans à l’époque; Mme Jani en avait 25. Leur fille Keya est née en Inde en mars 2003.

[11]  Pendant son mariage avec Mme Jani, M. Jani a eu une relation sentimentale avec Mme Pasla qui a duré depuis plusieurs années. Ces deux personnes se sont rencontrées en ligne entre 2003 et 2006 (aucune d’entre elles ne se souvenait de la date exacte et la façon dont elles s’étaient rencontrées). Mme Pasla vivait à Hyderabad et M. Jani travaillait dans cette ville. En fait, ils travaillaient dans des édifices adjacents. Pendant ce temps, Mme Jani et Keya demeuraient dans le Gujerat, et Mme Jani s’occupait de ses parents ainsi que de ceux de M. Jani.

[12]  M. Jani et Mme Pasla nient avoir jamais été légalement mariés, mais ils admettent qu’ils ont amené certaines personnes à penser qu’ils l’étaient. En avril 2008, ils ont eu une forme de cérémonie de mariage dans un temple. Les parents de Mme Pasla y ont assisté. Après la cérémonie, ils sont allés vivre ensemble dans la même maison. Cet arrangement s’est poursuivi pendant environ deux ans, et c’est à cette époque que Kshitij et ensuite Darshith sont nés.

[13]  D’après un affidavit déposé par Mme Pasla à l’appui des demandes de 2016, ses parents ne savent toujours pas qu’elle et M. Jani ne sont pas en fait mariés.

[14]  M. Jani, Mme Jani et Keya ont déménagé au Canada à titre de résidents permanents en mars 2010. Kshitij et Darshith sont demeurés en Inde avec leur mère.

[15]  Depuis qu’il vit au Canada, M. Jani retourne régulièrement en Inde voir Kshitij et Darshith. Il leur assure également un soutien financier régulier. Mme Pasla, Kshitij et Darshith vivent encore avec ses parents à elle. M. Jani demeure avec eux lorsqu’il va les voir. Lui et Mme Pasla se présentent toujours comme mari et femme, même s’ils affirment tous les deux que leurs relations intimes ont cessé lorsque M. Jani a déménagé au Canada. Dans les yeux de toutes les personnes qui les connaissent là‑bas, c’est un couple marié. Kshitij et Darshith croient que leurs parents sont mariés l’un à l’autre.

[16]  En avril 2012, M. Jani a déposé une déclaration solennelle à l’appui de sa demande de parrainage de Kshitij et Darshith. Dans cette déclaration, il affirmait que ce n’est qu’en mars 2011 qu’il avait appris qu’ils étaient ses fils. Jusque‑là, Mme Pasla lui avait caché le fait qu’il était le père des deux enfants qu’elle avait eus avec lui. Lorsqu’il a appris cette nouvelle, sa famille et lui ont été [traduction] « en état de choc et catastrophés ». Il a déclaré qu’il n’avait [traduction] « jamais fait de fausse déclaration » à Citoyenneté et Immigration Canada au sujet des membres de sa famille [traduction] « parce qu’il ne connaissait même pas » l’existence de ses fils. Mme Pasla a déposé en mars 2012 un affidavit au même effet, déclarant qu’elle n’avait révélé à M. Jani que Kshitij et Darshith étaient ses fils qu’après qu’il eut déménagé au Canada. Elle lui a appris cette nouvelle au cours d’une de ses visites en Inde.

[17]  La demande de parrainage de 2012 était également appuyée par un affidavit déposé conjointement par M. Jani et Mme Pasla en janvier 2012 dans lequel ils déclaraient qu’ils convenaient que M. Jani devrait avoir [traduction] « la garde exclusive » de Kshitij et Darshith et que Mme Pasla n’avait aucune objection à ce que ses fils déménagent au Canada pour vivre avec leur père. En outre, une ordonnance du Tribunal de la famille du district de Ranga Reddy de février 2012 accordait à M. Jani la garde de Kshitij et Darshith, avec le consentement des parties, ordonnance qui a été déposée en preuve.

[18]  La position de M. Jani sur la question de savoir à quel moment il avait appris que Kshitij et Darshith étaient ses fils a changé au cours d’une entrevue avec un agent d’immigration tenue à New Delhi en avril 2015. Alors qu’il avait maintenu au départ sa version des faits, M. Jani a fini par admettre, pendant l’interrogatoire de l’agent, qu’il avait toujours su que Kshitij et Darshith étaient ses fils. Mme Pasla a passé une entrevue cette même journée et après que M. Jani lui a dit qu’elle devrait dire la vérité, elle a confirmé cet état de fait. M. Jani a expliqué qu’il n’avait pas mentionné Kshitij et Darshith dans sa demande initiale à cause des mauvais conseils qu’il avait reçus à l’époque. Il n’a pas offert d’explication au sujet de la question de savoir pourquoi il avait sciemment fait de fausses déclarations (y compris de fausses déclarations faites sous serment) dans la demande de parrainage de 2012.

[19]  M. Jani maintient que Mme Jani ne connaissait pas sa relation avec Mme Pasla ou qu’elle n’a appris l’existence de Kshitij et Darshith que quelque temps après la naissance de Darshith, lorsqu’elle a vu par hasard des messages électroniques que M. Jani avait échangés avec Mme Pasla. Elle souhaite toujours poursuivre leur mariage et elle est favorable à ce que Kshitij et Darshith viennent vivre avec eux au Canada.

[20]  Kshitij et Darshith communiquent régulièrement avec Keya et Mme Jani (qu’ils appellent Mitali) par internet ou par téléphone. Ils ne savent pas que Keya est leur demi-sœur ou que leur père et Mitali sont mariés.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[21]  Les demandeurs demandent que l’alinéa 117(9)d) du Règlement leur soit déclaré inapplicable pour des motifs d’ordre humanitaire, de façon à permettre à leur père de les parrainer en vue de leur faire obtenir la résidence permanente au Canada. Leurs demandes sont presque exclusivement fondées sur ce qui a été déclaré être leurs intérêts supérieurs. Cinq principales considérations ont été avancées. Premièrement, ils souffrent du stigmate que constitue le fait d’être les enfants d’une mère célibataire. Deuxièmement, les possibilités d’étude qui s’offrent à eux en Inde sont limitées par rapport à ce que leur père pourrait leur offrir au Canada. Troisièmement, en Inde, les soins de santé sont de qualité moindre que ceux qui sont offerts au Canada. Quatrièmement, Kshitij a été examiné par un psychologue qui a constaté qu’il montrait des signes d’insécurité en raison de l’absence d’une figure d’autorité capable de lui fournir un soutien dans la vie et semblait souffrir d’angoisse due à la séparation, d’éléments dépressifs et de trouble oppositionnel avec provocation. Cinquièmement, Darshith a également été examiné par un psychologue et il semblait montrer des signes de trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité.

[22]  L’agent n’était pas convaincu que la prise de mesures spéciales d’ordre humanitaire était dans l’intérêt supérieur de Kshitij ou Darshith. Au contraire, l’agent a conclu qu’il serait dans leur intérêt de demeurer avec leur mère en Inde. L’agent a conclu qu’ils ne souffraient pas du stigmate découlant du fait qu’ils étaient les enfants d’une mère célibataire, parce que leurs parents étaient, en réalité, mariés. L’agent était particulièrement préoccupé par l’effet qu’aurait sur Kshitij et Darshith la séparation d’avec leur mère et de la seule famille qu’ils ont connue, et leur placement dans un environnement complètement nouveau. L’agent a constaté qu’il ressortait de l’examen psychologique de Kshitij que [traduction] « le fait de demeurer en Inde, avec sa mère et le réseau d’appui auquel il est habitué, était en fait dans l’intérêt de l’enfant ». De la même façon, l’examen psychologique de Darshith [traduction] « montre que l’enfant se trouve bien en Inde et qu’il ne souffre actuellement d’aucune difficulté que son déménagement au Canada ferait disparaître ». L’agent n’a pas été convaincu qu’en raison des conditions en Inde, Kshitij ou Darshith souffraient de la situation, sur le plan de l’éducation ou de la santé.

[23]  L’agent a conclu de la façon suivante :

[traduction]

Je suis réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants touchés par cette décision. Dans l’ensemble, si je me fonde sur tous les renseignements présentés, je ne suis pas convaincue que le déménagement des enfants au Canada pour retrouver leur père soit dans leur intérêt. Tout m’indique que les demandeurs sont des enfants intelligents, en bonne santé et qui bénéficient de soins et d’un soutien familial et communautaire solide ici en Inde. Ils ont eu certains échanges avec leur père (le répondant), au cours de ses visites et des périodes qu’il a passées chez eux quand ils étaient de jeunes enfants, mais leur fournisseuse de soins principale a toujours été leur mère. Je ne suis pas convaincue, en me fondant sur les renseignements présentés, qu’ils connaissent des difficultés sur le plan des études ou de la santé à cause de l’environnement qui est le leur en Inde. Compte tenu des versions contradictoires et des arguments incompatibles, je ne suis pas convaincu que les enfants soient stigmatisés en raison du fait que leur mère n’est pas mariée ou qu’ils soient harcelés à l’école pour cette raison. L’ensemble des faits milite en faveur de faire vivre ses enfants dans une collectivité qui reconnaît qu’ils sont nés hors mariage entre leurs parents [sic?].

Étant donné que Kshitij montre des signes d’angoisse due à la séparation d’avec son père biologique, je ne suis pas convaincue que le fait de l’éloigner de sa maison, de sa collectivité, de sa culture, de sa mère, de ses grands-parents et d’une façon générale, de l’environnement auquel il est habitué aurait un effet positif et non négatif sur son état émotif. Étant donné que les enfants ne savent pas à l’heure actuelle que leur père a épousé une autre femme, ou qu’ils ont une demi-sœur, je ne pense pas qu’il serait dans leur intérêt qu’ils deviennent conscients de cette situation, en plus de se retrouver dans un environnement complètement nouveau et loin de leur système de soutien.

En outre, compte tenu des renseignements qui m’ont été communiqués, je ne suis pas convaincue qu’il existe un lien fraternel entre l’enfant du répondant au Canada et ces demandeurs ou que cette décision serait contraire à l’intérêt supérieur des enfants.

[24]  Les demandes visant à faire déclarer inapplicable l’alinéa 117(9)d) du Règlement pour des motifs d’ordre humanitaire sont donc refusées.

IV.  NORME DE CONTRÔLE

[25]  Il est bien établi que, d’une façon générale, le refus de prendre des mesures spéciales CH aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR s’apprécie selon la norme de la raisonnabilité (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au par. 44 [Kanthasamy]; Kisana c Canada (Ministre de Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au par. 18 [Kisana]; Taylor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 21, au par. 16). Cette norme de contrôle axée sur la retenue reflète le fait que cette disposition crée un mécanisme applicable dans des circonstances exceptionnelles et les décisions prises selon cette disposition sont extrêmement discrétionnaires (Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1303, au par. 4; Legault c Canada (Ministre de Citoyenneté et Immigration), 2002 CAF 125, au par. 15 [Legault]).

[26]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qu’il a produit » (Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc, 2016 CSC 38, au par. 18). Cet examen « accentue ainsi, en ce qui concerne les tribunaux administratifs, l’importance de motifs, qui constituent pour le décideur le principal moyen de rendre compte de sa décision devant le demandeur, le public et la cour de révision » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 63 [Khosa]). La cour de révision examine la décision par rapport « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et décide si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47). Les motifs répondent aux critères « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 16). La cour de révision ne doit intervenir que si ces critères ne sont pas respectés. Il n’appartient pas à la cour de révision d’apprécier à nouveau les preuves et elle ne peut substituer la solution qui serait à son avis préférable (Khosa, aux par. 59 et 61).

V.  QUESTIONS EN LITIGE

[27]  Les demandes soulèvent les questions suivantes :

  • a) La décision est-elle viciée par une crainte raisonnable de partialité?

  • b) La décision a‑t‑elle pour effet de porter atteinte au droit décisionnel parental protégé par la Charte que possèdent les parents des demandeurs?

  • c) La décision de l’agent d’immigration est-elle déraisonnable?

VI.  ANALYSE

a)  La décision est-elle viciée par une crainte raisonnable de partialité?

[28]  Les demandeurs se fondent sur le dossier de l’entrevue du 23 mars 2017 et sur l’affidavit de leur père pour étayer leur argument selon lequel le rejet des demandes CH est vicié par une crainte raisonnable de partialité. M. Jani affirme qu’au cours de l’entrevue, [traduction] « l’attitude de l’agent et le ton de ses questions posées étaient tout à fait hostiles, comme si elle ne comprenait pas du tout notre situation ». Il a pensé que l’agent lui reprochait de ne pas avoir parlé à Kshitij ou Darshith de la possibilité de déménager au Canada et de les séparer de leur mère. M. Jani était d’avis que l’agent était partial envers lui-même et Mme Pasla.

[29]  Il existe une réponse simple à cet argument des demandeurs. L’agent qui a conduit l’entrevue n’est pas celui qui a rendu la décision. Le dossier avait été réattribué entre-temps. L’agent qui a conduit l’entrevue a posé à M. Jani et à Mme Pasla un certain nombre de questions directes au sujet de leur relation et du parentage des enfants, par exemple. Compte tenu des circonstances inhabituelles de la présente affaire, il était tout à fait normal qu’elle fasse connaître à M. Jani et Mme Pasla les questions qu’elle se posait pour leur donner la possibilité d’y répondre avant qu’une décision soit prise. Mais, même s’il existait une crainte raisonnable permettant de conclure que l’agent qui a mené l’entrevue n’a pas abordé les demandeurs avec un esprit ouvert, un point sur lequel je ne me prononce pas, il n’y a aucun élément qui permette de conclure que l’agent qui a pris la décision a été influencé de façon inappropriée par l’avis de l’agent qui a mené l’entrevue.

b)  La décision a‑t‑elle pour effet de porter atteinte au droit décisionnel parental protégé par la Charte que possèdent les parents des demandeurs?

[30]  Les demandeurs soutiennent que l’agent [traduction] « s’est donné le droit » de passer outre aux choix objectivement raisonnables qu’ont faits les parents à leur sujet et elle a ainsi non seulement dépassé les limites de son pouvoir décisionnel, mais elle a également porté atteinte au droit parental décisionnel protégé par la Charte de leurs parents.

[31]  À mon avis, ce moyen est dépourvu de mérite. Je l’affirme pour plusieurs raisons.

[32]  Premièrement, la portée du droit décisionnel parental garanti par l’article 7 de la Charte est loin d’avoir été précisée par la jurisprudence. Les demandeurs invoquent l’observation du juge LaForest dans B(R) c Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 RCS 315 selon laquelle « le pouvoir décisionnel des parents doit être protégé par la Charte afin que l’intervention de l’État soit bien contrôlée par les tribunaux et permise uniquement lorsqu’elle est conforme aux valeurs qui sous-tendent la Charte » (à la p. 372). Néanmoins, comme le juge LaForest le fait lui-même remarquer dans une décision postérieure, la notion d’autonomie qu’il a exposée dans B(R) n’est pas « vaste au point d’englober toute décision qu’un individu peut prendre dans la conduite de ses affaires » (Godbout c Longueuil (Ville), [1997] 3 RCS 844, au par. 66). Les demandeurs n’ont invoqué aucune autorité permettant d’affirmer que les parents ont un droit illimité, garanti par la Charte pour ce qui est de décider où leurs enfants doivent vivre.

[33]  Deuxièmement, il est, d’après moi, loin d’être sûr que, compte tenu de son absence d’attache au Canada, Mme Pasla possède des droits parentaux susceptibles d’être garantis par la Charte. Cette question n’a toutefois pas été débattue devant moi de sorte que je ne ferai pas d’autres commentaires à ce sujet. De toute façon, M. Jani a de toute évidence un lien suffisant avec le Canada pour invoquer les protections qu’offre la Charte, si celle‑ci est applicable.

[34]  Troisièmement, dans la mesure où il y a un droit décisionnel parental fondé sur la liberté et la sécurité de la personne garanti par l’article 7 de la Charte, je ne suis pas convaincu que la Charte trouve application en l’espèce. L’État n’a pas empêché M. Jani ou Mme Pasla de faire un choix personnel fondamental au sujet de l’endroit où leurs fils vont vivre. En réalité, leur incapacité à effectuer ce choix aujourd’hui est le résultat direct du libre choix que M. Jani a lui-même fait de ne pas inclure ses fils dans sa demande initiale de résidence permanente. Cette conséquence découle des lois canadiennes en matière d’immigration, mais la condition antécédente à l’origine de l’impossibilité de parrainer les enfants est survenue de façon indépendante du droit canadien (Preclaro c Canada (Ministre de Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1063, aux par. 22 et 23).

[35]  Enfin, même si la Charte était applicable ici et que le droit parental de M. Jani ou de Mme Pasla avait été restreint de façon injustifiée, je ne suis pas convaincu que cela serait un motif qui me permettrait de modifier la décision de l’agent. Ni M. Jani, ni Mme Pasla n’est partie aux présentes demandes de contrôle judiciaire. Même si leurs droits garantis par la Charte avaient été restreints de façon injustifiée, ce que je n’accepte pas, cela ne pourrait pas constituer une base juridique permettant d’accorder la réparation personnelle que Kshitij et Darshith recherchent avec les présentes demandes. En d’autres termes, je ne suis pas convaincu que les demandeurs ont la qualité nécessaire pour invoquer une violation des droits des tiers garantis par la Charte alors qu’ils souhaitent obtenir une réparation pour eux-mêmes.

c)  La décision de l’agent d’immigration est-elle déraisonnable?

[36]  Le paragraphe 25(1) de la LIPR autorise le ministre à accorder une dispense à l’étranger qui sollicite le statut de résident permanent, si celui-ci est interdit de territoire ou ne se conforme pas autrement à la Loi. Le ministre peut octroyer à l’étranger le statut de résident permanent ou le dispenser des critères et obligations prévus par la Loi. Cette mesure ne peut être prise que si le ministre « estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient ». Ces considérations s’entendent notamment des droits des enfants, des besoins et des intérêts supérieurs des enfants, du maintien des liens entre les membres d’une famille et du fait d’éviter de renvoyer des gens à des endroits où ils n’ont plus d’attaches (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au par. 41 [Agraira]).

[37]  Dans Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a adopté, à l’égard du paragraphe 25(1), une approche fondée sur l’objectif consistant à « offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont de nouveau ‘de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne’ » (au par. 21, citant Chirwa c Canada (Ministre de Citoyenneté et Immigration), (1970), 4 A.I.A. 338). Ces malheurs doivent justifier l’octroi d’un « redressement spécial » écartant l’application habituelle de la législation en matière d’immigration (Kanthasamy, au par. 13). Cette disposition accorde aux décideurs un pouvoir discrétionnaire qui leur permet d’apporter une « exception souple et sensible à l’application habituelle de la Loi » de façon à mitiger la sévérité de la loi selon le cas (Kanthasamy, au par. 19).

[38]  Le paragraphe 25(1) exige expressément que le décideur tienne compte de l’intérêt supérieur des enfants directement touchés par la décision prise aux termes de cette disposition. Le principe de « l’intérêt supérieur dépend fortement du contexte » en raison de la « multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant » (Kanthasamy, au par. 35, citant Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, au par. 11 et Gordon c Goertz, [1996] 2 RCS 27, au par. 20). Il doit par conséquent être appliqué en tenant « compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité » (Kanthasamy, au par. 35). La protection des enfants par l’application de ce principe veut dire dès lors qu’il s’agit «  de décider ce qui […], dans les circonstances, paraît le plus propice à la création d’un climat qui permettra le plus possible à l’enfant d’obtenir les soins et l’attention dont il a besoin » (Kanthasamy, au par. 36, citant MacGyver c Richards (1995), 22 OR (3d) 481 (CA), à la p. 489).

[39]  Étant donné que Kshitij et Darshith sont les personnes qui ont demandé une dispense aux termes du paragraphe 25(1), leurs intérêts ne pourraient être touchés plus directement par cette décision (Kanthasamy, au par. 41).

[40]  Le paragraphe 25(1) est couramment invoqué pour éviter à quelqu’un d’avoir à quitter le Canada, que ce soit pour effectuer une démarche qui doit normalement se faire à l’extérieur du Canada ou parfois même indéfiniment parce que la personne est interdite de territoire. C’est ainsi que, dans Agraira, la Cour parle « d’éviter de renvoyer des gens à des endroits où ils n’ont plus d’attaches » (au par. 41). De la même façon, la juge Abella a fait remarquer dans Kanthasamy que « l’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés » (au par. 23). Dans de telles circonstances, l’intérêt supérieur de l’enfant est habituellement touché par la perspective d’être séparé d’un parent qui est obligé de quitter le Canada ou de devoir quitter le Canada avec le parent et vivre dans un pays étranger. C’est là, semble‑t‑il, le cas le plus courant, mais il est également possible d’invoquer le paragraphe 25(1) lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, l’objectif est de faire venir l’enfant au Canada (voir, par exemple, Kisana, qui concerne également des enfants qui n’avaient pas été inclus dans une demande de résidence permanente).

[41]  La présente affaire est également inhabituelle parce qu’elle ne porte pas sur le principe selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant est important, mais n’est pas une considération déterminante aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR (Legault, au par. 12; Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, au par. 28). L’agent n’a pas refusé les demandes parce que l’intérêt supérieur de Kshitij et Darshith devait céder à d’autres considérations pertinentes. En réalité, l’agent a refusé les demandes parce qu’elle a conclu que ce refus était dans leur intérêt.

[42]  Le défendeur admet que la conclusion de l’agent selon laquelle M. Jani et Mme Pasla étaient, en réalité, mariés est déraisonnable. Le défendeur soutient toutefois que cette conclusion erronée ne compromet pas le caractère raisonnable de la conclusion ou de l’analyse générale qu’a effectuée l’agent. J’accepte cet argument. Les preuves indiquaient de façon claire et cohérente que, même s’ils n’étaient pas mariés, M. Jani et Mme Pasla s’étaient présentés comme tels dans la collectivité de Mme Pasla en Inde. Il n’existe aucun élément indiquant que Kshitij et Darshith étaient perçus comme les enfants d’une mère célibataire. Par conséquent, rien ne permet de conclure qu’ils portaient un tel stigmate ou connaissaient des difficultés en raison de leur situation véritable.

[43]  Les demandeurs soutiennent que la décision de l’agent est déraisonnable parce que celui‑ci n’a pas tenu compte du fait que leur père avait obtenu la garde légale. Je ne peux retenir cet argument.

[44]  Il est vrai que, dans ses motifs, l’agent ne mentionne aucunement l’ordonnance du Tribunal de la famille du district Ranga Reddy de février 2012 qui accordait à M. Jani la garde de Kshitij et Darshith avec le consentement des parties. Le défendeur a mentionné que cela s’expliquait peut-être par l’existence de doutes au sujet de l’authenticité ou de la valeur probante du document qui avait été mentionné dans le dossier en décembre 2012 et en janvier 2013, en relation avec la demande de parrainage initiale. Nous ne savons pas si l’agent a partagé cette opinion. Même si elle l’a fait, cela n’a causé aucune injustice aux demandeurs dans les circonstances inhabituelles de la présente affaire. Ces notes ont été divulguées aux demandeurs dans le dossier certifié du tribunal fourni en relation avec leurs demandes de contrôle judiciaire précédentes (voir la page 14 de ce dossier). Leur avocat actuel, M. Levinson, les représentait dans ces demandes de contrôle judiciaire. Il a également préparé les demandes CH de 2016. Les demandeurs auraient pu tenter de répondre aux préoccupations soulevées par l’ordonnance du tribunal de la famille dans leurs demandes CH de 2016, mais ils ne l’ont pas fait. Quoi qu’il en soit, l’agent n’a pas mentionné que le droit indien constituait un obstacle pour le déménagement au Canada de Kshitij et Darshith. En outre, il aurait été tout à fait clair que M. Jani et Mme Pasla voulaient tous les deux que Kshitij et Darshith déménagent au Canada, parce qu’ils pensaient que ce serait dans leur intérêt. L’agent était quand même tenu de décider lui-même, de façon indépendante, si c’était bien le cas.

[45]  Les demandeurs soutiennent que l’appréciation qu’a faite l’agent de leur intérêt supérieur est spéculative et fondée sur une lecture sélective du dossier. Je ne souscris pas à cette affirmation. Les conclusions de l’agent sont solidement basées sur les preuves et sur les renseignements présentés.

[46]  Les demandeurs affirment que l’agent a commis une erreur en se limitant à la question étroite des difficultés au lieu d’examiner leur intérêt supérieur, dans un sens plus large. Je ne souscris pas à cette affirmation. Les demandes CH étaient formulées en termes des avantages qu’offrirait à Kshitij et à Darshith le fait de vivre au Canada plutôt qu’en Inde. Les motifs de l’agent répondent à l’affirmation de Kshitij et Darshith selon laquelle ils connaissent les difficultés en Inde. L’agent a conclu que ce n’était pas le cas. Les motifs abordent également d’autres facteurs pertinents. Il n’y a aucun élément qui permette de conclure que l’agent a simplement assimilé les intérêts supérieurs des enfants à une appréciation des difficultés.

[47]  Compte tenu des motifs fournis et du dossier sous-jacent, je suis convaincu que l’agent en est arrivé à un résultat qui appartient aux issues possibles raisonnables et que la décision est justifiée, transparente et intelligible. L’agent ne s’est pas contenté de simplement affirmer que les intérêts de Kshitij et Darshith avaient été pris en compte. Les motifs étaient presque exclusivement centrés sur leurs intérêts. Ces intérêts ont été « ‘bien identifiés et définis’, puis examinés ‘avec beaucoup d’attention’ eu égard à l’ensemble de la preuve » (Kanthasamy, au par. 39, citant Legault, aux par. 12 et 31 et faisant référence à Kolosovs c Canada (Ministre de Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 165, aux par. 9 à 12).

[48]  Il s’agit ici d’une affaire délicate. Le sort de deux jeunes garçons a été déterminé, dans une large mesure, par les mauvaises décisions prises par d’autres personnes. Il est évident que l’agent a cherché à savoir quelle serait la meilleure solution pour les garçons. L’agent a fourni une explication solide et intelligible de sa conclusion selon laquelle, dans leur situation, le fait de demeurer en Inde avec leur mère et les autres personnes les appuyant était dans l’intérêt des deux enfants. Il est évident que la décision qu’a prise l’agent a été une grosse déception pour les parents de Kshitij et Darshith. Cela ne saurait toutefois constituer un motif pour la modifier.

VII.  CONCLUSION

[49]  Pour les motifs qui précèdent, les présentes demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

[50]  Les parties n’ont pas proposé de questions d’importance générale à certifier. Je conviens qu’il n’y en a pas.


JUGEMENT dans les dossiers IMM‑5601‑17 et IMM‑5602‑17

LA COUR STATUE ce qui suit :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

  2. Aucune question d’importance générale n’est formulée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour de février 2019.

Caroline Tardif, traductrice


ANNEXE I

Paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

Alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227

Restrictions

Excluded relationships

(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5601‑17

 

INTITULÉ :

DARSHITH SMIT JANI c LE MINISTRE DE CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM‑5602‑17

 

INTITULÉ :

KSHITIJ SMIT JANI c LE MINISTRE DE CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 AOÛT 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 DÉCEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Yehuda Levinson

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sharon Stewart Guthrie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levinson & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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